L a B a l e i n e (Cet)
C e t u s (i) (1231 degrés carrés)
De l'eau, toujours de l'eau...! Il est vrai que
nous nous rapprochons de l'horizon. Avec la Baleine, nous
glissons dans l'hémisphère sud. Seule sa tête
émerge de l'Equateur, alors que son corps plonge jusqu'à
-25°. A nos latitudes (45° nord), l'horizon
s'abaisse heureusement jusqu'à -45° de déclinaison,
si bien que la Baleine nous est tout entière accessible.
Le voici le monstre sorti tout frais des
abîmes, prêt à dévorer Andromède. Il
se terre au sud des Poissons. Son corps, volumineux, frétille :
regardez sa queue, "Bêta Ceti", plus brillante que les autres...
elle scintille, basse sur l'horizon. Sa tête dressée,
énorme, laisse voir sa gueule (ou narine) à
l'étoile Alpha - un peu moins lumineuse que Bêta. La
Baleine épouse, contrainte et forcée, la forme que lui
impose la constellation des Poissons. Entre la tête et le corps,
une zone large et obscure... où surgit de temps à autre
une étoile fantasque, pouvant devenir très brillante...
rouge de son état. Lorsqu'elle est visible - 3 mois sur 11 -
vous la trouvez dans le prolongement du fil boréal des Poissons,
vers le sud. Elle se nomme Mira : "l'admirable" de la Baleine. Nous en
reparlerons.
Le voilà l'ouragan des mers,
envoyé par Neptune sur les rivages de l'Ethiopie. Sa langue
longue et fourchue (sur les représentations) cherche sa proie
malgré la distance qui le sépare encore
d'Andromède. Une corne, ou une courte trompe, enlaidit sa
tête déjà difforme. Deux pattes, aux griffes
acérées, lui collent au corps, visibles au
quadrilatère inférieur (étoiles Epsilon et Pi,
Rhô et Sigma). Ne crains pas Andromède...
Méduse aura raison de ce monstre infernal.
t Tau Ceti
a = 1 h 44 m 04 s d =
-15° 56' 15" Sp : G8 V p
T : 5000 K (BC : -0,15)
m = 3,49 M =
5,68 L = 0,45 p =
274,2 Dist : 11,9 a-l double optique
"Tau Ceti" : commençons par la
petite soeur du Soleil - soeur jumelle - et sa proche compagne, dans
l'immense étendue du disque galactique. Elle s'est introduite
dans le clan restreint de "Mes Etoiles", qui toutes - à 3 ou 4
exceptions près (dont elle) - surpassent le soleil en
éclat. Pis : elle revendique sa petitesse, se vantant
d'être deux fois moins lumineuse que le soleil ! (exactement 0,45
soleil) et d'appartenir malgré cela aux étoiles
brillantes du ciel. Evidemment... à 11,9 a-l, que l'on soit
puissant ou misérable, on brille quand même !
L'étoile nous accompagne dans sa ronde galactique. Serait-elle
la plus proche du soleil ? Non pas, mais la 19ème dans l'ordre
des distances. Il y a du monde près de nous... Du monde,
croyez-vous ? alors que la distance moyenne entre les étoiles,
dans notre secteur galactique, est de 7,7 a-l ? En effet, on compte
seulement 84 étoiles (réparties en 54 groupes) dans une
sphère de 18 a-l autour du soleil. Faites le calcul, vous
verrez, il n'y a pas de quoi s'en remplir plein les poches !
Cette petite étoile couleur jaune d'or a
décidé de venir à notre rencontre - à moins
que le soleil ait pris l'initiative - à la vitesse de 16 km/s.
Tout en se hâtant de la sorte, elle dérive
légèrement vers l'ouest, grignotant chaque année 2
secondes de degré sur la voûte céleste, dans son
déplacement tangentiel. Regardez : elle déploie devant
vous ses charmes ! Vous l'imaginiez petite en taille, maigre par
rapport au soleil. Erreur ! Elle est presque aussi grosse (0,9 rs).
C'est bien pour ça que je l'appelle "la soeur jumelle" du soleil
! Sa température ne dépasse pas 5000 K, alors que le
Soleil grimpe à 5700 K ; cette "douce" chaleur lui donne une
mine réjouie, dorée comme un beau pain cuit au four. Et
quel four ! Dommage qu'elle ne porte aucun nom propre cette
étoile ! du moins à ma connaissance En masse, elle
vaut 0,8 masse solaire ; en densité, 1 : celle de l'eau.
(1,4 pour le soleil).
Que trouve-t-on dans "Tau Ceti" ? De
l'hydrogène bien sûr, mais aussi des
éléments lourds, dits métalliques. Oui, en
quantité abondante ! Ca alors ! Où les a-t-elle
puisés ? - Dans la nébuleuse primitive qui lui a
donné naissance... Elle serait bien incapable de les fabriquer
elle-même. Pourra-t-elle seulement dépasser la fusion de
l'hydrogène en allumant la phase suivante de l'hélium ?
En principe oui - limite théorique : 0,5 ms. Mais elle
n’ira pas plus loin !
Regardez-la au télescope : un
compagnon l'approche, à 90" environ, de faible éclat (m =
13). Tau Baleine le croise à vive allure, sans se soucier de sa
présence. Il est en fait beaucoup plus éloigné
dans l'espace. Il ne s'agit donc que d'un couple optique, uni
seulement par la perspective.
N'oubliez pas "Tau Ceti", compagne
inséparable du soleil, simple comme lui, circulant silencieuse
dans la nuit glacée des temps et de l'horizon galactique...
b Bêta Ceti : Deneb Kaitos (ou Diphda)
a : 0 h 43 m 35
s
d : -17° 59' 12" Sp : K0
III T : 4900 K (BC :
-0,5)
m = 2,04 M = -0,3
L = 110 p =
34,04 dist : 96 a-l
simple
"Deneb Kaitos" = "la queue de la
Baleine", plus lumineuse que la gueule - Alpha Ceti, alias "Menkar" -
du moins en apparence. Il n'en fut pas toujours ainsi. Aux dires des
astronomes de l'antiquité, et jusqu'au XVIIIème
siècle, Alpha Ceti l'emportait en éclat sur cette rivale
potentielle - ce qui lui valut bien sûr la place d'honneur !
Cette numération grecque (alpha, bêta, gamma, delta,
etc...) fut mis en place par l'astronome Bayer au XVIIème
siècle pour classer les étoiles selon leur éclat
(1603). Personne n'a osé ravir à "Menkar" ce digne
privilège, malgré sa perte de lumière.
Regardons de près ce spécimen
rare des antres aquatiques, cette queue lumineuse - étoile sise
à la volute de la queue enroulée en spirale. Elle est
orange. Quel étrange phare dans ces lieux sous-marins ! Comme
les poissons des grands fonds, elle produit sa propre lumière,
et quelle lumière ! 110 soleils ! 18 soleils pourraient
s'aligner bout à bout sur son diamètre. "La baleine est
un beau bestiau...", dit la piètre chanson. Et c’est vrai
! Sa masse : 4 m.s., sa densité : 0,0007. Pour voir cette
curiosité de la nature, scrutez jusqu’à 96 a-l.
h Eta Ceti.
a : 1 h 08 m 35
s b :
-10° 10' 56" Sp : K2
III T : 4500 K (BC :
-0,7)
m = 3,46 M = 0,67
L = 46 p =
27,73 dist : 118 a-l
un compagnon
"Eta Ceti", confortablement campée sur
la nageoire dorsale du monstre, à califourchon sur ce coursier
hors du commun. A chacun son mode de transport... Ce "scooter des mers"
gagnerait tous les trophées du "Vendée globe" et autres
rallyes maritimes... 15 diamètres solaires se partagent le
ventre de cette étoile orange, 48 soleils accompagnent sa
lumière dans les mers australes, et dans le vide
intersidéral. 3,4 masses solaires sur le dos du
Béhémoth ! La chevauchée fantastique se
déroule à 118 a-l.
Un compagnon de faible éclat (m = 10,2) brille à 4 minutes de Eta Ceti.
a Alpha Ceti : Menkar.
a : 3 h 02 m 16
s d : 4° 05' 23"
Sp : M2 III
T : 3350 K (BC : -2,1)
m = 2,54 M =
-1,61 L = 370 p =
14,82 dist : 220 a-l
variable
"Menkar" = "la gueule" de laquelle
s'échappent le fiel et l'absinthe... (ou aussi la "narine").
Alpha Ceti, la voilà ! Elle a décidé d'assouvir la
colère qui gronde... Cassiopée, l'orgueilleuse, vient
d’irriter les Néréides. Oui, cette gueule ne fera
qu'une bouchée de sa fille, sacrifiée pour la mère
! La malheureuse pâlit, verdit, trépasse avant l'heure :
car devant elle, Menkar grimace, siffle et crache des vapeurs de sang.
Rouge de son état, l’étoile oscille entre les
magnitudes 2,45 et 2,54. Variation lente, incontrôlable (Lb) .
370 soleils s'échappent de ce gouffre sans fond.
Andromède défaille, face à ce gosier qui la toise,
s’apprête à la croquer... 146 rayons solaires, soit
102 millions de km : vision dantesque ! 8,8 masses solaires en
rangs serrés ! Pour tous les amateurs d'émotions fortes,
le spectacle se passe à 220 a-l.
g Gamma Ceti
a : 2 h 43 m 18
s d : 3° 14' 09"
Sp : A2 V
T : 9800 K (BC : -0,25)
m = 3,47 M =
1,47 L = 22 p =
39,78 dist : 82 a-l double
"Gamma Ceti" : la pierre précieuse, accrochée
au cou de l'horrible bête. L'élégante étoile
double. Ce joyau céleste réveille la nuit noire de ces
feux bleu et jaune. Magnitude des composantes : 3,56 et 6,63. Au
télescope, les étoiles se caressent à 2"6
d'écartement, sans jamais s'écarter de cette valeur, car
depuis qu'on observe ce couple princier, rien ne bouge. Pourtant
l'étoile est proche : 82 a-l. Serait-ce là un simple
effet de perspective ? Etoile à observer dans la durée...
22 soleils jaillissent de cette paire incomparable. A ne pas manquer.
o Omicron Ceti : Mira.
a : 2 h 19 m 20
s d : -2° 58'
39" Sp : M5 à
M9 T : 3000 K environ
m = de 2,0 à 10,1 p =
7,79 Dist : 419 a-l
variable, double, + 2 compagnons.
"Mira Ceti" = "l'Admirable de la Baleine",
l'ancêtre des variables, la première, dit-on, qui fut
remarquée pour ses sautes d'humeur, tout à fait
spectaculaires. Pensez : elle peut varier de la magnitude 2 à la
magnitude 10 (alors invisible au regard). Les anciens catalogues, ne
l'ont pas notée dans leurs longues colonnes, astronomes
paresseux, embarrassés plutôt... En 1596, David Fabricius
l'aperçut là, dans le cou de la Baleine, comme une
étoile de magnitude 3. Pendant deux mois, il surveilla la belle
inconnue - qui ne figurait pas sur ses cartes - jusqu'à ce
qu'elle s'efface à ses yeux. Curieuse idée ! Fantaisie
céleste... Au siècle suivant, Bayer la dessina sur son
atlas et lui donna la lettre grecque "Omicron" qu'elle a
gardée ; il la rangea parmi les étoiles de
4ème grandeur. Pendant tout le XVIIème siècle, on
suivit minutieusement ses oscillations. Hévélius de
Dantzig redoubla de zèle et d'efficacité pour cerner au
mieux la belle capricieuse. Quel secret recelait-elle ? Quel feu
ranimait ses cendres, tel un Phénix égaré au
septième ciel ? Il la qualifia de "Merveilleuse" = Mira.
A la fin du XVIIème siècle, les
conclusions de ces observateurs se ramenaient aux points suivants :
- Période : 333 jours.
- Maximum d'éclat : variable d'une période à l'autre.
- Durée de son apparition à l’oeil nu : elle-même variable.
- Durée de sa croissance lumineuse : différente, bien souvent, du temps de son extinction.
"Mais enfin, qu'est-ce donc que cette
étoile ?" Inquiétude à son sujet dans les couloirs
d'observatoires, et non seulement dans les couloirs, mais les bureaux
d'études et les laboratoires. Herschel bientôt - au
siècle suivant - entra en scène. Il améliora la
période pour laquelle il trouva 331 jours 10 heures et quelques
minutes. Elle est aujourd'hui fixée à 331 jours 23
heures et 2 minutes - valeur toute proche. Attention ! c'est ici une
période moyenne, puisque Mira varie comme bon lui semble (de 310
à 370 jours), à la joie des observateurs, mais au
dépit mordant des astronomes et calculateurs.
331 jours, soit 11 mois accordés
à l'étoile mouvante pour accomplir son cycle. Les 5
premiers mois, elle se terre, invisible, jusqu'à toucher la
magnitude 10. Après une lente progression sur les trois mois
suivants, elle réapparaît au regard. Mesdames, Messieurs,
à vos lunettes, télescopes, spectroscopes,
photomètres, chronomètres... ! Enfin visible, vous ne
pourrez jouir de ses feux que trois mois durant. Son maximum
n'excède pas 15 jours ! Impossible évidemment de freiner
son déclin, tumultueux, comme son apparition, et sa chute, dans
le tréfonds des abîmes ! On l'a vu s'élever
jusqu'à la magnitude 1,2 ! lorsqu'elle accepte de satisfaire
à sa plus grande amplitude. Elle atteint
généralement la magnitude 2, mais refuse parfois de
dépasser la magnitude 4 . Fantasque du début à la
fin.
Examinons plus en détail cette
étrangeté de la nature. Madame habite à 420 a-l.
Maquillée de rouge, elle court alerte sur l'échelle des
magnitudes - gain de 8, voire 9 magnitudes, soit un éclat
multiplié par 4000 ! Qu'est-ce, sinon une étoile
géante, supergéante même ? On a cherché son
diamètre par mesure interférométrique et
trouvé 0"056, soit un rayon de 500 millions de km. Bigre ! Si
elle venait à prendre la place du Soleil, elle atteindrait la
ceinture des astéroïdes !
Passons maintenant sa lumière au
spectroscope. Nouvelle surprise ! Quand elle est en crise, des raies
brillantes, en émission, ornent son spectre. Quand, au
contraire, elle entre en léthargie, lasse de ses excès
féeriques, des bandes moléculaires envahissent ce
même spectre. Qu'avez-vous, belle marquise, à varier de la
sorte ? "J'évolue... " répond-elle. "Laissez-moi achever
ma croissance ! A la plénitude de mon âge, mes caprices
s'apaiseront..." Bon. Mira Ceti est donc une étoile jeune,
très jeune, incapable de maîtriser ses émotions, ni
ses pulsions, violentes parfois, ce qui perturbent
considérablement sa vie. Elle est née, comme toutes les
étoiles, dans un cocon gazeux et poussiéreux ; une lourde
atmosphère l'environne, des vapeurs métalliques la
cernent. Son coeur, inconstant, explosif, entraîne tout un
courant de matière du centre à la surface, lorsqu'il
s'emballe, accompagné d'une terrible onde de choc, qui chasse un
instant les nuées qui la couvrent. D'où ces sautes
spectaculaires d'éclat. Ah ! "l'admirable" de la Baleine...
allez vivre auprès d'elle ! Il paraît qu'au cours de son
cycle, son rayon varie de 10% environ.
Que faire de cette étoile sinon la
placer en tête de liste des étoiles du même type,
car il en existe d'autres - 5000 recensées variables, à
longue période, comme elle - présentant toutes les
mêmes symptômes : supergéantes rouges,
période de 80 à 1000 jours, grande amplitude (5 à
6 magnitudes, voire davantage). Raies d'émission et bandes
moléculaires se partagent leur spectre.
Mais que vois-je dans les frous-frous de la
belle, à moins d'une seconde de degré ? (0"85 de
demi-grand axe) En fait, moi, je ne vois rien du tout, mais d'autres
ont vu pour moi : les spécialistes. Le premier fut Aitken, qui
dénicha en 1923 ce compagnon de Mira. Compagnon variable lui
aussi : de magnitude 9,5 à 12,0. En l'an 2000, il ne sera
qu'à 0"1 de la brillante étoile. Allez la
dédoubler ! 0"4 en l'an 2020. Que le plus malin se
présente et réussisse l'exploit !
Paul Baize a risqué l'évaluation
d'une période et d'une orbite, quoique ce faible compagnon n'ait
bougé que de 13° depuis sa découverte. 400 ans pour
une boucle complète, prévoit-il (allant même
jusqu'à supposer l'existence d'un troisième corps dont la
période de révolution serait de 29 ans environ ;
difficile...). D'autant plus que ce compagnon présente un
spectre qui le range en principe parmi les étoiles
puissantes : raies d'émission + raies d'absorption.
Qu'est-ce à dire, sinon qu'il s'agit là d'une
étoile lointaine... Mira Ceti serait alors une "double optique"
et non physique... Mystère autour de "l'Admirable" de la
baleine... Le mieux serait d'aller voir de près...
Ce n'est pas fini ! A 73" de Mira, se
promène un très joli couple de faible éclat :
magnitudes 9,3 et 12, dont les composantes sont écartées
de 45"5. A ne pas manquer lors de la visite obligée de ce
redoutable ballon sauteur.
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