Le  Cocher     (Aur)

Auriga  (ae)    (657 degrés carrés)


    Jaune, éclatante, passant au Zénith de notre terre de France, Capella, l'étoile principale du Cocher, illumine nos nuits d'hiver, comme Véga nos cieux d'été. A vrai dire, ces deux étoiles se font face, par rapport à la Polaire, aux méridiens 6 h. et 18 h. respectivement, ce qui explique qu'elles apparaissent à six mois d'intervalle. Pour trouver le Cocher, vous pouvez procéder comme suit : caressez le dos de la Grande Ourse à rebrousse-poil, de la queue à la tête  ; dans le prolongement de cette courbe, votre main gagne Capella, qui brille à l'angle nord-ouest d'un pentagone très remarquable, qu’on pourrait appeler la "maison" du Cocher, au toit renversé quand elle sort à l’Est, relevé quand elle se couche à l'Ouest. En fait, ce pentagone incarne le cocher lui-même  : son corps, aux contours assez réguliers. Son genou droit s'encadre au faîte du toit.  Ses pieds et jambes descendent aux deux étoiles méridionales (Iota et Bêta Tauri). Son buste touche les étoiles supérieures (Alpha et Bêta). Voici l’homme, sans son char... Un comble, pour un cocher ! Mais où l'a-t-il laissé ? Dans quelle banlieue céleste ?... Allez savoir !...

    Quel lien y a-t-il entre un cocher et une "chèvre" ? Je vous le demande ! Pourtant, c'est bien ce ruminant qu'il porte sur son bras gauche, ou sur son dos, suivant les représentations, en lieu et place de la brillante étoile Capella, dont le nom latin précisément veut dire "chevrette" (capra = chèvre) - nom qui lui vient de Crète, pense-t-on. Il aurait été donné en souvenir de la chèvre "Amalthée" qui allaita Zeus, lorsqu'il se réfugia, enfant, dans l'antre d'une caverne, fuyant la colère de son père. Elle sauva le grand dieu ! Mais pourquoi l'avoir mise dans les bras du Cocher ? Réminiscence du temps où la constellation portait le nom de "Gardien de chèvres" - en Crète sans doute... Les Babyloniens quant à eux avaient fait de cette constellation un char  : "Rubiki" et de son étoile principale un "cocher" = "Auriga" en latin (étymologie  : "celui qui tient les rènes"). Logique ! Les traditions se sont entremêlées, pour produire ce curieux Picasso. Elle est, cette chevrette, accompagnée de ses chevreaux, blottis tous deux dans le triangle qui la suit de près  : étoiles Epsilon, Dzêta et Eta. Allez conduire un char en pareil équipage !... Qu'importe ! et le Cocher fait tourner son invisible monture... La preuve : il tient en sa main droite les rênes et le fouet. En 24 h, il fait le tour du monde !... plus vite que Jules Vernes ! Va, bel homme, l'Univers est à toi...

    "Erichton"  : ainsi se prénommait le roi d'Athènes qui, dit-on, inventa le char à attelage de 4 chevaux. Ses sujets, fous de reconnaissance, baptisèrent le Cocher céleste  : "Erichton"  ; leur bien-aimé roi méritait cet honneur céleste, à défaut du "Prix Nobel" ! Ce nom propre est resté longtemps en usage...

    La Voie lactée traverse sans complexe la maison du cocher, de part en part. Nous sommes ici à l'opposé du centre Galactique, dans la partie externe de notre spirale, celle qui regarde vers les grands larges. Ce voile ténu d'étoiles est visible en hiver, long de 20 000 a-l, depuis chez nous jusqu'aux confins de notre galaxie. De nombreux amas et nébuleuses ornent ce monde stellaire, si bien que les photographies à longue pose, prises dans le Cocher, révèlent une grande richesse. Je vous l’assure !



    a    Alpha Aurigae  : Capella.

    a = 5 h 16 m 41 s    d = 45° 59' 53"    Sp  : G5 III et G0 III     T = 5900 et 5300 K
    m = 0,08    M = -0,48    L = 130    p = 77,29    Dist  : 42 a-l       
    (BC  : -0,2 et -0,03)    spectroscopique + 7 compagnons.
   
        "Marie-Pierre, venez voir... là, dans le ciel ! Qu'est-ce que c'est ?..."  Mon jeune voisin découvrait, pour la première fois de sa vie, un "OVNI"  : "objet volant non identifié".  Il en était tout chose. Je regardai l'endroit qu'il m'indiquait. "C'est une étoile, Jean-François, elle s'appelle Capella". - " Mais non ! Une étoile, ça brille pas comme ça !  Regardez, elle est de toutes les couleurs !" - "Parce qu'elle est basse sur l'horizon !" Et de lui expliquer le phénomène de la réfraction. Las ! ce n'était pas une soucoupe volante : déception... Cependant, comme il ne cessait de fixer "sa" petite merveille, rivé sur place par son attrait unique, disons-le, (1)  je m'éclipsai sans bruit, ne voulant pas briser ce qui restait de rêve... 

    "Capella" = "la chevrette". Oui, c'est une très belle étoile ! La sixième par ordre d'éclat. N'imaginez pas une supergéante, ornée de protubérances démesurées. Non ! L'étoile est proche, à 42 a-l, voilà qui explique sa forte brillance. Jaune comme le soleil. Lui ressemble-t-elle ? Pas le moins du monde ! sinon par sa température. Réfléchissez  : à 42 a-l, notre soleil disparaîtrait dans les oubliettes de l’Espace, lumignon imperceptible. Déjà,  à 10 parsecs (= 32,6 a-l), il est de magnitude 4,7, tout juste visible !

    Surprise ! En 1899, la belle star révéla son vrai visage. Deux étoiles invisibles façonnent son unique faisceau - unique en apparence. Il fallut analyser avec beaucoup de soin son spectre pour dénicher les deux chevrettes. Blotties l'une contre l'autre, elles se contournent en 104 jours, depuis des lustres, sans fatigue, sans lassitude. Modèle de fidélité... Deux étoiles : voilà qui explique plus encore son éclat.

    On voulut en savoir davantage. En 1919, l'interféromètre du mont Wilson parvint au bout de ses efforts. Il vit les deux étoiles distinctement, dans leurs cocons de lumière. Exploit ! Séparer 0"06 en 1919 ! En réalité, les deux astres se côtoient à 0,8 UA (demi-grand axe)  : imaginez Vénus, métamorphosée en étoile, et vous aurez une idée de ce couple. Astres géants : 11 et 7 rayons solaires. Brillants : 80 et 50 soleils. Massifs : 3,5 et 3 masses solaires. Amalthée, toi, la chèvre qui as nourri le grand dieu de tes mamelles pleines de lait, nourris aujourd'hui notre rêve ! Longtemps, longtemps encore...
    8 étoiles (dont un couple) environnent Capella, la plus proche se trouvant à 46", la plus lointaine à 12' (le couple).


    b    Bêta Aurigae   :  Menkalinan.

    a = 5 h 59 m 31 s    d =  44° 56' 51"    Sp  : A2 IV et A2 IV-V    T = 9800 K
    m = 1,9    M = -0,1    L = 90        p = 39,72    Dist  : 82 a-l
    (BC  : -0,3)     algolide + 1 compagnon.

    "Menkalinan" = "l'épaule" du Cocher, à l'angle nord-est du pentagone. Etoile gravée dans toutes les mémoires, du moins celle des astrophysiciens. Figurez-vous qu'elle fut la seconde étoile dédoublée par l'analyse spectrale, juste derrière Mizar. Où, quand, comment, par qui ?  Remontons le temps, un siècle en arrière et partons à Cambridge, dans le Massachusetts. Là, au collège Harvard, s'affairent quelques dizaines de dames et demoiselles, toutes de long vêtues, chignons à la mode du temps.  Monsieur Pickering, directeur de l'Observatoire, les a recrutées pour "des tâches pour lesquelles elles sont  faites ", dit-il : compilations, classements, de spectres d'étoiles, de photographies, rédaction de catalogues, calculs répétitifs ... Les nobles travaux  : au sexe fort ! comme de bien entendu... Monsieur Pickering a parlé, et avec lui toute la gente masculine. Telles des abeilles laborieuses, elles s'activent, chacune à l'oeuvre qui lui est assignée. Parmi elles, Miss Henrietta Leavitt, célèbre pour sa classification des Céphéides ; Williamina Fleming et Annie Cannon  : mères incontestées des "sept familles" d'étoiles, nomenclature toujours en usage aujourd'hui ; Antonia Maury qui, la première, dépista les classes d'étoiles – des naines aux supergéantes..., ...etc... Quelle zèle ! Femmes excellentes en tout point, dévouées à l’extrême ! ou presque... En un mot  :  FORMIDABLES ! qui, dans le silence des salles d'étude, loin des intrigues de cour, rendirent d’éminents services à la science. Sortons-les de l'ombre !

    Miss Maury inspectait le spectre de Bêta Aurigae  : "Menkalinan". Lorsqu'elle vit, à mesure que les clichés défilaient sous ses yeux, les raies se dédoubler périodiquement. "Cette étoile est double", conclut-elle.  Elle en référa à Pickering qui avait découvert le premier spécimen du genre  : Mizar. - "Est-ce bien sûr, miss Maury ?... - "Sûr ! répondit-elle, cette étoile accomplit une révolution complète en moins de quatre jours : 3,96 j."  Plus rapide que Mizar (20 j et 175 j) !

    "Pourquoi vous être intéressée à cette étoile, miss Maury ?" - "A cause de sa variation d'éclat. En 4 jours - 3,96 exactement -, elle perd une magnitude, passant de 1,9 à 2,8  : le temps d'une révolution complète." Et en effet, deux étoiles s'éclipsent mutuellement au cours de leur période, d'où cette chute de luminosité. "Leurs spectres sont-ils identiques, mademoiselle ?" - "Oui, très semblables. Il s'agit d'étoiles bleues. Les astrophysiciens du siècle futur vous en diront plus..." Nous étions dans les années 1890.

    Alors, pouvons-nous aujourd'hui en dire plus ? Oui. Nous connaissons la distance de Bêta Aurigae  : 82 a-l, donc sa luminosité intrinsèque : 90 soleils, soit 45 soleils chacune. A partir de là, calculons leur masse : 3,1 masses solaires, leur rayon : 2,6 rayons solaires, leur écartement réciproque : 0,09 UA, soit 13 millions de km. Etreinte forcée, ronde effrénée ! Spectacle caché à nos yeux trop étroits. Dommage !
    Un compagnon lointain à 3' d'arc est visible à la magnitude 10,4.


    g     Gamma Aurigae ( la cheville)  :  voir Bêta Tauri, c'est la même étoile  

   
      Thêta Aurigae

    a = 5 h 59 m 43 s        d = 37° 12' 45"    Sp  : A0 p Si    T = 10800 K     (BC  : -0,40)
    m = 2,65    M = -0,98    L = 210    p = 18,83    Dist  : 170 a-l      quadruple

    Le genou du cocher  : il a escaladé le toit ! Mais qu'est-ce donc que cette étoile, remplie de silicium ? Elle a dû l'absorber avec le biberon - dans le nuage pré-stellaire qui l'a vu naître et grandir... Que vois-je, à l'oculaire du télescope ? Non pas une, mais deux, puis trois et quatre étoiles : un système quadruple, qui compose cette brillante flamme, jusqu'à 130" de degré. Considérez le premier compagnon, de magnitude 7,1  : il se trouve à 3"6 de l'étoile mère, blotti dans ses rayons. Grande différence d'éclat. Connaît-on sa période ? Non, pas que je sache. Il est vrai que Thêta Aurigae est lointaine : 170 a-l
.
    Venons-en à cette rotule en silicium. Transfigurée par ses atomes de "verre", elle brille sans doute plus que de raison : 210 soleils. Une belle perle dans les profondeurs de l'espace. 5 rayons solaires, 5 masses solaires se disputent ses grâces. A voir sans faute.


    i    Iota Aurigae  : Hassaleh

    a = 4 h 56 m 59 s        d = 33° 09' 58"    Sp  : K3  II    T = 4200 K    (BC  : -0,8)
    m = 2,69    M = -3,29    L = 1800    p = 6,37    Dist  : 510 a-l           simple

    Toi, "Hassaleh" (sens inconnu pour moi), te voici partie vers la phase ascendante de ta vie... sous nos yeux, tu opères, en douceur semble-t-il, ta première mue stellaire. Toute habillée de chaudes couleurs, tu grignotes peu à peu l'hélium qui a rempli tes soutes pour le transformer en carbone. Savante alchimie ! Garde-nous longtemps ton éclat de feu...

    Incroyable mais vrai : "1800 soleils" s'échappent de ton haut fourneau  : énorme machine à fabriquer, en continu, les éléments du monde. Dans ton rayon, 111 rayons solaires (77 millions de km) dans ta masse, 10 soleils, ta densité  : 0,000 007 ! Que tu es belle, "un brasier de Yahvé", dans les hauteurs insondables  :510 a-l !


       Eta Aurigae

    a = 5 h 06 m 30 s        d = 41° 14' 04"    Sp  : B3  V    T = 19000 K      (BC  : -2)
    m = 3,18    M = -0,96    L = 205    p = 14,87    Dist  : 219 a-l        simple

    N'aie pas peur, petit chevreau, "maman" est là, caressant de sa langue ta pelisse toute chaude. Quel "bébé" vigoureux, dynamique, tu es !... De ta robe soyeuse, aux reflets moirés, 205 soleils s’échappent débordant d'énergie ! Dans tes membres, un feu ardent  : 19 000 K. Sur la balance  : 7 masses solaires, déjà ! On compte 3 diamètres solaires dans tes dimensions. 219 a-l  : ne t'éloigne pas ainsi du giron maternel !  Reviens ! Gare au gros méchant loup !


    e    Epsilon Aurigae  : Al  Anz

    a = 5 h 01m 58s        d = 43° 49' 24"    Sp  : F0  Ia    T = 7500 K    (BC  : -0,1)
    m = 3,03    M = -5,95    L = 20 000    p = 1,60    Dist  : 2000 a-l   4 compagnons
 
    "Epsilon Aurigae"... "Al Anz" = "la Chèvre" - plutôt le chevreau. Il joue à cache-cache ! Tous les 25 ans, il se voile d’obscurité, revêtant un pelage sombre, qu’il garde obstinément pendant deux ans. Si bien que son éclat chute de la magnitude 2,9 à 3,8 en quelques semaines. Puis il le quitte enfin, tout aussi brusquement que lors de sa vêture. Quel déguisement a-t-il inventé-là ?... On ne connaît aucun cas semblable au sien !

    Inquiets, les astronomes ont tout d'abord pensé que deux étoiles devaient cohabiter au sein d’Epsilon Aurigae, et s'éclipser à chaque rotation. Oui, mais... quel astre pouvait en éclipser un autre pendant deux ans ? Un mastodonte ! d’au moins deux milliards de km de diamètre... Inconcevable ! et terne de surcroît, au point de ne provoquer aucune éclipse secondaire lorsqu'il vient à tenir le second rang - à passer derrière l'étoile brillante... Un astre dont on n'arrive même pas à enregistrer le spectre... A n'y rien comprendre !

    Ils ont alors imaginé autre chose... un disque de poussières.  Ah !... intéressant ! Oui mais... un disque de poussières qui produit une éclipse de deux ans... hum...hum... bizarre. A moins que ce disque gravite autour d’une étoile secondaire. Là, nous tenons l'explication raisonnable ! Noyée dans sa nébuleuse, cette étoile invisible, indétectable, d’une période de 27 ans, cache l'étoile principale, et ceci pendant 2 ans, en raison même de cet immense disque de poussières, estimé à 1,6 milliard de km de diamètre  : cette fois-ci, l’hypothèse est plausible.

    Splendide chevreau, toi, l’étoile brillante du couple, révèle au lecteur la beauté de ta face. Cette "queue" de poussière qui te frôle régulièrement n'est faite semble-t-il que pour rehausser ton éclat. Car ce sont 20 000 soleils qui sortent impétueux de ton corps gracile. Etoile supergéante, au pelage très blanc. Tu illumines l'espace de tes rayons fougueux capables de parcourir des distances considérables. 2000 a-l nous séparent de toi, et tu appartiens encore au monde des brillantes ! L'étoile secondaire qui te voile pendant deux ans avec son manteau de vison n'a aucune peine à recouvrir tes 86 diamètres solaires (120 millions de km), vu l’épaisseur de son disque de poussières. Ton spectre, alors, change un peu, normal ! "Al Anz",  tu vaux de l'or : 16 masses solaires !

    Approchons de ce monde étrange, à pas feutrés, n'effrayons pas ce jeune cabri. 3,5 milliards de km séparent le couple, c'est plus que la distance d'Uranus au soleil (2,8).  Posons-nous en douceur sur l'étoile secondaire, ou plutôt sur le tutu qui l'environne. Vue de là, l'étoile centrale, supergéante nous l'avons dit, couvre 2 degrés dans notre champ de vision. 2 degrés, c'est 4 fois le diamètre apparent du soleil, 16 fois sa surface ! Quittons notre perchoir, et approchons-nous de l'étoile principale. Regardons sa compagne avec son nid en plumes..."Poussière étincelante à l'éclat du soleil, délicate vapeur aux reflets d'arc-en-ciel...." (J.G.) Merveilleux spectacle !... Nébuleuse irradiée par les feux de la brillante étoile ; elle couvre tenez-vous bien 24° sur le ciel (1,6 milliard de km de diamètre) !

    Quatre étoiles approchent Epsilon Aurigae, toutes très faibles, la plus proche à 21"2. Amusez-vous à les trouver.



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note 1 - Notez que toutes les étoiles brillantes subissent le même effet, bien visible à l'oeil nu  (ex: Sirius)