La   Lyre    (Lyr)
Lyra (ae)     (286 degrés carrés)

   
    Véga : la petite reine du ciel estival. Oui ! l'étoile principale de la Lyre, facile à trouver ! Regardez-la gravir les cimes, lorsque, au cours de sa ronde nocturne, elle gagne, fière et décidée, le sommet de l'Empyrée. Près d'elle quatre étoiles soulignent le cadre robuste de l'instrument (Dzêta et Delta, Bêta et Gamma). A vous de tendre les cordes, et de jouer en mode dorien, phrygien ou hypophrygien - comme les anciens savaient le faire - une sonate au clair de lune, une mélopée aux étoiles... Une astuce pour trouver Véga, si son éclat ne vous a pas suffi : tracez une croix sur l'Etoile Polaire. Faites passer la première branche sur la racine de la queue de la Grande Ourse, et Cassiopée à l'opposé. A angle droit, la seconde branche rencontre Véga, et Capella du Cocher, de part et d'autre. Jeu d'enfant ! Comptons maintenant : 0h, 6h, 12h, 18h  : quatre méridiens fondamentaux, dessinés par cette croix banale – Véga  : 18 h, Cassiopée  : 0 h, La Grande Ourse  : 12 h, Capella  :  6 h.  Pas mal !

    Véga... Oserai-je confier à votre mémoire ce qu'on lit dans Aratos ? Astronome, poète, ce grec de Tarse résuma l'oeuvre d'Eudoxe en un célèbre poème. Long de plus de mille vers ! Les "Phaenomena" = les "Phénomènes" (= ce qui apparaît aux yeux) exposent les connaissances astronomiques de l'époque. Nous sommes au 3ème siècle avant J.C.  Eudoxe vivait, quant à lui, un siècle plus tôt. Toutes les constellations visibles depuis Athènes sont successivement décrites, leur lever expliqué, et leur histoire mythologique racontée. Et que trouve-t-on au sujet de la Lyre ? Ceci : - "il n'y a aucune étoile brillante dans la Lyre". On croit rêver ! Véga inconnue !

    Revenons à la source : les "cahiers" d'Eudoxe. Nous avons de lui le plus ancien catalogue qui nous ait été conservé, et un globe astronomique. Eudoxe fut l’un des premiers - avec les Grecs de son époque - à diviser la sphère céleste en méridiens et parallèles. Ce "quadrillage", en usage constant aujourd'hui, permet de situer les astres par leurs coordonnées, et ainsi de les positionner avec toute la précision requise. L'astronome grava sur le cuivre 47 étoiles, parmi les plus brillantes, celles qu'il avait mesurées avec soin grâce aux alidades de son époque. Alors : a-t-il, oui ou non, placé la "Supérieure" de la Lyre ? Oui ! Elle y est... Ouf ! Qu'as-tu fait Aratos ? Pourquoi n'en as-tu rien dit ? Tu ne vas pas nous faire croire qu'en un siècle, entre Eudoxe et toi, Véga a "disparu" du ciel ! A moins que... Car, remarquons-le, Aviénus, qui, beaucoup plus tard, au 4ème siècle de notre ère, traduit ton poème en latin, oublie également de signaler Véga... Distraction ? Inadvertance ? Copie servile ?... alors que, par ailleurs, il se permet de nombreux ajouts !... Etrange, étrange... Véga aurait-elle connu une "éclipse" temporaire ?... Nous verrons plus loin ce qu'il a pu en être.

    "Mon amie, ma soeur, songe à la douceur d'aller là-bas vivre ensemble.." Ainsi chantait Orphée, s'accompagnant de la Lyre qu'il avait lui-même construite : quatre cordes tendues entre les deux cornes d'un boeuf. Reviendra-t-elle, Eurydice son épouse, des enfers où la mort l'a jetée ? Oui, a promis Hadès, à condition qu'Orphée, autorisé à venir la chercher dans le séjour des ombres, ne jette, durant ce sauvetage, aucun regard sur elle. Il l'a juré ! Le voici aux portes de l'abîme. Elles s'ouvrent devant lui, libérant les saumâtres vapeurs et odeurs pestilentielles. "Mon amie, ma soeur..." Sous ses doigts agiles, les cordes de l'instrument s'ébranlent. La douce mélodie se noie dans le vacarme du sombre tartare, couverte par les glapissements des mânes. Orphée redouble de zèle, réveille les accents musicaux chers aux oreilles d'Eurydice... Entendra-t-elle ? Oui ! Voici qu'elle se tient, en larmes, aux pieds de son amant. Il détourne le regard. Elle insiste. Il cherche à l'entraîner vers la sortie, mais le sol est fangeux, jonché d'immondices. Parviendra-t-il à la hisser, sans la voir, sur d'autres rives ? Il le veut ! Il le faut ! La lumière que la porte infernale, entrouverte, laisse doucement filtrer, l’invite à réussir. La Lyre, sous sa main caressante, égrène les plus doux arpèges. Eurydice frémit : au son de tels accords, sa chair revit. Elle le suit maintenant ; encore quelques empans sur ce cloaque infâme, et elle sera sauve, délivrée ! Jusqu'à présent les yeux d'Orphée sont restés résolument clos. Non, il ne faillira pas. Il sortira celle qu’il aime de cet obscur bourbier. Mais voici qu'une main l'empoigne  : celle de l'épouse languissante. Un bras gracile l'enserre, sa frêle chevelure caresse ses épaules. Non ! il refuse l'étreinte, craignant de raviver l’hymen désirée, et de rompre le voeu qui le lie ! La voici contre lui. Une voix adorable s'élève. La sienne ! Son timbre cristallin épouse les notes mélodieuses : c'est une complainte qui jaillit de ses lèvres suaves. Ah !... Comment résister ?... Un baiser, très léger, un signe imperceptible des paupières  : un tout petit clin d'oeil... Hadès ne verra rien. "Je n'excéderai pas le temps d'une mesure... promis."

     "Qu'elle est belle !... "  Las !... déjà son visage recule, ses mains lâchent prise, son corps s'écarte. Elle semble comme aspirée vers les gouffres sans fonds de l'abîme. "Eurydice ! Eurydice !"  Rien n'y fait : ni les cris de l'amant, ni le son de la Lyre. Elle s'enfonce dans la nuit la plus noire, sous les ricanements d'Hadès, d'Hécate, les abois de Cerbère... Eurydice n'est plus... Il ne reverra plus l’amante adorée... Ah !... Jeunes gens, jeunes filles, si vous entendez aujourd'hui le son de la Lyre, souvenez-vous d'Orphée...

    Cette Lyre, savamment construite - on dit qu'Hermès en fabriqua une - avant Orphée - dans une carapace de tortue  - comment se présente-t-elle sur le ciel ? Nous l'avons dit déjà. Véga en occupe la partie supérieure ; elle en est la cheville ouvrière, assurant sur la barre transversale, l'exacte tension des cordes. Voyons... on dirait plutôt une viole, avec son cadre quadrangulaire. La Lyre, la grande, la vraie, je la verrais mieux entre les étoiles Bêta et Gamma, Eta et Thêta  : là apparaît un cadre robuste, grandiose, aux formes harmonieuses... Ne l'entendez-vous pas ? Un fantastique "son et lumière" jaillit de la constellation, et raconte à l'oreille attentive les secrets du monde... dévidant l'histoire des temps... Heureux qui en saisit l'écho !...

    Tout près de Véga, une étoile trépigne, attendant avec impatience notre visite. Oui, on arrive ! Elle dessine un petit triangle quasi-équilatéral avec Véga et l’étoile Dzêta. C'est "Epsilon Lyrae". L'oeil nu la voit allongée. Qu'est-ce donc ?... Une étoile double ? Oui ! comme il y en a tant. Les vues exceptionnelles, la vôtre peut-être, la dédoublent : 3'5 (théoriquement l'oeil peut apprécier la minute). Très facile aux jumelles. Regardez maintenant au télescope avec un fort grossissement. Ce ne sont plus deux, mais quatre points lumineux qui impressionnent votre rétine. Quadruple cette étoile, en deux paires bien distinctes. Ecartement : 2"3 en l'an 2000 pour le couple le plus serré (Epsilon 2), 2"6 en l'an 2000 pour l'autre (Epsilon 1). Période : 585 ans et 1165 ans, respectivement. Ceci d'après les calculs de Mr. Lingner, astronome de son état. Les deux paires se regardent, inlassables, sans qu'aucun mouvement de l'une par rapport à l'autre ne soit détectable, à ce jour. Patience, patience dans l'azur !... Hipparcos a mesuré leur distance : 162 a-l pour Epsilon 1, la moins brillante (m = 4,7), 160 a-l pour Epsilon 2 la plus brillante (m = 4,5). Cette différence de deux années empêche-t-elle leur union gravitationnelle ?... Sans doute non !

    Approchons d'une autre curiosité de la Lyre... Ce soleil a pu briller beaucoup, il y a quelques milliers d'années. Nous le voyons aujourd'hui sous sa forme éclatée, entre les étoiles Bêta et Gamma Lyrae. Nous le voyons... c'est beaucoup dire... sans télescope, c'est impossible : magnitude 9,3. J'ai nommé : le célèbre "anneau" de la Lyre, M 57, fait de gaz chauds, centré sur une étoile invisible, sinon aux grands miroirs et aux plaques photographiques (magnitude 14,7). Elle se cache, l'espiègle, derrière le voile trop fin de sa bulle ; c'est elle la fautive, la coupable ! Cernée par la gravité, prisonnière des masses considérables qui l'enveloppaient, son coeur s'est emballé. Une réaction nucléaire centrale, celle de l'hélium, subite, fut à l'origine de ce jaillissement d'étincelles, que dis-je, de cette bombe formidable, qui, à elle seule, aurait fait sauter la planète bleue. L'étoile a grossi, enflé, chassé dans l'espace ce qu'elle y avait puisé tout d'abord pour naître et se développer. Une partie importante de sa masse, soufflée, volatilisée, apparaît désormais sous la forme de cette bulle gazeuse qui s'épanche peu à peu dans le vide sidéral. Dans quelques milliers d'années (30 000 au maximum) il n'en restera rien ; c'est à peine si on se souviendra qu'ici, entre Bêta et Gamma Lyrae, gisait une "nébuleuse planétaire" : tel est le nom de ces objets (planétaire : à cause de leur forme sphérique).

    La distance de M.57 - de son étoile centrale – a été déterminée récemment par mesure trigonométrique  : 2300 a-l. (705 pc). Nous la voyons donc telle qu'elle était il y a 2300 ans. Pour atteindre les dimensions qu’on lui voit (rayon moyen : 35"), et en donnant à ses gaz la vitesse moyenne qu’ils ont aujourd’hui – soit 25 km/s – notre anneau préféré a 7000 ans d’âge ! Oui mais... cette vitesse ne fut certainement pas constante dans le temps - plus rapide au départ, plus lente aujourd’hui - alors... M57 grandit de 1’’ de degré par siècle sur la voûte étoilée  : c’est peu ! Sa dimension dans nos télescopes : la partie visible  : 0,8 a-l (pour 70’’ de diamètre), avec son halo  : 2,4 a-l.

    A noter que les "nébuleuses planétaires " ne sont pas des "novae", mais des étoiles qui sous l'effet de leurs réactions internes - notamment l'allumage de l'hélium - sont devenues des géantes rouges, et ont définitivement chassé leurs couches externes. Pour la joie de nos yeux...

    Comment se frayer un chemin dans la Lyre, sans être de nouveau arrêté par cette étoile variable célèbre entre toutes : "RR Lyrae", répondant aux coordonnées 2000  : A.D = 19 h 25,5 m  et Déc = 42°47' ? Votre oeil écarquillé ne voit rien : magnitude 7,06 à 8,12. C'est elle cependant - tout effacée qu'elle soit - qui a permis aux astronomes de trouver les vraies dimensions de notre Galaxie. Oui ! Comment cela, direz-vous ? Et bien voilà : on cherchait alors à connaître le diamètre de cette longue traînée laiteuse que les anciens nommaient "Voie Lactée", et que la piètre lunette de Galilée avait résolu en étoiles. O inquiétante lunette qui laissait voir un Univers inhomogène, comme si les étoiles, loin de se répartir uniformément dans le ciel, se groupaient en grand nombre dans ce disque blanchâtre ! Très vite, et pour se consoler sans doute, nous terriens, de n'être pas au centre du système planétaire, on plaça le Soleil au coeur de ce disque aplati. Rêve constant... Restait à trouver le rayon de cette "roue" qui semblait gigantesque. Au début du XXème siècle, catastrophe ! Il fallut déchanter : le Soleil n'occupait pas le centre de la Voie Lactée. Grâce aux amas globulaires qui gravitaient autour du bulbe, l'américain Harlow Shapley en avait acquis la certitude. C'est dans le Sagittaire, ou plutôt dans la direction de ce dernier, là où le disque se renforce, où son épaisseur grandit, que se trouve précisément le centre galactique. Force fut de s'incliner devant les faits. Cruelle vérité  : comme tu fais mal, parfois !...
    Mais alors, où sommes-nous ? A quelle distance du coeur galactique ?

    Revenons, pour le savoir, à notre étoile mystérieuse : elle pulse d'un battement rapide et régulier. En 13 h 36 m 17 s, son éclat passe de la magnitude 7,06 à 8,12 , véritable métronome de l'espace. On examina sa lumière au spectroscope : l'étoile se révéla "pure", composée exclusivement d'hydrogène. Cas très rare ! Grâce à cela, on parvient à évaluer sa luminosité réelle. Bond prodigieux dans la connaissance ! Dès lors, connaissant ses deux magnitudes visuelle et absolue, on calcula sa distance - par le fameux "module de distance" - aujourd'hui fixée à 740 a-l (Hipparcos). On découvrit bien vite d'autres étoiles semblables, de la même famille, celles des "RR Lyrae" précisément, riche de 6000 spécimens, toutes dans notre Galaxie. Grâce à ces "chandelles cosmiques", on put sonder l'espace, et connaître la grandeur de notre "Univers-île", de "La Galaxie" car c'est de cela qu'il s'agissait alors...

    Les RR lyrae ont une période inférieure à un jour ; leur variation d'éclat peut atteindre 2 magnitudes, au maximum. On les repère ainsi très bien. Elles sont en moyenne 100 fois plus brillantes que le soleil. Plus leur éclat apparent est faible, plus elles sont lointaines, évidemment...
 
    Une première estimation du diamètre de la Voie Lactée grâce aux RR Lyrae donna 300 000 a-l. Faux, archi faux !... Eh !... on ne  voyage pas sans écueil dans le monde stellaire ! Savez-vous que La Galaxie est encombrée de poussières et de gaz obscurs. Là, se situe le problème ! Car la lumière qui nous parvient des astres se voit par cet obstacle informe, insaisissable. Il faut impérieusement tenir compte de cette absorption, ou alors, trouver une "fenêtre", un "couloir" dépourvu de poussières, et ceci jusqu'au coeur de La Galaxie si possible. Long travail de recherche, mais qui porta ses fruits. L'astronome allemand Baade dénicha les zones tant désirées, repéra les RR Lyrae qui s'y trouvaient, et ramena de ce fait notre Galaxie aux dimensions qu'on lui connaît aujourd'hui : 100 000 a-l. Le Soleil quant à lui s'est vu relégué à 30 000 a-l du centre. Chance inouïe ! Imaginez une observation astronomique depuis le bulbe, le « noyau » galactique : caché derrière l'épais rideau fait d'étoiles et de poussières, le monde extragalactique nous serait à jamais inconnu ! Je n’ose l’imaginer...

    Les observations récentes d'Hipparcos sur d'autres étoiles variables - les Céphéides - semblent indiquer que La Galaxie, les galaxies en général, et leurs distances relatives, sont plus grandes que ce qu'on pensait. Les Céphéides ayant été trouvées 10 à 20% plus lointaines, toute la galaxie se voit contrainte de grandir du même facteur. Elle ne s'en plaint pas ... N'oublions pas la devise du ciel  : "Toujours plus grand !"


    a    Alpha  Lyrae  :  Véga

    a  : 18 h 36 m 56 s         d  : 38° 47' 01"     Sp  : A0  V    T  : 10 800 K     (BC  : -0,40)
    m = 0,03    M = 0,58    L = 50        p = 128,93    Dist  : 25,3 a-l   3 compagnons

    Véga ! le diamant céleste ! convoité par les dames  : celles qui l'ont vue, ne serait-ce qu'une fois, au télescope. A nos latitudes, c'est vraiment la plus belle ! "Du carbone pur", disent les messieurs, soucieux de tempérer le sexe féminin. Ils n'en frémissent pas moins d'admiration lorsqu'ils l’observent à l'oculaire. "Waki", dit-on en arabe, car son nom vient de là, et signifie  : "le Vautour qui s'abat". Qu'il y ait des rapaces dans les cieux, normal ; que l'on surprenne l'un d'eux fondant sur une proie de choix, possible... Quant à croiser l'oeil perçant de la bête, voilà qui est plus rare ! Véga, c'est cela : sa pupille grande ouverte... Mais au fait, que vient faire ce vautour dans la Lyre ?... Attendez ! vous allez comprendre... Question de présentation, car sur les atlas, dessinés avec soin, on pose la Lyre sur un lutrin ; or tout lutrin de bon goût, et qui se respecte, porte en son dossier de bois, un aigle (ou vautour) sculpté aux ailes déployées. Ceci explique cela... L'oiseau est déniché... Le "Vautour qui s'abat"  :  c'est aussi le nom de la constellation en arabe.

    "Véga"  : célèbre entre toutes ! Elle s’approche de très près du cercle qui passe par la Polaire, Alpha Dragonis, Gamma Cephei...etc...  Qu’est-ce à dire, sinon qu’un jour elle deviendra - comme ces dernières citées - notre étoile polaire ! Grâce à la précession des équinoxes, qui joue à la toupie avec la terre ! si bien que l’axe du monde – l’axe des pôles – s’orientera un jour prochain, encore lointain, vers l’étoile Véga. Dans 13 000 ans, pas avant ! Elle passera à 4° du pôle céleste exact. Assez près donc... Quelle civilisation, s'il en est une, illustrera le règne de l'éclatante étoile, comme autrefois la civilisation égyptienne illustra  celui de Thuban  : Alpha Dragonis ?

    Transportons-nous maintenant à Dorpat, au fond de la Lituanie. Dans son observatoire, l'astronome Wilhelm Struve s'affaire. Depuis plusieurs nuits, muni de son micromètre à fils d'araignée, il taquine Véga. Que peut-il bien mesurer avec tant de soin, d'aussi nombreuses répétitions ?.. L'étoile n'est pas double... Quel écartement a-t-il repéré qui mérite une attention si soutenue ? "Il n'y a pas de doute, s'écrie-t-il soudain, elle bouge." - "Monsieur Struve, de quoi parlez-vous ?" - " De Véga bien sûr ! qui se "balance" par rapport à sa proche compagne, de neuvième magnitude (9,5) - proche en apparence - à 43" d’écartement... Un petit calcul sur mon carnet... et j'aurai enfin le nombre que je cherche..." - "Quel nombre cherchez-vous Mr. Struve ?" - "Comment ! s'exclame-t-il, l'ignorez-vous, alors que depuis 150 ans tous les astronomes en perdent le sommeil, dans l'ignorance qu'ils sont de ce nombre, précisément ! Pas même Tycho Brahé, malgré ses monstrueux quadrants, pas plus que William Herschel et son miroir géant, personne, m'entendez-vous, n'a trouvé la distance des étoiles !" - "Le nombre que vous cherchez ?" - "Oui, bien sûr !" - "Et vous auriez trouvé, Mr. Struve, avec votre lunette de 24 cm ?..."  Pas de réponse. D'une main nerveuse, il griffonne de gros chiffres de sa plume alerte ? Soudain il s'arrête, son visage se fige.  "Combien trouvez-vous, Mr. Struve ?" - "Je... je ne peux pas vous le dire", lance-t-il d'une voix coupée." - "Pourquoi, Mr. Struve ?" - "J'ai dû me tromper, ce n'est pas possible, c'est... impensable... inimaginable..."
    Effectivement, Struve n'a rien dit. Pendant quinze ans, il est resté muet sur cette question qui, cependant, agitait tous les esprits de l'époque. Nous étions en 1822. Fallait-il dévoiler au monde les folles dimensions de l'espace ? Tel fut son dilemme...

    Quant à nous, nous voudrions comprendre le principe de la mesure avant même d'avoir la réponse. Comment Wilhelm Struve a-t-il fait ? Quel angle a-t-il mesuré ? En théorie, rien de plus simple : il suffit de connaître l'écartement de Véga, avec sa compagne d'apparat, à six mois d'intervalle. En ce laps de temps, la Terre a fait un demi-tour sur son orbite. Notre vision du ciel s'en trouve modifiée légèrement. Imaginons... Si Véga est une étoile proche, elle va sembler se mouvoir par rapport à la seconde étoile que nous supposons lointaine, en raison même du mouvement de la Terre. C'est ce "déplacement" de l'étoile - nommé "parallaxe" - qu'il nous faut mesurer. Exercice difficile, car l'angle est étroit ! Mais exercice possible... Si Véga "bouge" - alors que la seconde est immobile - elle révélera par ce simple mouvement sa distance, moyennant un petit calcul. Plus le déplacement est faible, plus l'étoile est lointaine, évidemment bien sûr, et inversement... Voilà ce que fait Struve, avec une infinie patience...

    Pourquoi Tycho Brahé, Bradley, Herschel et tant d'autres... n'ont-ils rien trouvé ? Parce que leurs mesures manquaient de précision. Devinez le nombre de Struve... 0"125, un angle si petit que seule une excellente optique, un micromètre performant ont su l'apprécier. En 1837 - date historique ! - Struve se lance  : il annonce au monde la distance de Véga ! quinze ans après sa découverte ! "Elle est, dit-il, 1 600 000 fois plus lointaine que le Soleil." Vertige ! Tournis !... Etait-ce possible !... Certes, à cette époque, il restait à connaître, avec certitude, la distance du Soleil  : depuis les mesures de Cassini et Richer (1672), on parlait de 140 millions de km. C’est dire si Véga était lointaine, la première connue par sa distance. (+ Altaïr).

    Struve s'est-il trompé ? Non ! Nous trouvons aujourd'hui 0"123 ; Hipparcos lui donne 0"129, soit 25,3 a-l. Distance  vertigineuse ! Autant creuser un abîme sans fonds, un vide insondable entre le Ciel et la Terre ! Beaucoup pâlirent, d'autres se ressaisirent en pensant qu'elle n'était probablement pas la plus proche. Quelques-uns s'enthousiasmèrent à la pensée d'un Univers grandiose qui élargissait d'un coup leur horizon, d'un Univers digne d'un Créateur, disons-le. Véga, de son rayon cinglant, a percé "l'Uranos" : ce couvercle que les grecs imaginaient, fermé, au-dessus de leurs têtes.

    Cette petite étoile de mag. 9,5 n'est plus où Struve la voyait. Pourquoi ? Parce que Véga au fil des ans se déplace sur la voûte céleste dans son mouvement propre  - qui n'est pas sa parallaxe - de 0"34 par an. Ainsi sa compagne de fortune est passée de 43" à plus d'une minute de degré actuellement. Notons de suite deux autres étoiles proches de Véga : vers 50" magnitude 11, et 120" magnitude 9,5. Véga se rapproche de nous, à la vitesse de 14 km/s. Dans un élan réciproque, le soleil bondit dans sa direction, à la vitesse de 19,6 km/s. En fait, il se précipite dans la main d'Hercule - nous l'avons vu - qui n’est qu’à quelques degrés de Véga ! Les deux étoiles se croiseront un jour. Quand ? Dans 500 000 ans, pas avant... Un couple paré de jaune, vêtu de bleu, se prépare, dans la longueur des siècles et des millénaires  : longues fiançailles !...

    Malgré ses nombreux courtisans, Véga reste une étoile solitaire. Auprès d'elle, le Soleil pâlit  : 50 fois plus faible  ; le Soleil mincit  : 2,3 fois moins grand  ; le soleil maigrit  : 3,2 fois moins massif, ce qui donne à Véga, ce joyau des grands espaces, une densité quatre fois plus faible que l'eau (0,25). 1,4 pour le Soleil. Etrange matière capable de charmer le regard tout en gardant une composition subtile !

    Oublierai-je de rapporter l'émoi qui s'empara de tous les astronomes lorsqu'en 1983, le satellite IRAS, opérant dans l'infrarouge, décela la présence d'un anneau de matière autour de l'étoile Véga ? Un système solaire en formation ?  - en tous les cas, un halo de poussières estimé à 10 milliards de km de diamètre. Quant à parler de corps constitués - de planètes - c'est aller un peu vite en besogne. Nous n'en sommes pas là. Quoiqu'il en soit, la découverte est d'importance, et confirme l'intuition de tout un chacun. Peut-être qu'autour d'une étoile comme Déneb, très puissante, mille planètes dansent inlassables jusqu'aux confins de l'attraction  ; l'une d'elle, peut-être, a vu éclore les premiers bourgeons de la vie...

    Mais alors, si Aratos puis Aviénus déclarent ne voir aucune étoile brillante dans la Lyre, ce nuage de poussières n'en serait-il pas la cause ? Car des nuées opaques ont pu croiser momentanément notre ligne de visée et éteindre momentanément Véga...  Qui sait ? Hypothèse à retenir...et surtout à vérifier...


    b    Bêta  Lyrae   :   Shéliak

    a  : 18 h 50 m 04 s        d  : 33° 21' 46"     Sp :  B7 Ve et A8 p               
    m = 3,52  (3,34 à 4,34)    M = -3,64    L = 2400    p = 3,70    dist  : 880 a-l     
    double + 5 compagnons, variable
   
    Multiple, spectroscopique, algolide, variable... toutes les caractéristiques de l'originalité : voilà Bêta Lyrae : "Shéliak", du grec Chélus = Lyre. Il a fallu inventer pour elle - et celles, peu nombreuses, qui lui ressemblent - une classe particulière de variables : les étoiles de type EB  : E pour Eclipse, B pour Bêta Lyrae.

    Si nous avions des ailes, mieux  : un corps glorieux, nous pourrions nous rendre auprès de cette étoile et comprendre ce qui s'y passe. Faisons comme si... Voyageons à la lueur de son phare bleu. Le compteur "année-lumièrique" tourne, infatigable, à la vitesse grand C. Bientôt - au bout d'un certain temps tout de même - 880 a-l ! - nous arrivons. Deux astres de feu, d'un bleu soutenu pour l'un, plus pâle pour l'autre, émergent bientôt du cocon lumineux qui, de loin, les enveloppait.  Pour mieux les discerner - car nous sommes encore à plusieurs unités astronomiques - mon compagnon de route a sorti de sa poche à grand fond une lunette astronomique. Equipée de filtres particulièrement efficaces, il peut sans aucun risque jouir du spectacle. Que voit-il ? - deux sphéroïdes suspects.  Déformées par de gigantesques effets de marées qui se produisent à leur surface, les étoiles ressemblent à deux ballons de rugby. Mondes étranges, régis par l'inexorable gravitation ! Ronde effrénée  : en moins de 13 jours (12,9), ils se contournent l'un l'autre. Depuis le lieu où nous nous trouvons, nous les voyons s'éclipser tour à tour : car notre rayon visuel passe par le plan de leur orbite (comme sur la Terre). Lorsque la plus lumineuse cache la plus faible, l'éclat chute un peu : m = 3,84.  Lorsque la faible occulte la brillante, la chute est d'importance : m = 4,34.  Au maximum d'éclat, les deux étoiles sont côte à côte, bien visibles : m = 3,34.

    Mais un autre mystère plane encore sur ces corps bizarres. Fort inquiet, mon compagnon essaie de le percer. Impossible de chiffrer de façon stable l'éclat des composantes ! Leur surface change constamment de luminosité : tantôt éclatante, tantôt terne. Depuis fort longtemps,  le spectre a révélé des raies en émission, des rayons X, des UV,  signe d'une activité peu commune ; on a décelé également une grande abondance de métaux. Comment, dès lors, s'étonner de ces fluctuations d'éclat qui embellissent de multiples festons la courbe de lumière de ces étoiles de type EB ? Mais quelle est la raison d'une telle fantaisie ? Est-ce le rayon des étoiles qui bouge, le noyau nucléaire qui tousse ? Le champ magnétique qui canalise les métaux ?... Parviendrons-nous à résoudre l'énigme ?

    J'en étais là de mes investigations, lorsque j'appris les travaux de Mr. Bonneau, astronome, et de plusieurs de ses collègues. Ils purent, grâce à de nombreuses mesures réalisées dans toutes les longueurs d'onde ou presque, mettre en évidence un troisième corps dans le système de Bêta Lyrae. Une étoile ? Non pas. Une planète ? Non plus. Mais un disque de matière entourant l'étoile principale. Je vous donne les conclusions de ce travail.

    Deux étoiles supergéantes bleues, (Spectres B0 et B8-B6), se contournent en 12,9 jours, nous l'avons dit. La plus chaude : 25 000 K est aussi la plus massive : 13,13 masses solaires, sans être toutefois la plus grosse : 6,7 rayons solaires. C'est elle qui règne en maître sur le couple. Un immense disque de poussières et de gaz s'étire dans son plan équatorial. Jusqu'à 25 rayons solaires ! D'une épaisseur de 6 rayons solaires, il cache une grande partie de l'étoile. C'est lui qui est enrichi en métaux. Sa température est considérable pour un objet de ce genre : 8000 K. Vient ensuite la seconde étoile : elle tourne à la distance de 58 rayons solaires (de centre à centre) soit 40 millions de km, elle- même géante, deux fois plus grande que l'étoile principale : 15 rayons solaires, d'une température moindre : 15 000 K, d'une masse plus faible : 3,11 m.s. Voici Bêta lyrae, admirable dans ses composantes, exceptionnelle dans sa structure.

    Phagocytage, cannibalisme, symbiose... un échange de matière se produit entre les deux étoiles, plus exactement entre la secondaire et le disque de poussières. De cette seconde étoile, énorme nous l'avons vu, un tourbillon s'épanche sur le disque de poussières et l'enrichit au fil des ans. On comprend dès lors assez bien l'existence de ce troisième "corps"  : ce disque précisément. L'étoile principale, plus massive, gobe à petit feu sa compagne de route... Repas gargantuesque...

    Que se passe-t-il au point de contact ? Une élévation de température, un éclair émis par la chute incessante de ces particules rapides et souvent ionisées, sur le disque brûlant. C'est de ce "point chaud" que partent les raies en émission décelables dans le spectre, et le rayonnement X découvert. A chaque rotation, cet endroit singulier est éclipsé. Vous comprenez dès lors pourquoi Bêta Lyrae varie si bien...

    Autre bizarrerie de ce système. Un jet de matière, décelable en ondes radio, jaillit perpendiculairement au plan de révolution des deux étoiles. Il semble provenir du centre de gravité commun du système (qui n'est pas le "point chaud"), situé à 11 rayons solaires de l'étoile principale, dans le disque de poussières. Dès lors, l'étoile perd un peu de sa masse. Conséquence inévitable : la période du couple s'allonge, de 19 secondes par an. Il fallait le trouver ! Voici levé, grâce aux travaux de tous ces chercheurs, le voile qui recouvrait jusqu'à ces derniers temps, cette étoile mystérieuse. Vous savez tout, ou presque...

    Lorsque nous rentrerons de notre voyage, je vous dirais si les 5 étoiles qui environnent Bêta Lyrae, dont 3 sont bien visibles au télescope - les deux autres de magnitude 13 et 14 - lui sont physiquement liées, ou s'il s'agit là seulement d'un effet de perspective. Toutes écartées de 1' de degré environ, elles créent sur la voûte céleste un effet des plus heureux et font de Bêta lyrae une des plus belles étoiles multiples. Jouissez longtemps de ce spectacle...


    g    Gamma  Lyrae   :  Sulafat

    a  : 18 h 58 m 56 s     d  : 32° 41' 22"     Sp  : B9   III    T  : 11 000 K     (BC  : -0,7)
    m = 3,25    M = -3,2    L = 1600    p = 5,14    dist  : 630 a-l         double

    Rapsody in blue... Les mélopées d'Orphée s'envolent dans l'espace, s'épanchent dans l'immensité... Il a perdu, souvenez-vous, la femme aimée...
    Qu'il fait bon vivre auprès de "Sulafat" = "la Tortue" ! les lyres étaient faites naguère dans leur carapace. Il fait bon... à condition d'habiter assez loin, puisqu'elle éclaire comme 1600 soleils bleus ! Gare aux ultraviolets ! Magnitude bolométrique  : 2900 soleils. J'aime son rayon : 15 rayons solaires, soit 10 millions de km. J’envie son volume, grandiose, féerique, pouvant contenir 3300 soleils comme le nôtre ! Sa masse l'emporte 9 fois sur notre étoile. Qui recensera jamais les splendeurs qui peuplent l'espace ?... Celle-ci se trouve à 630 a-l.
    Une petite étoile de m = 12 se noie dans la lumière de Sulafat, à 12"4 seulement d'écartement. Efforcez-vous de la trouver.
  

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