Le Petit Renard (Vul)
Vulpecula (ae) (268 degrés carrés)
Caché dans les fourrés, tapi dans les broussailles, le
museau tendu vers quelque proie frivole, l'oreille dressée au
seul froissement d'herbes, au premier bruit suspect, le renard, sauvage
et glouton, joueur et futé, laisse couler les heures,
nonchalant, paresseux, tant que la faim ne le taquine pas. On l'a
décrit malicieux, séducteur, si bien qu'on ne sait trop
s'il est l'ami de l'homme... ou bien le prédateur dont il faut
se garder...
Celui qui
nous occupe n’est qu’un renardeau. Il a volé une oie
au paysan du coin et s'enfuit en courant. C'est ainsi que l'a
dessiné Hévélius sur son atlas céleste. On
doit cette constellation à cet astronome polonais qui en 1660
voulut combler le vide qui existait encore entre le Cygne et la
Flèche. Pourquoi cet animal plutôt qu'un autre ? "Parce
que, dit-il, le renard est astucieux, vorace et féroce, comme
l'aigle et le Vautour (Lyre) qui le jouxtent, et ceci pour rester dans
le ton des fables et de l'astrologie." Voici donc notre goupil en
heureuse compagnie, car - Hévélius l'aurait-il
oublié ?- il ne dédaigne ni les oeufs ni les volatiles,
usant parfois, pour mieux dévorer la couvée, d'un
stratagème surprenant : il fait le mort. Oiseaux
célestes, à vos gardes !
"Petit
Renard" : petite constellation, évidemment, peuplée
d'étoiles invisibles ! Magnitude 5, 6, 7... Prudent, il l'est
l'animal, et discret, caché derrière son bosquet,
à moins qu'il ait gagné un terrier protecteur. Allez
savoir... Bien difficile en tout cas de voir quelque chose dans la
région. Le plus simple est de considérer, comme l'a fait
Hévélius, les constellations qui l'encadrent. Le Renard
se terre à l'est d'Albiréo, le "bec" du Cygne, et au nord
de la Flèche que nous décrirons ci-après, bien
visible à l'oeil nu. Que concocte-t-il ce Zorro masqué
(Zorro = renard), drapé de sa cape de nuit ? Il attend, bien
sûr, que vous détourniez le regard pour sortir à
l'improviste... Foi de renard !
Aucune
étoile du "Petit Renard" n'entre dans notre étude, pas
même l'oeil enjoué du brillant canidé. Dommage tout
de même pour cet intrépide "Robin des Bois" !
Cependant, sous son épaisse fourrure, il cache une merveille. Si
votre oeil ne voit rien, le télescope, lui, saisit une
beauté rare. C'est dans cette constellation que réside
l'une des plus sympathiques nébuleuses planétaires. Son
nom "Dumbbell" = "haltère" en anglais. Elle a en effet la forme
de cet instrument de gymnastique : corps double, relié par un
bras plus étroit. On l'appelle aussi le "battant de cloche", de
l'anglais bell = cloche. Il est vrai que la cloche, lorsqu'elle est
équipée de son contrepoids, ressemble un peu à une
altère... Dumb signifie "muet" en anglais... cloche muette ?
Alors, vous ne l'entendrez pas, mais vous admirerez sa forme aux
contours délicats, aux volutes subtiles, son composé au
poli diaphane centré sur une étoile de magnitude 13,9.
Superbe !
De quoi
s'agit-il ? Du panache touffu de notre goupil en cavale ? L'astronomie
moderne a résolu l'énigme posée par cette
nébuleuse. L'étoile sise au coeur du système,
répondant aux coordonnées 2000 : A.D. = 19 h 59,6 m et
déc = 22°43' , a chassé dans l'espace son "manteau"
protecteur : sous l'effet d'une réaction centrale
provoquée au départ par le "flash" de l'hélium,
ses couches gazeuses sont parties. Bouquet d'étincelles ! Dans
cette opération, l'étoile peut perdre la moitié de
sa masse, ce n'est pas rien ! La vitesse d'éjection, importante
au départ (1000 km/s), chute très vite (50 km/s environ),
freinée par l'inertie du manteau. Apparaît alors, au cours
du temps, une nébuleuse dite planétaire, à cause
de son diamètre apparent et de sa forme
généralement ronde. Le diamètre de Dumbbell couvre
déjà 6' x 15' (minutes de degré), soit 2,2 a-l sur
5,6 a-l.
Nous connaissons aujourd'hui la distance de cette
nébuleuse : 1360 a-l précisément (parallaxe du
télescope Hubble) soit 416,4 parsecs. Dès lors il est
aisé d'estimer le moment de la catastrophe.
L'événement a dû commencer 18 000 ans plus
tôt (à raison de 50 km/s, sur le demi grand-axe).
Actuellement la vitesse d'expansion est de 30 km/s. Une masse
considérable a quitté l'étoile mère. Adieu
Maman ! La voici propulsée dans la vie - dans le vide - vers des
lieux inexplorés. Ce gaz chaud, irradié par le
rayonnement ultraviolet du coeur mis à nu, brille de mille feux.
Au centre, un reste d'étoile mauve, de spectre 07, d'une
température excessive : 130 000 K, d'un rayon minuscule : 1/20
du rayon solaire. Sa magnitude absolue est aujourd'hui
évaluée à 5,48, ce qui lui confère un
éclat de 0,5 soleil. Maigre soleil ! Oui, mais brillant comme 50
soleils en UV ! Sous ses rayons perçants, les atomes qui
composent l'immense nébuleuse - hydrogène,
oxygène, etc... - s'ionisent : ils perdent un ou plusieurs
électrons, émettant chacun leur couleur
caractéristique, rouge pour l'hydrogène, vert pour
l'oxygène...etc...
Combien
de temps durera le spectacle ? 20 000, 30 000 ans, avant que les
couleurs s'estompent, que les feux s'éteignent... En attendant
que Maître Renard sorte à nouveau de sa tanière,
criant au passant astronome, dans un nouvel éclair de feu :
"S'il te plaît, apprivoise-moi."
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