Apparition 2010 Note n°4

Surveillez la réanimation de la SEB...

 

L'opposition 2010 est à présent passée, et les astronomes sont toujours en attente de la réapparition de la Bande équatoriale sud de Jupiter (SEB). Rappelons que depuis l'hiver dernier, la SEB est partiellement recouverte de nuages blancs, qui se sont condensés par-dessus les habituels nuages bruns et qui les masquent. La bande se réanimera par une reprise violente des mouvements de convection qui sont ceux normalement visibles dans chaque bande de Jupiter (lire le bilan 2009 pour plus d'info). Cette note a pour objet de préciser quel est le phénomène qu'il faut s'attendre à voir, et où il faut le chercher...

Actuellement, la bande est cachée depuis environ 6 mois, si l'on compte depuis avril (l'évanescence dure plusieurs mois et le début est nécessairement imprécis). Ce délai commence à être assez conséquent, mais il pourrait être plus long. L'historique des durées de cette phase du cycle d'activité de la SEB est le suivant :

- 1969 : deux ans de délai (réanimation juin 1971)
- 1972 : trois ans de délai (réanimation août 1975)
- 1989 : 13 mois de délai (réanimation juillet 1990, en pleine conjonction solaire)
- 1992 : 6-8 mois de délai (réanimation avril 1993)
- 2007 : pas de délai (réanimation atypique en pleine phase de disparition)

Si l'on excepte la réanimation atypique de 2007, l'historique montre qu'un délai de 6 mois semble un grand minimum, mais qu'une attente supérieure à une année est fréquente. Autrement dit, la probabilité que le phénomène commence durant la deuxième partie de l'apparition 2010 (octobre - février 2011) est assez bonne, mais il y a hélas un vrai risque de voir la bande se réanimer durant la conjonction solaire 2011.

Le cumulonimbus précurseur...

La réanimation de la bande commence par un phénomène précis et immanquable : une tache blanche, petite et brillante, dans la moitié sud de la SEB, à 17° de latitude sud exactement. Cette tache, sur le "terrain" est un énorme cumulonimbus qui trahit la reprise de mouvements convectifs en provenance de la couche profonde de nuages de vapeur d'eau. Cette éruption constituera une "source" de plusieurs semaines d'activité qui entraînera la formation de perturbations importantes, qui réactiveront la bande entière en quelques mois (nous verrons le détail lorsque cela débutera !). Au bout de quelques heures, l'éruption se présente souvent sous la forme d'une colonne oblique brillante, traversant la largeur de la SEB, accompagnée d'une colonne sombre parallèle. Ci-dessous, l'étoile rouge indique l'emplacement en latitude de l'endroit où apparaîtra cette tache (la longitude est évidemment fictive, par contre... !). Image de Marc Stemmelin du 7 octobre 2010.

Les figures ci-dessous montrent quelques images historiques des dernières réanimations "classiques" (à l'exception de celle de 1990 qui a débuté quand la planète était hors de vue).

La réanimation de 1971

Images UV des 20 et 24 juin 1971 prises au Mauna Kea et au Perth Observatory. Le cumulonimbus précurseur apparaît sur l'image de gauche ; sur celle de droite, on distingue bien la colonne sombre.

Source : Nasa history division website, livre en ligne sur l'odyssée Pioneer

La réanimation de 1975

Documents du 14 août 1975, montrant la colonne oblique brillante et sa colonne sombre.

A gauche, dessin de Makoto Adachi, à droite, image argentique de Ishibashi prise 10 mn après le dessin d'Adachi.

Source : ALPO Japan website

La réanimation de 1993

Elle débute le 6 avril 1993, juste à côté de la Grande tache rouge. Cette image IR réalisée au Pic du Midi montre très bien la tache brillante et la colonne sombre.

Source : pages web du GEA

Des barges à surveiller ?

Si la latitude d'apparition de la tache brillante est connue, sa longitude semble relever du pur hasard(1). Toutefois, la section Jupiter de la BAA évoque depuis 2007 une nouvelle théorie, qui fait des barges de la SEB les sources potentielles des éruptions de la bande. Les "barges" sont des cellules dépressionnaires brun sombre qui apparaissent en phase d'arrêt de l'activité de la bande, comme en 2009. Or, nous avons deux exemples détaillés où une éruption est née directement au sein d'une de ces barges. Le premier est une éruption de mi-SEB (caractéristique toutefois des phases actives de la bande), qui a été détectée par la sonde Voyager 1 en février 1979. L'exemple est détaillé dans le livre de John Rogers (2) mais nous n'avons pas de documents web à publier. Le deuxième nous intéresse plus directement car il concerne la réanimation atypique de 2007 : détectée par Christopher Go en mai de cette année-là, elle apparaît comme un point brillant dans une des barges.

La réanimation de la SEB en 2007.

Cette année-là, la SEB est en phase de disparition au printemps (avril-juin). Comme à l'automne 2009, la bande perd sa couleur, devient plus pâle et grise ; des taches brunes se forment vers 17-18° de latitude sud : les barges. Ci-contre à gauche, la bande cartographique supérieur est une image de Christopher Go du 5 mai 2007. La flèche pointe la cellule dépressionnaire dans laquelle va débuter l'éruption.

Le 17 mai 2007 (au milieu), apparaît une tache brillante : l'éruption vient de commencer, elle n'a problablement que plusieurs heures d'existence (image C.Go)

En bas, image du 22 mai 2007 (C.Go) : l'éruption commence à prendre de l'ampleur. On devine avec une meilleure résolution la forme en oblique, et la colonne sombre.

En 2010, on ne voit plus de barges dans la SEB. Certaines de celles apparues en 2009 sont cependant toujours présentes, sous la couverture nuageuse blanche. Leur présence est trahie principalement par une tache bleue sur leur bord nord-précédent (en bas à gauche si le sud est en haut), qui est vraisemblablement une conséquence locale de circulation autour de la barge. Ces endroits sont à surveiller car en vertu du précédent de 2007, c'est là que pourrait apparaître notre cumulonimbus...

Identification des barges dans la SEB

Les barges apparaissent comme une tache plus ou moins brillante, avec une tache sombre (bleue en couleur) juste sur leur bord nord-est (en bas à gauche).

Ci-contre, une image R de Christian Viladrich à gauche (22 septembre 2010) et une RVB de Marc Delcroix le 14 octobre 2010 à droite.

Localisation des cinq barges encore actives...

Cartographie d'août/septembre 2010 avec des images de Tomio Akutsu. Cinq cellules dépressionnaires sont encore détectables, qui sont autant de sources potentielles de réanimation de la SEB. La bande cartographique en haut montre la correspondance de quatre d'entre elles avec leur aspect un an plus tôt, en septembre 2009, avant que la bande ne disparaisse (images Damian Peach).

Lectures supplémentaires...

"Spots in Jupiter'SEB", note de juillet 2010 de la BAA

Interim report : southern hemisphere : rapport intermédiaire de la BAA

(1) Une vieille théorie toutefois a longtemps été évoquée, celle des "sources Reese". Reese était directeur de la section Jupiter de la BAA ; il pensait avoir remarqué que toutes les éruptions de la SEB débutaient au-dessus de trois longitudes (A, B, C) dont la caractéristique était d'être fixes en système III, indiquant l'existence possible de "sources" permanentes en profondeur (des volcans ?). Le recul que nous possédons aujourd'hui ne semble pas valider cette théorie.

(2) The Giant Planet Jupiter, Cambridge university, 1995. Chp 10 p. 187

Christophe Pellier
Coordinateur de la section Jupiter
http://www.astrosurf.com/planetessaf/jupiter/