L'APPARITION APHELIQUE DE MARS EN 2009-2010
Obtenir de bonnes images de Mars

par Christophe Pellier, coordinateur de section Mars
commission des observations planétaires de la SAF

Nous terminons ce triptyque consacré à la prochaine apparition martienne par des conseils techniques pour l'observation de la planète, en particulier sur l'acquisition de bonnes images CCD. Comme chaque planète, les caractéristiques de Mars nous autorise des facilités d'un côté tout en nous posant des problèmes de l'autre !

1) Quelles sont les particularités de Mars pour la CCD ?

Incontestablement, la principale difficulté quand on cherche à faire des images de Mars, c'est sa petite taille. Cette difficulté sera encore accrue cette fois dans la mesure où la planète dépassera tout juste 14 secondes d'arc à l'opposition. En-dehors de la période la plus favorable autour de l'opposition, c'est même à une toute petite taille que nous serons confrontés puisqu'une bonne partie de l'apparition sera à suivre avec un diamètre inférieur à 10 secondes d'arc.

Heureusement, Mars possède une autre particularité qui va nous aider : la planète est très brillante. Par unité de surface, son éclat est beaucoup plus intense que celui de Jupiter, alors que sa magnitude apparente dans le ciel restera modeste (maximum de m= -1,3 autour de l'opposition). La conjonction de ces deux facteurs : petite taille et éclat important, fait qu'il faudra utiliser sur Mars un rapport Focale/diamètre (F/D) très important. Le F/D est un ratio qui divise la longueur focale du télescope par son diamètre. Le "bon" F/D est habituellement déterminé uniquement en utilisant un calcul lié à la notion d'échantillonnage, qui cherche à savoir quel est la longueur focale nécessaire pour que le pouvoir résolvant du télescope soit atteint. Sur Mars, nous allons donc pousser l'échantillonnage bien au-delà du strict minimum.

Sur des planètes comme Saturne et Jupiter, de diamètre apparent relativement important mais d'éclat plus ou moins faible en terme d'unité de surface, le F/D minimum le plus utilisé va en général de 25 à 35. Le "bon" chiffre dépend aussi du type de caméra utilisé. Les webcams style Toucam Pro, SPC 900, ou les caméras DMK, qui utilisent toutes un capteur de taille 1/4", fonctionnent bien avec un F/D mini de 25 sur les géantes gazeuses. Les caméras SKYnyx de chez Lumenera, celles de premier format (comme la SKYnyx 2-0M), possèdent un capteur 1/3" avec des pixels de taille plus importante (7,4µ contre 5,6µ pour les webcams et DMK) qui, à focale égale, diminue la taille des images d'un tiers ; et elles marchent mieux à F/30-35 sur ces deux planètes.

Sur Mars, avec une SKYnyx 2-0M, il sera possible d'utiliser un ratio de F/50, voire un peu plus. La luminosité de la planète l'autorise largement. Les utilisateurs de capteurs 1/4" iront de F/40 à F/50 avec profit.


Exemple de capture sur Mars à longue focale

Cet extrait de film est une capture réalisée le 1er novembre 2007 à l'aide d'un télescope de 250 mm, d'une caméra SKYnyx 2-0M, et d'un filtre rouge Astronomik. Le F/D utilisé est de F/52, obtenu à l'aide d'une barlow 2,8x. Cette focale, très longue, n'empêche pas la cadence de capture d'être très élevée puisqu'elle était de 42 images par seconde (ips).

La planète ne mesure alors que 12,2". Le seeing était très bon. On voit que l'image traitée, à droite, est très nette, bien détaillée, avec un excellent rapport signal / bruit (agrandissement 110 %).

A noter que les autres filtres, moins favorables sur Mars que le filtre rouge (cf ci-dessous) ont été eux aussi utilisés à de bonnes cadences de capture : 21 ips pour le filtre Vert, et encore 10 ips pour le filtre bleu. La planche complète est visible ici :

http://www.astrosurf.com/pellier/M071101-CPE

La dernière particularité de Mars qui va nous intéresser est son temps de rotation. Le temps que met Mars pour tourner sur son axe est égal à 23 H 40 mn. La planète tourne beaucoup moins vite que Jupiter et c'est encore une caractéristique favorable à l'observateur, puisque nous allons avoir plus de temps pour acquérir nos images.

2) Acquérir ses images

Bien acquérir ses images est primordial, c'est là que la qualité finale d'une prise de vue va se jouer, et non lors du futur traitement d'image.

La Mise au point

La Mise au point est évidemment très importante. C'est une phase délicate qu'il convient de soigner ; il ne faut pas hésiter à passer un bon moment à déterminer le meilleur foyer. Sur Mars, le détail le plus net, qui va nous servir de repère est le limbe. Le limbe est la partie du disque située à l'opposé du terminateur, qui est l'endroit qui sépare la partie éclairée du disque de la partie non éclairée (située dans la nuit). Contrairement à ce dernier qui est flou et doté d'un gradient de lumière progressif, le limbe sépare le disque éclairé de la planète du fond de ciel, et il est donc vivement éclairé et très contrasté.

L'exposition de l'image

Une fois que la mise au point est réalisée, la deuxième étape consiste à adapter l'exposition de l'image. L'exposition de l'image est l'ajustement de son niveau de luminosité. Trop sombre, le rapport signal/bruit augmentera lentement lors du futur compositage, et l'image restera bruitée ; de plus, la sous-exposition fera également perdre des détails dans les zones les moins lumineuses, comme le terminateur. Trop lumineuse, l'image sera "brûlée" et les détails seront perdus de manière irrémédiable. Mars présente, de ce point de vue, deux écueils. Le premier est la forte différence de luminosité qui peut exister entre les régions polaires (calotte ou voile nuageux) et le reste du disque. Cette différence augmente avec les filtres vert et bleu, surtout, pour lesquels le reste du disque, en-dehors de la calotte polaire, sera donc malheureusement un peu sous-exposé. Ce problème sera prégnant en 2009-2010, car nous verront en permanence une calotte polaire nord de grande taille. Le deuxième écueil concerne les observateurs qui utilisent des caméras N&B avec des filtres. En effet, Mars présente de très fortes différences de luminosité dans les trois couleurs, ce qui obligera à adopter des cadences de capture différente pour chacun des filtres, le plus souvent. On veillera surtout à ne pas sous-exposer le filtre bleu en capturant ce dernier avec la même cadence que le filtre vert... A titre d'exemple, j'utilise avec ma caméra Lumenera SKYnyx 2-0M une cadence divisée par deux à chaque changement de filtre : 40 ips en R, 20 ips en V, et seulement 10 ips en B.

Les logiciels de capture d'image proposent normalement un réglage permettant de déterminer en temps réel le niveau d'exposition de l'image (valeur du pixel le plus brillant sur une échelle de 0 (noir) à 255 (saturé). Dans l'idéal, une valeur de 230-240 est parfaite. Dans certains cas, cette valeur pourra être inférieure ; en-dessous de 200, l'image commence à être sensiblement sous-exposée et le rapport signal/bruit final ne sera pas optimal.

Le temps de capture

Quel est le temps de capture maximal autorisé pour éviter de voir les détails s'étaler sur le disque, dans le cas de Mars ? Il dépend de l'ouverture de l'instrument, de la turbulencem de la taille apparente de Mars.... de façon empirique, en one-shot couleur (webcam) un temps de capture de 3 mn, 4 au maximum pour des petits diamètres semble bien. Ceux qui font de la trichromie pourront pousser un peu ce laps de temps, en jouant sur le fait que le filtre bleu ne montre pas les détails de surface. En fonction de la cadence de capture différentielle par filtre, on pourrait proposer 1 mn en R, 1 mn 30 en V et 3-5 en B.

Mars tourne de façon significative en moins de 10 mn, comme l'illustre l'animation ci-contre. Elle est composée d'une image R prise à 21H23 TU, et une image IR prise à 21H31 TU, soit 8 mn entre les deux. Le télescope était un mewlon 210, soit un diamètre assez modeste pourtant.

(l'effet "flash" est du aux différences d'albédo entre les deux longueurs d'onde)

3) Traiter ses images

RVB ou LRVB ?

Le choix de la méthode d''assemblage des couches couleurs a également son importance, car il va avoir une incidence sur la qualité du rendu des détails. La méthode que l'on souhaite ici préconiser est celle en trichromie RVB, bien que le vrai LRVB soit une technique tout aussi acceptable en théorie. La méthode LRVB pose un plus grand nombre de problème et est plus difficile à réaliser, alors que son apport en terme de qualité d'image n'est plus prouvé avec les caméras modernes sur Mars, en dehors bien entendu des cas où l'observateur utilise deux caméras sans filtres (une couleur, une N&B), et celui où l'image est pour une raison ou une autre fortement suréchantillonnée. Les avantages du RVB sur le LRVB sont les suivants :

- Utilisation de trois images au lieu de quatre pour le LRVB, ce qui permet plus de souplesse vis-à-vis du temps maximum de capture (cf. plus haut)
- Un très bon rendu des couleurs. La méthode LRVB conservant d'un bout à l'autre du processus de traitement une image en niveaux de gris, elle est, de ce point de vue, nettement plus difficile à réussir.
- Une meilleure stabilité d'image. On pense souvent qu'une image de luminance, grâce à sa forte luminosité, permet de diminuer de façon importante le temps de pause et d'utiliser de très fortes cadences de capture, lui permettant ainsi d'être plus nette. Or, l'expérience des bons observateurs de ces dernières années montre que le filtre de luminance, parce qu'il est très large, procure une image nettement moins stable que les filtres de couleurs RVB, au point d'annuler assez souvent son avantage en terme de temps de pause. Cette particularité des filtres étroits concerne même le filtre bleu dans de bonnes conditions.

Essai de LRVB sur Mars dans d'excellentes conditions, le 18 novembre 2005

En cas d'excellent seeing, le LRVB apparaît largement inutile. Il n'y a pas de différence de résolution entre les deux images. On remarque par contre que l'image LRVB rend un peu moins bien les nuages de l'atmosphère martienne.

Essai de LRVB dans de mauvaises conditions, le 19 septembre 2005

Dans ce cas non plus, le LRVB ne semble pas dominer le RVB. Dans cette situation de seeing mauvais, le RVB s'en sort grâce à la bonne stabilité d'image de ses composantes R et V en particulier.

Il est à noter que si l'on veut conserver une image réaliste de la planète, sans perdre des détails notamment au niveau de l'atmosphère, il n'est pas conseillé d'utiliser des méthodes de traitement qui utilisent un renforcement informatique des grandes longueurs d'onde (R, IR) au détriment des plus courtes (B) en raison de leur meilleur netteté/stabilité : RRVB, IR-RVB, luminance en R+V... Une description détaillée des méthodes de traitement et de leur effet sur les images de Mars figure dans la partie I du Rapport Mars 2005 de la Commission.

Le rendu des couleurs

Le rendu des couleurs - et donc des détails - est un point très important, qui semble assez souvent négligé.

La technique la plus importante à connaître ici est celle du traitement différentiel du contraste sur les trois couches. En effet, un bon rendu des couleurs demande à ce que l'équilibre en terme d'albédo, et de contraste, d'un détail donné dans les trois couleurs soit conservé, entre la réalité, et l'image CCD. Or, l'atmosphère terrestre modifie évidemment cet équilibre dans la mesure où les trois couleurs ne souffrent pas toutes à l'identique de la turbulence, et de la diffusion atmosphérique. Un des points important du processus de traitement aura donc pour but de corriger ce déséquilibre le plus possible.

En clair, il sera nécessaire d'adopter un traitement de plus en plus contrasté en passant du R au V, et du V au B, cette dernière couleur étant celle qui souffre le plus de la baisse de netteté et de contraste. Ci-contre, une même image de Mars traitée avec cette méthode (A) et avec un traitement identique sur les trois couches (série B).

Sur la série B, les coëfficients d'ondelette et leurs valeurs sont identiques sur les trois couches. On remarque que le rendu sur l'image RVB est très fade, avec cette impression de distinguer un voile bleuté au-dessus de la planète, un peu comme de l'aberration chromatique.

Sur la série A, la couche B a connu un traitement à base d'ondelette de coeff plus élevé que la couche R (notamment une prédominance des niveaux 2 et 3, contre 1 et 2 dans le rouge). Le "voile" n'est plus vsible, et les couleurs sont équilibrées et saturées.

A noter que le défaut inverse de la série B - une couche R traitée avec un contraste supérieur aux deux autres - est également assez commun. Il se traduit en RVB par des taches de surface de teinte verdâtre. L'inclusion de l'infrarouge dans la couche rouge (image R en R+IR) aura également un effet similaire.

Enfin, on fera attention à la balance des couleurs. La planète doit être en dominante rose/orange, avec une calotte polaire et des nuages blancs à tendance bleutée (mais pas bleus !)