L'APPARITION APHELIQUE DE MARS EN 2009-2010
Que voir sur Mars ?

par Christophe Pellier, coordinateur de section Mars
commission des observations planétaires de la SAF

Même si la planète restera loin de la Terre, la saison 2009-2010 sera surtout l'occasion d'observer l'installation du printemps de l'hémisphère nord de Mars. Ainsi, le principal phénomène à voir sera la "récession" de la vaste calotte saisonnière de CO2 gelé. Toutefois, bien d'autres choses seront visibles !

1) La saison des tempêtes "trans-équatoriales"

Cette apparition sera la dernière occasion d'observer depuis la Terre la fin de l'hiver boréal martien, une saison qui était encore au coeur de l'apparition 2007. Ce sera le principal sujet des mois de septembre et octobre 2009, avant que ne survienne l'équinoxe de printemps sur Mars (Ls 0°, le 26 octobre), alors que le diamètre apparent sera très modeste (de 6 à 8 secondes d'arc seulement).

C'est durant cette saison que les scientifiques travaillant sur les données de la sonde Mars Global Surveyor ont identifié un type de tempête de poussière non remarqué auparavant : les tempêtes "trans-équatoriales". Il s'agit de fronts de poussières survenant dans trois zones clés de la région polaire nord de Mars durant son hiver, des zones occupées alors par des systèmes dépressionnaires semi-permanents crées par la topographie locale : Acidalium, Utopia, et Arcadia. Ces fronts de poussières, sous certaines conditions, peuvent être entraînés vers le sud, et parfois même, traverser l'équateur martien pour éventuellement déclencher une activité de tempête plus soutenue dans l'hémisphère sud.

Deux "fenêtres" saisonnières ont été identifiées comme étant les plus favorables à ce genre d'activité : durant l'automne boréal (Ls 200-240, une période qui n'est pas observable cette année) et durant l'hiver boréal, de Ls 300 à Ls 340. En 2009, cette dernière période interviendra entre juillet et septembre.

Ici à gauche, une image d'une "flushing storm" descendant de la dépression polaire d'Acidalium, imagée par la Mars Orbiter Camera (MOC) de MGS fin mars 2002, en Ls ~350. Une activité importante a été vue cette année-là par la sonde.

Le nord est en haut sur cette image.

Ici à droite, une images de trois nuages de poussières descendant dans le "couloir de tempêtes" de Nilokeras au cours de l'apparition 2007, poussés vers le sud par la dépression d'Acidalium, qui est la plus active des trois. Nous sommes en Ls 341 (période 2009 : 20 septembre). Images Jesus Sanchez

2) L'apparition de la calotte polaire nord

En 2007, un des sujets d'observation les plus importants a été l'apparition de la calotte polaire nord. Un débat existait alors sur le fait de savoir si la calotte se formait progressivement durant l'hiver, ou bien au contraire de manière assez brutale au moment de l'équinoxe de printemps. Les images de 2007 montrent clairement, en plus des données déjà existantes de la sonde MGS, que la calotte est déjà formée bien avant l'équinoxe. En 2009, nous pourrons observer le phénomène de bien plus loin malheureusement, mais sous une déclinaison terrestre (De) bien plus favorable, puisqu'au moment de l'équinoxe le pôle nord martien sera incliné de 16° vers nous, au lieu de seulement 4° en 2007...

La calotte polaire nord de Mars vers l'équinoxe.

A gauche, une simulation à l'aide du logiciel WinJupos, de la façon dont Mars se présente au moment de l'équinoxe, en 2007 et 2009. Si le diamètre apparent est nettement plus petit en 2009, l'inclinaison du pôle est plus favorable pour l'observation de la région polaire nord.

Dans le même temps, on n'oubliera pas de faire attention à la façon dont le voile polaire nord, qui recouvre la région polaire durant l'hiver, se dissipe au cours de la même saison.

Ci-dessus, des images de Marc Delcroix du 17 novembre 2007 (Ls = 348°) montrant la calotte polaire nord près d'un mois avant l'équinoxe. Elle apparaît assez terne encore, car l'éclairage par le Soleil reste rasant. Le bord de la calotte est plus brillant car plus dense et mieux éclairé. De = 7,1°N

3) La récession de la calotte polaire nord

Après l'équinoxe, le Soleil éclaire largement la calotte polaire, et cette dernière commence à se sublimer. La calotte printanière que nous verrons cette fois est composée de dioxyde de carbone (CO2) gelé sur la surface de la planète. Avec le réchauffement du au Soleil, cette neige carbonique passe lentement de l'état solide à l'état gazeux sans passer par l'état liquide, d'où le terme de sublimation (celui de "fonte" étant donc inapproprié). Petit à petit, le périmètre de la calotte se rétrécit, et passe d'une latitude d'environ 60°N au moment de l'équinoxe, à 70° au moment de l'opposition (Ls 44°).

Voici un phénomène que nous n'avons pas pu observer lors de la précédente apparition. En effet, après l'équinoxe de printemps survenue le 9 décembre 2007, la déclinaison terrestre (De) a rapidement diminué pour devenir nulle au moment de la nouvelle année (De = 0° le 1er janvier 2008), et la Terre est ensuite passée au sud du plan de l'équateur martien, jusqu'à une De de 2,5°S fin janvier. Lorsque nous avons repassé ce plan du sud au nord le 29 février 2008, nous permettant à nouveau de commencer à aperçevoir la calotte nord, le printemps boréal était déjà bien avancée (Ls =38°). La récession de la calotte nord a été largement manquée. Cela ne sera pas le cas cette année, car nous ferons face à l'hémisphère boréal en permanence avec une De très positive. Lors de l'apparition suivante, celle de 2012, nous observerons surtout la deuxième partie du printemps nord, donc cette année est l'occasion ou jamais d'assister au début de la récession.

Images du télescope spatial Hubble (HST) durant la première partie de l'apparition aphélique de 1995, montrant la récession de la calotte nord. Les dates correspondantes pour la saison 2009/2010 sont indiquées entre parenthèses. Copyright STScl/Jim Bell

L'apparition 1995 a eu lieu un peu plus tard qu'en 2009 (le 12/02 en Ls 58), mais elle était la saison correspondante du précédent cycle (1993-2005). L'image du 1er janvier 1995, à droite ici, est très proche de l'aspect que prendra Mars au moment de l'opposition 2010, à 4°Ls près seulement. De nombreux détails sont visibles, outre le voile polaire qui persiste plus ou moins durant la saison, comme le "collier intérieur" sombre, qui correspond à une zone où la glace est peu épaisse, autour de la futur calotte résiduelle d'été, des nuages de poussières (20 octobre 94)...

Le "refroidissement aphélique" (aphelic chill)

La deuxième partie de l'apparition sera l'occasion de vérifier un phénomène observé à plusieurs reprises lors des précédents cycles, qui est celui du "refroidissement aphélique". Il s'agit d'une sorte de "pause" dans le processus de récession de la calotte nord, alors que la planète approche son aphélie, au plus loin du Soleil ; la diminution de l'énergie solaire ne permettant plus alors à la glace de se sublimer. Cette période est identifiée entre Ls 55 et Ls 70 environ (Ls 70 étant l'aphélie). En 2010, cela correspond à la période allant du 20 février au 1er avril. Le diamètre apparent sera alors compris entre 13" et 9", suffisant pour tenter d'identifier le phénomène, même si cela sera surtout l'objet de l'apparition 2012. Durant les années 90, L'ALPO aurait même observé une légère reprise du processus de condensation du CO2 sur le pôle au moment du refroidissement aphélique - c'est à dire que la calotte aurait recommencé à croître temporairement !

Rima Tenuis

La deuxième partie de l'apparition nous permettra aussi peut-être de détecter une "mystérieuse" rainure observée à de rares reprises au sein de la calotte nord : Rima Tenuis. Ressemblant à un rift dans la glace qui courrerait entre les longitudes 330° et 150° et plutôt vue à partir de Ls 65, en fin de printemps, cette rainure ne correspond à rien sur les images des sondes spatiales ou du HST (seule Rima Borealis est réelle, à la longitude 65°).

Rima Tenuis pourrait correspondre à d'autres phénomènes. En 1996, le HST a détecté des fronts de poussière au-dessus de la calotte (ici à droite). Ceux-ci ont bien pu être confondus avec des rifts dans la glace de la calotte autrefois. On remarquera cependant que la saison ne correspond pas, sur ces images, à celle admise comme étant celle de Rima Tenuis (respectivement ici Ls 11 et Ls 24). Copyright STScI.

L'activité de nuages de poussières sur le bord de la calotte

Les images ci-dessus du HST en 1996 rappellent que la région polaire nord reste, au printemps, un lieu de prédilection pour la formation de petites tempêtes de poussières, grâce au fort gradient de température entre le bord de la calotte et les régions immédiatement environnantes. En 2008, Utopia semble avoir été une région active lors du printemps, alors qu'Acidalium était calme. A gauche ici, des images de Xavier Dupont et Jean-Jacques Poupeau qui montrent clairement une petite tempête de poussière sur Utopia. La saison interviendra le 9 décembre 2009 cette fois.

4) Le retour des nuages de vapeur d'eau

Lors des précédentes apparitions, nous avons surtout vu Mars au cours du printemps et de l'été austral. Lors de ces deux saisons, la vapeur d'eau se concentre particulièrement au sein du voile polaire nord (formé en automne/hiver), qui est alors assez dense et très brillant. En conséquence, l'atmosphère martienne partout ailleurs durant les saisons périhéliques est très sèche, et on remarque généralement peu de nuages blancs. L'arrivée du printemps au nord change la donne : la vapeur d'eau commence à migrer vers les régions équatoriales de la planète, qu'elle occupera jusqu'à l'automne boréal suivant. Les apparitions aphéliques de Mars sont donc des années où les nuages blancs sont très abondants. 2010 reste une apparition de transition, car la migration de la vapeur d'eau n'est complète qu'à la fin du printemps, néanmoins, les nuages seront déjà plus présents que les années précédentes. Deux phénomènes, en particulier, retiendront l'attention de l'observateur qui fera attention à obtenir des images avec un filtre bleu (les plus motivés iront jusqu'au violet / UV afin d'obtenir un maximum de contraste !).

Images bleues de Don Parker montrant les nuages orographiques au-dessus des volcans martiens (9 janvier 2008) et la Ceinture équatoriale de nuages (11 mars 2008)

Le printemps marque le grand retour des nuages se formant au-dessus des volcans (ci-contre nommés Ar : Arsia Mons, P : Pavonis Mons, As : Ascraeus Mons, OM : Olympus Mons). Au début de l'apparition, il ne se formeront qu'en fin d'après-midi martienne, sur le limbe ; et puis progressivement, nous les verrons apparaître dès le midi local, au centre du disque. A noter toutefois que le nuage d'Arsia Mons a déjà été vu lors des précédentes apparitions : il est le seul en effet à subsister durant l'entière année martienne.

La "Ceinture équatoriale de nuages" est un autre phénomène marquant (image du 11 mars) : elle se forme grâce au mouvement de convection existant au printemps/été boréal grâce à une cellule de Hadley, formant un courant ascendant à l'équateur, et descendant au niveau des tropiques. La vapeur d'eau se condense lors de la phase ascendante. La formation de cette ceinture n'est attendue qu'à partir de Ls 40° environ (20 janvier 2010 cette fois). Cette image montre également le voile polaire sud automnal (en haut) et un nuage orographique formé au-dessus d'Elysium Mons (le point blanc brillant à gauche).

Calendrier des phénomènes

SIMULATION

DATE

SAISON (Ls)

DIAMETRE

PHENOMENES

6 juillet 2009

Ls 298°

5"

La taille de Mars atteint 5". C'est le plein été austral et la saison des grandes tempêtes de poussières.

14 août 2009

Ls 321°

5,5"

La Terre franchit le plan de l'équateur martien du sud vers le nord (De = 0°). C'est la saison des tempêtes trans-équatoriales. Surveiller particulièrement Mare Acidalium.

18 septembre 2009

Ls 340

6,3"

La calotte polaire nord devient détectable.

7 octobre 2009

Ls 350

6,8"

Fin de la saison des tempêtes trans-équatoriales.

Formation des nuages orographiques d'Olympus Mons, Ascraeus Mons et Pavonis Mons. La circulation atmosphérique autour de la région polaire nord commence à changer (accélération du courant-jet polaire)

26 octobre 2009

Ls 0

7,6"

Equinoxe de printemps boréal.

3 décembre 2009

Ls 19

10"

Mars franchit la barre des 10 secondes d'arc. Récession de la calotte polaire nord, dissipation du voile polaire. Surveiller les petites tempêtes de poussières sur Acidalium, Utopia, Arcadia.

29 décembre 2009

Ls 30

12,4"

Premier maxium d'inclinaison du pôle nord martien par rapport à la Terre (De = 18°N)

Les nuages s'accroissent dans Chryse/Tharsis, constituant la base de départ de la future ceinture équatoriale de nuages. Le bassin d'Argyre commence-t-il a être pris par les glaces polaires ?

20 janvier 2010

Ls 40

14"

Formation de la ceinture équatoriale de nuages. Cette bande de nuage apparaît d'abord dans les régions de Tharsis et Chryse.

29 janvier 2010

Ls 44

14,1""

Mars à l'opposition (la plus courte distance Terre-Mars est atteinte le 28 janvier).

23 février 2010

Ls 55

12,7"

Début du refroidissement aphélique ? La ceinture équatoriale de nuages s'étend dans le secteur 180° - 300°

5 mars 2010

Ls 60

11,6"

La ceinture équatoriale de nuages est à présent complète sur tout le tour de la planète. Chercher Rima Tenuis.

29 mars 2010

Ls 70

9,4"

Mars à l'aphélie, au plus loin du Soleil. Reprise de la récession de la calotte ?

20 avril 2010

Ls 80

7,8"

La sublimation de la calotte saisonnière de CO2 se termine. Apparition de la calotte permanente d'été. La glace envahit-elle le bassin de Hellas, au sud ?

12 mai 2010

Ls 90

6,7"

Solstice d'été boréal. Il ne reste plus, au nord, que la calotte permanente de glace d'eau. Le bassin de Hellas est envahit par les glaces. Sur toute la planète, les nuages de vapeur d'eau sont extrêmement abondants.