Essai de mesure d'étoiles doubles par interférométrie des tavelures.


Comment ça marche?

La mesure des étoiles doubles est une opération d'autant plus délicate que le couple est serré. Plusieurs techniques et instruments ont été développés dans le but de faciliter ce travail et d'augmenter la précision des résultats. L'une des plus récente est l'interférométrie des tavelures qui n'a jamais été mise en œuvre au T60 et sûrement très rarement dans le monde amateur. Nous voulions depuis longtemps essayer de voir si elle était utilisable avec un télescope de 60cm alors même qu'elle est employée en général sur des télescopes d'au moins 2m de diamètre pour la simple raison que les professionnels n'ont que peu de problèmes pour mesurer des couples aussi peu serrés que ceux qui nous sont accessibles par cette méthode. Mais bon, la curiosité était trop forte et notre mission a décidé de tenter l'aventure sur le T60 pour voir si l'instrument, malgré sa taille modeste, pouvait être utilisé dans ce type de manipulation....

L'interférométrie des tavelures permet de restaurer la résolution angulaire des télescopes de grand diamètre.
Au sol, dans le domaine optique, les télescopes sont confrontés à la turbulence atmosphérique qui est à l'origine de l'étalement des images (perte de cohérence spatiale de l'onde) formant des tavelures (« speckles » en anglais). Antoine Labeyrie trouvera une solution à ce problème en « figeant » la turbulence grâce à une succession rapide de poses élémentaires de quelques millisecondes. Cette technique rendra aux grands télescopes leur pouvoir de résolution théorique, comme il l'a démontré lors de ses expériences au Mont-Palomar.

La taille moyenne des granules (~ lambda/D) soit 0"23 pour le T60 est celle de la tache d'Airy du télescope, par contre le diamètre (~l/r0) de la tache image est inversement proportionnelle non au diamètre du miroir mais à la dimension des zones de cohérence qui composent la surface d'onde (r0 est appelé paramètre de Fried). L'importance de la turbulence peut donc être mesurée par la taille de la tache image et par le nombre de tavelures qu'elle contient (N~2,3.(D/r0)^2). Le flux lumineux recueilli par le télescope est reparti entre toutes les tavelures. Celles ci sont donc d'autant moins lumineuses que leur nombre est plus grand et donc que la turbulence est importante. C'est pour cela que l'on fait en général appel à des amplificateurs de brillance suivis par une matrice CCD. Ces techniques nous étant inaccessible nous avons fait usage d'une webcam Toucam Pro modifiée noir et blanc.

Méthode mise en œuvre:


* Il faut agrandir l'image focale de l'étoile pour que l'échantillonnage permette de bien séparer les tavelures qui composent la tache image.
* Filmer l'image avec des vitesses de l'ordre du centième de seconde pour figer les tavelures constamment agitées par la turbulence
* Le contraste des tavelures est d'autant plus grand que l'on opère dans une plage de longueurs d'onde étroite mais c'est au détriment le la luminosité de la tache image à enregistrer. Il nous était donc impossible d'utiliser un quelconque filtrage.

Les webcam ou les caméras vidéo ultra-sensibles genre Watec sont les outils privilégiés pour ce genre d'expérience.

Pour une description plus détaillée de la méthode vous pouvez vous reporter à la page sur le Speckle de notre site.


Le matériel utilisé

L'image de l'étoile ou du couple au foyer primaire du télescope est agrandie par un objectif de microscope x10 et projetée sur la matrice ccd située 160mm en arrière. La webcam est une ToucamPro (en gris en bout de tube) modifiée noir et blanc munie du capteur Sony ICX424 qui a un chip type 1/3" de 659 (L) x 494 (H) pixels actifs, 6 mm de diagonale, 5.79mm x 4.89mm et de pixels carrés de 7.4mm.
L'enseble est supporté par un tube aluminium (en vert) de 50mm de diamètre extérieur qui s'adapte sur le JMI sans son correcteur de champ bien sûr.
Une bague-butée (en rouge) assure la remise au foyer immédiate en cas de démontage de l'ensemble.


Vue du dispositif utilisé
L'objectif de microscope est à l'intérieur du tube alu.

Plan côté du système d'agrandissement de l'image portant la focale aux alentours d'une vingtaine de mètres.


Orientation de la caméra

C'est une opération délicate! Nous n'avons par trouvé de solution miracle. La méthode du filé d'étoiles ou de la prise de vues décalées ne conduit pas à des résultats assez précis. Il nous semble que la référence à l'orientation d'un couple pris comme étalon et dont l'orientation est très précisément connue est une bonne solution. C'est ce que nous faisons plus bas.


Addition de deux images instantanées lors d'un filé.


La recherche des centroïdes de ces deux images conduit à une estimation d'un angle voisin de 3° entre la direction Est-Ouest et les pixels en abscisse sur l'image.

Gamma Leo

Notre première cible a été l'étoile g Leo étoile quadruple dont les composantes les plus brillantes sont g1 (magn 2.61) et g2 (magn 3.47).
Nous avons pris un fichier de 151 images posées 1/100 ième de seconde chacune à raison de 5 images par seconde.
Il est présenté ci-dessous, recadré et légèrement compressé. On a déjà une bonne idée de la turbulence importante cette nuit là!

Le fichier spk-dbllion-.gif issu du fichier spk-dbllion-.avi de 151 images.

Image i-6 issue du fichier avi.
Image i-72 issue du fichier avi.
Image i-151 issue du fichier avi.
Rendu 3D de l'image i-151.

Les tavelures sont parfaitement visibles sur toutes les images. C'est une heureuse surprise, la méthode doit être utilisable ...

La première image, qui est la somme des 151 images du film montre toute la dégradation que subit une image en longue pose. On détecte bien entendu qu'il s'agit d'une étoile double mais toute tentative de mesure serait vaine.
Sur une des images du film (i-151)la turbulence est figée par la brièveté du temps de pose (0.01 s) les images des deux composantes du couple montrent de très fortes similitudes. Ces deux étoiles sont vues sous un angle inférieur à l'angle d'isoplanétisme et traversent donc la "même" atmosphère. Les plans d'onde sont perturbés de la même manière. Sachant que la séparation des deux composantes est de l'ordre de 4", c'est peut être la preuve que la turbulence a son origine près du sol ce qui n'est pas surprenant sur le T60 où la turbulence locale est souvent assez forte.


Une première méthode d'exploitation des images a consisté à mettre en évidence le couple par une auto corrélation sur une des images (i-151)
C'est ce qui est montré ci-dessous. On voit bien apparaitre le couple. La méthode ne permet pas de détecter la différence de magnitude des deux étoiles. Les deux pics satellites de la tache centrale ont la même intensité. On trouvera plus de détail sur la méthode sur notre page sur la "binary_cross-correl".
Sur l'image la plus à droite on a calculé sur Iris la corrélation croisée de l'image i-151 et du carré de cette même image. L'avantage de la méthode est que les pics latéraux n'ont plus le même intensité et on détecte ainsi la différence de magnitude des deux composantes du couple.


La somme des 151 images
Similitudes entre les images de speckle des deux composantes

Autocorrélation de l'image i-151

Cross-correlation de i-151 et de son carré.


Sur chacune des 151 images individuelles les franges caractérisant le couple stellaire sont visibles. pour accroitre la lisibilité et faire baisser le bruit on somme toutes ces images I ffti-xxx I pour obtenir une image I S(fft) I ou la lisibilité des franges est bien supérieure. Cette image contient toute l'information utile sur le couple. L'interfrange traduit la distance des composantes (fréquence spatiale) et l'inclinaison traduit l'orientation du couple.

Module de la transformée de Fourier de l'image i-6.
Module de la transformée de Fourier de l'image i-72.
Module de la transformée de Fourier de l'image i-151.


Somme de modules des transformées de Fourier des 151 images. Image IS(fft)I
Un agrandissement de la partie centrale de l'image de gauche.

Il reste à repasser du domaine fréquentiel au domaine spatial avec une nouvelle transformation de Fourier directe a partir de l'image I S(fft) I. C'est sur cette image I fft(I S(fft) I)I que se font les mesures. On se souvient du fait que la caméra est tournée d'environ 3° dans le sens indirect par rapport à la direction Est-Ouest et que la focale résultante est de l'ordre de 22 mètres.

Module de la transformée de Fourier de l'image IS(fft)I

Partie centrale de cette image.

Les mesures sur l'image finale (On se souvient que 1 pixel =7.4mm)
Focale résultante ~ 24.8m
Inclinaison de la caméra: 2.9°.

Nous avons écrit une feuille Excel pour calculer et tracer l'orbite du compagnon en utilisant les derniers éléments que nous avons pu trouver.
Le calcul montre que, pour la date de l'observation, la distance des composantes est de 4"43 et que l'angle de position est de 125°3.
A partir de ces données nous voyons que notre approximation sur l'orientation de la caméra est correcte puisque l'écart entre notre mesure de l'angle de position dans le repère caméra est de 128°5 alors qu'il est de 125°3 dans le repère équatorial. Soit un écart de 3°2.
La séparation des composantes est mesuré à 72.16 pixels sur l'image ce qui permet de fixer la distance focale résultante à 24.8métres.
On peut le faire varier légèrement en retouchant la distance "objectif de microscope -CCD webcam" pour amener cette dernière au plus près des 160mm fixés par le constructeur-opticien.
Le couple joue ici le rôle d'étalon comme indiqué plus haut.


La feuille de calcul Excel de l'orbite des couples d'étoiles doubles.

L'orbite du couple (g1-g2) Leo


Etoile simple

spk-etseule-.gif
Issu du fichier
spk-etseule-.avi
(150 images)

Image i-6.
Image i-72.
Image i-150.

fft(i-6)
fft(i-72)
fft(i-150)

IS(fft)I
Détail du centre de IS(fft)I
I fft( IS(fft)I ) I

L'étoile apparait comme simple ... avec le T60!

Gamma Virgo

Nous avons essayé un couple serré : g Vir
C'est une étoile plus faible et notre temps de pose est tombé à 1/50 ième de seconde, ce qui par forte turbulence est à la limite du tolérable.
La turbulence est ici bien moins figée semble-t-il et les images plus empatées.


Fichier spk-gamvir-.gif issu du fichier spk-gamvir-.avi de 500 images.


Voici l'image i-181 de la série des 500 images.

Ifft(i-181)

 

I fft( IS(fft)I ) I

Le T60 montre ses limites avec cette technique et avec un degré de turbulence important qui dilue l'énergie sur une image focale trop empatée qui nous oblige à poser plus longtemps que sur g Leo. Une granulation est cependant encore bien visible sur les images...
L'image restituée ci-dessus à droite semble montrer la trace du compagnon au bon endroit et à la bonne distance... mais l'interprétation doit être confirmée par d'autres observations du même type que nous nous promettons bien de faire un de ces jours. La séparation mesurée est de 12 pixels environ entre les deux taches latérales ce qui donne r= (4".43/72.16)*6 = 0"37.
On n'est pas trop loin des 0"42 prévus par le calcul sur la feuille Excel ci-dessous...
L'orientation est légèrement supérieure à 90° dans le repère caméra...au lieu des 89.3 + 3°2 attendus.


La feuille de calcul Excel de l'orbite des couples d'étoiles doubles.

L'orbite du couple g Vir

Conclusion

Manip interessante et qui ne nous a pas déçu!
Le cas de g Vir est à revoir avec des conditions meilleures et en tentant de garder un temps d'exposition de 1/100 quitte à perdre en intensité de signal.
Nous avons eu des difficultés pour centrer la platine deux axes en raison de l'ajustement trop sérré des jeux. Ce problème est réglé depuis début Janvier 2006.
Les images montrent d'ailleurs un résidu de coma qui n'a pas facilité le travail.
Tout celà nous a donné une bonne occasion de (re)lire les écrits des grands maitres A.Labeyrie, D.Bonneau et tout ceux qui ont ouvert ce domaine.

 

ficher excel:binary_star.xls

La suite et la relève

En 2008, Bernard Tregon et son équipe sont montés au T60 avec leur propre manip Speckle et ont repris le flambeau avec panache ! ;-)

Voici leurs deux pages de compte-rendu détaille, lecture passionnante qui nous l'esperrons finira de vous convaincre de tenter l'aventure Speckle !


Speckle Pic II - Interferométrie des tavelures - Astrometrie TNO- Tregon Bernard - Castets Martine - Annexes du rapport

Interférométrie stellaire (B.Tregon).pdf