T60 - Mission Io-Io

Participants : Daniel Descout, Romain Montaigut, Clément Bluteau, Sylvain Rondi
Compte-rendu rédigé en commun


Projet initial

2009 est l'Année Mondiale de l'Astronomie.

En l'honneur de Galilée (« Dialogue sur les deux grands systèmes du monde », 1632), cette partie est rédigée sous la forme d'un dialogue imaginaire entre un journaliste scientifique (JS), qui mène une enquête sur les activités au Pic du Midi de Bigorre, et un membre de la mission 35 des astronomes amateurs (AA) de l'association AT60.
Certaines questions du journaliste peuvent paraître naïves, mais il est dans un rôle de composition.

Dialogue imaginaire
[Auteur D.Descout]

JS – Le nom de cette mission, Io – Io, est assez surprenant. Pourquoi avez-vous fait ce choix ?
AA – Une des cibles visées lors de cette mission consacrée à la spectroscopie est le satellite Io de la planète Jupiter, celui dont l'orbite est la plus serrée, donc celui dont la vitesse orbitale est la plus élevée.
JS – Quel est l'intérêt de choisir une cible rapide ?
AA – Plus la vitesse radiale de la cible est élevée, plus les résultats de mesure sont précis.
JS – Io, c'est logique. Alors pourquoi Io – Io ?
AA – C'est un jeu de mots facile. Il fait référence aux mouvements de va-et-vient du jouet, le yoyo.
Par comparaison, chaque fois que le satellite Io change de côté par rapport à Jupiter (d'est en ouest ou l'inverse), sa vitesse radiale change de signe.
Et sur la durée de la mission, Io effectue quatre orbites complètes.
JS – Vous parlez d'abord de vitesse orbitale puis de vitesse radiale. C'est volontaire, j'imagine ?
AA – Oui. Depuis la découverte des (4) satellites de Jupiter par Galilée (1609), nous savons que Io est en orbite autour de cette planète, grâce aux observations faites avec les lunettes et les télescopes. Mais l'analyse spectrale de la lumière solaire diffusée par Io permet d'accéder seulement à sa vitesse radiale relative, la projection sur la ligne de visée du télescope de sa vitesse relative par rapport à la Terre.
JS – Peut-on accéder à la mesure de la vitesse orbitale de Io de cette façon ?
AA – En théorie, et après une seule mesure, le passage de l'une (vitesse radiale relative) à l'autre (vitesse orbitale) est possible par un calcul, à condition de connaître les vitesses orbitales de la Terre et de Jupiter autour du Soleil, la configuration du triangle {Soleil, Terre, Jupiter} et l'inclinaison de l'axe de visée {Terre – Io} sur le plan orbital de Io.
JS – Et en pratique, comment procède-t-on ?
AA – Une méthode astucieuse consiste à éviter de tenir compte des vitesses orbitales des planètes.
Lorsque Io est à son élongation angulaire maximum par rapport à Jupiter, nous mesurons sa vitesse radiale relative, une mesure à l'est et l'autre à l'ouest. Par différence, nous accédons à l'information sur la vitesse orbitale de Io, avec une bonne approximation.
JS – Ne procédez-vous pas ainsi pour mesurer la vitesse de rotation propre de Jupiter ?
AA – Vous avez raison. L'avantage, pour Jupiter, c'est qu'il suffit d'enregistrer un seul spectre.
Pour Io, il faut enregistrer deux spectres, séparés par un intervalle de 21 heures environ.
Cette durée est faible par rapport aux durées qui modifient sensiblement la configuration du triangle {Soleil, Terre, Jupiter}, ce qui valide le calcul par différence.
JS – Sur quelle loi repose la méthode d'analyse spectrale ?
AA – Sur une loi de proportionnalité entre le décalage en longueur d'onde des raies spectrales et la vitesse relative radiale entre la source de lumière et l'observateur, traduction de l'effet Doppler en optique, encore appelé effet Doppler – Fizeau.
JS – Cette loi contient la constante c de la vitesse de la lumière, si mes souvenirs sont bons ?
AA – C'est exact. Et c'est aussi une raison du choix de Io comme cible.
Grâce à l'étude du mouvement de Io pendant plusieurs mois consécutifs, un astronome du XVIIe siècle, Olaf Römer, a évalué pour la première fois la vitesse de la lumière, en 1676.
Son estimation donnait environ les trois quarts de la valeur admise actuellement.
JS – Ce choix de Io est en quelque sorte un clin d'œil à l'histoire des sciences.
AA – Nous nous comprenons très bien, décidément.


Préparation

Environnement apparent de Jupiter fin août 2009
constellation du Capricorne
La spectroscopie très basse résolution ; cible Jupiter
(sans T60, ni Lhires III, ni caméra Audine)


Cliché IMGP7341.JPG du 29-08-2009 à 01:50 (temps légal)
APN Pentax K10D, focale 118 mm,
sensibilité 400 ISO, ouverture f/D = 5,6
temps de pose 30 s, suivi Astrotrac.

Les satellites Io et Europe ont
une élongation Est trop faible
et sont noyés dans le halo de Jupiter


Cliché IMGP7137.JPG du 17-08-2009 à 02:48 (temps légal)
Meade ETX 90, focale 1250 mm,
réseau Star Analyser,
APN Pentax K10D,
sensibilité 400 ISO, ouverture f/D = 13,8
temps de pose 30 s, sans suivi

Spectres d'ordres -1, 0, 1 et 2.

« La spectro, c'est la vraie astrophysique ».
« La spectro amateur nécessite une petite formation à l'utilisation du matériel et à l'interprétation des données ».
Christian BUIL ; citations rapportées par Ciel & Espace n° 471, août 2009.

Préparation 1 ; évaluation de la vitesse radiale relative de Io par simulation
(logiciel « Stellarium » version 0.10.2)


Recherche préalable des données ;
mouvement de Io vu de la Terre au cours de la nuit du 25 au 26 août 2009 :

distance à la Terre à 23:00:00 (heure légale) : 4,04404222 UA
distance à la Terre à 23:01:40 (heure légale) : 4,04403483 UA
variation de la distance à la Terre en 100 s : d = - 7,39.10-6 UA
une UA vaut 1,496.108 km, donc : d = - 1,106.103 km
vitesse radiale relative de Io (calculs à 10-3 près) : v = - 11,06 km/s.


Capture d'écran « Stellarium » en négatif Cliché IMGP7182.JPG 26-08-2009 ; 01:10
(Ganymède, Europe, Io, Jupiter, Callisto) Ganymède est à 5' d'angle de Jupiter
Diamètre apparent de Jupiter : 49''
(lunette du T60 avec Barlow x2 )


La résolution du spectroscope Lhires III est R = 17 000, au voisinage de la raie Ha (656,3 nm) avec un réseau de 2400 traits par mm (donnée constructeur ; Shelyak Instruments).
Compte tenu du double effet Doppler, pour Io il faut envisager un décalage spectral relatif en longueur d'onde proche de 2v/c, soit : Dl/l = - 7,37.10-5 , dont l'inverse est 1,357.104 < R.
La détection et la mesure de la vitesse radiale de Io par décalage spectral de la raie Ha avec le Lhires III à l'heure prévue (23:00:00 ; 25 08 2009) est donc envisageable, avec une faible précision.

Lundi 24 Août 2009

Nous voilà au sommet, ayant croisé la mission AstroFlep qui nous a montré ses résultats (fructueux !) de la semaine passée et fait un petit topo technique (merci à eux).
Cependant la météo se dégrade en cours de journée, il y a du vent et des orages sont annoncés.

Au programme de notre mission, de la spectro sur Jupiter et ses satellites, la comète 217P/Linear ... et l'improvisation propre au T60, selon météo bien entendu !

Nous consacrons une partie de l'après-midi à quelques manipulations autour du LHIRES III.

C'est d'ailleurs en l'utilisant en visuel que nous nous sommes rendus compte que le réseau, vers le rouge, ne revenait pas toujours.

Après démontage et examen, Daniel a trouvé qu'il s'agissait d'un des ressorts qui se glissait contre l'axe laiton de rotation du réseau et bloquait un peu. Nous l'avons remis d'aplomb et tout fonctionne bien maintenant (voir photo ci-contre).

En revanche nous ne parvenons pas à trouver le connecteur qui alimente la lampe néon de calibration : tous ceux que nous trouvons refusent obstinement de rentrer dans le connecteur du boitier... Mystère ...

Nous montons LHIRES sur le télescope et, dans la soirée, en attendant que le ciel veuille bien se dégager, y montons la caméra Watec puis l'Audine du labo avec son nouveau KAF 1600.

Ici aussi un peu d'improvisation est nécessaire pour trouver la bonne pièce raccord permettant une focalisation correcte : nous trouvons finalement une pièce en dural male-femelle qui permet un montage de l'Audine derrière le spectro. Par contre, elle est assez mal maintenue en rotation et risque de tourner ... nous verrons bien.
Focalisation est faite sur des raies de notre lampe Osram, puis nous attendons Jupiter.

Dehors la météo est fantasque : des éclairs plus ou moins lointains cotoient parfois un ciel dégagé qui se rebouche en général assez rapidement. Par intermittence, au gré des éclaircies, nous pointons donc Jupiter et peaufinons les réglages ... vers 23h30 TU, premières acquisitions d'un spectre jovien laissant d'emblée apparaître les raies penchées dues à l'effet Doppler de la rotation de la planète.
Puis de 1h20 à 1h47 nous allons acquerir tant bien que mal 21 spèctres donc nous ne conserverons que 9 présentant un flux suffisant.

Autre déconvenue, côté technique : des bandes alternatives parasitent nos images (surtout visibles à faible flux sur offsets et noirs), et l'Alaudine a la facheuse tendance à décrocher, revenant toute seule à une consigne de +0.0°C !

C'est en vain que nous attendrons l'éclaircie qui nous aurait permis de pointer Io. Jupiter déclinant sur l'horizon, nous décidons de monter la caméra SBIG au foyer pour tenter la comète 217/P LINEAR, mais nous n'aurons le temps que de débuter une focalisation avant que le ciel se charge et que des gouttes ne nous fassent fermer la coupole.
Vers 3h30 TU nous allons donc nous coucher !

 


Mardi 25 Août 2009

Nous traitons les images de la veille et obtenons tout d'abord un spectre de Jupiter prétraité, s'étendant de 5806 à 6000 Angströms (centré sur le doublet du Sodium :

La fente était disposée selon l'équateur de Jupiter (le bord Ouest est en haut).
Pas d'équivoque possible entre les raies telluriques (atmosphériques) bien droites et les raies issues de la réflexion de la lumière solaire sur Jupiter, penchées puisque affectées d'un effet Doppler.

Puis nous débarrassons le spectre de l'effet centre-bord de la planète afin d'obtenir le spectre suivant (agrandi autour du Sodium), qui permet une meilleure visualisation des raies :

Ci-dessous, identification du doublet du sodium et de deux raies atmosphériques nous ayant servi à étalonner. Les zones bleues et rouges correspondent aux boites d'analyse du spectre (bords Est et Ouest de la planète):

Enfin, voici les deux spectres étalonnés et recalés sur les deux raies atmosphériques choisies (T). Le décalage Doppler entre le bord Est (bleu) et Ouest (rouge) est évident.

La dispersion est de 0.125 Å/pixel. L'écart mesuré entre les raies "bleues" et "rouges" du sodium est de 0.75 Å. Nous allons chercher à calculer la vitesse de rotation équatoriale de Jupiter.
Or, la lumière provenant du Soleil et réfléchie par Jupiter est déjà affectée d'un effet Doppler à son arrivée, auquel vient s'ajouter l'effet Doppler perceptible par l'observateur terrestre. La formule v/c = dlambda / lambda est donc à pondérer d'un facteur 4 : on ne tient compte que du quart du décalage spectral mesuré, soit dans notre cas : 0.75/4 = 0.19 Å.
Soit donc V = 300000 x 0.19 / 5890 = 9.7 (km/s)

La période de rotation de Jupiter est de 9.92 heures, pour un diamètre équatorial de 143000km, donnant une vitesse à l'équateur de 12.5 km/s.
L'ordre de grandeur de notre résultat (9.7 km/s) est respecté, l'erreur pouvant provenir principalement du fait que la fenêtre d'analyse n'est pas située exactement sur le bord de la planète (pas assez de signal ici).


Côté purement technique, nous avons trouvé et compris comment utiliser les bagues d'adaptation entre Audine et LHIRES.
Ci-dessous à gauche les bagues avant montage : une bague coutre se vissant sur l'Audine, d'ailleurs pas complètement et une bague longue avec gorge se vissant sur le spectro. Nous avons muni la première bague de vis laiton permettant la fixation dans la gorge. L'Audine peut ainsi être orientée comme souhaité.


Avant montage

Après montage

Sur le T60

Observations de la nuit (à compléter) :

Au LHIRES III + réseau 2400 traits/mm :

Dépouillement des données de Jupiter :

Après traitement des spectres dans la zone du doublet du Sodium, acquis sur Jupiter, toujours fente placée selon l'équateur (mais bord Ouest en bas du spectre cette fois ci), nous avons redressé les raies atmosphériques (telluriques).

A partir du spectre "applati" de Jupiter (même méthode que précédemment), nous avons d'abord mesuré l'écart du doublet : 44.95 pixels, ce qui nous donne la résolution de notre système : 0.133 Å/pixels (au voisinage de 5893 Å).

Puis nous avons mesuré la moyenne des écarts Doppler pour chaque raie D1 et D2 du doublet, entre les bords Est et Ouest de la planète: 6.18 pixels. Ce qui selon notre résolution trouvée précédemment correspont à 0.821 Å.

En appliquant la formule du double effet Doppler "4v/c = dlambda / lambda" nous trouvons la vitesse équatoriale de rotation de Jupiter :

v = 0.821 x 300000 / (4 x 5893) = 10.5 (km/s)

La valeur que nous avons trouvée se rapproche un peu plus de la valeur théorique (12.5 km/s), sans doute grace à la turbulence moindre et à un meilleur rapport signal à bruit (moins de nuages que la veille !).

Au passage, nous avons mesuré le diamètre de Jupiter au foyer du spectro : environ 142 pixels, soit 1.28 mm, ce qui (connaissant le diamètre équatorial de Jupiter : 48.65" et sachant que le LHIRES III a un grandissement de 1) nous renseigne sur la distance focale du système "télescope+barlow+LHIRES" : environ 5.42 mètres.

 



Mercredi 26 Août 2009

Observations de la nuit (à compléter) :

Imagerie à la SBIG :

La fin de nuit a été consacré à l'observation visuelle au T60.
Un traitement rapide des acquisitions réalisées sur M16 confirme un mauvais seeing et une mise au point manuelle difficile.


Au LHIRES III + réseau 2400 traits/mm :


Jeudi 27 Août 2009

Daniel et Sylvain descendent dans la journée, les valises pleines de FITS et autres SPC, laissant Clément et Romain tenir bon la barre du T60 !

La soirée démarre mouvementée avec plus de 200 personnes venues observer jusqu'à 23h30 sur les terrasses du Pic .

Observations prévues de la nuit :

Imagerie à la SBIG :

Au LHIRES III + réseau 2400 traits/mm :