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Radio France et le beau langage
J'ai été amené à envoyer le message suivant à Patrick Pépin,
médiateur de Radio-France
Cher monsieur,
Je viens d'entendre votre billet sur France Inter (vendredi 12 mai vers 13h30),
et je suis amené à réagir à deux niveaux.
Un auditeur a protesté contre l'utilisation par les journalistes de locutions
impropres ou populaires, ou même carrément argotiques, et je suis parfaitement
d'accord avec lui. Vous semblez être vous même en désaccord avec cette position,
et c'est votre droit, mais j'y reviens ci-après.
Pour commencer, s'il est nécessaire d'accepter un langage mal contrôlé - à vous
entendre sous le prétexte qu'il ferait partie de la culture des auditeurs-, au
moins faudrait-il qu'il soit correctement cité, et bien souvent ce n'est pas le
cas, témoin la locution "le prisonnier s'est fait la belle", qui est
systématiquement utilisée à la radio et à la télévision pour signifier une
évasion.
L'expression correcte est "le prisonnier a fait la Belle". On peut citer à ce
sujet la chanson de Léo Ferré "Merde à Vauban", qui exprime :
" Ah que jamais ne vienne celle
Que j'aimais tant
Pour elle j'ai manqué la Belle
Merde à Vauban".
Si cette expression est devenue "le prisonnier s'est fait la Belle", c'est pas
sympathie avec l'expression parfaitement argotique, à forte connotation
sexuelle, "se faire la paire". Par ailleurs, l'expression "se faire la Belle" a
elle-même, et fort malheureusement, un surcroît de connotation sexuelle, comme
l'expression parallèle "se faire une fille".
Deuxièmement, j'affirme que l'argument que vous retenez est spécieux: affirmer
que la littérature populaire a pérennisé un tel langage, et que par suite il
ferait partie de la culture courante et serait par là même acceptable, c'est
faire insulte aux auditeurs et aux téléspectateurs, dont les goûts littéraires
débordent assez souvent le contenu des librairies de hall de gare. Pour ce qui
me concerne, je ne lis jamais de romans policiers, et, quand par le passé il
m'est arrivé d'en lire, ils ne contenaient pas ce type de langage.
Affirmer par ailleurs que faire du journalisme de radio ou de télévision, c'est
écrire en sons et en images n'implique en aucune manière un nivellement par le
bas des critères de correction dans l'expression.
Je conclurai en disant qu'un tel argument aurait été compréhensible dans la
bouche d'un journaliste. De même que les pilotes d'Air France ont appris à voler
aux oiseaux, les journalistes pensent sans doute se trouver à l'apex de la chose
parlée, et être liés par nulle convention.
Un médiateur devrait se montrer un peu plus critique, sauf à sacrifier sciemment
la dimension éducative de la radio et de la télévision.
Salutations,
Robert Soubie
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