Introduction
L'étude
du Soleil en lumière blanche est généralement limitée
au suivi de la position des taches. Il peut s'avérer très
intéressant d'obtenir des informations complémentaires
grâce
à la spectrographie. La dispersion de la lumière permet
d'accéder à l'étude de la composition de l'atmosphère
solaire, à la mesure de vitesses radiales (effet Doppler-Fizeau)
ou des champs magnétiques intenses (effet Zeeman) et à l'observation
directe mais fragmentaire d'événements chromosphèriques
(protubérances, filaments, éruptions). La réalisation
d'un spectrographe est donc une première étape à
franchir mais pour obtenir une image monochromatique globale du Soleil
c'est au spectrohéliographe qu'il faudra "s'attaquer".
Rappels - Principe du montage optique
Le spectrographe donne un ensemble d'images de sa fente d'entrée réparties en fonction de la longueur d'onde. L'observation du spectre solaire montre une bande lumineuse allant du violet au rouge, striée perpendiculairement d'une multitude de raies sombres (fig. 1). Ces raies sont le résultat de l'absorption de la lumière émise au niveau de la photosphère par la chromosphère et par l'atmosphère terrestre.
Fig.1 - Portion de spectre solaire: le doublet du sodium.
Si les éléments
optiques sont bien corrigés, correctement alignés et si
la dispersion est grande, les détails de l'image passant par la
fente d'entrée seront visibles dans le spectre; par exemple, une
tache solaire formera une ligne sombre allant du violet au rouge, une
protubérance fera apparaître des prolongements lumineux pour
certaines raies, etc... On parle alors de spectrographie à résolution
spatiale.
Isolons maintenant
une portion très étroite du spectre, par exemple au moyen
d'une seconde fente placée au foyer de l'objectif de chambre; on
obtient une image monochromatique de la portion du disque solaire passant
par la fente d'entrée. En balayant ligne par ligne l'image solaire
et en enregistrant les images monochromatiques correspondantes, on peut
ainsi reconstituer toute la surface du disque solaire à une longueur
d'onde choisie et obtenir un spectrohéliogramme.
Un spectrographe est essentiellement composé de:
- un collecteur de lumière (O1) fournissant une image réelle (S) de l'objet à étudier,
en l'occurrence le Soleil
- une fente d'entrée (Fe) destinée à sélectionner une portion quasi-linéaire
de l'image
- une optique collimatrice (O2) permettant de rendre parallèle le faisceau issu de la
fente d'entrée
- un disperseur (R)
- un objectif de chambre (O3) dont le but est de former l'image réelle du faisceau dispersé
(le spectre)
- un système d'observation (spectroscopie) ou d'enregistrement (spectrographie) placé
au foyer de l'objectif de chambre.
Fig. 2 - Schéma d'un spectroscope.
Un spectrohéliographe nécessite de plus:
- une fente de sortie limitant le passage d'une bande spectrale de faible largeur (<1
Å)
- un système d'enregistrement permettant de reconstituer une image bidimensionnelle à partir
d'une série de "coupes" monochromatiques de l'image
solaire.
Description des éléments utilisés
Le système
réalisé est un spectrographe / spectrohéliographe
solidaire d'un télescope 115/900, donc mobile. Il en découle
des contraintes d'encombrement et de poids pour que la monture équatoriale
ne s'écroule pas. Le but est de réaliser un montage en "piggy-back"
d'une longueur équivalente à celle du télescope soit
environ 800 mm, et d'un poids de 3 à 4 kg maximum.
Le Montage retenu est du type Ebert (fig 3), qui a l'avantage d'être
compact et n'introduit pas beaucoup d'aberrations si le rapport F/D des
optiques est grand. Il permet l'utilisation d'un seul miroir (ou deux
petits concentriques) comme collimateur et objectif de chambre.
Fig. 3 - Le montage de type Ebert.
- Le collecteur
L'observation du Soleil en plaine et en zone urbaine est fortement limitée par
la turbulence atmosphérique: la résolution est d'environ
2 secondes d'arc. Le diamètre de l'objectif peut donc être
petit, de l'ordre de 10 cm. Un télescope 115/900 (F/D=8) donne
une image du Soleil de 8.4 mm de diamètre. Une lentille divergente
est placée avant le foyer de manière à former une
image agrandie 1.3 fois hors du porte oculaire. La nouvelle distance focale
est donc de 1170 mm environ.
- La fente d'entrée
Son rôle est de limiter la largeur de l'image à une valeur correspondant
à celle de la tache de diffraction du réseau. La lumière
mais aussi la chaleur sont concentrées sur la fente et si la première
nous intéresse au plus haut point, la seconde ne peut que gêner
nos observations. Quelques précautions sont nécessaires,
à savoir: le matériau constituant la fente doit réfléchir
le plus possible le rayonnement et conduire facilement la fraction absorbée
dans toute sa masse afin d'éviter toute accumulation locale de
chaleur susceptible de créer une dilatation, voire une détérioration
complète de la fente. Deux plaquettes de laiton de 4 mm d'épaisseur
ont été biseautées, polies puis fixées sur
une rondelle metallique de 3 mm d'épaisseur et de 45 mm de diamètre.
L'écartement et le parallélisme des lames peut être
ajusté sous une loupe binoculaire.
- Le Disperseur
Il s'agit d'un réseau plan à réflexion, de 60 mm de coté,
gravé à 1180 traits/mm. La dispersion dans le premier ordre
est telle que l'on ne peut exploiter qu'une petite portion de spectre
à la fois. Ce réseau est évidemment orientable afin
de choisir la zone du spectre à observer. La rotation est assurée
par un petit moteur pas à pas et un système de démultiplication.
La résolution du spectre dépend du nombre total de traits
du réseau et de l'ordre utilisé. Un réseau à
1180 traits par mm et de 60 mm de côté utilisé dans
le 2ème ordre aura une résolution théorique de 1180x60x2
= 141600. Pour une longueur d'onde de 600 nm, on peut séparer deux
raies distantes de 600/141600 = 0.004 nm
- La collimatrice et l'objectif de chambre
Le faisceau émergeant de la fente gardant ses caractéristiques géométriques
(F/D~10), il faut le rendre parallèle avec une section égale
à la diagonale du réseau, soit 90 mm environ. L'objectif
collimateur doit donc avoir au moins ce diamètre et une focale
de 900 mm. Pour des raisons de poids et d'encombrement, nous avons opté
pour un miroir sphérique de 76 mm de diamètre et 700 mm
de focale. L'objectif de chambre est identique.
Le support du miroir de chambre est placé sur une glissière
permettant une focalisation correcte du spectre sur le capteur.
- Le système d'observation directe
Il est nécessaire de pouvoir observer visuellement le spectre afin de contrôler directement
l'état de la fente d'entrée ou le centrage sur une longueur
d'onde. Il est également possible, à l'aide d'un micromètre,
de mesurer des décalages Doppler, d'observer les protubérances
sur le limbe du Soleil, etc...
Un petit miroir plan orientable renvoie donc l'image du spectre vers le
haut de l'instrument où est placé un oculaire.
- Le capteur
C'est un CCD (Charge Coupled Device) linéaire qui est chargé d'enregistrer
les spectres ou les "coupes" monochromatiques du Soleil. Il
a été prélevé sur un scanner à main
(type Handy scanner noir et blanc) après analyse des signaux de
commande. Ce capteur est composé de 2048 pixels au pas de 14 µm
ce qui donne une couverture du spectre de 28,67 mm soit environ 31 nm
dans le premier ordre. Son positionnement micrométrique suivant
l'axe longitudinal ou transversal du spectre est également motorisé.
Il faut en effet, pour faire coïncider le CCD avec une raie spectrale,
atteindre une précision angulaire de 0,01 degré. La sensibilité
spectrale de ce capteur couvre un domaine allant de 800 à 350 nm
environ.
Le capteur est commandé par un micro-ordinateur ATARI 1040 via une interface
de mise en forme des signaux. Un convertisseur analogique / numérique
rapide 8 bits permet la mémorisation des données.
Un logiciel d'exploitation gère le paramètrage, le prétraitement
et la sauvegarde des données. La possibilité de voir le
signal du CCD en temps réel est essentielle pour effectuer les
réglages de mise au point, de sélection de raie, de superposition
raie/CCD, de durée d'intégration et de centrage des images,
etc...
Caractéristiques du spectrographe
Pour tendre vers la résolution spectrale
théorique, il faut que la largeur
de la fente d'entrée (Lfe) soit en rapport avec la dimension de l'image de diffraction du réseau.
Cette valeur est obtenue par la relation :
Lfe =
f3 . λ /
a
avec f3
= focale de l'objectif de chambre, λ =
longueur d'onde (0,6 µm) et a = largeur
éclairée du réseau. On obtient Lfe
= 7 µm. La dimension des pixels du CCD étant de 14 µm,
on voit donc que la résolution théorique ne sera pas atteinte
et que la largeur de la fente d'entrée peut être de l'ordre
de 14µm.
Cette dimension correspond aussi à une séparation angulaire
de 2,5 secondes d'arc et donc à la limite des détails observables
sur le Soleil.
Dans la pratique, la réalisation de la fente, l'alignement et la
qualité des optiques n'étant pas parfaits, il y aura encore
quelques dégradations des caractéristiques. Au vu des résultats,
la résolution spectrale atteinte est de l'ordre de 0,1 Å
dans le deuxième ordre. Les Images monochromatiques étant
réalisées dans l'ordre 1, la bande passante sera donc de
0,2 Å au mieux.
Premiers résultats
En mode spectrographe, on obtient un profil photométrique d'une petite portion du spectre (Fig 4). Les temps d'intégration sont brefs, 20 à 50 ms
suivant la longueur d'onde.
Fig.4 - Portion
de spectre solaire: le triplet du magnésium.
En mode spectrohéliographe, le balayage de l'image est effectué
par le mouvement diurne en 128 secondes environ. Le diamètre de
l'image solaire couvrant 800 pixels sur le capteur, on doit faire 800
coupes de l'image pendant cette durée. Le temps global d'acquisition
du CCD sera donc de 160 ms par ligne.
Les raies les plus intéressantes sont évidemment celles
de l'hydrogène (Ha, 6563 Å) révélant les centres
actifs, les protubérances et les filaments (Fig 5), et du calcium
ionisé (K3, 3934 Å) montrant les plages faculaires et la
supergranulation.
Fig. 5 - Le soleil en Ha (12 mai 1998)
Les images brutes présentent souvent des défauts esthétiques
et géométriques. Les premiers prennent l'aspect de stries
ou de bandes sombres et sont causés par des irrégularités
de la fente ou par des passages de nuages d'altitude. Les seconds résultent
d'une synchronisation imparfaite entre le mouvement diurne et la durée
d'acquisition le l'image (étirement ou compression) ou d'une légère
inclinaison de la fente par rapport à l'axe Nord-Sud (distorsion).
Des traitements informatiques appropriés minimisent ces défauts
et permettent l'orientation et l'analyse des images. Il est par exemple
possible de produire une carte synoptique de chaque rotation solaire (Fig
6) ou de mesurer l'angle de position des protubérances. (cf les
articles de M.T. PAIN dans les numéros précédents).
Fig. 6 - Portion d'une carte en lumière Ha
Conclusion
Bien que les
filtres monochromatiques soient d'un usage plus commode, la fabrication
d'un spectrohéliographe conserve bien des avantages et constitue
un outil d'observation très intéressant. Un coelostat permettrait
toutefois d'obtenir une meilleure précision en rendant le spectrohéliographe
immobile, ce qui éliminerait les flexions.
Cette réalisation - qui n'est pas aussi difficile qu'on pourrait
le penser - oblige toutefois d'aborder des domaines variés (optique,
mécanique, électronique et informatique) et pourrait tout
à fait s'inscrire dans le cadre des activités d'un club
motivé.
Bibliographie
Bruhat G.
- Le Soleil. Presses Universitaires de France, 1951.
Guillermier P., Koutchmy S. - Eclipses totales. Masson, 1998.
Leroy J.L. - Le Soleil au coronographe. Guide de l'observateur, tome 1.
Ouvrage collectif sous la direction de P. Martinez. S.A.P. éditeur.
1987.
Martres M.J., Boyer R., Costard F., Malherbe J.M., Olivieri G. - Le Soleil
au télescope. Guide de l'observateur, tome 1. Ouvrage collectif
sous la direction de P. Martinez. S.A.P. éditeur. 1987.
Saint-Pé O. - La spectrographie. Guide de l'observateur, tome 2.
Ouvrage collectif sous la direction de P. Martinez. S.A.P. éditeur.
1987.
Terrien J. - L'optique astronomique. Que sais-je ?. Presses Universitaires
de France, 1972.
|