Une nouvelle caméra

Par Gilbert St-Onge CDADFS Dorval

Un artible a paru dans la revue Le Québec Astronomique Mai-Juin 1989

En 1986-87, Mario Emond et moi avons commencé à travailler la photo astronomique en équipe. J'avais depuis 8 ou 9 ans testé toutes sortes de films; puis en 1986, j'ai commencé à activer en grand nombre des films TP 2415, 400ASA etc., qui sont tous des films noir et blanc.

Mon but était, à ce moment-là, d'améliorer la résolution des photos en utilisant du TP 2415 ou des films à grain fin pour la haute résolution. C'est pourquoi j'activais ces films. Les photos astronomiques peuvent être faites pour des raisons scientifiques ou tout simplement pour la beauté d'un objet visé. Moi j'en fais pour les deux raisons; certaines sont dignes d'être encadrées, d'autres restent sur les négatifs pour des analyses photométriques ou autres.

Donc des films rapides à gros grain autant que du TP2415 pouvaient servir à nos projets. Vers l'été 1986, après de bons résultats en activation, notre curiosité fut poussée à bien comprendre les causes de l'activation. C'est alors que Mario Emond qui était en chimie au cegep, fut très intéressé par ce sujet et surtout très riche en informations.

Pour améliorer notre activation, nous avons d'abord :
A) fait le vide le plus complet possible
B) mis du gaz 8%H et 92% azote
C) établi une pression de gaz en relation avec la température et le volume du récipient
D) en moins de 3 minutes enveloppé le film hermétiquement à sa sortie de la cuve.

Il faut ensuite : garder le tout au congélateur et l'utiliser rapidement.
Le procédé consiste à enlever les molécules d'air et d'eau et de les remplacer par de l'hydrogène et de l'azote en chauffant le tout. Évidemment, ça demande des équipements et du gaz.

Les résultats étaient excellents, si l'on regarde les différences entre du 2415 activé et non activé. On voit une grande amélioration dans l'émulsion et dans la magnitude limite atteinte pour des temps égaux.


La question que Mario et moi nous nous sommes posée était s'il était possible d'effectuer une photo en ayant le film en plein processus d'activation, c'est-à-dire en plein gaz. Notre réponse fut oui. II nous fallait donc imaginer un récipient contenant le gaz sans pression et le film. Le film baignerait dans le gaz sous un verre optique et derrière un déclencheur quelconque.

Ce projet paraissait extrêmement intéressant, sauf que le gaz d'activation est contenu dans une grosse bombonne de 5" de haut par 8" de diamètre et qu'il est dangereux de la promener en voiture. En plus, imaginez le trouble dans l'observatoire!

Non, c'était déjà assez difficile de construire une caméra sans avoir en plus à manoeuvrer cette bombonne à grande pression. Alors, nous avons cherché une solution au problème, sachant qu'il nous fallait le vide le plus complet possible, qu'il fallait que ce soit rotatif et qu'il fallait enlever le plus possible les molécules d'eau et d'oxygène. Le vide enlève déjà une grande partie des ingrédients à chasser.

Il fallait donc améliorer l'effet du vide; des pierres absorbantes feraient le reste en absorbant l'eau et l'air restants. Bien sûr, c'était la solution idéale, c'était
compact et facile à manipuler. Lorsque les pierres sont saturées, on les met au four à 425° F pour deux (2) heures et elles redeviennent très efficaces.


La première idée était de prendre du film déjà activé et de le réactiver par cette caméra tout en prenant la photo. Alors j'ai pensé à du tuyau de plomberie pour faire le corps pressurisé, la chambre dans laquelle on peut faire un vide poussé et dans laquelle on peut mettre les gaz ou les pierres nécessaires. Nous avons appris que le gaz d'activation et les pierres ne peuvent pas s'utiliser simultanément car ils provoqueraient une explosion! C'est une bonne raison pour éviter d'utiliser les deux dans une même cuve.

Donc, pour la partie du film, il fallait avoir une partie mobile, dévissable, non collée ou il fallait être capable de la visser suffisamment pour qu'elle soit étanche. C'est alors que Gaétan Mailloux fut contacté pour le montage de toute la caméra, et surtout de la partie frontale; il devait inventer une plaque pour tenir le négatif et la faire tenir dans le couvercle de 3" du tuyau. En plus il devait y poser le verre optique bien étanche, bien droit sur le plan du film; il lui fallait calculer le foyer pour mettre un petit oculaire qui, par un petit miroir fixe hors axe, nous donne un foyer fixe, comme une caméra réflex.


Pour compliquer le moins possible les choses, je lui demandai de mettre une bague à caméra universelle sur laquelle on peut visser des adaptateurs 1 1/4" ou 2" en plus de n'importe quel téléphoto ou objectif 50 mm ou 35 mm. Ce qui en fait une caméra très pratique. En plus, il nous fallait une valve pour

permettre d'effectuer nos vides et vidanges du caisson. Cette valve fut achetée à la quincaillerie, il s'agit d'une bonne valve pour contrôler les débits d'eau et qui a été remplie de graisse (Vaseline) pour l'étanchéité. Puis, comme coussin à la partie avant dévissable, il fallait quelque chose dans lequel pouvait s'écraser le couvercle sans l'endommager tout en gardant le tout super étanche. J'ai proposé à Gaétan l'utilisation d'un matériau très résistant qui sert au joint d'expansion sur les couvertures d'asphalte. Il a donc découpé dans un morceau le cercle qu'il lui fallait, et en graissant légèrement ce morceau, il est devenu bien étanche et résiste très bien à la chaleur et au froid, d'où son avantage.

La caméra et la pompe à vide, on y voit le deuxième dos près de la pompe!

Puis, pour être bien certain que le vide reste le même tout au long de la photo, on lui a fait poser un cadran sur la cuve dans laquelle on fait le vide. Les tests en laboratoire étaient très bien, nos vides restaient bien stables pendant plus d'une heure ce qui était au-delà de nos espérances.

Puis les tests à I'observatoire.

En 1986, en hiver, je teste pour la première fois la caméra à l'observatoire de Dorval, une pose de quelques minutes au 400 ASA et une plus courte, moins d'une minute. Ces poses m'ont convaincu du bon foyer que Gaétan nous avait calculé, car seul des tests en labo avaient été effectués jusque-là.

Un seul inconvénient majeur, la lentille pour le foyer ne nous permettait pas de voir l'image qui est devant la caméra, puisque son miroir est hors AXE (sur un bord). Puis un autre problème mineur, la caméra est imposante, son dos (cuve) est gros et assez pesant.

Le problème de poids de la caméra est rapidement réglé, on a fait un dos plus petit qui a moins du tiers du poids du premier et qui permet de mettre les pierres de la même façon. En ce qui concerne le besoin de voir où l'on regarde, Gaétan nous a bricolé un miroir mobile avec une autre lentille de visée. Ce miroir se place au centre de la caméra et se retire par un bras; la lentille de visée est ajustable selon la position du miroir de visée qui peut varier légèrement.

L'obturateur est un morceau d'aluminium dans lequel un rectangle, à la grandeur qu'il faut pour laisser passer la lumière sur tout le négatif, a été fait à une extrémité, donc en le poussant sur des rails on ferme ou on ouvre l'obturateur. Bien sûr, il nous faut utiliser une cache devant l'instrument avec lequel on fait la photo.

Un point sur lequel il nous faut faire des efforts dans le futur, c'est dans la manipulation de la caméra dans le noir. Pour toutes sortes de vérifications ou pour d'autres raisons techniques nous avons dû allumer les lumières près de la caméra, ce qui a fait des jets de lumière sur certaines de nos photos. Donc, il faut absolument la manipuler dans l'obscurité de l'observatoire ou avec la seule lumière ténue (sur la table de l'observatoire), plus question d'en approcher des lampes de poche.

Le film est déposé dans la tête de la caméra comme une caméra Schmidt, on coupe le film dans une chambre noire portative et on le pose sur la plaque, photo par photo. Donc on répète le geste à chaque photo. Le danger se trouve lors du pompage lorsqu'on vérifie la pression avec nos lampes, c'est là que l'on peut faire pénétrer sur le film des jets de lumière. Donc, attention!

Pour pomper l'air de la caméra, j'utilise une pompe à vide à la main. Cette petite pompe nous permet d'atteindre des vides de - 25 à - 26 en une minute et moins, et aussi elle nous permet de faire de l'exercice que l'on peut compenser en changeant de main à chaque film. J'avais une pompe en plastique, comme celle que l'on peut avoir avec les Kits d'hypersensibilisation. Elle s'est brisée rapidement et maintenant je m'en suis procuré une autre. Elle est en métal et bien plus robuste, elle est faite pour les mécaniciens et elle n'est pas plus grosse que l'autre et pas plus chère. Donc, attention au matériel qu'on se procure, assurez-vous qu'il soit bien résistant.

Pour la construction et pour sceller les joints, on a utilisé de la colle ABS en plus d'une colle caoutchoutée qui résiste à de fortes expansions à toutes les intempéries. Le verre optique est un verre protecteur de caméra qui a été enlevé de sa bague et pressé dans la colle élastique à jamais. Pour la plaque porte-film, un morceau de tableau électronique a fait l'affaire. Pour contenir les pierres, j'ai utilisé des boîtes de plastique pour les films que j'ai perforées, et dans lesquelles du papier de plomb perforé couvre toutes les parois, évitant le contact entre le plastique et les pierres, en plus il retient les poussières des pierres.

Puis vient le test des tests

D'après nous une telle caméra devrait normalement permettre à un film qui n'est pas activé de s'améliorer au niveau de la vitesse et même de la granulation. C'est pourquoi nous avons essayé avec du TMAX 400 ASA, des photos d'objets célestes dans le but de vérifier les améliorations apportées par la caméra. Dès les premières photos on voit l'amélioration du grain et de la vitesse du film. Donc cette caméra fait du film activé lors de la prise de vue. En vidant l'air, on améliore l'état du film puis par les pierres on le sèche et on le stabilise.

Par déduction, on peut comprendre que cette caméra devrait être capable de réactiver un film déjà activé, et trop longtemps après l'activation on sait que les films perdent lentement cette activation. La caméra

redonne aux vieux films une nouvelle vie et simplement en y mettant la bobine, comme dans une cuve à activer, pour laisser le vide et les pierres ranimer un peu le film. Puis après quelques heures on retire le film et il est prêt à servir rapidement. Bien sûr que l'on peut s'en servir dans la caméra spéciale tout en le réactivant, mais on peut s'en servir dans une caméra ordinaire aussi; la cuve servant de caisson seulement pour ranimer ce film.

Tout cela en valait-il la peine?

Regardons les résultats afin de répondre à cette question. Les premières photos que l'on retrouve sont celles du 7 mai 1988, sur 2415 activé et sur TMAX 400 ASA. On voit bien que nous avons des temps de poses courts et des résultats intéressants. Le 2415 = 11minutes de pose et les 400 ASA = 7 minutes. On voit qu'à ce moment-là, la manipulation avait égratigné les négatifs. Ces photos du 7 mai 1988 sont des agrandissements 11 X 14, de secteurs du négatif. Regardez la petitesse du grain et la précision des images stellaires.

Puis le 10 octobre 1988, d'autres essais, cette fois on vise Andromède (M31) dans une pose de 10 minutes. Le résultat est extraordinaire sur TMAX 400 ASA, comparé à une pose de 15 minutes 39 sec. le 3 juin 1985 sur 400 ASA avec le même instrument (5''F/5). Seul défaut, une petite entrée de lumière dans un coin de la photo lors des vérifications. Regardez l'étendue des gaz et la densité de NGC 205 sur la photo par notre caméra comparée à celle faite par une caméra ordinaire. Aussi une photo de M 11, dommage que le guidage ne soit pas bon. Là aussi, une entrée de lumière sur un coin. Malgré tout, regardez les gaz sur le fond du ciel en 9 minutes 30 sec. de pose. N'est-ce pas concluant?

Conclusion:

Non seulement notre caméra est efficace, mais il est certain que cela vaut la peine de continuer à tester et à améliorer ce genre d'expérience photographique. Il nous faut seulement bien contrôler les lumières environnantes lors des manipulations et effectuer de bons guidages. Cette caméra nous permet d'atteindre des magnitudes supplémentaires en peu de temps.

La méthode de prise de vue est la suivante: dans la chambre noire portative, il faut insérer le film sur la plaque porte-film, puis assembler la caméra dans laquelle les pierres sont tenues par la pression d'un élastique (ou autre chose) dans le dos de la caméra. Après on installe à la bague, le télé photo ou le convertisseur désiré. Puis un coup la caméra à l'instrument, on y joint la pompe à vide, puis on ouvre la valve et pompe le vide au maximum, puis on laisse le tout mijoter quelques minutes Ensuite, on vérifie si la pression est bien stable.

Si oui, on attend 15 minutes ou 30 minutes, afin que le film soit bien traité à son maximum. On a déjà, depuis le début, posé la cache devant l'appareil, notre étoile guide est trouvée. Si tout est bien normal et stable, la prise de photo peut commencer. D'abord on ouvre l'obturateur, sur rail, de la caméra tout en guidant puis quand l'instrument semble stable, c'est le moment de soulever (par l'avant ) la cache de l'instrument. On la laisse devant l'instrument sans qu'elle y touche, permettant au tout de cesser de vibrer. Puis lorsque stable, on retire la cache de devant l'instrument. Pour arrêter la pose on remet la cache devant l'instrument (que l'on recouvre totalement) et on referme l'obturateur de la caméra. On enlève le film de la caméra dans la chambre noire portative et on le dépose dans un récipient prévu à cette effet. Et on espère avoir réussi!

Mes collaborateurs de cette magnifique expérience sont Mario Emond et Gaétan Mailloux.
Pour les prises de vue: Marc Rhéaume, Sylvain St-Onge et moi-même Gilbert St-Onge.

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