L'histoire du T60

L'optique du T60 a été taillée par Emile Schaër vers 1910. Celui-ci a, à son actif, la construction d'un nombre considérable d'instruments, dont deux télescopes de 1 mètre et 5 miroirs de 60 cm. Sa spécialité était les télescopes Cassegrain avec miroir primaire très ouvert (jusqu'à f/2). Le 60 cm fut d'abord installé de 1913 à 1918 à Conches, près de Genève, chez U. Honegger Cuchet. Le télescope est ensuite acheté par Gentili di Giuseppe, gentilhomme et riche astronome amateur, qui l'installe à Buc (Seine et Oise).

Pour éviter les flexions, le miroir primaire étant très mince, Gentili dut construire un barillet comportant 12 leviers astatiques. Les performances semblent alors remarquables puisque Gentilli énumère: le compagnon de Sirius est visible ainsi que toutes les composantes sextuples de ? Orion, des taches polaires sont visibles sur les satellites de Jupiter !

Survint la seconde guerre mondiale, et la famille Gentili d'origine israélite dut quitter la capitale, le fils Marcel se réfugiant à partir de 1942 à l'observatoire du Pic-du-Midi. Plus tard après les hostilités en 1946, en remerciement de ces années d'exil au Pic, Marcel Gentili fit don de son télescope et de sa coupole à l'Observatoire.


Marcel Gentili photographié au Pic du Midi (Point de Vue-Images du monde n°255 - 23 avril 1953)

Ce sera alors le plus gros télescope du Pic, égal en diamètre avec la lunette réfracto-coudée de la coupole Baillaud (du reste l'histoire scientifique de l'Observatoire ne retiendra que les superbes images planétaires de cette fameuse lunette de 60 cm utilisée par Lyot, Hugon, Camichel, Dollfus, Gentili).

Le tube en bois du T60 de forme octogonale. Remarquer la configuration Cassegrain. Quelques pièces mécaniques toujours utilisées de nos jours sont reconnaissables tels le secteur denté, son système de vis sans fin, le cercle d'alpha (on en voit juste une partie derrière le pilier), le cercle de delta, le barillet (document Alix. Collection F.Vaissière). 


Le premier T60 possédait un tube octogonal en bois. Il a servi principalement à des observations visuelles. Le rapport focal de son foyer Cassegrain était de 15 (focale de 9 mètres).  Voici ce que Marcel Gentili disait dans son livret "l'Observatoire du Pic du Midi", première édition 1948, destiné aux touristes : "Au premier étage, un escalier assez raide mène à la nouvelle coupole qui a été installée en 1947; elle a 5 m. de diamètre et est construite assez légèrement; on peut la tourner sans aucune peine, à la manivelle ou avec un moteur; elle abrite un télescope - instrument à miroir primaire, très lumineux, de 60 cm. de diamètre et de 2,10 m. de distance focale. La monture est du type à fourche; tournant sur des paliers à billes, elle est très maniable. Le mouvement d'horlogerie est électrique. L'instrument est utilisé pour faire des photographies de nébuleuses, de comètes, etc."


Le Pic-du-Midi dans les années 1950. On aperçoit au premier plan le télescope de 60 cm dans sa coupole originelle (document Alix. Collection F.Vaissière).

Dans les années 55 il fut équipé avec un photomètre dont la cellule comportait aussi un multiplicateur d'électrons, c'était alors le nec ultra de l'époque.

En 1963, lors de l'installation du T1M, le télescope de 60 cm sera déplacé dans une nouvelle coupole très étroite sur la terrasse sud. De nos jours la coupole Gentili (d'origine) abrite le télescope de 1 mètre. Durant cette période, l'instrument subit d'importantes modifications, en particulier la monture et le tube sont entièrement reconstruits, Le télescope subit aussi un certain "pillage" puisque le miroir secondaire Cassegrain disparaît ainsi que le dispositif qui permettait de le translater afin de réaliser la mise au point. Après adjonction d'un miroir plan, le télescope qui était jusqu'à alors du type Cassegrain, devient du type Newton. Son rapport focal passe alors à 3,5 ce qui en fait un instrument très lumineux, servant à l'étude des nébuleuses extragalactiques.


Au premier plan la coupole du T60 au pied du télescope de 1 mètre en 1995, peu avant la fermeture. La porte donnant sur la terrasse, souvent enneigée par une énorme congère, était appelée familièrement "porte du Yéti". C'était le point de départ d'un tunnel sous la neige qui menait à l'air libre en hiver.

Le 60 cm a été délaissé par les professionnels après la construction du télescope de 2 mètres. Depuis 1982, les amateurs peuvent utiliser le T60 grâce à l'ouverture d'esprit des équipes de l'OPMT, et en particulier du Directeur de l'Observatoire d'alors : Jean-Paul ZAHN. Un comité des programmes est alors instauré. Il est constitué d'un représentant de l'Observatoire et des représentants des principales associations d'astronomie amateur. Ce comité attribue le temps de télescope par période de 4 mois. Un Groupe de Soutien Technique est également créé. Il a pour charge la maintenance et l'amélioration de l'instrument.

La première mission amateur se déroule en août 1982. Suit une période probatoire qui va permettre de répondre à deux questions essentielles. La promiscuité entre les utilisateurs du Pic (chercheurs et techniciens) est-elle viable ? Existe-t-il une population d´astronomes amateurs intéressés par le Pic, acceptant la règle d´une démarche scientifique minimum ? Au bout de quelques mois les réponses à ces deux questions tombent : elles sont positives. Le temps vient alors de constituer une structure gérant l´opération. L´Association T60 est créée le 9 Septembre 1985. Elle a pour charge de promouvoir l´opération et d´en assurer la gestion. Son but est de promouvoir l'opération T60 en permettant à un maximum d'amateurs d'accéder au télescope et à un site exceptionnel. L'objectif de l'AT60 est d'améliorer constamment l'instrument, de le doter d'équipements scientifiques annexes à demeure et bien entendu, de trouver les financements nécessaires à la poursuite de l'opération.

L´association T60 a rapidement trouvé sa place grâce au concours des quatre grandes associations d´astronomes amateurs : la Société Astronomique de France, l´Association Française d´Astronomie, l´Association Nationale Sciences Techniques Jeunesse et la Société d´Astronomie Populaire. Cette opération, sans équivalent dans le monde, a permis d´établir des contacts fructueux entre les astronomes professionnels et amateurs. De nombreux astronomes professionnels ont d´ailleurs fait leurs premières armes avec le T60 !


Le T60 dans les années 90.

Les missions se suivent au Pic à un rythme régulier. A un groupe constitué d'un professeur de collège emmenant en ce lieu mythique quelques élèves privilégiés, succède une mission de club pour effectuer une mission "pointue". Plusieurs résultats font l'objet de publications dans des revues professionnelles comme Nature et Astronomy and Astrophysics. C'est au T60 qu'a été mise en oeuvre la première caméra CCD amateur au monde en 1985 et la première supernova amateur détectée au T60 avec une caméra électronique en 1990.


La première caméra CCD amateur de l'histoire sur le T60 en 1985.


Les toutes dernières image amateur du siècle de la comète de Halley faites sur le 60 cm entre le 18 et le 19 février 1991 alors que l'astre n'était plus qu'une pâle nébulosité de magnitude 22.


Le 3 juillet 1989, le satellite Titan de la planète Saturne passe devant l'étoile 28 Sagittaire. L'étoile disparaît durant 5 minutes derrière le satellite. L'événement est observé au T60 par des amateurs grâce à une caméra CCD (la courbe noté E). Les autres courbes proviennent d'observateurs professionnels.


La première supernova découverte par des amateurs avec un capteur électronique dans la galaxie NGC 4639 (T60 - juin 1990).


Le spectrographe du T60. Ce puissant instrument entièrement réalisé par des amateurs a permis d'obtenir des résultats de qualité professionnelle.

Dès 1993, l'AT60 subit les conséquences des contraintes budgétaires qui s'abattent sur l'observatoire du Pic du Midi. En particulier, la réduction du personnel d'intendance au Pic impose un système de quota qui va malheureusement se traduire par de nombreuses annulations "sauvages" de missions amateurs. Pendant deux hivers aucune mission ne peut se dérouler au T60. Cette période d'incertitude rend la gestion de l'AT60 extrêmement délicate. A cette époque, l'Observatoire Midi-Pyrénées élabore avec les collectivités locales le projet Pic2000 qui vise d'une part une réfection profonde des locaux du secteur scientifique et d'autre part à la création d'un pôle touristique. Le chantier du nouveau Pic débute en 1996. L'opération T60 cesse alors, mais ce nouveau départ annoncé pour le Pic est aussi une chance qu'il faut saisir. Durant plusieurs années des amateurs se battent pour que l'opération T60 renaisse dans le Pic rénové. La clairvoyance de la direction de l'Observatoire Midi-Pyrénées rend cela possible. La coupole du T60 est déplacée de quelques dizaines de mètres vers l'ouest sur la terrasse sud. Un petit laboratoire la jouxte pour les observateurs.


La face sud de l'observatoire en 1997 lors des grands travaux. La structure de la coupole du T60 est visible au premier plan (image Maxime Muller).


Cette photographie montre l'ampleur des travaux en 1997. Le coupole du T60 est déposée dans sa nouvelle localisation sur le terrasse sud (image Maxime Muller). 


Le T60 en pièces détachées !

Une nouvelle convention est signée entre l'AT60 et l'OMP au début de 2002 et des missions amateurs sont programmées pour l'été 2002. Simultanément le Groupe de Soutien Technique se reconstitue. Celui-ci, très actif, apporte des modifications profondes au télescope, comme un maintien du miroir primaire efficace. Grâce à ce bénévolat le télescope devient moderne et des dons permettent de notamment l'équiper de l'informatique nécessaire. Bien du travail reste à faire, en particulier sur l'instrumentation focale, mais tout est prêt dorénavant pour faire des observations superbes sous le ciel du Pic du Midi.


2002 : une nouvelle vie pour le T60.

Des membres du GST au travail : Jean Montanné et Franck Vaissière.

Robert Soubie, roi des codeurs, essayant le nouveau cache du tube


Pierre Thierry et Philippe Dupouy étudiant la nouvelle fixation du miroir secondaire


Phillipe Dupouy dans son observatoire de Dax a eu la délicate tâche de refaire le barillet du T60


Au fond, Pierre Thierry et Philippe Dupouy sèchent sur les plans du T60 alors qu'à l'avant-plan, Jean Montanné, Christian Buil et Robert Delmas s'acharnent sur un modèle de spectrographe qui pourra un jour équiper le T60.