Testez vos optiques : Le contraste de phase
[Cet article est paru initialement dans la revue PULSAR n° 741]
 

Le contraste de phase est une méthode mise au point, entre autres, par Bernard Lyot, qui pour ses coronographes avait besoin d’objectifs présentant le moins de diffusion possible. Jean Texereau l’a utilisée et décrite en 1950 pour démontrer la supériorité des polissoirs en poix sur les autres types d’outil [1].

Pour l’astronome amateur, c’est un moyen d’en savoir plus sur la qualité et les performances attendues de son optique.
 

Un bref rappel des critères de l’optique astronomique

La qualité d’une image dépend de la résolution et du contraste autorisés par l’optique. Le défaut de forme le plus important mesuré sur l’onde ne doit pas excéder lambda/4 (critère de Rayleigh) et l’ensemble des rayons issus de l’objectif doivent converger à l’intérieur de la tache de diffraction (critère de Couder). Mais on montre également que le contraste commence à se dégrader dès que les défauts de forme dépassent lambda/16. C’est le critère de Françon [2]. Le fait de s’intéresser à ce dernier critère doit nécessairement nous amener à considérer les autres aspects de la surface optique qui influencent le contraste des images. L’état de la surface optique est donc tout aussi important que sa forme.
 

L’état de surface à très petite échelle

La surface d’un miroir est un objet physique d’une extrême complexité. Il en va de même pour l’onde réfléchie par ce miroir. Le nombre traditionnellement exprimé en « lambda » ne traduit cette réalité complexe que de manière incomplète. Si la forme générale du miroir (les fameux lambdas !) a une influence sur le contraste et la définition des images, un autre aspect de la réalité ne doit pas être négligé : il s’agit de l’état de surface à très petite échelle.

A l’échelle d’une amplitude de quelques angströms, une surface optique se présente comme un réseau de petits défauts plus ou moins périodiques : c’est le micromamelonnage qui recouvre la totalité de la surface. Le micromamelonnage est dû à la technique de polissage, il est toujours présent, même s’il peut être considérablement réduit (emploi de l’opaline et d’une poix plutôt molle, avec une action suffisamment régulière et prolongée).

Affectée de micromamelonnage, la surface optique agit comme un réseau de diffraction, c’est à dire qu’une fraction non négligeable de l’onde réfléchie est diffractée bien en dehors de la tache d’Airy. Cette lumière diffractée est perçue par l’observateur comme de la « diffusion » et nuit donc fortement au contraste. Vous avez peut être déjà été confronté à cette diffusion : par une nuit transparente, avec un oculaire bien propre, Jupiter est entourée d’une sorte de halo (deux fois et demi le diamètre apparent de la planète). Vous avez même pu y trouver un côté « pratique » : Jupiter semble s’annoncer avant d’entrer dans le champ… Votre optique présente alors un fort micromamelonnage. Bien entendu, et c’est plus gênant, les détails les plus fins accessibles théoriquement par l’instrument sont noyés dans la diffusion. Conclusion : les efforts de l’ opticien pour « pousser » la précision de la forme sont ruinés par l’état de surface désastreux de l’instrument. Il est rare de voir figurer l’état de surface comme argument commercial. Pourtant c’est une donnée objective tout aussi importante que la précision en lambda.

Si les principaux défauts de forme (aberration de sphéricité, zonage, astigmatisme, etc) et de surface (gris, rayures, filandres, mamelonnage) sont accessibles au test de Foucault (pour peu que la source lumineuse soit suffisamment intense), le micromamelonnage n’est accessible que par le test du contraste de phase.
 

Principe du test
 
 
Fig. 1 : Schéma de principe du contraste de phase. Pour simplifier la figure, la source lumineuse de l’appareil de Foucault n’a pas été représentée.
 

Considérons un point P du miroir (figure 1) . L'onde lumineuse issu de celui-ci peut être décomposée en deux : une composante due à la réflexion du miroir (trait gras), une autre due à la diffusion par diffraction sur les défauts du type micromamelonnage (en pointillés). La diffusion s'effectue dans un angle solide relativement important (cône en pointillé) alors que la réflexion s'effectue selon la loi de Descartes. La composante de réflexion a une intensité bien plus importante que celle de la diffusion et est déphasée par rapport à cette dernière de lambda/4.
 

La lame de phase a deux effets sur la composante de réflexion : elle atténue considérablement son intensité de manière à la ramener dans l'ordre de grandeur de l'intensité de la diffusion (quelques millièmes de la composante réfléchie), et elle la déphase de lambda/4.
 

Un dispositif imageur (l’œil ou un objectif photographique) fait converger les deux ondes au point image P'. L'intensité du point image est le résultat de l'interférence des deux ondes. Si les deux ondes sont en phase (déphasage de lambda/4 - lambda/4 = 0) le point est brillant. Si les deux ondes sont en opposition de phase (déphasage de lambda/4 + lambda/4 = lambda/2) le point est sombre. Les défauts responsables de la diffusion par diffraction apparaissent ainsi par contraste.


 

Fabrication de la lame de phase

Les professionnels utilisent une lame de verre dont une bande large d’environ 0,4 mm a été semi-aluminée.
Les amateurs peuvent réaliser une lame de phase dite « de compétition » à l’aide du matériel suivant :

· Du papier type « Canson » noir
· De l’adhésif ou du papier blanc
· Un boîtier photo muni d’un objectif (50 mm ou approchant) chargé avec du TP2415, sur trépied.

Procédure à suivre : coller une bande de papier blanc  (ou de l’adhésif) sur le Canson noir (figure 2) et photographier ce « positif » (figure 3). Développer le négatif. C’est tout.
Bien sûr, il faut faire plusieurs essais avec des vitesses d’obturation différentes : ne pas hésiter à griller une bobine complète !

Nous avons obtenu des lames qui présentent entière satisfaction en photographiant une grande feuille noire (type "Canson" 50x65cm) au milieu de laquelle a collé une bande blanche de 8 mm de largeur. Distance : 1,6 m pour un objectif de 80 mm.
Chacun peut adapter cette procédure à son propre matériel sans aucune difficulté. La seule contrainte est que la petite bande noire sur le négatif doit avoir une largeur de 0,4 mm environ (figure 4). Sa densité doit être comprise entre 2 et 3 (elle atténue entre 100 et 1000 fois la lumière, l’idéal est autour de 200 fois). Il faudra bien entendu fabriquer plusieurs lames à partir du même film et faire des essais.

Développer le TP avec du HC110 (dilution B : 1+9) 12 minutes à 20°C pour un maximum de contraste entre la bande et le fond.

Pour rendre la lame bien plane, on peut l’intercaler dans un cadre de diapositive, ou mieux, la coincer entre deux lames de microscope (figure 5).
 
 
Fig. 2 : Fabriquer un « positif » en collant une bande de papier blanc (largeur 8 mm) sur une feuille noire (50x 65 cm). Fig. 3 : Photographier le positif à une distance de 1,6 m (pour un objectif de 80 mm). Utiliser la lumière naturelle (pas de flash pour éviter les reflets). Faire varier les temps de pose autour de celui indiqué par la cellule. Pour que la lame ait une largeur de 0,4 mm, on doit respecter la relation suivante : (largeur de la bande sur le positif) X (focale de l’objectif) = 0,4 X (distance de prise de vue)

 
 
Fig. 4 : Développer le TP avec du HC110 (dilution B : 1+9) 12 minutes à 20°C pour un maximum de contraste entre la bande et le fond. Découper les bouts de négatif : autant de lames de phase à essayer ! Sur chaque négatif, la bande sombre a une largeur d’environ 0,4 mm. Fig.  5 : La négatif est coincé entre deux lames de microscope. La lame de phase est prête pour les tests.

 
 
 

Pratique du test

Il faut un appareil de Foucault. De très bons livres expliquent comment en réaliser un facilement et à peu de frais [3][4]. Plus la source de lumière est intense, mieux c’est pour ce genre de test, surtout si le miroir n’est pas aluminé. Mais nous avons fait des essais concluants avec une petite ampoule tout à fait conventionnelle et un miroir aluminé. Il vaut mieux pratiquer dans l’obscurité (maximum de contraste), avec le dos du miroir complètement obturé.

Remplacer le couteau du Foucault par la lame de phase. En jouant sur les réglages de chariot, intercepter l’image de la fente avec la petite bande sombre de la lame. L’aspect du miroir observé en plaçant l’œil juste derrière la lame doit être , selon l’amplitude des défauts, celui des figures 6, 7 ou 10.

En actionnant les mouvements du chariot, on peut modifier cette image. L’aspect de surface du miroir est visible dans la partie sombre. Cet aspect doit être le plus homogène possible. Si les défauts semblent être amplifiés sur deux zones, c’est le signe que les bords de la lame jouent le rôle de couteau de foucault. Ce que l’on observe alors est une combinaison des défauts de petite amplitude (micromamelonnage) et de la déformation à grande échelle du miroir (parabole). Il faut actionner le tirage pour faire disparaître cette image et la rendre la plus « plate » possible.

Cliquez sur les images pour les agrandir
Fig. 6 : Test de notre miroir de 460 mm avant retouche. Micromamelonnage de plusieurs dizaines d’Angströms. Fabrication Cardoen.
Fig. 7 : Test du 460 après retouche indépendante. Résidu de micromamelonnage de quelques Angströms seulement.
Fig. 8 et fig. 9 : Notre miroir n’était pas un cas isolé ! Miroirs de 600 mm, fabrication Cardoen.
Fig. 9
Fig. 10 : Pas de monopole… Optique Torus de 500 mm.

Tableau 1 : paramètres des clichés (figures 6 et 7)


Source  Halogène 150 W par fibre optique
Fente de 30 mm
Lame de phase Densité = 2,16 Largeur = 0,4 mm
Temps de pose 30 s
Dispositif imageur Objectif photographique de 300 mm de focale; F/D = 5,6
Film  TP 2415
Développement Révélateur HC 110 ; 12 minutes à 20°C

 

Le micromamelonnage va peut-être vous sauter aux yeux, sous forme de petites zones très contrastées. Si ce n’est pas le cas, ne pas se réjouir trop vite : c’est peut être que la densité de la lame n’est pas optimisée. Faire d’autres essais avec les autres lames. L’idéal serait de disposer d’un micro-densitomètre. A défaut, il faut tester plusieurs lames avec des miroirs différents.

On peut évidemment faire des photos : utiliser du TP 2415, avec un appareil muni d’un téléobjectif de 300 (afin que l’image du miroir soit suffisamment grande sur le négatif) et placé sur un trépied directement derrière la lame. Pour faire la mise au point derrière le viseur, s’aider des franges d’interférence (bien visibles sur la figure 7). Varier les temps de pose (qui peuvent être de quelques secondes à environ une minute en fonction de la densité de la lame et de l’intensité de la source. Là encore, ne pas hésiter à griller de la pellicule.
 
 

Tout cela ne doit pas vous affoler, on finit toujours par obtenir des résultats. Et il n’est malheureusement pas très difficile de trouver un miroir où le micromamelonnage se voit bien… (fig. 6 et fig. 8-9-10).

Il est relativement aisé de se faire une idée de l’état de surface d’une optique et il ne faut pas s’en priver : les moyens à mettre en œuvre sont très modestes pour mettre en évidence ces défauts de quelques angströms qui influencent de manière aussi importante la qualité des images !

Frédéric et Patrick Lequèvre
www.astrosurf.com/tests/
tests@astrosurf.com
 

Remerciement

Nous remercions David Vernet du Collège de France pour nous avoir initié au contraste de phase.
 

Références

[1] J. TEXEREAU - Les principaux défauts réels des surfaces optiques engendrées par différentes techniques de polissage. Ciel et Terre n°3-4, mars-avril 1950,
p. 57.

Vous pouvez télécharger cette référence à l’adresse suivante : www.astrosurf.com/tests/biblio/contrast.zip

[2] S. DEBRUYNE, D. VERNET - Qualité optique et grands diamètres : vérifiez avant d'acheter ! L'astronomie, Vol. 112 - janvier 1998.
(voir aussi : www.astrosurf.org/altaz/qualitoptique.htm)

[3] J. TEXEREAU - La construction du télescope d'amateur 2ème édition. Société Astronomique de France, 1961.

[4] J.-M. LECLEIRE - Réalisez votre télescope. Lecleire, 1997.

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