Irons-nous un jour sur Mars ? Coloniserons-nous un jour Mars ?
Deux ouvrages récents et un plus ancien m’ont aidé à me forger une opinion.
Tout d’abord, « Dernières nouvelles de Mars », de Francis Rocard, chez Flammarion.
Ensuite, « Nous ne vivrons pas sur Mars, ni ailleurs » de Sylvia Ekström et Javier G.Nombela, Editions Favre, Lausanne.
Enfin, plus ancien, « Embarquement pour Mars, 20 défis à relever », JF.Pellerin, R.Heidmann, A.Souchier, Association Planète Mars, chez A2C Medias.
Le premier fait une synthèse neutre-favorable de l’état de préparation technologique et humain pour un vol vers Mars et une éventuelle installation permanente. Après une rapide histoire de Mars, il passe en revue, les architectures de missions habitées, les défis à relever, les conditions financières et politiques.
Le second ouvrage, vous l’aurez compris à son titre, expose toutes les bonnes raisons qui font que peut-être bien nous n’irons pas sur Mars, qu’en tout cas nous ne nous y installerons pas et encore moins ne coloniserons la planète rouge. Le livre s’ouvre sur une histoire de la Terre, très bienvenue, qui nous rappelle quelles conditions particulières y ont permis le développement d’une vie intelligente (je n’ouvre pas le débat ici de ce que sait qu’une vie intelligente…). Pour le dire en quelques mots, deux circonstances clés, qui ne se retrouvent pas sur Mars, ont permis notre arrivée sur la scène cosmique, au bout de 4,5 milliards d’années : la Terre est dotée d’une atmosphère (dense) et d’une magnétosphère. Puis sont passées en revue les difficultés du voyage, et difficultés est un euphémisme. Enfin, l’ouvrage expose en quoi l’être humain est fait pour vivre sur la Terre, et pas ailleurs, avec des arguments assez robustes. Une intéressante solution au paradoxe de Fermi est proposée.
Enfin, le troisième livre est farouche partisan du voyage vers Mars, dont il examine de manière détaillée les justifications, les difficultés, les solutions envisageables. Analyses fouillées, datant un peu maintenant.
Trois bouquins que je recommande.
Avertissement : je ne suis pas un expert du sujet, juste un amateur de longue date, donc je vais exprimer une opinion, basée sur mes lectures et mes réflexions, que l’on peut contredire autant que l’on veut, mais l’injure n’est pas nécessaire, ni les tomates, ni les boulets rouges. J’enfoncerai sans doute des portes ouvertes connues de beaucoup d’astrosurfeurs, tant pis, je me risque.
Je vais être long, prenez votre élan, c’est parti ! Et ensuite à vos remarques, commentaires, contestations !
Finalement, pourquoi est-il difficile d’aller sur Mars et d’y vivre ? Pour résumer : Mars, c’est loin et c’est invivable. Et d’autres détails pas simples…
Passons en revue les barrières qui se dressent devant le futur explorateur de Mars et qui sont à lever pour tenter l’aventure.
Barrières techniques
1. L’atterrissage sur Mars de vaisseaux de plusieurs dizaines de tonnes
Remarque liminaire : on évitera le vocable « amarsissage » utilisé malheureusement dans le deuxième ouvrage, vocable qui n’a pas lieu d’être. Si on accepte le terme alunissage (en français) par habitude historique, les Venera n’ont pas avenussi, Huygens n’a pas atitanni, Philae n’a pas Chouriumov-Gerasimenkossi… ils se sont posés sur un terrain, ils ont atterri. En anglais on dit « landing » et ça simplifie bien.
Jusqu’à maintenant, la masse maximale posée en douceur sur Mars est celle de Curiosity et de Perseverance, une bonne tonne (métrique of course). Avec recours au freinage atmosphérique par bouclier d’abord, par parachute ensuite et freinage final par rétrofusée.
La masse du module d’atterrissage habité peut être évaluée à 30 à 60 tonnes. Les modules d’habitation longue durée et le MAV (Mars Ascent vehicle) ne seront pas beaucoup moins massifs.
Passer à d’une tonne à 30 à 60 tonnes, aujourd’hui on ne sait pas faire. Pas simple de transformer les 7 minutes de terreur pour une tonne de charge utile inhabitée en 7 minutes sereines pour 30 tonnes de charge utile habitée.
Il faudra aussi choisir entre l’entrée directe comme les derniers rovers américains ou la mise en orbite préalable pour prendre son temps avant la descente, comme le rover chinois. Le coût en ergols n’est pas le même, bien sûr, que l’on fasse de l’aérocapture (attention à la modélisation fiable de l’atmosphère au jour de l’arrivée !) ou seulement du freinage propulsif.
Faire atterrir plusieurs modules plus petits ? Oui, mais il faut quand même viser la dizaine de tonnes. Et aussi faire atterrir tout ce beau monde de manière ultra précise, pas trop loin mais pas trop près, et disposer des moyens de manutention pour réunir les modules entre eux, si ce sont des modules d’habitation.
Tout ça, aujourd’hui on ne sait pas faire.
Oui, mais dans quelque temps on saura faire, peut-être ?
Oui, d’accord, mais c’est une très grosse barrière, qui sera très difficile à lever, ça prendra beaucoup de temps, ce sera très risqué et aussi très coûteux !
2. La fiabilité longue durée du matériel de transport
Deux types de mission sont envisagées aujourd’hui, en fonction des positions respectives de la Terre et de Mars, avec une trajectoire selon l’orbite de Hohmann (tangente aux orbites de la planète de départ et de la planète d’arrivée) :
1. Scenario de conjonction : 180 jours de voyage aller, 550 jours sur place, 180 jours de voyage retour ; au total 910 jours soit deux ans et demi ;
2. Scenario d’opposition : 180 jours de voyage aller, 30 jours sur place, 430 jours de voyage retour avec assistance gravitationnelle de Venus, soit au total 690 jours, soit un peu moins de deux ans
Ceci avec les moyens de propulsion actuels. C’est bien long tout ça, avec des conséquences multiples, nous y reviendrons. Certains disent qu’ils sauraient y aller en deux fois moins de temps, mais on attend des démonstrations, annoncer c’est facile.
Mais restons sur la fiabilité du matériel. Pas question de grosses réparations, pas de changements de panneaux solaires (s’il y en a), pas de changement du générateur d’électricité type RTG (s’il y en a, au bout d’une longue perche !) s’il tombe en panne. Plusieurs générateurs pour la redondance ? Certes… Mais de la masse en plus.
La réparation d’une fuite d’air ? Oui si elle n’est pas trop grosse. Et le système ECLSS (Environmental Control and Life Support System ?! Pas intérêt à baisser de régime celui-ci ! Le choix des pièces détachées à emporter ?? Lesquelles on prend ? On les fabriquera en impression 3D me direz-vous ? Certes, mais pas toutes.
Plus de deux ans de fonctionnement sans pépin… Aujourd’hui on ne sait pas faire pour un vaisseau habité. Pour les Voyager, les Rosetta et autres Cassini, oui. Mais maintenir un équipage en vie suppose des systèmes beaucoup plus complexes.
Nous avons l’exemple de l’ISS. Oui, mais dans l’ISS, 30 à 40% (au minimum du minimum) du temps est passé à la maintenance du machin, avec des pièces détachées qu’on reçoit tous les deux mois et des EVAs pour changer les batteries, les panneaux solaires, les pompes et systèmes électriques divers. Facile les EVAs à l’abri de la magnétosphère, d’ailleurs.
L’ISS n’a pas été prévue pour fonctionner deux ans sans réparation, me direz-vous. Certes, certes. Mais il reste à concevoir, ce vaisseau dont aucune pièce essentielle ne tombe en panne, pendant deux ans. Sans ajouter que si ça barde sur l’ISS on redescend en quelques heures. Vers Mars, on ne redescend pas, on continue à fond la caisse.
On pourra avoir quelques équipements en redondance. L’angoisse quand on passe sur le troisième et dernier appareil de renouvellement et purification de l’air, je vous dis pas. Mais redondance dit masse…
La fiabilité dans la durée du moyen de transport, une belle barrière à lever.
3. La base martienne et des moyens d’exploration
Pendant 30 jours ou 550 jours selon le scenario on travaille à la surface de Mars, dans une base qui devra être plus grande que le module de descente dans l’hypothèse 550 jours. Dans ce cas elle aura dû être installée avant l’arrivée de l’équipage, ou au moins pré-positionné pour assemblage final et mise en route. Pas droit à l’erreur. Pas impossible, mais il faut avoir répété un paquet de fois cet assemblage pour atteindre un bon degré de confiance.
D’autres problèmes surgissent.
Résister à la poussière très abrasive, par exemple. La porte extérieure du sas du module d’habitation ne ferme plus bien car quelques allers-venues ont fait rentrer du régolithe qui a bouffé les joints ? Et ben si plus de sas étanche on est foutu. Vous me direz : sur la Lune, ils ont su faire et le régolithe lunaire est abrasif aussi. Oui, mais pendant trois jours.
La production d’énergie lâche gravement ? On est foutu.
Une belle tempête diminue de 80% la production d’électricité pendant 6 mois ? On est foutu.
Une ‘tite fuite dans un réservoir d’oxygène ou d’azote ? On est foutu.
La production d’eau flanche ? On est foutu.
Et le scaphandre ? Trois EVAs sur la Lune, ça passe, mais trente, quarante, cinquante sur Mars, il faudra que ça tienne ! Alors qu’on sait à peine encore faire des scaphandres lunaires…
Et le rover habitable ? Faudra-t-il comme sur la Lune rester à portée de retour à pied ? Ou avoir un deuxième rover de secours ? Et là aussi il faudra que les sas ne flanchent pas.
Et les toilettes ? Si elles flanchent, ce sera l’enfer…
Une fiabilité à toute épreuve sur tous les systèmes pendant deux ans et demi, sinon on est foutu.
Aujourd’hui on ne sait pas faire.
4. La production d’énergie sur place
A priori deux hypothèses :
- Des panneaux solaires alimentant de jour des batteries ; il faudrait atteindre la centaine de kW et balayer régulièrement
- Une centrale nucléaire, là il faudrait atteindre 40 kW (puisque la puissance est permanente) ; est-ce à la portée d’un « simple » RTG ?
Des panneaux solaires, l’ISS en a, mais pour fonctionnement en apesanteur, à 150 millions de km du soleil. Une plateforme de panneaux solaires au sol, à 220 millions de km de la source de lumière, c’est une technologie plus compliquée et ça pèse plus lourd… A déployer automatiquement près de la base habitable avant l’arrivée de l’équipage ? Ou à déployer par l’équipage à la main quelques jours après l’arrivée ? Pourvu que tout se passe bien pour l’installation.
Et un mini réacteur nucléaire ? Il en faudrait des kg de matériel radioactif…et une belle miniaturisation. Mais on y travaille aux Etats-Unis, un projet appelé KRUSTY.
Une barrière que l’on peut lever, mais pas simple quand même.
5. La patience du MAV
Pendant que le vaisseau de retour attend en orbite, pendant que les explorateurs explorent, le Mars Ascent Vehicle attend sagement son heure. Depuis des mois éventuellement, s’il s’est posé en avance (donc c’est aussi un atterrisseur) – et précisément où on voulait- avec une unité de fabrication d’oxygène à utiliser comme ergol sous forme liquide, en combinaison avec du méthane liquide. C’est du moins une des hypothèses.
Il faut donc que mois après mois après mois, soumis aux rigueurs de la météo martienne, ce MAV reste sous surveillance et en état de démarrer ses moteurs au jour dit, sans défaillance. Mon père disait souvent « une voiture qui ne roule pas s’abîme ». Un steward d’Air France m’a dit un jour « un avion qui reste trois jours sans voler s’abîme ». Une fusée pour le retour en orbite martienne devra passer des mois sans rien faire mais sans se dégrader. Sait-on faire aujourd’hui, en dehors des Soyouz et des Dragons qui attendent six mois ? Pas à ma connaissance.
Et son lancement, en autonomie complète ? Quand on voit les consoles alignées dans les « Mission Control » pour mettre en orbite une capsule habitée depuis la Terre, on se dit que faire la même chose en autonomie totale (il ne faut pas compter, bien sûr, sur une assistance « en direct » quand on est à un bon nombre de minutes-lumière de distance) n’est pas encore à notre portée.
6. La machine à laver
Un truc tout bête ! Dans l’ISS, pas de problème pour balancer dans la poubelle de retour les vêtements sales et en recevoir des propres par le prochain vaisseau cargo. Là on emporte des rechanges pour deux ans, on jette par la fenêtre au fur et à mesure pour s’alléger ? Ou bien on met au point une machine à laver ?
Bon, voici une barrière qu’on saura lever (laver ? 😉), sans doute, mais elle coûte en masse, d’une façon ou d’une autre.
Barrières physiologiques
1. Les radiations diverses et variées
Cette barrière-là, elle est carrément lourde.
Si la vie s’est développée sur Terre, c’est que le sol est bien protégé par l’atmosphère et par la magnétosphère du vent solaire et des rayons cosmiques(électrons, protons, noyaux d’Helium, rayons gamma, X, UV, … à des vitesses relativistes pour les particules venant du reste de l’Univers).
Pour un voyage Terre-Lune, ça va, c’est court, ça se supporte sans grave conséquence.
Pour un aller-retour Terre-Mars et un séjour sur Mars (sans atmosphère digne de ce nom et sans magnétosphère), c’est une autre histoire ! Deux ans exposés à ces rayonnements diversement délétères, ouf !
La conséquence sur la santé ? Le risque élevé d’apparition de cancers à plus ou moins long terme.
Les parades ? Prendre de vieux astronautes, dont l’espérance de vie ne donnera peut-être pas le temps à un cancer de se développer ? Installer des protections ? Oui, il faut des masses de plomb (80 cm d’épaisseur) ou des masses d’eau à certains endroits du vaisseau et s’y réfugier en cas d’éruption solaire ou de temps en temps pour diminuer la dose de rayons cosmiques. Et dès qu’on dit « masse », ça plombe la conversation car coûte cher en tout ensuite !
Quant à un écran électromagnétique, on ne sait pas encore faire.
Sur Mars, on peut toujours enterrer l’habitat. Sympa, faire tout le trajet dans une boite de conserve pour aller s’enterrer ensuite dans un tube de lave…
Sur cette barrière, pas de solution claire aujourd’hui. Et elle est lourde celle-ci.
Sauf que les Américains envisagent d’augmenter la dose légale admissible. Un moyen de résoudre la question… un peu facile.
Quant aux chinois, il sauraient désigner des volontaires pour démontrer la supériorité de la technologie communiste…
2. Les micrométéorites
On ne s’y attardera pas, ce serait « pas de chance », mais ça peut arriver !
3. Les dégâts de l’apesanteur prolongée : en forme à l’arrivée ?
Après six mois dans l’ISS, à l’arrivée au sol, nos cosmonautes ne sortent pas tout seuls de leur capsule, il faut les mettre sur un joli transat bleu dans les steppes du Kazakhstan et ils ont du mal à tenir le téléphone pour parler au Président. Le retour en Soyouz est un peu rude, paraît-il…
Et en Crew Dragon ? Ben on ne sait pas car le flux video a été coupé au retour de Crew-1 juste après la sortie triomphante du commandant. On a vu une civière arriver mais on n’a pas vu la sortie des trois autres astronautes. Transparence, j’écris ton nom.
En tout cas, malgré les deux heures quotidiennes de vélo ou de tapis roulant, au bout de six mois en apesanteur, on n’est pas glorieux même avec des assistants attentionnés autour, même avec des caméras qui vous incitent à faire bonne figure. La récupération complète de sa forme initiale prend six mois à un an… Il y a eu perte de masse musculaire et osseuse, impact sur le cœur, qui devient paresseux, sur la vision et j’en oublie.
Alors, si en plus en arrivant il n’y a pas de comité d’accueil et qu’il faut se débrouiller tout seul pour se réhabituer à la pesanteur (1/3 de g, d’accord) et surtout installer ses quartiers pour faire quelque chose de son séjour sur Mars… Nos martionautes ne seront pas opérationnels tout de suite et il faudra soigneusement automatiser les procédures post-atterrissages.
Mettre le vaisseau de transfert en gravité artificielle ? Bonne idée ! Simplement on ne l’a jamais fait. Il y a des hypothèses, un câble entre la partie habitat et un morceau d’étage de fusée. Oui, il faut simplement ne pas avoir trop le tournis ni être gêné par les effets Coriolis, donc une rotation pas trop rapide ou un câble assez long. Un calcul a été fait : pour arriver à 1 G, il faut être en rotation à quatre tours par minute sur un diamètre de 135 m… Soit un tour en quinze secondes…Cela ne va pas faciliter navigation et communication avec la Terre, en tout cas.
Une barrière à l’arrivée à lever !
4. La nourriture
Pour aller droit au but : il faut tout emporter pour deux ans. Soit pour un équipage de 4 personnes, un total d’une dizaine de tonnes de nourriture et d’eau (selon « Embarquement pour Mars ») et déjà 10 tonnes d’eau au minimum selon « Dernières nouvelles de Mars ».
Pas de produits frais, ce qui n’est bon ni pour la santé ni pour le moral. Cultiver des salades sur Mars ? Ni comptez pas, le sol ne s’y prête pas, mais pas du tout ! Hydroponique ? Oui, une bonne idée, reste à la faire fonctionner en vraie grandeur ; ça demande beaucoup d’eau, juste pour dire, et l’eau ne sera pas abondante, pas tout de suite en tout cas.
Donc, attention aux carences diverses ! Mais peut-être une barrière qu’on sait lever en réfléchissant bien.
Barrières humaines
1. L’éloignement physique de la Terre
On se souvient de l’ébahissement des astronautes d’Apollo 8 contemplant la Terre depuis 380.000 km et du retentissement des photos du lever de Terre depuis la Lune prise par William Anders. Voir la Terre d’un peu loin, ça émeut, ça surprend, ça bouleverse.
Mais voir la Terre s’éloigner inexorablement, jour après jour, semaine après semaine, mois après mois, au point de ne plus la voir que de temps en temps avec l’apparence d’une Vénus un peu pâlotte… ça doit vous secouer un bonhomme et vous plonger dans la mélancolie !
Il faudra avoir les nerfs bien trempés et la confiance chevillée au corps pour ne pas paniquer à réaliser que son monde quotidien est maintenant réduit à cette boite de conserve bruyante, chuintante, malodorante, elle-même devenue une micro-planète mécanique en orbite autour du Soleil.
Vous me direz, ceux qui tenteront l’aventure se seront préparés après avoir été soigneusement sélectionnés, ils seront volontaires et enthousiastes. Certes, certes. Mais quand même, peut-on vraiment se préparer à cette vision de la Terre minuscule, ou plutôt absence de vision ? Peut-on prédire sans se tromper les réactions des membres d’équipage à imaginer leur famille, leur monde, tellement loin qu’on ne le voit plus ?
Il y aura des volontaires le moment venu pour tenter l’aventure, des volontaires au sang-froid. Mais il faudra profondément les accoutumer à cette perspective !
2. La lenteur des communications
Progressivement, il faudra des minutes, puis des dizaines de minutes pour un aller-retour de conversations avec la Terre. Techniquement ce sera ardu si le problème à traiter est urgent. Mais mentalement, il faudra être fort pour se sentir capable de tout gérer en autonomie totale.
Si l’on a en tête que l’orbite NRHO de la Deep Space Gateway autour de la Lune est présentée comme intéressante car elle permet une communication constante avec la Terre (à la différence des missions Apollo où le vaisseau était masqué par la Lune pendant 30 minutes à chaque orbite), on voit que cette barrière n’est pas à prendre à la légère.
Et la lever ne sera pas simple. Même Musk ne pourra pas accélérer la vitesse des ondes électromagnétiques, alors il faudra être très autonome et patient.
3. La composition de l’équipage
Faut-il un nombre d’équipiers pair ou impair ? Des hommes et des femmes ? Des couples constitués ou pas ? Des mélanges de nationalités ? De culture ? Plutôt des astronautes âgés qui craindraient moins pour leur vie déjà bien remplie ? Quelles spécialités techniques ?
Des choix à faire, pas anodins du tout pour la réussite de l’expédition. Et si les choix sont mauvais, ce sera l’enfer pendant deux ans ! Et peut-être bien l’échec de la mission si on se chamaille trop, en particulier pendant le retour où s’accumuleront la décompression de la mission à la surface terminée et l’usure de la durée du voyage.
Psychologiquement, est-ce faisable ?
4. La condition médicale
Il y a la condition physique au départ (appendicectomie préventive de rigueur !) mais surtout les bobos en cours de route : en deux ans et demi, il peut s’en passer ! Dentiste, ophtalmo… Et les fractures ? Les ulcères à l’estomac ? Les rages de dents ?
Faudra-t-il un médecin dans l’équipe ? Sans doute. Et avec de l’équipement. En espérant que rien de trop grave ne se passera, parce que l’hôpital sera loin…
5. Un équipage stérile ?
Un grand objectif des missions martiennes est la recherche d’une forme de vie, actuelle ou passée. Donc on stérilise aussi soigneusement que possible les engins qu’on y dépose.
Mais un équipage humain ? Il sera bourré de bactéries de toutes sortes. Impossible à stériliser. Cet équipage apportera donc son lot de micro-organismes, qui viendront polluer joyeusement la planète que l’on viendra étudier et empêcher tout jamais de trouver la réponse à la question.
C’est bêta, non ?
Barrières financières, politiques
Qui voudra payer les dizaines de milliards de dollars ou d’euros d’une telle mission ? Quels politiques seront prêts à soutenir un tel projet ?
Pas une démocratie. Je ne vois que la Chine capable de se lancer dans cette aventure. Les Chinois premiers sur la planète rouge, ça aurait de l’allure.
La colonisation de Mars
Mars, ce n’est pas la Californie. Mars, ça ne se colonise pas. On n’y va pas pour réclamer son lopin de terre et installer sa ferme et ses vaches. Mars, c’est un lieu invivable pour l’homme. Il n’y a qu’une planète faite pour l’homme, et il l’a massacrée. Mars, ce ne peut être qu’une survie constante, et à chaque seconde on peut mourir parce qu’une machine se détraque.
Mars est un enfer pour l’homme. Qui voudrait s’y installer de manière permanente ? Quel intérêt ?
L’Antarctique n’a pas été colonisé, et pourtant ce continent est plus hospitalier que la planète Mars. Les plateaux continentaux sous-marins peu profonds n’ont pas été colonisés. Et pourtant ils sont plus faciles d’accès et finalement guère moins hospitaliers que la planète Mars.
Terraformer Mars ?
L’homme ne peut pas reconstruire le système solaire, sauf dans les livres.
Si Mars est comme elle est aujourd’hui, c’est parce que la gravité y est trop faible pour retenir une atmosphère que l’absence de magnétosphère met à la merci du vent et des éruptions solaires. Et ça, l’homme ne le changera pas.
La terraformation restera un amusant thème de science-fiction.
Alors, au bout du bout ?
A la lecture de ces ouvrages, il me semble que la difficulté est telle qu’une mission vers Mars est vraiment loin d’être prête à partir et qu’entretemps l’homme sera bien trop occupé à essayer de survivre sur la Terre, peut-être bien en faisant la peau de son voisin, pour penser sérieusement à aller sur Mars.
Mais pourquoi aller sur Mars ? Une seule raison : pour le sport, pour montrer ses muscles, par mégalomanie. Mais pas pour une raison sensée qui le justifierait. Des missions purement scientifiques ? Leur rapport coût/risques/résultats ne sera pas vraiment pas bon à côté des missions robotisées.
Des missions seront-elles tentées ? Peut-être bien, je ne l’exclus pas totalement, mais la difficulté est pour moi, par rapport à une mission lunaire, de 1 à 1000. A côté d’une mission vers Mars, la mise à poste du JWST est une promenade. Le nombre de points critiques capables de faire capoter la mission et de mettre en danger la vie de l’équipage sont tellement nombreux que c’est un voyage de kamikazes.
Les technologies vont-elles progresser d’une manière imprévisible aujourd’hui et permettront-elles un voyage en quelques semaines, ce qui résoudraient plusieurs barrières ? Peut-être bien, mais l’homme a devant lui des sujets qui vont être autrement plus graves, immédiats, concrets, qui menacent sa survie sur la Terre. L’humanité aura d’autres chats à fouetter. Sans compter les menaces qui s’accumulent en mer de Chine, comme s’accumulent les forces telluriques avant un tremblement de terre.
Pour finir, mon opinion est que l’homme ne s’installera pas sur Mars durablement, ni ne colonisera Mars.
En guise de dessert, quelques informations fausses, lues ou entendues.
- Sur ARTE : « A quelle distance est Mars ? 55 millions de km »… Réponse vraiment stupide, je ne m’étendrai pas ici, qui montre qu’on n’a rien, mais rien, compris au sujet ; la distance à parcourir est en fait de l’ordre de 620 millions de km, en suivant une orbite de transfert ; une comparaison parlante dans « Nous ne vivrons pas sur Mars ni ailleurs » : si la Terre a la taille d’une belle orange, la distance à Mars oscille entre 300 m et deux kilomètres…
- « Mars est une planète jumelle de la Terre » Là aussi, trop bizarre ! Beaucoup plus petite, sans atmosphère, sans magnétosphère ! Rien de jumeau. Venus planète jumelle peut-être ?? A peine. La Terre n’a pas de jumelle dans le Système solaire (ni ailleurs ? A suivre…)
- « La technologie existe, il ne manque que la volonté » ben non, la technologie n’est vraiment pas là, je pense que je l’ai montré ci-dessus ; la volonté est affichée par certain, mais ce sont de belles paroles !
Merci de m’avoir lu jusque-là ! Il manque sans doute des barrières, vous pouvez compléter (ou contester !).
Jacques