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Un beau papier d'Etienne Klein

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Je me permet de le copier ici, les liens qu'on donne sur Le Monde étant souvent "invalides" très rapidement...

Mystères de l'Univers, par Etienne Klein
LE MONDE | 20.11.08 | 12h51 • Mis à jour le 21.11.08 | 18h20

Une révolution discrète s'est déroulée au cours du XXe siècle : toutes les disciplines scientifiques ont pris acte que les objets qu'elles étudient n'ont pas toujours été tels que nous les observons aujourd'hui.

La Terre n'a pas toujours existé, et la vie n'y a pas toujours été présente. Les étoiles ne sont pas immuables : elles se forment, évoluent, se transforment. Les atomes eux-mêmes ont une histoire : l'Univers primordial ne contenait encore que des particules élémentaires furieusement agitées.

La description de l'Univers est apparue comme un grand récit s'étendant sur 13,7 milliards d'années : dans sa phase primordiale, l'Univers était très dense et très chaud ; depuis, il ne cesse de se dilater et de se refroidir, à un rythme dont on a récemment constaté l'accélération ; l'agglomération de particules élémentaires a d'abord engendré les protons et les neutrons, qui sont les premiers systèmes structurés à être apparus.

Ces premières briques se sont ensuite assemblées pour former les premiers noyaux d'atomes, lesquels se sont associés aux électrons pour former les atomes les plus légers ; la gravitation a rassemblé cette matière éparse pour former les étoiles dont la lumière a inondé peu à peu l'Univers, et les réactions nucléaires se déroulant en leur sein ont engendré la plupart des noyaux atomiques, etc.

Ce récit est original, inédit, en rupture avec toutes les cosmogonies traditionnelles. D'ailleurs qui, avant la physique moderne, aurait pu le raconter ? Mais dans le prolongement de cette narration à rebrousse-temps, on se persuade que les sciences sont devenues capables de saisir l'origine même de l'Univers.

Pourtant, la prudence devrait s'imposer. Car lorsqu'on écoute les physiciens dissertant sur l'origine de telle ou telle chose, on découvre qu'il n'est jamais question de genèse proprement dite. Ils parlent surtout - et en fait seulement - de généalogies, de métamorphoses, de structurations de constituants élémentaires en systèmes plus complexes.

Par exemple, ils expliquent que les atomes sont fils des étoiles, qui sont elles-mêmes filles de nuages de poussières, dont la matière provient quant à elle des phases les plus chaudes et les plus anciennes de l'Univers... En d'autres termes, ils n'évoquent jamais que des transitions d'un état à un autre, des processus permettant de comprendre l'apparition d'un nouvel objet, le commencement de son histoire.

Toutes prodigieuses qu'elles soient, ces descriptions n'incluent jamais un "instant zéro", encore moins quoi que ce soit qui l'aurait précédé ou qui pourrait être sa cause. Décliner la succession des métamorphoses qui ont jalonné l'évolution cosmique n'équivaut donc pas à dévoiler l'intégralité de sa genèse. D'ailleurs, l'"âge de l'Univers" qu'évoquent les cosmologues ne court pas depuis sa création, mais seulement depuis la plus ancienne étape à laquelle leurs équations aient accès.

Force est donc de constater que les sciences ne saisissent jamais que des origines relatives, c'est-à-dire des mécanismes d'émergence, des contextes de première apparition. S'agissant de l'Univers, elles invoquent toujours une cuisse de Jupiter constituée des ingrédients préalables dont elles doivent disposer pour approcher la question de son origine : ce peut être le vide quantique, l'explosion d'un trou noir primordial, ou n'importe quoi d'autre. L'important, c'est de noter qu'il est toujours question de quelque chose, jamais de rien.

Du coup, le commencement en question n'est plus un commencement ex nihilo : en tant que conséquence de ce qui l'a précédé, il constitue plutôt un achèvement. Et pour progresser d'un pas supplémentaire, il n'y a pas d'autre moyen que d'invoquer une nouvelle cuisse de Jupiter, puis une autre, et ainsi de suite, sans jamais mettre la main sur la cuisse originelle, la mère de toutes les cuisses.

C'est pourquoi la science persiste à buter sur la notion d'origine prise dans son sens absolu, c'est-à-dire considérée comme le passage du non-être (rien, absolument rien n'existe) à l'être (quelque chose est). Cela vient de ce qu'elle a besoin, pour se construire, d'un "déjà-là", d'un point de départ explicite, constitué de principes, de lois ou d'objets.

Or l'origine absolue ne fait pas partie du déjà-là puisqu'elle correspond à l'émergence d'une chose en l'absence de toute autre chose : rien n'est encore, absolument rien, puis, soudain, quelque chose advient. Comment la science pourrait-elle se saisir d'une telle singularité ? Personne ne le sait, et c'est pourquoi la question de l'origine de l'Univers demeure une question impossible.

Et même si de futures théories physiques nous permettaient un jour d'y répondre, nous nous demanderions aussitôt, puis indéfiniment : qu'est-ce qui est à l'origine des lois que contiennent ces théories ? Et à l'origine de l'origine de ces lois ? Ironique avec elle-même, la question du début est donc une question sans fin. Alors restons modestes, et admettons que l'origine de l'Univers - si origine il y a eu - demeure un mystère qu'aucune forme de discours ne peut prétendre saisir.

Etienne Klein, physicien et philosophe des sciences, est directeur du Laboratoire de recherche sur les sciences de la matière au Commissariat à l'énergie atomique (CEA).
Article paru dans l'édition du 21.11.08.

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Je rapprocherais bien cet article de l'extrait d'un exposé que je cite dans le post "philastro" et qui nous raméne,si j'ai tout bon à la théorie du chaos.

On revient aux notions du comment la science appréhende le temps...

"Le fait que, sous ses diverses formulations, le Principe Anthropique n'emporte pas la conviction définitive du lecteur, son caractère spéculatif, constitue une sorte de signal épistémique qui peut s'avérer pertinent pour notre entreprise de modélisation de la dynamique des éco-systèmes : le principe entropique, sans doute aussi plausible, ne repose-t-il pas lui aussi sur des spéculations ? Sommes-nous vraiment obligés de tenir pour certain que la thèse du "big bang" implique que ce présumé "événement" soit celui d'un "instant zéro" ? Ne serait-il pas aussi plausible, interrogeait par exemple I. Prigogine, de le considérer comme l'éventuel moment d'un classique "changement de phase", auquel cas, il ne serait plus "initial". Parce qu'il désacralise le principe entropique, le principe anthropique ne se voit pas pour autant sacralisé. Ils nous apparaissent alors l'un et l'autre relativisés, au moins provisoirement"

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Je ne comprends pas bien l'essence du propos d'Etienne Klein.

Il me donne l'impression de découvrir ce qu'est la comologie scientifique moderne : reconstituer sur des périodes de plus en plus longues, et en particulier jusqu'aux périodes de plus en plus anciennes, le fil de l'histoire de l'univers, sans prétendre l'appréhender de façon complète et totale.

Il est également choquant qu'il pose pour acquis que l'univers a connu un instant zéro (à jamais inaccessible selon ses affirmations, donc), sans évoquer le fait qu'il existe de nombreux scénarios cosmologiques qui peuvent se passer de cette hypothèse (l'inflation chaotique, par exemple, ou même ma théorie de l'état stationnaire, qui même si elle est infirmée désormais, proposait dans les faits un univers éternel).

Il commet aussi une belle erreur méthodologique en imposant de facto que la question de l'origine ne peut s'aborder que sous l'angle d'une création originelle inaccessible : dans le modèle standard de la cosmologie, l'"origine" du l'univers tel que nous le connaissons résulte d'une phase d'inflation qui en gros est la conséquence inéluctable de l'évolution de l'univers quel qu'ait été son état antérieur, qui est donc perdu, qu'il puisse être décrit par des lois connues de la physique ou non (selon que l'on fait démarrer l'inflation pendant ou après l'époque de Planck). Cela est à peu près complètement opposé au déterminisme sous-jacent (un peu effrayant) des propos d'E. Klein.

De façon plus surprenante, il commet aussi de petites erreurs historiques : c'est plus au XIXe qu'au XXe siècle que la finitude de l'âge de la Terre et du Soleil ont été établis (conservation de l'énergie implique âge fini), comme en témoigne la mémorable controverse entre Lord Kelvin et des géologues lors d'une séance restée célèbre de la Royal Society.

L'affirmation selon laquelle récit scientifique de la cosmologie est "en rupture" avec les cosmologies traditionnelles mériterait aussi d'être étayé : il y a au contraire bien des similitudes, "troublantes" selon certains croyants !, entre tel ou tel récut cosmogonique religieux et la chronologie de l'histoire de l'univers (cf l'affirmation de Pie XII sur les preuves de l'existence du Fiat Lux biblique par la réalité de l'expansion de l'univers, ou plus généralement les récits très majoritaires qui décrivent presque systématiquement l'augmentation de la complexité à partir d'un état initial chaotique).

Bref, c'est peut-être joliment écrit, mais ça n'est pas le propos d'un spécialiste du sujet abordé, bien au fait son état de l'art !

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<<<<<<< Il est également choquant qu'il pose pour acquis que l'univers a connu un instant zéro >>>>>>>>>
Cher dg2, nous ne lisons pas le même article !!??? Où diable dans le texte ci-dessus lisez-vous qu'il tient pour acquis l'existence d'un instant zéro ? Pouvez-vous me citer la phrase ?
D'autre part, son propos n'est pas de rentrer dans le "détail". Son intention est plus "large": la science ne peut parler que de "transformations", de passages d'états dans d'autres états, c'est tout et c'est déjà pas mal. La véritable "origine", s'il y en a une, lui restera à jamais inconnue. Car même un supposé univers "éternel" ne peut auto-justifier son existence par le simple fait "d'être là"...

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> Où diable dans le texte ci-dessus lisez-vous qu'il tient pour acquis
> l'existence d'un instant zéro ? Pouvez-vous me citer la phrase ?

Les 3e et 2e paragraphes en partant de la fin le disent assez explicitement.

[Ce message a été modifié par dg2 (Édité le 22-11-2008).]

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Dernière phrase de son article:
"Alors restons modestes, et admettons que l'origine de l'Univers - SI ORIGINE IL Y A EU - demeure un mystère qu'aucune forme de discours ne peut prétendre saisir."

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De même:
"C'est pourquoi la science PERSISTE A BUTER sur la notion d'origine prise dans son sens absolu, c'est-à-dire considérée comme le passage du non-être (rien, absolument rien n'existe) à l'être (quelque chose est)."
On est loin du "considérer pour acquis", au contraire me semble-t-il.

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