JD 9 192 Posté(e) 4 octobre 2005 Dimanche 2 octobre, 13 heures.Nous voilà enfin en vue de Valencia. Il y a des nuages côtiers qui roulent depuis le large. Il faut que je trouve un journal dans un point presse, avec une carte météo. Nous déjeunons. Petit café. Je trouve le journal espéré. Demain : lundi 3 : nuages et soleil sur la côte et beau en arrière pays. Ma compagne me le confirme par téléphone. Bon, cest clair, filons vers louest, loin du rivage. Nous roulons avec Jean-François et Elisabeth, mes amis, vers un petit lac à environ 100 km à louest. Le temps saméliore de minute en minute. Une heure après, nous avons trouvé un endroit superbe, au milieu des oliviers et des amandiers. LEspagne du Sud est unique. Ce nest pas encore les déserts de Sergio Leone (Almeria), mais ce nest plus la verdure du nord. Cest un peu comme une Provence en plus seche. Quelque chose que lon reconnaît comme méditerranéen, mais bien plus exotique.Nous nous installons. Un C8 équipé pour lobservation, plus un télé en parallèle. De mon côté, les 2 FS lunes sur lautre comme maman et son bébé. Lalignement est galère. Jai vendu mon TGM1 à Rolf. Maintenant lalignement doit se faire à la clé de 12 !La nuit tombe. Nous pouvons faire un peu dastro ce soir puisque cest nouvelle lune. Mais nous navons aucune idée de la qualité du site. Je le pressens quand bon, car loin des grandes villes et à 800 m daltitude. A 20 heures, nous faisons notre mise en station. La polaire est bien basse par 39° de latitude. La nuit noire arrive et la voie lactée se révèle. Ben cest pas mal, de mieux en mieux même. Lest est pollué par Valencia. Louest est bien. Madrid est à plus de 300 km. Le zénith est extra, la voie lactée cristalline. Allez hop cest parti. On oublie vite pourquoi on est venu Ciel profond. Les classiques revisitées. M11 est superbe et ces dentelles espagnoles prennent une couleur particulière. Nous sommes en Espagne, mais cest encore notre ciel, juste un peu décalé vers le nord. Jobserve à la lunette mais en monoculaire. Jai décidé que ce soir le Nagler 31 serait ma base. Du grand champs, plein détoiles partout, jusquau bord de loptique, jusquau bord de lextase. Le cygne au 31, ça dégouline détoiles de partout. Je descends jusquà Persée. Plus tard, jai creusé M 27, poussé un peu le grossissement. La turbulence est forte, il y a un vent froid qui se lève. Une espèce de mistral local.Mars, sest levé. Inutile dessayer, trop de turbulence Et puis Uranus, tiens pour changer. Uranus cherché parmi les étoiles autour. Eh ! Je cherche une planète, un machin rond, un peu vert. Jadore cette planète. Y a rien à voir dessus, mais je décolle dès que je la vois. Elle me fait voyager. Je pense aux milliards de km. Je sais quelle est grosse et je la vois infime, pourtant bien ronde, bien marquée, une vraie planète quoi. Juste assez grosse pour que je sache quelle est cousine, assez petite pour mévader vers des contrées lointaines. Cette bille bleue verte minspire de douces rêveries spatiales.Allez on dort. Cest que demain on bosse : éclipse + 900 bornes à faire On dort sous la voûte. Le duvet est chaud, jai mis une bâche dessus à cause de la rosée. Et puis une cagoule parce que le vent souffle de plus en plus. Je suis sur le dos et je regarde en lair. Je suis au Cygne, le regard perdu vers de lointaines dentelles. Mon élue est si loin, dans un pays nordique, quelque part en France. Et moi, ici, entre oliviers et amandiers, jattends que le sommeil me prenne.Il ma pris. Et puis il me délaisse. Tiens, cest Orion. Le ciel est déréglé. Orion en octobre ! Oh là, oui, jai dormi. Mars culmine, les Pléiades à côté. Et puis Orion qui mempêche de dormir. Allez dodo Orion, laisse moi, cest que jai éclipse moi demain.Je dors encore. Réveille encore. Orion toujours. Bon ça veut pas venir alors le matin. Allez, encore dormir Plus détoiles enfin, une aurore jaune et pourpre. Quelques cirrus effilochés viennent colorer la toile. Quil fait froid ! Pas dans le duvet, mais au bout de mon nez. Ce vent glacé Le soleil pointe. Jean-François sest levé. « Te lève pas, cest plein de nuages ! ». Aie, cest vrai ? Ben non, jusque quelques cirrus qui décorent cet exquise aurore. Bon, on se lève alors ? Toujours ce vent. Aie, la turbu, ça va trembloter.9h42, fébriles, nous attendons. Par quel côté du Soleil, la Lune va-t-elle le grignoter. Ca y est, un morceau est apparu. Léclipse a démarré. Ca avance vite. A 10h20, presque la moitié déjà. Je fais une pose toutes les 10 minutes. A 10h40, la lumière change. Cest comme un voile de cirrus. Non, pas exactement, cest différent, unique. Cest blafard, presque un peu triste. Nous découvrons des croissants de soleil au pied des feuillages. 10h55, prêts. Il reste un fin croissant, qui diminue, diminue, diminue Et soudain, ça y est, il apparaît, lanneau de feu ! Il se découvre, au creux de montagnes lunaires qui laissent perler les rayons du soleil. Et puis maintenant, il est net, évident, lanneau est formé. En un instant, il devient symétrique. Nous nous sommes bien placés, en plein centre de la bande de centralité. Photos, et encore photos. Jean-François est silencieux, concentré. Il mitraille de son Nikon numérique. Moi, je ne trouve plus les mots pour dire ce qui se passe là. Maintenant, je regarde le soleil avec mes seuls yeux. Cest un anneau dans le ciel, un anneau de feu qui brille dune lumière infinie, mais insuffisante pour réchauffer la Terre. Latmosphère est déréglée. Le vent sest arrêté, les oiseaux se sont tus. Quelque chose ne marche plus comme avant.Et puis, la Lune, dans sa lancée, vient au contact de lautre bord solaire. Jattends la goutte, la goutte noire. Aura-t-elle lieu, comme pour Vénus ? Oui ! Je déclenche. Les montagnes lunaires, émergentes, viennent buter contre le bord du soleil. Et ça bave, lespace dun court instant. Et puis tout est fini, tout saccélère, la Lune envahit le bord solaire et lautre croissant grandit à chaque seconde Une heure après, nous mangeons, encore tout ahuris. Nous échangeons de quelques émotions. La lumière renaît et la chaleur sinvite. Enfin lEspagne ressuscite, réchauffant nos mains et nos pieds engourdis.Nous rangeons. La Lune sest éclipsée. Elle a franchi le bord oriental du Soleil. Elle file vers son croissant du soir, demain, après demain sûrement. Je la guetterai dans la lumière du couchant Nous rentrons. Nous roulons. Silence presque religieux. Méditation La route est longue jusquen Provence. Partager ce message Lien à poster Partager sur d’autres sites
marc 5 Posté(e) 4 octobre 2005 Bravo c'est beau comme de la prose de Villepin !Non je déconne c'est un superbe CROA.Je ressens en lisant ce CROA l'émerveillement de 99 en plein champs entre Beauvais et Soissons un certain 11 aout, la nuit qui s'abat et ce silence...sidéral. Partager ce message Lien à poster Partager sur d’autres sites
Mezzo 9 074 Posté(e) 8 octobre 2005 Merci Partager ce message Lien à poster Partager sur d’autres sites
MatP 3 Posté(e) 8 octobre 2005 Un des taux de figures de style les plus élevés par ligne de CROA que je connaisse. Un cas d'école, original et fort agréable à lire au demeurant.J'aimerais bien voir la photo de la goutte. Partager ce message Lien à poster Partager sur d’autres sites
Strock Pierre 232 Posté(e) 8 octobre 2005 C'est sympa.J'ai fait un petit Croa illustré sur mon site http://strock.pi.r2.3.14159.free.fr/Observations/Espagne2005.html Pierre Partager ce message Lien à poster Partager sur d’autres sites