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CROA Hispanique

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Dimanche 2 octobre, 13 heures.
Nous voilà enfin en vue de Valencia. Il y a des nuages côtiers qui roulent depuis le large. Il faut que je trouve un journal dans un point presse, avec une carte météo. Nous déjeunons. Petit café. Je trouve le journal espéré. Demain : lundi 3 : nuages et soleil sur la côte et beau en arrière pays. Ma compagne me le confirme par téléphone. Bon, c’est clair, filons vers l’ouest, loin du rivage. Nous roulons avec Jean-François et Elisabeth, mes amis, vers un petit lac à environ 100 km à l’ouest. Le temps s’améliore de minute en minute. Une heure après, nous avons trouvé un endroit superbe, au milieu des oliviers et des amandiers. L’Espagne du Sud est unique. Ce n’est pas encore les déserts de Sergio Leone (Almeria), mais ce n’est plus la verdure du nord. C’est un peu comme une Provence en plus seche. Quelque chose que l’on reconnaît comme méditerranéen, mais bien plus exotique.

Nous nous installons. Un C8 équipé pour l’observation, plus un télé en parallèle. De mon côté, les 2 FS l’unes sur l’autre comme maman et son bébé. L’alignement est galère. J’ai vendu mon TGM1 à Rolf. Maintenant l’alignement doit se faire à la clé de 12 !
La nuit tombe. Nous pouvons faire un peu d’astro ce soir puisque c’est nouvelle lune. Mais nous n’avons aucune idée de la qualité du site. Je le pressens quand bon, car loin des grandes villes et à 800 m d’altitude. A 20 heures, nous faisons notre mise en station. La polaire est bien basse par 39° de latitude. La nuit noire arrive et la voie lactée se révèle. Ben c’est pas mal, de mieux en mieux même. L’est est pollué par Valencia. L’ouest est bien. Madrid est à plus de 300 km. Le zénith est extra, la voie lactée cristalline. Allez hop c’est parti. On oublie vite pourquoi on est venu…
Ciel profond. Les classiques revisitées. M11 est superbe et ces dentelles espagnoles prennent une couleur particulière. Nous sommes en Espagne, mais c’est encore notre ciel, juste un peu décalé vers le nord. J’observe à la lunette mais en monoculaire. J’ai décidé que ce soir le Nagler 31 serait ma base. Du grand champs, plein d’étoiles partout, jusqu’au bord de l’optique, jusqu’au bord de l’extase. Le cygne au 31, ça dégouline d’étoiles de partout. Je descends jusqu’à Persée. Plus tard, j’ai creusé M 27, poussé un peu le grossissement. La turbulence est forte, il y a un vent froid qui se lève. Une espèce de mistral local.
Mars, s’est levé. Inutile d’essayer, trop de turbulence… Et puis Uranus, tiens pour changer. Uranus cherché parmi les étoiles autour. Eh ! Je cherche une planète, un machin rond, un peu vert. J’adore cette planète. Y a rien à voir dessus, mais je décolle dès que je la vois. Elle me fait voyager. Je pense aux milliards de km. Je sais qu’elle est grosse et je la vois infime, pourtant bien ronde, bien marquée, une vraie planète quoi. Juste assez grosse pour que je sache qu’elle est cousine, assez petite pour m’évader vers des contrées lointaines. Cette bille bleue verte m’inspire de douces rêveries spatiales.
Allez on dort. C’est que demain on bosse : éclipse + 900 bornes à faire…
On dort sous la voûte. Le duvet est chaud, j’ai mis une bâche dessus à cause de la rosée. Et puis une cagoule parce que le vent souffle de plus en plus. Je suis sur le dos et je regarde en l’air. Je suis au Cygne, le regard perdu vers de lointaines dentelles. Mon élue est si loin, dans un pays nordique, quelque part en France. Et moi, ici, entre oliviers et amandiers, j’attends que le sommeil me prenne.
Il m’a pris. Et puis il me délaisse. Tiens, c’est Orion. Le ciel est déréglé. Orion en octobre ! Oh là, oui, j’ai dormi. Mars culmine, les Pléiades à côté. Et puis Orion qui m’empêche de dormir. Allez dodo Orion, laisse moi, c’est que j’ai éclipse moi demain.
Je dors encore. Réveille encore. Orion toujours. Bon ça veut pas venir alors le matin. Allez, encore dormir…
Plus d’étoiles enfin, une aurore jaune et pourpre. Quelques cirrus effilochés viennent colorer la toile. Qu’il fait froid ! Pas dans le duvet, mais au bout de mon nez. Ce vent glacé…
Le soleil pointe. Jean-François s’est levé. « Te lève pas, c’est plein de nuages ! ». Aie, c’est vrai ? Ben non, jusque quelques cirrus qui décorent cet exquise aurore. Bon, on se lève alors ? Toujours ce vent. Aie, la turbu, ça va trembloter.
9h42, fébriles, nous attendons. Par quel côté du Soleil, la Lune va-t-elle le grignoter. Ca y est, un morceau est apparu. L’éclipse a démarré. Ca avance vite. A 10h20, presque la moitié déjà. Je fais une pose toutes les 10 minutes. A 10h40, la lumière change. C’est comme un voile de cirrus. Non, pas exactement, c’est différent, unique. C’est blafard, presque un peu triste. Nous découvrons des croissants de soleil au pied des feuillages. 10h55, prêts. Il reste un fin croissant, qui diminue, diminue, diminue… Et soudain, ça y est, il apparaît, l’anneau de feu ! Il se découvre, au creux de montagnes lunaires qui laissent perler les rayons du soleil. Et puis maintenant, il est net, évident, l’anneau est formé. En un instant, il devient symétrique. Nous nous sommes bien placés, en plein centre de la bande de centralité. Photos, et encore photos. Jean-François est silencieux, concentré. Il mitraille de son Nikon numérique. Moi, je ne trouve plus les mots pour dire ce qui se passe là. Maintenant, je regarde le soleil avec mes seuls yeux. C’est un anneau dans le ciel, un anneau de feu qui brille d’une lumière infinie, mais insuffisante pour réchauffer la Terre. L’atmosphère est déréglée. Le vent s’est arrêté, les oiseaux se sont tus. Quelque chose ne marche plus comme avant.
Et puis, la Lune, dans sa lancée, vient au contact de l’autre bord solaire. J’attends la goutte, la goutte noire. Aura-t-elle lieu, comme pour Vénus ? Oui ! Je déclenche. Les montagnes lunaires, émergentes, viennent buter contre le bord du soleil. Et ça bave, l’espace d’un court instant. Et puis tout est fini, tout s’accélère, la Lune envahit le bord solaire et l’autre croissant grandit à chaque seconde…
Une heure après, nous mangeons, encore tout ahuris. Nous échangeons de quelques émotions. La lumière renaît et la chaleur s’invite. Enfin l’Espagne ressuscite, réchauffant nos mains et nos pieds engourdis.
Nous rangeons. La Lune s’est éclipsée. Elle a franchi le bord oriental du Soleil. Elle file vers son croissant du soir, demain, après demain sûrement. Je la guetterai dans la lumière du couchant…
Nous rentrons. Nous roulons. Silence presque religieux. Méditation…
La route est longue jusqu’en Provence.


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Bravo c'est beau comme de la prose de Villepin !
Non je déconne c'est un superbe CROA.
Je ressens en lisant ce CROA l'émerveillement de 99 en plein champs entre Beauvais et Soissons un certain 11 aout, la nuit qui s'abat et ce silence...sidéral.

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Un des taux de figures de style les plus élevés par ligne de CROA que je connaisse. Un cas d'école, original et fort agréable à lire au demeurant.

J'aimerais bien voir la photo de la goutte.

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