Les fusées nucléaires

par James Powell

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Un jour, on ne se contentera plus d'envoyer des sondes qui survolent rapidement les planètes externes du Système solaire : on voudra les visiter à l'aide de véhicules spatiaux capables de se mettre en orbite autour d'elles, de faire descendre des robots sur leurs lunes et, même, d'en rapporter des échantillons de roches. On voudra envoyer des astronautes vers leurs fascinants satellites, dont on pense que certains contiennent en abondance de l'eau liquide, condition fondamentale pour héberger la vie telle que nous la connaissons.

Pour de telles missions, la fission nucléaire semble mieux adaptée que la combustion chimique. Les fusées chimiques sont utiles, mais la quantité relativement faible d'énergie qu'elles fournissent pour une masse donnée de carburant est limitant. Avec la propulsion chimique, seul un vaisseau spatial léger qui utilise plusieurs «assistances» gravitationnelles de planètes peut atteindre les planètes lointaines. Pour profiter de ces manœuvres gravitationnelles d'appoint, les concepteurs de missions doivent attendre des «fenêtres» de lancement, de courtes périodes durant lesquelles on peut lancer un engin spatial vers des planètes positionnées de telle façon qu'elles accélèrent sa course de proche en proche vers des corps célestes éloignés.

Les vitesses d'éjection des gaz de combustion ne sont pas suffisantes pour accélérer suffisamment les fusées. Les meilleures fusées chimiques, où l'on utilise la réaction entre l'hydrogène et l'oxygène, accélèrent des vaisseaux qui quittent l'orbite terrestre à dix kilomètres par seconde au maximum.

En revanche, des fusées nucléaires communiqueraient des accélérations de 22 kilomètres par seconde. On atteindrait Saturne en trois ans seulement au lieu de sept, et sans assistance gravitationnelle. Les fusées nucléaires seraient sûres et propres : une fusée nucléaire n'a pas besoin d'être très radioactive au moment du lancement. Le véhicule spatial, avec ses réacteurs nucléaires, serait lancé par une fusée chimique classique. Une fois la charge utile à environ 800 kilomètres d'altitude, on mettrait le réacteur nucléaire en route.

DANS UN MOTEUR NUCLÉAIRE COMPACT, 37 cellules chaufferaient de l'hydrogène. Circulant dans l'élément, ce dernier se vaporiserait entre les rouleaux de combustible nucléaire (en marron clair). Cinq des feuilles de la matrice métallique du rouleau sont représentées en détail à gauche. Le gaz chauffé s'engouffrerait ensuite dans un canal central et sortirait en bas de l'élément créant la poussée.

La construction d'un moteur de fusée à fission nucléaire est envisageable  : avec mes collègues, nous avons dessiné un moteur de fusée nucléaire compact qui pourrait être construit dans six ou sept ans, pour un coût de 3,5 à 5 milliards de francs. Les coûts de mise au point du moteur seraient compensés par les économies réalisées sur les futurs coûts de lancement, car un véhicule spatial nucléaire n'a pas besoin d'emporter une masse importante de propergols chimiques, de sorte qu'on pourrait utiliser de petits lanceurs, tel qu'Ariane 4.

Les fusées nucléaires ne sont pas des nouveautés. À la fin des années 1980, le ministère américain de la Défense avait un programme de propulsion thermique nucléaire spatial. Son objectif était la mise au point d'un moteur nucléaire léger et compact, pour des applications de défense, comme l'injection de charges utiles lourdes en orbite terrestre haute. La pierre angulaire de ce projet était un réacteur à lit de particules, où le combustible consistait en de petites particules de carbure d'uranium tassées, recouvertes de carbure de zirconium. Les travaux sur ce réacteur avortèrent avant la construction d'un modèle de vol, mais les ingénieurs avaient montré, sur un modèle de faible puissance que le concept était réalisable.

Dans notre projet, le combustible nucléaire du réacteur serait sous la forme de feuilles métalliques perforées, enroulées comme dans un roulé à la confiture, avec un centre creux (voir la figure ci-dessus). Une enveloppe d'hydrure de lithium 7 entourerait le rouleau de combustible et ralentirait les neutrons émis par la fission nucléaire qui se produirait au sein du combustible. Le réfrigérant (l'hydrogène liquide) s'écoulerait de l'extérieur du rouleau vers l'intérieur, se vaporisant rapidement à mesure qu'il s'échaufferait et qu'il coulerait vers le centre. Le gaz chauffé à environ 2 700 degrés passerait à grande vitesse dans un canal le long de l'axe central du rouleau et serait éjecté par une petite tuyère.

Un tel système profiterait de la présence d'hydrogène dans le Système solaire. Ainsi, comme le combustible nucléaire dure longtemps, un véhicule propulsé à l'énergie nucléaire pourrait en théorie faire le tour du Système solaire en 10 ou 15 ans, en se réapprovisionnant en hydrogène si nécessaire. Un vaisseau spatial pourrait évoluer durant des mois dans les atmosphères de Jupiter, de Saturne, d'Uranus ou de Neptune, récoltant des données détaillées sur leur composition ou sur leur climat. Un véhicule pourrait également visiter Europe, Pluton ou Titan en recueillant des échantillons de roches, et il referait le plein d'hydrogène en hydrolysant l'eau de la glace fondue.

Son réacteur n'étant mis en route que loin de la Terre, un véhicule spatial nucléaire serait plus sûr que certaines sondes d'exploration de l'espace lointain, équipées de propulseurs chimiques. Aux confins du Système solaire, les rayons du Soleil sont trop faibles pour fournir l'énergie électrique nécessaire aux instruments des engins spatiaux. C'est pourquoi ils fonctionnent en général au plutonium 238, qui est hautement radioactif même lors du lancement. En revanche, sur une sonde à propulseurs nucléaires, les instruments seraient alimentés par le réacteur qui fournit la poussée. En outre, la quantité de déchets radioactifs produits serait négligeable (de l'ordre de un gramme pour une mission dans l'espace lointain).

Avec uniquement des fusées chimiques, notre capacité d'exploration des planètes externes et de leurs satellites est limitée. Dans le futur proche, seules des fusées nucléaires pourront nous fournir la puissance, la fiabilité et la souplesse nécessaires pour élargir notre connaissance des confins du Système solaire.

James Powell est président de la société Plus ultra technologies basée à Shoreham (New York).

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N° 258 avril 1999
© Pour la Science (1999)