LE MODE D'ACQUISITION VIDEO

Les effets néfastes de la turbulence sont bien connus lorsque le but poursuivi est l'imagerie à haute résolution spatiale. L'image suivante  montre l’enregistrement d’un filé d’étoiles au foyer d'un télescope de grande distance focale. Il a été obtenu en effectuant une lecture en continu du CCD d'Audine alors que l’étoile est fixe (à la turbulence près). Par rapport au filé traditionnel, qui consiste à arrêter l’entraînement du télescope, cette technique permet de surveiller sur de longues périodes l’état de la turbulence. L’objet observé est l’étoile double b1 Lyre. Il apparaît clairement que l’agitation atmosphérique déplace exactement de la même manière les deux étoiles à un instant donné car elles se trouvent à une faible distance angulaire l’une de l’autre. Sur quelques secondes à quelques dizaines de secondes d’arc on montre en effet la cohérence du champ de turbulence. Les ondulations le long de la traînée montrent que la cohérence temporelle est quant à elle extrêmement faible. Pour figer les fluctuations de l’image, le temps de pose ne doit pas dépasser quelques millisecondes à moins d’être patient et d’attendre une accalmie de turbulence qui autorisera de poser quelques dizaines de millisecondes. Ce sont ces brefs instants d'accalmie que nous allons traquer grâce à un mode particulier d'acquisition autorisé par la caméra Audine. Nous allons acquérir en rafale un grand nombre d'images avec un temps de pose très bref pour ne sélectionner par la suite que les meilleures, que nous compositerons pour accroître le rapport signal sur bruit.

La turbulence agite de concert les deux composantes d'une étoile double.

La particularité de ce mode d'acquisition est qu'il ne nécessite pas un obturateur mécanique, qui serait ici une pièce d'une part délicate, car les vibrations doivent être négligeables, d'autre part robuste, car le nombre de sollicitations est important et enfin chère, car le temps de pose doit être bref. En outre, le temps mis à sauvegarder les images entre chaque pose est un gâchis potentiel lorsqu'il s'agit de profiter des brèves plages temporaires d'accalmie de l'atmosphère.

Le mode vidéo de la caméra Audine repose en fait sur :

Pour cela il faut effectuer un séquencement de lecture judicieux du CCD, où on entrelace des phases de lecture très rapides des lignes du CCD, des phases de numérisation et des phases d’attente correspondant au temps d’exposition. Fondamentalement la technique utilisée ressemble au mode de lecture d’image dit demi-trame. Dans ce mode, l’objet à observer (une étoile, une planète) est placé dans la partie supérieure du CCD. Après une période correspondant au temps de pose, les informations de la partie supérieure du CCD sont déplacées très rapidement dans la partie inférieure, une zone du plan focal supposée sans objet brillant. Le signal enregistré dans la partie supérieure peut alors être numérisé sans que celui-ci soit pollué par la présence d’une source lumineuse.  La nouveauté dans le mode de lecture vidéo développé avec Audine est que les phases d’intégration, de transfert rapide des charges et de numérisation sont réalisées en continu, ce qui permet d’enregistrer sur la même image CCD autant d’images de l’objet que l’on désire. Voici le détail du chronogramme à réaliser : Le cycle est ensuite repris au point 1 autant de fois que l’on désire, un cycle correspondant à l’acquisition d’une image. Celle-ci a la dimension X sur l’un de ses axes. La taille sur l’autre axe peut être réduite en numérisant seulement les colonnes appartenant au voisinage immédiat de l’objet, ce qui permet d’accroître la cadence de lecture. Généralement l’image finale se présente comme une bande étroite montrant sur sa longueur un grand nombre d’images du même objet. C’est la version informatique du film en gélatine que l’on déroule dans un projecteur de cinéma.

Compte tenu du séquencement, l’objet étudié ne doit pas être placé n’importe où sur le CCD. Seule une bande de X pixels de haut pour deux bandes inactives est exploitable. Avec un peu d’habitude il est facile de comprendre où se trouve l’objet par rapport aux bandes actives. Un petit coup de raquette suffit le plus souvent pour positionner correctement l’objet sur le CCD.

Les images ci-après montrent un extrait d’enregistrement typique en mode vidéo. On y voit plusieurs images consécutives d’une étoile simple de magnitude 3 observée au foyer d’un télescope à longue focale (7,4 m). L’enregistrement peut comporter plusieurs centaines d’images de l’objet. Comme la bande est étroite, sa taille en octets n’est pas prohibitive. Par exemple les données sont ici  extraites d’une image qui fait 60 pixels de large et 20.000 pixels de long, ce qui représente plus de 300 images individuelles de l’étoile. Une analyse attentive de ce document montre du signal reliant les images de l’étoile. Ce signal parasite est enregistré lors des phases de lecture rapide des lignes du CCD, l’étoile impressionnant toujours la surface sensible à ce moment. Bien sûr, le signal parasite est d’autant moins important que l’on fait défiler les charges rapidement sous l’image de l’étoile lors du cycle de lecture rapide du CCD. C’est le phénomène de smearing. Avec la caméra Audine et un télescope de 200 mm, l’expérience montre que le smearing est quasiment négligeable lorsque l’on vise des objets ponctuels plus faibles que la magnitude 3.

 
Deux visualisations avec un contraste différent d’une séquence d’images réalisées en mode vidéo. Sur la représentation à fort contraste du bas, on note la présence d’un signal de smearing entre les  images de l’étoile, qui est ici de magnitude 3. Avec une telle étoile, le signal de smearing a une intensité égale à 2% du signal de l’étoile à son pic. Le mouvement aléatoire du champ causé par la turbulence est bien perceptible ici (les traînées de smearing ne se raccordent pas exactement d’une image à l’autre).

L’image précédente, ainsi que celles qui suivent, proviennent d’un télescope Takahashi CN-212 utilisé en version Cassegrain (miroir primaire de 212 mm de diamètre). Comme l'on cherche la résolution spatiale maximale, le problème potentiel de l’échantillonnage a été réglé en ajoutant dans le trajet optique une lentille de Barlow portant la focale du CN-212 à 7407 millimètres. Un pixel sous-tend alors un angle de 0,25 seconde d’arc, ce qui permet d’échantillonner les plus fins détails observables en théorie avec un nombre suffisant de pixels.

L’examen des bandes montre que sur quelques images il est possible de discerner une structure en anneau autour de l’étoile. Nous observons ici la tache d’Airy. Il s’agit d’une figure de diffraction bien définie par l’ouverture circulaire du télescope. Mais attention, pour l’apercevoir en pratique, il est vraiment indispensable de figer efficacement la turbulence. Le système mis au point ici permet d’observer cette brillante étoile de magnitude 3 avec un temps de pose de seulement 10 millisecondes !

La figure suivante montre une image individuelle de bonne qualité, fortement agrandie et en négatif, prise dans une séquence d’acquisitions sur l’étoile double b2 Lyre. Le temps de pose est ici de 35 millisecondes.

Le couple b2 Lyre. Les graduations dans le cadre sont distantes de 1 seconde d’arc. Le cercle intérieur marque la position du premier anneau noir de la tache d’Airy qui a un diamètre de 1.66 seconde d'arc avec la configuration optique utilisée. Le cercle extérieur donne la position du second anneau noir qui a pour diamètre 3.05 secondes d'arc.

On devine bien entre ces deux cercles, à la position théorique, le premier anneau brillant de la tache de diffraction. Cet anneau est surtout visible parce que la collimation du télescope n’est pas rigoureusement parfaite : il subsiste une très légère coma, l’aigrette étant orientée vers le haut de l’image. De plus, le CN-212 utilisé présente un léger astigmatisme. Il a été possible de réduire celui-ci en desserrant les contraintes du miroir primaire par rapport à son support, mais malheureusement sans pouvoir l’éliminer complètement. Ces défauts optiques sont toujours plus accentués en présence de turbulence car l’agitation atmosphérique transfère l’énergie du centre de la tache d’Airy vers les anneaux, ce qui renforce par exemple la forme de l’aigrette de coma. L’obstruction centrale renforce aussi cette dégradation en présence de turbulence (sans obstruction le pic central du disque d’Airy contient 84% du signal et seulement 70% dans le cas d’une obstruction de 0,33 comme c’est le cas pour le CN-212). Il va sans dire que lorsque l’on ambitionne d’enregistrer la tache de diffraction de son télescope il faut une collimation et une focalisation sans reproche.

Sur cet extrait d'une séquence d'images de l'étoile b2 Lyre on devine sans peine les dégâts occasionnés par la turbulence atmosphérique. Le temps de pose est de 0.1 seconde et la turbulence particulièrement élevée. Seule l'image centrale sera retenue pour le compositage final. Par turbulence moyenne, seulement 4% des images élémentaires sont exploitables.
Image du couple b1 Lyre avec des poses individuelles de 30 millisecondes et un compositage d'une sélection de 12 images. Les composantes sont de magnitude 5.0 et 6.1 et la séparation est de 2.60". A gauche, nous avons une visualisation en négatif (les graduations représentent un angle d’une seconde d’arc). A droite une vue en 3 dimensions du couple. Le FWHM (= seeing) mesuré est de 0.75" alors que le FWHM de la tache de diffraction théorique est de 0.66’’.
L'étoile b2 Lyre avec des composantes de magnitude 5.1 et 5.4 et une séparation de 2.28".
Le couple S2751 avec une séparation angulaire de 1.6" et des magnitudes de 6.1 et 7.1. Le temps de pose est ici de 140 millisecondes. 640 images ont été acquises d’où ont été extraites 14 images de qualité qui ont permis de synthétiser ce résultat.
Le couple S2780. Cette fois les composantes sont nettement plus resserrées : 1,0" pour des magnitudes de 6.0 et 7.0. On commence à s’approcher de la résolution théorique, tout en notant qu’il reste une marge de progression.

Le mode vidéo d'Audine peut être utilisé sur les planètes comme le montre les figures suivantes.

Extrait d’une séquence sur la planète Jupiter acquise directement au foyer Cassegrain du CN-212 (F/D=12) dans la bande I.
Images de Jupiter en plusieurs couleurs obtenues avec le mode vidéo. En haut à gauche, dans la bande B avec un temps de pose de 450 ms, en haut à droite, dans la bande V avec un temps de pose de 350 ms, en bas à gauche dans la bande I avec un temps de pose de 350 ms et en bas à droite dans la bande du méthane à 900 nm avec un temps de pose de 7 secondes pour cette dernière image. Le filtre interférentiel utilisé a une bande passante de 10 nm de large (un filtre centré à 890 nm serait plus favorable). Chaque image dans chaque bande est un compositage d’environ 10 images élémentaires. Les conditions étaient très défavorables pour effectuer de l’imagerie haute résolution lors des prises de vue (le 18/07/1998), avec Jupiter passant au ras de toits surchauffés par le Soleil de la journée et un seeing estimé à 2,5 secondes d’arc.

La technique exposée montre comment il est possible de faire de la sélection d’images simplement dans le but d’atteindre une haute résolution spatiale. La conception de la caméra Audine facilite la mise au point de ce type de lecture exotique du CCD puisque les horloges sont générées par un logiciel à l’intérieur du PC. La modification du chronogramme ne prend que quelques minutes. Pour l'instant le mode vidéo est implémenté dans une version spéciale du logiciel QMiPS32 (non disponible immédiatement) et dans Pisco.