OBSERVATION DANS LE DOMAINE SPECTRAL INFRAROUGE
AVEC LHIRES III



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ANALYSE DE LA LUMIERE DU JOUR

On présente quelques images du spectre 2D du soleil (lumière du jour par temps nuageux) dans le région infrarouge. Le spectrographe LHIRES III est simplement tenu à la main en orientant la fente vers le ciel. Le réseau utilisé est le 1200 traits/mm (il n'est pas possible d'observer le domaine infrarouge avec le réseau de 2400 traits/mm car l'inclinaison de ce dernier par rapport au faisceau incident est alors trop élevée).

La caméra est un boîtier photographique numérique Canon EOS 350D dans lequel le filtre de rejection infrarouge (et anti-moiré) a été retiré. Il n'y a aucun filtre de remplacement. Le détecteur ainsi libéré devient alors sensible à des photons infrarouge. La bonne nouvelle est que pour des longueurs d'ondes plus grande que 7800 angstroms, les pigments colorés constituant la matrice de Bayer RVB (damier de pixels Rouge, Vert et Bleu) deviennent progressivement  transparent. Donc, pour ces grandes longueur d'onde, la transmission des filtres RVB s'équilibre presque et le capteur se comporte alors comme un modèle noir et blanc. Il en résultat un gain en résolution spatiale (ou spectrale) et en détectivité significatif. Ainsi utilisé, le capteur CMOS des boîtiers Canon dans l'infrarouge doit avoir une performance assez proche du CCD qui équipe bon nombre de caméras spécialisée pour l'observation astronomique. Voir ici l'adaptation d'un reflex défiltré sur le spectrographe LHIRES III. Un filtre de couleur rouge-orange (OG590) est placé juste en avant du boîtier. Ce filtre dit "d'ordre" (de type passe-haut) sert à elliminer la partie bleu du spectre d'ordre 2 qui se superpose au spectre infrarouge d'ordre 1 (celui qui est exploité).


Le filtre d'ordre.

Les spectres ci-après sont des poses de 30 secondes à 400 ISO. Le seul traitement appliqué est le retrait du signal thermique (il est réalisé sur les fichiers RAW). Le développement en couleurs est fait sous le logiciel Iris (voir des exemples ici). La balance des couleurs n'est pas retouchée. La dispersion spectrale d'origine est d'environ 0.226 A/pixel. Les spectres dans les représentations ci-après ont été réduit en taille d'un facteur 2 pour faciliter la visualisation. Le domaine spectral dans les vues successives est parcouru depuis les courtes jusqu'aux grandes longueurs d'onde.

Pour chaque bande de spectre exploré, on a en haut le spectre du néon (lampe interne de LHIRES III) et en bas le spectre du Soleil.


Les couleurs de plus en plus neutres au fur et à mesure que l'on explore l'infrarouge trahissent le fait que la transmission des filtres rouge, vert et bleu de la matrice de Bayer s'équilibre. Pour donner une idée, voici le signal relatif des pixels RVB aux longueurs d'onde de 7000 A et de 8600 A :

 

Réponse relative à 7000 A

Réponse relative à 8600 A

Pixels "rouge"

1.00

1.00

Pixels "vert"

0.40

0.84

Pixels "bleu"

0.05

0.77

Alors que les pixels bleus ne donnent aucune information autour de 7000 A, ils apportent un signal conséquent dès 8000 A. La réponse n'est pas strictement neutre dans l'infrarouge lointain (d'où la couleur saumon résiduelle), mais il est raisonnablement possible d'additionner sans interpolation les canaux RVB pour construire une image noir et blanc haute résolution, très proche de celle que l'on obtiendrait avec une caméra CCD standard.


Structure de la matrice de Bayer (fichier RAW)
vers 7600 A. L'absence de réponse des pixels
bleus provoque des "trous" dans l'image. 


Structure de la matrice de Bayer (fichier RAW)
vers 8300 A. L'image peut quasiment être exploitée telle
quelle, sans interpolation (i.e. gain en bruit et en résolution).

On remarque qu'il est possible avec un appareil photographique numérique modifié (en version économique donc, puisque le filtre n'est pas remplacé) d'accéder, entre-autre, à la région du triplet du calcium ionisé, qui est d'une grande importance astrophysique.

Voici d'autres images du spectre infrarouge réalisées dans les mêmes conditions que celles décrites ci-avant, mais pour des longueurs encore plus grandes (jusqu'à 950 nm environ). Vers 900 nm et au delà, le spectre est assez largement dominé par les bandes de la molécule H2O de notre propre atmosphère, qui provoquent une absorption sévère. Dans ces images, la bande supérieure correspond au spectre de la lampe néon interne du spectrographe LHIRES III, la bande centrale est le spectre solaire proprement dit (pointage du spectrographe vers un ciel nuageux), la bande inférieure est le spectre d'une lampe fluorescente basse consommation (modèle Osram Dulux Superstar). Cette dernière une source de lumière est de plus en plus largement utilisée pour l'éclairage domestique.


Quelques lampes "basse-consommation".
La fluorescence provient d'un dépôt spécial déposé sur la face interne de la lampe.
La fluorescence est induite par la présence de raies d'émissions intenses de vapeur de mercure
emprisonnée dans la lampe. Les raies du mercure les plus intenses sont situées dans l'ultraviolet, mais
certaines d'entre elles peuvent être vues dans le spectre visible avec notre appareil photo numérique.
Dans l'infrarouge, ces lampes donnent un beau spectre de l'argon, peut être une impureté.

Toutes les lampes basses consommations testées produisent un spectre identique (les raies présentent dans la bande inférieure dans cette partie du spectre sont dues à l'argon, une présence bien utile pour nous spectroscopistes). On note parfois des coincidences en position entre les raies de la bande inférieure et de la bande supérieure. Ceci signifie que la lampe de calibration néon contient quelques traces d'argon.

Les raies du néon et de l'argon sont omniprésentes pour une calibration spectrale précise dans cette région du spectre. La qualité du spectre est par ailleurs très correcte si on prend soin de bien focaliser la zone d'intéret (pour compenser le chromatisme). C'est là une belle performance du couple LHIRES III avec une caméra grand-public. Elle ouvre des perspectives, car étendre le domaine spectral d'un spectrographe équivaut à augmenter le diamètre d'un télescope !


A L'AUTRE EXTREMITE...
LE SPECTRE ULTRAVIOLET AVEC UN REFLEX NUMERIQUE

La vue ci-après est réalisée avec LHIRES III et un reflex numérique 350D entièrement défiltré. Les raies d'émissions dans le bandeau inférieur sont la signature du mercure présent dans le tube d'une lampe fluorescente basse consommation. Le défaut de chromatisme est bien plus élevée que dans l'infrarouge. Seule une toute petite partie du spectre peut être considérée nette à la fois - ici centrée sur les célèbres raies H et K du calcium ionisé (le même élément qui produit le triplet infrarouge vers 850 nm). La dispersion spectrale est d'environ  0.25 A/pixel dans le bleu.

Vers 3800 A, les filtres de la matrice Bayer deviennent transparent. C'est le même phénomène que dans l'infrarouge (la transmission des filtres vire au gris, puis à l'orange). Mais la sensibilité du capteur CMOS du 350D chute bien sur rapidement dans l'ultraviolet. Cependant, les raies H&K du Calcium ionisé sont accessibles (sûrement aussi sur des spectres d'étoiles). Cette performance intéressante n'est possible qu'avec un boîtier modifié (le filtre d'origine Canon coupe non seulement l'infrarouge profond, mais aussi le bleu profond).


OBSERVATION D'OBJETS STELLAIRES

Cette partie montre le spectre infrarouge de quelques étoiles brillantes réalisé avec le spectrographe LHIRES III (équipé du réseau de 1200 traits/mm) associé à un simple boîtier numérique Canon EOS 350D défiltré (voir plus haut). Le télescope est un Celestron 11 (D=0.28 m).


Le couple LHIRES III et appareil photo numérique.

La région du spectre choisie est celle qui encadre le triplet infrarouge du calcium ionisé. L'intêret de choix :

- la présence des raies du calcium, mais aussi le début de la séquence de Pashen de l'hydrogène (l'équivalent infrarouge de la série de Balmer dans le visible, qui se termine par la fameuse raie Ha),

- une fenêtre atmosphérique, quasi exempte de raies de la vapeur d'eau tellurique,

- la présence d'une bonne dizaines de raies d'émission (Ne + Ar) produites par la lampe interne de LHIRES III pour un étalonnage spectral simple et précis,

- on la vue, le CMOS du boitier Canon qui se comporte comme un capteur noir et blanc dans une partie du spectre où la sensibilité reste encore honnête.

Voici comment se présente le spectre en deux dimensions (2D) de l'étoile Betelgeuse à l'échelle 100% (une portion uniquement, centrée sur le triplet du calcium) :


Portion du spectre 2D de Betelgeuse (somme de 3 acquisitions de 120 secondes chacune).

La planche ci-après montre une séquence de spectres sur des étoiles très diverses obtenue le 14 et 15 février 2007. Les temps de pose caractéristique représentent un cumul de 3 à 6 poses de 300 secondes suivant les étoiles (sauf pour Betelgeuse, qui est un objet rouge très brillant).


Séquence de spectres dans la région du triplet du magnésium. La température des objets s'abaisse en allant du haut vers le bas.
Cliquer sur l'image pour afficher une vue agrandie de ce document.

Noter entre-autre le renforcement des raies du CaII au détriment des raies de l'hydrogène au fur et à mesure que la température diminue. La série de Pashen de l'hydrogène est bien visible, en particulier dans le spectre de Rigel (Beta Ori), comme une séquence de raies qui s'écartent progressivement en allant vers le rouge. La différence d'aspect frappante du spectre des étoiles Vega et Deneb alors que le type spectral est très proche, mais avec une nuance de taille : la première est une étoile naine alors que la seconde est une géante.

Les spectres enregistrés se sont avéré de haute qualité, malgré l'usage d'une caméra pour le moins commune et économique. Le traitement des spectres est quasi identique à celui pratiqué avec une caméra CCD spécialisée. La qualité spectro-photométrique s'avère excellente, digne d'une caméra CCD. Par exemple, en réalisant un flat-field dans les règles de l'art, il est possible de fort bien corriger les phénomènes de franges, comme le montre les profils spectraux suivants :


Le spectre de l'étoile Vega (Alpha Lyr) dans toute l'étendue spectrale acquise. Les franges qui modulent l'intensité
des spectres bruts peut être retirées lors du prétraitement (division par le "champ plat"). Les raies fines et très nombreuses
dans la partie gauche sont les raies telluriques de H2O (la vapeur d'eau de notre propre atmosphère). La
séquence de Pashen de l'hydrogène est bien visible sous la forme de raies dont l'intensité est croissante en allant vers le rouge.
Le CaII est déjà bien visible dans le spectre de Vega (raies bien plus fines que celles de l'hydrogène).

Les graphes suivant montrent quelques profils spectraux caractéristiques acquis avec cet équipement lors des séances d'observation du 14 et 15 février 2007 (avec souvent une comparaison avec le spectre de l'étoile Vega). La vitesse radiale des étoiles est corrigée (source SIMBAD) ainsi que la vitesse héliocentrique au moment de l'observation (commande HELIO de Iris). Par exemple pour l'étoile Vega la correction de vitesse radiale est de +0.39 A et la correction héliocentrique est de +0.27 A, soit un total de +0.66 A.












Quelques remarques :

- Les raies de l'hydrogènes apparaissent en émission dans le spectre de l'étoile Delta Sco, dont on rappelle qu'il s'agit d'un membre de la famille Be. L'allure de l'émission est fort différente suivant la raie considérée.

- Dans l'étoile Deneb les raies de l'hydrogène et du calcium ionisé ont une intensité équivalente, ce qui donne le sentiment de duplicité et le caractère étrange de ce spectre.

- L'étoile Zeta Orion est relativement brillante et pourtant son spectre apparaît bruité. En fait, cet objet est si chaud et bleu, qu'il n'envoi qu'un très modeste signal dans la partie infrarouge du spectre analysée. Ceci explique cela.

- La ressemblance des spectres de Mu Gem et de Delta Vir est normale puisque les types spectraux sont identiques. Mais il est bon de souligner la très bonne consistance des données obtenues par la chaîne d'acquisition et de traitement (ici Iris pour le pré-traitement et VisualSpec pour l'étalonnage des spectres). On rappelle qu'un maillon est un boîtier numérique reflex économique (qui ajoute en plus un certain agrément d'utilisation).

Pour finir cette description des capacités d'observations infrarouge avec LHIRES III, voici un extrait du spectre de la planète Saturne au voisinage du triplet du Calcium (compositage de 3 x 300 secondes avec le Canon 350D). Les conditions étaient mauvaises (vent et turbulence) si bien que la résolution spatiale est modeste. Les bandes en haut et en bas montrent cependant le spectre des anneaux qui encadre celui du disque :

Le spectre est complexe. On y voit les raies du spectre solaire inclinées par la rotation de la planète (effet Doppler), des raies non inclinées uniquement présentent sur le disque qui sont propre à l'atmosphère de Saturne, des raies absorption lente et large (dues au méthane probablement) qui affectent l'intensité du disque mais pas celui des anneaux, des raies telluriques qui traversent à la fois le spectre des anneaux et du disque.


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