Pour des raisons évidentes, la technologie militaire est la première a s'être intéressée au principe de l'amplification lumineuse des images nocturnes... De fait, RTC Philips est le principal fabricant d'intensificateurs en France et il reste difficile d'en acquérir un directement auprès de la firme qui n'en produit qu'à l'usage industriel (cameras, vidéo); cependant l'Association Nationale Science -Technique Jeunesse (ANSTJ) peut en fournir à l'unité aux amateurs. Aussi, je conseille à tous les lecteurs intéressés de nous demander les renseignements qui leur manque en écrivant au Club Cassini, Piscine Municipale, Avenue de l'Europe, 94190 Villeneuve St Georges.
Comme une caméra CCD, l'intensificateur est alimenté électriquement, ce qui permet l'amplification du signal de la manière suivante: un photon (particule lumineuse) vient frapper une photocathode qui libère des électrons lesquels sont accélérés par un champ électrique en direction d'une galette à micro-canaux (canaux ou tubes microscopiques assemblés les uns contre les autres, d'environ 12 micromètre=12/1000e de mm); ces électrons entrent dans les micro-canaux, frappent les parois en libèrant 2 à 3 électrons secondaires à chaque fois et ainsi de suite jusqu'à la sortie de la galette ou se trouve un écran qui reconvertit tous les électrons formés en lumière. Le gain de luminosité total en fin de parcours est voisin d'un facteur 100! Il faut ajouter que la réponse spectrale du récepteur (c'est-à-dire son rendu des couleurs) n'est pas linéaire et il est plus sensible dans le rouge et l'infra-rouge (maximum vers 650nm) que dans le bleu ou le vert.
Pratiquement, nous avons dû réaliser toute l'alimentation de l'intensificateur en isolant précautionneusement le circuit à Très Haute Tension (jusqu'à 6500 Volts) de l'humidité extérieure pour empêcher les flashes intempestifs et un dispositif de sécurité d'arrêt d'alimentation a été installé pour éviter de "griller" le capteur en cas de trop forte lumière ambiante (ex: mise en route accidentelle en plein jour !). Ainsi semble-t-il judicieux d'avoir un minimum de connaissances en électronique pour réaliser les différents circuits d'alimentation de l'instrument.
Recu en Août 1990, l'intensificateur XX 1390 de Philips était prèt à l'utilisation un an plus tard lors de l'été 1991, et une équipe de huit membres de Cassini l'emportait dans ses valises lors une mission d'une semaine au Pic de Château-Renard (St. Véran / Hautes-Alpes). Ses caractéristiques sont les suivantes:
Une semaine avant la mission, l'intensificateur était testé au foyer d'un télescope de ø310mm, l'écran était vu au travers d'une loupe grossissant 10 fois, et on pouvait imaginer dès lors l'étendue de ses possibilités...
L'image de M13 était "éblouissante": bien séparé
en quelques centaines d'étoiles vertes, la structure sombre en forme
de Y était visible; parfois des points lumineux parasites, s'allumant
puis s'éteignant aussitot, trahissaient le bruit de fond de l'intensificateur.
De même M57 montrait de manière évidente l'assombrissement
des anses. Certains pourraient croire que le ciel vu sur un écran
perd de sa magie, mais avec l'intensificateur on percoit la turbulence
qui trouble la netteté de la vision, les étoiles scintillent
et n'importe quel enthousiaste se rend compte que le lien avec la nuit
n'est pas détruit mais simplement... intensifié!
M57 M13
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Après cette première expérience, il vient d'abord
à l'esprit l'énorme intérêt que cela peut représenter
pour la popularisation de l'astronomie. Fini les nébuleuses un peu
faibles que vous percevez facilement mais que le touriste curieux, avec
toute la bonne volonté du monde, n'arrive pas à voir car
sa vision nocturne n'est pas assez entraînée: l'intensificateur
peut la lui montrer beaucoup plus facilement en rehaussant l'éclat
de l'ensemble! Ensuite, on peut envisager des photos du ciel profond sans
pour autant poser une heure: 10secondes suffisent à un film de 800ASA
pour enregistrer le bruit de fond du ciel. On peut facilement remplir une
pellicule de 36 poses en une nuit !
Le télescope de 62cm de l'association Astro-Queyras, un Cassegrain ouvert à 15 (soit 9m de focale brute!) sur monture allemande, est perché à 3000m d'altitude sous le ciel très pur du Haut-Queyras (Cf l'article de R.Lecocguen "Astronomie au sommet" dans Astro-Ciel n°38). Les amateurs peuvent effectuer une mission d'une semaine pendant l'été en en effectuant la demande auprès de l'Association AstroQueyras. Bien sûr, cet instrument n'est pas très lumineux (F/D=15) et son champ maximum de 15' ne permet pas d'étudier des objets très étendus, mais sa longue focale permet d'étudier aisément et en détail de petits objets comme les nébuleuses planétaires ou les amas globulaires. Sur cet instrument, l'intensificateur offrait un champ de près de 7' d'arc et une résolution théorique maximale de 0,71" d'arc.
Pour enregistrer les images, Richard Monnerot, le responsable de mission, a opté pour un camescope CANON HI8 A2 équipé d'une CCD pouvant intégrer du 1/1000e au 1/6e de seconde équipé d'un objectif zoom de 8 à 80mm de focale à F/D=1,4. L'intensificateur était placé au foyer du T62 (possibilité de filtrage) et la caméra derrière lui, avec, entre les deux, une lentille macro (f=75mm à F/D=2).
Pendant une semaine, nous avons visionné sur moniteur et enregistré sur bande K7 magnétique métal HI8 une quarantaine d'objets dont 10 amas globulaires, 14 nébuleuses planétaires et une dizaine de galaxies. Tout d'abord, nous avons testé le système T62 + Intensificateur sur une séquence de magnitudes centrée sur l'étoile SA68 (haute de 45° sur l'horizon). Il est vrai que ce montage ne montrait à l'écran qu'une magnitude visuelle de 16,2 alors que visuellement, avec un oculaire Ultima de 23mm de focale donnant près de 400 fois de grossissement, l'on pouvait percevoir une étoile de mv=16,8; mais la caméra vidéo n'était pas règlée pour atteindre le bruit de fond du détecteur et de plus les magnitudes visuelles ne sont peut-être pas bien adaptées pour un intensificateur surtout sensible dans le rouge...
Ces performances peuvent apparaître un peu décevantes car on aurait volontiers imaginé un intensificateur révèlant des objets imperceptibles à l'oeil nu... Cependant, il ne faut pas surestimer ses capacités qui ne consistent qu'à amplifier les signaux et non à rendre visible l'invisible. Par contre, nous nous promettions bien, une fois revenus à Paris, de faire du compositage multiple... Cette technique, théoriquement assez simple, consiste à photographier l'image vidéo du moniteur donnée par nos enregistrements; il se forme tous les 1/6e de seconde une nouvelle image de l'objet identique à la précédente (soit 6 images par seconde), laquelle n'est déformée que par la turbulence locale (hélas...), mais il se forme aussi une image aléatoire du bruit de fond thermique donc à chaque fois différente, qui s'homogenéise de lui-même sur la photographie résultante. En résumé, si on photographie l'écran pendant 4 secondes, 24 images utiles de l'objet s'additionnent au même endroit (à la turbulence près) et 24 images inutiles du bruit thermique s'ajoutent en formant un fond homogène au gain de brillance proportionnellement beaucoup moins important (24x) que celui de l'objet. Certes, la magnitude limite n'est pas dépassée, mais le gain en contraste (rapport signal/bruit en jargon technique) est spectaculaire...
Le luxe de détails que vous pouvez apercevoir sur les photos
illustrant cet article est dû, en partie, à la qualité
optique et mécanique de ce télescope qui permet par turbulence
faible de grossir visuellement jusqu'à 900x tout en garantissant
une observation confortable grâce à une image nette et un
suivi excellent. Les images présentées ici offrent un apercu
des possibilités de l'ensemble du système; M57, accompagnée
d'une étoile de 12e, montre ses bords Est et Ouest estompés
et sa centrale, réputée pour être difficilement observable,
(elle a tout de même été vue dans le T62 sans intensificateur
à 390x en vision décalée, alors qu'à 450 et
900x, on peut la voir en vision directe) est accompagnée par une
autre dans la zone centrale.
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NGC 6826, la blink nebula, qui, comparée à un document
de S. Brunier obtenu au 1m du Pic du Midi avec 2mn de pose sur du TRI X,
montre les mêmes détails internes en plus faibles (une barre
diffuse d'éclat renforcé traversant la nébuleuse et
des portions d'un mini-anneau enserrant de très prèès
la centrale) et atteint une magnitude stellaire comparable !
Dans le Dragon, NGC 6543 révèle avec l'intensificateur
une centrale brillante (noyée dans le flou avec de plus petits instruments)
de m: 9,6, entourée par une nébuleuse ovale assez homogène
avec 2 extensions spirales aux bords N et S. Cette forme fut notée
par Curtis de l'observatoire de Lick dans les années 20 avec le
télesope de ø91cm et une pose d'une minute; on constate l'évolution
de l'astronomie d'aprèès nos clichés avec un ø62cm
et 1 seconde de pose...
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L'image de NGC 6818 montre un étrange Z sombre interne, ce
qui donne à l'anneau un aspect très irrégulier. Enfin,
les amas globulaires M 92 et M 22 montrent des multitudes
d'étoiles qui, dans ce dernier cas, débordent du champ de
7' obtenu par le montage.
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En conclusion, l'utilisation d'un intensificateur d'image est relativement
aisée (malgré la difficulté de s'en procurer un et
de l'alimenter électriquement) et offre de réelles perspectives
d'observations pointues ou esthétiques. Nous aurons souvent l'occasion
de l'utiliser à nouveau pour le bonheur des membres du club et lors
d'animations publiques.