© Ciel Extrême, 1998
PROFONDEURS DU CIEL 12
 
©Yann POTHIER / Septembre-Octobre 1994
  paru en Mai-Juin 1995 dans Astro-Ciel n°55
  L'occasion d'observer des objets du Ciel Profond assez exotiques nous est offerte pendant ces premiers mois d'Automne lorsque la Voie Lactée d'été est encore visible. Plus sombres, les nuits permettent au curieux du ciel d'observer, même à l'oeil nu, les nuages obscurs cachés dans les méandres de notre galaxie. Peu d'articles de vulgarisation ont été consacrés à ces objets qui font pourtant partie du bestiaire du Ciel Profond. Leur noir caractère aurait-il assombri les esprits ?  


Des nuages obscurs (en abrégé: NO), tel le "Sac-à-charbon" visible seulement dans l'hémisphère austral, ou le "Grand Rift"  dans le Cygne, ont dû frapper les yeux et l'imagination des astronomes bien avant que Sir W. HERSCHELL parle de "trou dans le ciel", apercu à travers ses télescopes géants, à propos d'un NO dans la constellation d'Ophiucus, alors que même s'il croyait à des irrégularités de distribution stellaire, il était évidemment dans l'incapacité au XVIIIe siècle de porter un jugement définitif sur leur nature physique . Barnard, puis Bok dresseront les premières listes de NO dès 1890, grâce à une nouvelle application astronomique de l'époque: la photographie. En effet, E.E. BARNARD (1857-1923) étudiait la Voie Lactée et la photographiait en format grand champ à l'observatoire de Lick, puis à Yerkes. Ce faisant, il découvrit 349 nébuleuses sombres, devenant en quelque sorte le "Messier" des NO, et publia son premier catalogue en 1919. Il fût imité par M. WOLF (1863-1932), lequel découvrit par la même technique un millier de NO peu après son prédécesseur, à partir de l'observatoire d'Heidelberg. Plus tard, en 1947, B. BOK découvre les célèbres globules qui portent depuis son nom; enfin B.T. LYNDS publie son propre catalogue général très complet en 1962.
 
Il s'agit tout d'abord de différencier les deux principaux types de NO, à savoir les globules de Bok et les nuages absorbants. Les premiers ont été découverts par Bok dans les nébuleuses de la Rosette (NGC 2237-8-9) et de la Lagune (NGC 6523), reconnaissables à leur petite taille apparente (moins d'une minute d'arc) et par leur forte opacité. En réalité, ce sont des nuages compacts très froids (température inférieure à 3°K ou -270°C), dont les caractéristiques moyennes varient de une à trois années-lumière (AL) de diamètre pour 20 à 100 masses solaires (Msol) de matière gazeuse (principalement de l'hydrogène); ils se forment rapidement (environ un demi-million d'années), et se condensent ensuite en proto-étoiles, lesquelles chauffent ce qui reste du globule (jusqu'à quelques dizaines de kelvins, soit environ -260°C), devenant ainsi de remarquables sources de rayons infrarouges.
 
Plus communs, les autres NO sont de grandes dimensions (jusqu'à 300AL) et très massifs (jusqu'à 100.000Msol). Ces objets -les plus grands de la galaxie- sont des nuages d'hydrogène atomique mêlés à de la poussière. Leur densité est de 100 à 300 atomes par cm3, leur température de -263°C (10°K) -les objets les plus froids de l'Univers-, et ils contiennent entre 10.000 et un million de Msol. Mécaniquement bien plus stables et plus durables que les globules de Bok, il n'est pas à exclure que sous l'influence d'actions mécaniques extérieures (supernovae), ces nuages puissent se fragmenter en plusieurs petites nébuleuses pouvant évoluer vers des cocons stellaires, autrement dit des globules de Bok, -ce qui tend à lier ces deux types de nébuleuses aux caractéristiques légèrement différentes.
 
Ces nébuleuses sombres sont principalement formées de poussières de silicate, graphite et fer, et de gaz (hydrogène, un peu d'hélium) dans des proportions respectives de un pour cent. Pourtant, grâce aux rayonnements millimétriques captés par des télescopes appropriés (ex: grands télescopes du Pic de Bures en France, ou du Pico Veleta en Espagne), on détecte à proximité des NO des molécules beaucoup plus complexes, telle que l'éthanol, l'alcool méthylique, le méthyl-acétylène, etc... Pour exemple, la nébuleuse trifide M20 est entourée par un nuage de formaldéhyde de 100AL de diamètre et de 10 millions de Msol ! Ces molécules complexes se forment à partir d'éléments simples sous l'effet combiné des rayonnements et de la présence des poussières qui catalysent (aidant sans participer) les réactions d'associations. Ainsi formées, ces poussières mesurant de 0,1 à 1 micromètre de diamètre (0,1 à 1 millièmes de mm) sont recouvertes de glace de méthane et d'eau, et exercent sur la lumière des effets très remarqués par les astronomes.
 
Tout d'abord, ces NO l'absorbent de manière assez sélective puisqu'ils ne retiennent que les courtes longueurs d'onde; cependant, plus la densité en poussière est importante, plus les grandes longueurs d'onde sont absorbées (exception faite des longueurs d'onde bleues pratiquement toutes réfractées, c'est-à-dire renvoyées, par les glaces qui entourent le noyau). Par exemple, un nuage peu dense n'absorbera que les ultraviolets, alors qu'un nuage très dense pourra obscurcir les ondes jaunes, voire rouges, pour ne laisser passer que les infrarouges et les ondes radio métriques, ce qui rendra le NO indétectable dans le spectre visible. Cet effet de "rougissement de la lumière" est facilement constaté par un amateur qui, photographiant les parties denses de la Voie Lactée (dans lesquelles se trouvent la majorités des NO connus) avec un filtre bleu, puis avec un rouge, constate que le cliché en lumière rouge révèle beaucoup plus d'étoiles que celui en lumière bleue. D'autre part, certains nuages absorbants particuliers polarisent la lumière qui les traverse (c'est-à-dire que la lumière ne "vibre" plus que dans un seul plan de l'espace), et l'on peut observer parfois l'extinction de ces nébuleuses à l'aide d'un filtre polarisant comme dans le cas de la nébuleuse de l'Oeuf (PK 80-6.1). La polarisation de la lumière aux alentours du centre de la Voie lactée prouve que nombre de ces grains de poussière sont allongés et métalliques puisqu'ils s'alignent selon les lignes du champ magnétique de la galaxie.
 
On pourrait parler de "masse cachée", constante cosmologique essentielle, à propos de ces NO, n'était-ce le fait qu'ils ne représentent que 1/2000ème à 1/200ème de la masse totale de la Voie Lactée...
 


 
Les observations de nuages obscurs sont possibles et même nombreuses puisque l'on voit ces nuages par contraste avec les champs stellaires adjacents. L'absorption lumineuse du NO empêche en effet de voir les étoiles situées derrière lui mais non celles situées à coté; donc, si l'observateur constate en pleine Voie Lactée un champ apparemment vide d'étoiles ou moins fourni qu'ailleurs, il a toute les chances d'observer un tel nuage. Leur principale caractéristique de visibilité est leur opacité, c'est-à-dire le degré d'absorption que leur confère leur épaisseur, appelée Indice (i) et mesurée sur une échelle due à Lynds de 1 à 6 (1 pour les moins absorbants et 6 pour les plus opaques). Pourtant la vision de tels objets est d'abord dépendante du contraste qu'ils offrent avec les environs: un NO d'opacité 4 en plein centre de la Voie Lactée sera mieux percu qu'un autre d'opacité 6, pourtant plus absorbant, situé dans une région du ciel pauvre en étoiles...
 
Pour l'observation de ces objets, il est recommandé d'utiliser des instruments à grand champ et à court rapport F/D comme l'oeil nu, les jumelles et autres télescopes à moins de F/5. Est-il besoin de préciser que les NO ne supportent pas la pollution lumineuse et demeurent invisibles depuis nos belles grandes villes... Profitez d'un week-end (pardon de vacancelles) et d'une excursion campagnarde pour les admirer !
 
Le premier objet qui s'impose par sa facilité est B86 (86ème objet du catalogue de Barnard) contre le Sagittaire (à 2°45' Nord de Gamma SGR), mais il faudra l'observer tot dans la soirée (avant 22h) et disposer d'un horizon Sud bien dégagé. Malgré sa déclinaison négative qui même à sa culmination ne l'amène jamais qu'à environ 20° au-dessus de l'horizon et en dépit de sa petite taille angulaire, sa netteté est telle qu'il est facilement visible dans une lunette de 60mm de diamètre (à f/15) et grâce à un site préservé: il apparaît comme une petite tache d'encre allongée, posée sur un fond stellaire extrêmement fourni. Ce NO est d'autant plus remarquable qu'il contraste fortement avec un petit amas ouvert (NGC 6520) d'une dizaine d'étoiles de magnitudes comprises entre 8 et 10 sur fond laiteux. Vraiment très sombre à travers un Dobson de diam.31cm, ce NO prend une forme triangulaire et se retrouve coincé entre l'amas précédent à l'Est et une étoile de 7e mag. de couleur jaune à 3' Ouest. Sa petite taille empêche de la voir aux jumelles; cependant, je recommande cette nébuleuse sombre aux débutants pour son contraste et sa facilité de repérage par rapport à NGC 6520.
  B86-Y.POTHIER (T620mm, décidément pas l'intrument adapté...)

 
Sans commune mesure avec la précédente en ce qui concerne la taille, la "nébuleuse de la Pipe" se trouve à mi-chemin entre Antarès et Delta Sagittaire, plus exactement à 2° Sud de Thêta Ophiucus de mag3,3. Constituée d'un tuyau long de 4° formé par une suite de globules (B59/65/67) et d'un fourneau (B78) de 3° de diamètre, cette nébuleuse est tellement vaste qu'elle n'entre pas entièrement dans le champ des jumelles 8x56 (diam.56mm); on observe d'abord le tuyau: "longue barre sombre aux bords assez nets, orientée dans le sens Ouest-Sud-Ouest / Est-Nord-Est, très évidente et étroite, longue de 4° et large de 1° environ". Puis à l'extrémité Est de ce tuyau, le fourneau apparaît "plus évasif et moins net que la précédente nébuleuse; très large et de forme irrégulière". Cet ensemble sombre est étonnant de ressemblance et réellement aisé à voir même à l'oeil nu; de plus, il est intéressant à photographier avec des objectifs de 50 à 300mm de focale, -moyens simples de photographie en parallèle-, détaillant parfaitement sa structure.
 
En remontant la Voie Lactée jusque dans l'Aigle, on trouvera près d'Altair -à 1°30' Ouest de Gamma Aigle exactement- un joli couple de nuages obscurs, B142 et B143, tous deux voisins aux jumelles. B143 apparaît en nette forme de croissant (ou de C) obscur à cause d'une enclave stellaire dans le coté Nord-Ouest, assez large et bien contrasté, et B142, à 30' Sud de B 143, semble moins sombre que son voisin, plus restreint et allongé; tous deux sont bien visibles aux jumelles de même que dans un 115/900 ou un 310mm, ce dernier montrant une petite extension rectiligne et régulière, longue de 30' et large de 8', s'échappant de la partie Nord de B143...
 
Pour illustrer la propriété qu'ont les NO de s'associer avec des nébuleuses brillantes, il suffit de pointer la célèbre nébuleuse de la Lagune (M8), en plein Sagittaire à 6° au Nord de Gamma SGR; sa tranchée sombre est un magnifique NO visible dans tous les petits instruments. Essayez d'observer avec au moins 200mm de diamètre le globule de Bok de forme cométaire B88 visible en surimpression au Nord de 9 du Sagittaire, l'étoile excitatrice de la nébuleuse, de 5e magnitude. Ou encore, les célèbres bandes sombres de la nébuleuse Trifide (M20) qui lui donnent son nom: elles portent le numéro 85 du catalogue de Barnard (B85) et sont bien visibles, quoiqu'un peu irrégulières au T310.
  M8/B88-R.MOUREAUX (T150mm)

 
Enfin, bien plus haute dans le ciel, la très célèbre nébuleuse "North America", si souvent photographiée, à 3°Est-Sud-Est de Deneb (Alpha CYG), dont la forme si typique aux jumelles n'est due qu'à la présence immédiatement à l'Ouest, de LDN 935 (pour Lynds Dark Nebula) lequel tient place d'Océan Atlantique sombre au large du nébuleux continent nord-américain...
  LDN 935-D.PONSOT (télé F=135mm) 

nota: ATTENTION, peu d'atlas du ciel indiquent sur leurs cartes la positions des NO; seuls l'Uranometria 2000.0 ainsi que certains atlas informatiques le font, mais ni le Sky Atlas 2000.0 ni les cartes de la Revue des Constellations ne portent mention de ces objets délaissés.
 
NOM/N°
Gamma SGR
B 86
NGC 6520
Theta OPH
B 59/65/67
B 78
Gamma AQL
B 142
B 143
Gamma SGR
M 8
B 88
M 20
B 85
Alpha CYG
LDN 935
Ind/Mv
3.0
i5
7.6p
3.3
i6 
i6 
2.7
6
3.0
5.5
?
6.3
1.2
4
taille
-
5' x 3'
ø=6'
-
300' x 60'
200' x 140'
-
100' x 100'
80' x 50'
-
60' x 40'
2.7' x 0.5'
29' x 27'
7' x 3'
-
150' x 40'
Type
étoile
Nuage Obscur
Amas Ouvert 
étoile
Nuage Obscur
Nuage Obscur 
étoile
Nuage Obscur
Nuage Obscur
étoile
Nébuleuse Diffuse
Nuage Obscur
Nébuleuse Diffuse
Nuage Obscur
étoile
Nuage Obscur
classe
-
Ir, G
I 2 m
-
Ir
Ir
-
Ir
-
-
E
-
E+R
-
-
-
alpha
18h05.8
18h02.7
18h12.1
17h22.0
17h21:
17h33:
19h46.2
19h40.5
19h41.0
18h05.8
18h04.3:
18h04.6
18h02.3
18h02.6
20h41.4
20h54.0
delta
-30°26'
-27°50'
+06°51'
-25°00'
-27°: 
-26°:
+10°37'
+10°20'
+11°00'
-30°26'
-24°20':
-24°08'
-23°02'
-23°06'
+45°16'
+44°20'

 


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