© Ciel Extrême, 1998
PROFONDEURS DU CIEL 13
 
Yann POTHIER / Novembre-Décembre 1994
  paru en Mai-Juin 1995 dans Astro-Ciel n°55
  Les séances d'observation des curieux du ciel ne laissent trop souvent aucune trace, et certains amateurs avertis jugent inutiles ces nuits passées à observer sans enregistrer ce que l'on voit. Pourtant, une fois terminée la contemplation, on peut sans forcément s'ennuyer, créer et garder un document-souvenir de ces visions merveilleuses que procurent l'oeil, l'instrument et le ciel.

 
Il ne s'agit pas de rentrer dans la polémique "Astronomie d'amateur utile ou non?", mais plutot de proposer des techniques simples, voire amusantes. Il ne s'agit pas non plus de critiquer ceux qui ne font que contempler le ciel, car s'ils étaient plus nombreux, l'astronome amateur aurait moins à se battre contre la pollution lumineuse ou l'incompréhension et la méconnaissance de ses concitoyens. De plus, comment se faire une idée de l'Univers qui nous entoure sans le voir, l'observer ? Néanmoins, on peut passer, pour peu que l'on en ait l'envie, du cap "contemplation" au cap "observation", ce dernier stade visant à récolter et consigner des détails sur les objets célestes lors d'une séance de Ciel Profond par exemple, mais également lors de tout autre type de séance.
 
Il existe maintenant de nombreuses méthodes d'enregistrement des observations, et nul doute qu'au fil des ans, elles deviendront plus nombreuses, plus sûres, plus fidèles, et surtout moins coûteuses. Pour l'heure, voici les principaux moyens auxquels les amateurs ont recours pour enregistrer les observations en Ciel Profond:
  • la description verbale écrite directement sur place pendant l'observation (support papier ou micro-informatique).
  • la description verbale enregistrée au moyen d'un enregistreur audio et retranscrite plus tard sur support papier ou micro-informatique.
  • le dessin sur support papier.
  • la photographie classique sur support pelliculaire, tirage diapositive / papier / scannérisation + imprimante (micro-informatique).
  • l'imagerie CCD sur support micro-informatique, sortie photographique ou papier (imprimante).

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    Toutes ces techniques sont accessibles aux amateurs: à eux de choisir en fonction de leurs buts, moyens et motivations. Pour sa part, l'auteur se contentera de ne décrire que les trois premières dans une série de rubriques "Profondeurs du Ciel", les deux dernières ayant fait l'objet de nombreuses références spécialisées très bien documentées. Dans cet article, nous examinerons comment orienter le champ et déterminer l'échelle lors d'une observation, ainsi que les points sur lesquels se concentrer lors de la description d'un objet; la technique du dessin, entre autres, sera abordée dans de prochaines rubriques.
     
    Lors d'une observation, qu'elle soit orale, écrite ou dessinée, il est utile et important de connaître l'orientation du champ et l'échelle de ce que l'on examine pour plusieurs raisons. Tout d'abord, cela permet d'établir des repères précis pour mieux reconnaître l'aire de ciel que l'on explore lors d'une recherche ou d'un repérage par exemple, ainsi que pour retrouver l'orientation des détails observés sur un amas, une nébuleuse ou une galaxie. Une fois trouvés ces repères axiaux et unitaires, on peut comparer à l'oculaire avec une carte d'atlas ou de champ, ou bien avec les distances indiquées dans les catalogues ou dans notre rubrique. A posteriori, l'orientation et les tailles des détails observés pourront être confrontées avec les observations d'autres amateurs (au sein d'un club ou avec les revues).
     
    Pour orienter le champ, il suffit de laisser l'instrument immobile -qu'il soit équatorial ou non-, et de trouver le sens de dérive des étoiles. Les astres ayant une trajectoire apparente Est-Ouest dans le Ciel, ils semblent se lever à l'Est et se coucher à l'Ouest comme le Soleil. Dans le champ observé, le sens de dérive des étoiles indique l'Ouest et on trouve l'Est dans la direction opposée. On trouve le Nord (et le Sud) perpendiculairement à cette direction, vers le bas du champ si l'instrument est de type télescope Newton (sans redresseur) ou lunette (sans renvoi à 45°). Si l'on possède un renvoi coudé (ou plusieurs), c'est l'inverse (ou plus compliqué). Dans tous les cas, afin de trouver le Nord en étant sûr et certain de son fait, il faudra déplacer très légèrement l'instrument en direction de la Polaire et constater le mouvement apparent résultant du mouvement dans le champ: procédure plus facile avec une monture équatoriale mise en station qui permet de se diriger infailliblement vers le Nord. Pratiquement, il faut déterminer précisément la direction de l'Ouest et avoir un sens approximatif pour le Nord; une fois un axe déterminé, on peut trouver l'autre par perpendicularité.
     
    En deux minutes, vous aurez établi et mémorisé l'orientation du champ (c'est-à-dire les directions Ouest, Est, Nord et Sud). "p" et "f" signifient "preceding" et "following", termes anglo-saxons signifiant "qui précède" et "qui suit". Ces orientations traduisant les directions Ouest et Est respectivement, illustrent mieux la situation à l'oculaire et sont "plus naturellement" utilisables que les données traditionnelles (ex: une étoile à l'Ouest d'un objet 'précède' celui-ci dans le champ); de plus, ce sont des moyens mnémotechniques idéaux, faciles à retrouver même lorsque l'on utilise un renvoi coudé. A partir des quatre directions cardinales, on peut établir un repère assez précis de directions multiples, toutes rapportées au Nord et mesurées en degré d'angle (°). C'est à partir du Nord, valeur 0°, que l'on mesure l'angle de position ("PA" en anglais et "q" en francais). Ainsi, la nébuleuse dessinée plus loin présente-t-elle un grand axe orienté PA 45°/225°, c'est-à-dire Nf/Sp (Nord-Est/Sud-Ouest). Avec un peu de pratique, l'angle de position pourra être déterminé à 10° près, mais avec un peu d'habileté et de patience l'observateur peut aussi fabriquer un micromètre, -ceci est une autre histoire (ou un autre article) ! Pour l'observateur du Ciel Profond, la précision précédente est suffisante...
     
    En ce qui concerne l'échelle du champ, il faut pour la connaître une petite expérimentation préalable, pouvant d'ailleurs occuper valablement une soirée de Pleine Lune, au cours de laquelle l'observateur s'appliquera à déterminer le diamètre du champ que chaque oculaire fournit avec son instrument. Ainsi, est-il possible de comparer la taille de l'objet ou la distance séparant deux étoiles avec le diamètre connu du champ apparent. Ce champ apparent pour un télescope donné dépend de l'oculaire utilisé, de sa focale et de son champ propre. La formule donnant le champ apparent à partir du champ théorique de l'oculaire selon son type est la suivante:

    CR = CO x G.

    où CR est le champ résultant en degrés (°), CO le champ de l'oculaire en degrés également (de 40 à 82° selon son type), et G le grossissement exprimé en fois (x).
     
    Rappelons que le grossissement est égal au rapport de la focale de l'instrument sur celle de l'oculaire. Pour se servir de cette formule, il faut connaître le champ de l'oculaire, donnée qui varie selon son type (Huygens=35°; Ramsden=30°; Kellner=35°; Orthoscopique=45°; Plossl=50°; Erfle=65°; Super Wide Angle=67°; Ultra Wide Angle=84°; Nagler I/II=82/84°).
     
    Si on ne connaît pas exactement le champ donné par son oculaire, il existe trois manière de le mesurer autrement:

  • on peut repérer dans un atlas précis (Sky Atlas, Uranometria ou les nouveaux logiciels de cartographies célestes) des écartements connus d'étoiles et les comparer au champ de vision réelle donnée par le système intrument+oculaire. Ce système peut s'avérer assez précis si on prend suffisamment d'écart d'étoiles différents pour bien "encadrer" le diamètre de son champ de vision...
  • on peut calculer de manière simple et exacte le champ apparent résultant pour chaque oculaire utilisé. Pour ce faire, repérez une étoile proche de l'équateur céleste (par exemple l'hiver, Delta Orion l'étoile la plus "haute" de la ceinture du célèbre chasseur, ou bien l'été, Thèta Aigle l'étoile à l'extrémité de l'aile la plus basse du rapace); notez le sens de son déplacement à travers le champ de l'oculaire, centrez ensuite l'instrument de manière à ce qu'il se trouve en avant d'une trajectoire apparente de l'étoile passant par le centre du champ; puis, chronomètrez la durée de son passage à travers celui-ci. Enfin appliquez la formule suivante aux valeurs obtenues pour chaque oculaire afin d'obtenir le diamètre du champ:
  • DC= T x 15.
    où DC est le diamètre du champ en secondes d'arc (") et T la durée de la traversée en secondes (s). Pour obtenir, le champ en minutes ou en degrés, divisez respectivement DC par 60 et par 3600.
  • la troisième solution nécessite un peu plus de moyens calculatoires; il s'agit du même protocole que ci-dessus mais pratiqué sur n'importe quelle étoile, pourvu que l'on connaisse sa déclinaison et qu'elle soit positive. Il suffit ensuite de calculer:
  • DC = (t x cos d) / 4
    où DC est le diamètre du champ en minutes d'arc ('), d la déclinaison de l'étoile choisie en degrés et dixièmes de degré (ex: 10°20'=10.33°) et t le temps qu'elle a mis pour parcourir le champ en seconde (s).


     
    Pour les deux dernières méthodes, si l'instrument n'est pas équatorial et mis en station, le lecteur veillera préalablement à ce que l'étoile passe effectivement au millieu du champ (afin qu'elle parcoure un diamètre exact de champ). On veillera également à effectuer trois mesures différentes de manière à obtenir une valeur moyenne corrigée d'éventuelles erreurs de mesure.
     
    Dès que le curieux du ciel dispose de ces nouvelles données, il est capable de déterminer le diamètre de l'objet qu'il ne connaît pas en le comparant au diamètre du champ qu'il connaît. Si l'objet mesure 1/4 du diamètre d'un champ de 44', il en déduit immédiatement qu'il mesure 11' de diamètre... On peut aller jusqu'à mesurer des diamètres de l'ordre d'un dizième de diamètre du champ; si l'objet est plus petit, l'observateur effectuera la mesure avec un oculaire de focale moindre fournissant un champ plus petit.
     
    Concrètement, noter l'orientation du champ et l'échelle permet de déterminer:

  • les distances et directions d'étoiles (brillantes ou faibles) proches.
  • la taille (et éventuellement le sens de l'allongement) de l'objet.
  • les positions, tailles et directions de détails intrinsèques.
  • la direction et la distance de l'objet par rapport à des repères brillants, connus ou de référence.

  •  
    L'on s'en rend bien compte dans la simulation d'observation ci-dessous, en comparant les vues, avec et sans orientation ni échelle. Essayez de décrire l'image de gauche, puis celle de droite: quelle est la description la plus détaillée et la plus riche informationnellement parlant ?
     


    Voici une petite succession d'objets pour vous entraîner à trouver les directions célestes et à estimer leurs tailles. Après les avoir repérés, admirés et détaillés, essayez de les dessiner en orientant le champ, mesurant l'échelle et en attendant la prochaine rubrique qui vous expliquera tout sur le dessin en Ciel Profond. Lors d'une de ces sombres et longues nuits d'hiver, on pourra commencer par l'amas globulaire découvert par MARALDI en 1746 lorsqu'il observait la comète De Chéseaux: M 2 (NGC 7089). Assez facile à repérer car sur la même déclinaison qu'Alpha Verseau de Mv=3.0, il suffit de centrer cette étoile et de se déplacer de 8° vers l'Ouest pour le trouver; toutefois, le manque d'étoiles-repères proches (à moins de 2°) rend plus difficile le répérage à vue. Visible dans les chercheurs de 30 à 50mm de diamètre comme une petite étoile floue, cet amas commence à se séparer en étoiles de Mv=13.2 sur les bords avec les 115/900 dotés de forts grossissements et bénéficiant de sites privilégiés. En banlieue proche ou lointaine, il faudra attendre 200mm de diamètre pour obtenir la même performance. A partir d'un diamètre de 10cm, cherchez à observer une bande sombre dans la section Nord-Est de l'amas, au large de son centre condensé.
      M2-Y.POTHIER (T115mm)


    La nébuleuse du Cocon IC 5146 dans le Cygne reste un objet difficile puisqu'aux jumelles on ne détecte que la bande sombre (Barnard 168) dans laquelle elle baigne; on gardera bien sûr cette cible lors de l'accès à un site d'observation au ciel bien protégé des lumières parasites. Situé à 12mn Est et 2° Nord d'Alpha du Cygne, cet objet a été découvert en 1894 par ESPIN. Sans doute détectable avec un intrument de plus de 10cm de diamètre suffisamment ouvert (F/D inférieur 7), cette lueur diffuse de 10' de diamètre est bien visible avec un Schmidt-Cassegrain de 200mm, lequel en révèle quelques renforcements brillants ainsi que l'étoile excitatrice centrée de Mv=9.5 accompagnée d'un groupe épars d'une douzaine d'autres plus faibles. A vous de déterminer l'orientation de ses nodosités par rapport à l'étoile "centrale" et leurs tailles respectives! Curieusement, cette nébuleuse n'est pas beaucoup mieux vue avec un filtre UHC pourtant destiné à ce type d'objet émissif; ne vous étonnez donc pas si ce filtre n'occasionne pas de gain remarquable...

    Plutot un objet d'Automne, la nébuleuse planétaire la plus proche de la Terre, puisque la plus large, est encore visible en début de nuit avant qu'elle ne se couche juste après le Capricorne. En effet, NGC 7293, surnommée la nébuleuse Hélix, se situe à près de 10° au Sud de Saturne ou encore 28mn Ouest et 8°50' Nord d'alpha du Poisson Austral; quand on sait où la chercher grâce à une bonne carte céleste, elle est repérable à partir d'un bon site dans des jumelles de 50mm de diamètre, apparaissant comme une tache moyenne en taille, faible en éclat et homogène. Cet objet est invisible en ville, et seuls les télescopes ayant des rapports F/D inférieurs à 6 ou 8 ont des chances d'en montrer quelquechose, tant l'objet est étendu et sa surface intrinsèquement faible. Un filtre UHC, et surtout OxygenIII, sera le bienvenu et provoquera de bonnes surprises dans cette chasse à la nébuleuse faible. Dans tous les cas à partir de 50x, Hélix paraîtra truffée d'étoiles faibles dont la plus centrée est la centrale de Mv=13.6... L'annularité de cette célébrité commence à apparaître entre 80 et 150mm de diamètre selon le site utilisé, sous la forme de portions de nébuleuse plus brillantes dans ses parties Nord et Sud.

    Une petite escapade hors de la Voie Lactée vers NGC 404, galaxie elliptique de la constellation d'Andromède, pourra apporter une vision et un contraste d'aspect que seul l'Univers peut procurer. En effet, à seulement 6' au Nord-Ouest de beta Andromède, l'antagonisme est très frappant entre la petite tache faible (11ème mag.) et floue extra-galactique (6 millions d'années-lumière) et le très brillant (Mv=2.1) point stellaire de couleur jaune intra-galactique (60 années-lumières) appelé Mirach... La différence d'éclat est de 9 magnitudes, c'est-à-dire que Beta est près de 4000 fois plus brillante que NGC 404, et pourtant: la galaxie est située 100.000 fois plus loin que beta... Ce spectacle peut commencer à être admiré à partir d'un bon site avec 60mm de diamètre et partout ailleurs avec n'importe quel 115/900: la galaxie et Beta forment un triangle avec une troisième étoile de 8e mag. Avec de tels instruments, la galaxie ne laisse entr'apercevoir que son centre quasi-stellaire entouré d'un halo pâle. NGC 404-X.CAMER (T115mm)


    Pour terminer une nuit si bien remplie, l'instrument une fois rangé et l'appel de l'oreiller se faisant sentir, le curieux n'oubliera pas de tourner son regard dans la constellation de Persée, très précisément autour d'alpha appelée aussi Mirfak, où l'oeil nu découvre une dizaine d'étoiles entourant cette brillante "centrale" dans un halo de 2°30' environ. Cette association n'est pas dûe au hasard: il s'agit d'un véritable amas (Melotte 20) distant de quelques centaines d'années-lumière. Son exploration aux jumelles (si elles traînent encore à portée de main) procure une superbe vue d'ensemble.
     
     

    NOM/N°
    Alpha AQR
    M 2 (7089)
    Alpha CYG
    IC 5146
    IC 5146
    Alpha PsA
    NGC 7293
    Gamma SGR
    NGC 404
    Alpha CYG
    Melotte 20
    Mv
    3.0
    6.4
    1.3
    ?
    7.2
    1.2
    7.3
    3.0
    10.3
    1.2
    1.2
    taille
    -
    ø=13'
    -
    ø=10'
    ø=9'
    -
    15' x 12'
    -
    ø=6.1'
    -
    ø=185'
    Type
    étoile
    Amas Globulaire
    étoile
    Nébuleuse Diffuse
    Amas ouvert
    étoile
    Nébuleuse Planétaire
    étoile
    Galaxie
    étoile
    Amas Ouvert 
    classe
    -
    II
    -
    E
    III 2 p
    -
    IV
    -
    E0
    -
    III 3 m
    alpha
    22h05.8
    21h33.5
    20h41.4
    21h53.4
    21h53.4
    22h57.6
    22h29.6
    18h05.8
    01h09.4
    20h41.4
    03h22:
    delta
    -00°19'
    -00°49'
    +45°16'
    +47°16'
    +47°16'
    -29°37'
    -20°48'
    -30°26'
    +35°44'
    +45°16'
    +49°:

     


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