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La Bible face à la critique historique

Reproduction des Dix Commandements en paléo-hébreu.

L'origine du Dieu unique (I)

Vers le monothéiste proto-judaïque

Contrairement à ce que prétend l'Ancien Testament, l'invention du Dieu unique est une invention tardive du haut clergé israélite. Au IIIe millénaire avant notre ère, dans le pays des Cananéens qui occupaient le territoire de la Phénicie des Grecs, c'est-à-dire de l'actuelle Israël et du Liban, le nom de Yahvé n'apparaît pas encore car les populations vénéraient des idoles dont le dieu Baal, le dieu de l'orage représenté par un taureau cher aux peuples d'origine sémitique ou phénicienne (cf. le livre d'Osée qui décrit le culte de Baal).

Ensuite, selon la tradition, vers le IIe millénaire on entrevoie dans la Genèse et en particulier dans l'histoire des patriarches dont celle de Jacob (versets 12 à 50), la vénération du dieu El sous différentes formes y compris sous des traits solaires qui devient un allier de Jacob et de ses serviteurs, au point que ce dieu lui demande de changer son nom en "Israël" (Genèse 12-50). Jacob lui ériga également un autel sacré près de Sichem (Genèse 33:20).

L'analyse des textes montre que le chapitre 14 de la Genèse où celui qui s'appelle encore Abram se lance dans une guerre sans merci contre tous les roitelets du pays, est un ajout tardif. Abram prête serment à ce nouveau dieu : "je lève ma main vers [YHWH], El Elyon, créateur des cieux et de la terre" (Genèse 14:22). Notons que le tétragramme n'apparaît dans aucun texte (ni dans la Septante ni dans les textes syriaques ou les manuscrits de Qumrân) mais le bibliste Thomas Römer[1] du Collège de France suppose que pour conserver la cohérence du texte, un copiste l'aurait mentionné pour marquer l'identité de YHWH avec El Elyon. Bien entendu, les bibles contemporaines ont remplacé ces noms propres par celui de leur doctrine ("Yahvé, le Dieu Très-Haut" dans la bible catholique et "l'Éternel, le Dieu Très-Haut" dans la bible protestante de Segond).

Mais on ignore si El et Elyon sont un seul et même dieu ou deux divinités distinctes car dans un texte araméen datant du VIIIe siècle avant notre ère figurant sur une stèle découverte à Sfiré, à 25 km au sud-est d'Alep on peut lire les dieux témoins : "devant El et Elyon". Mais certains biblistes ont souligné l'utilisation de la conjonction "waw" qu'on retrouve sur la face A de la stèle, la phrase se traduisant alors par : "devant El, c'est-à-dire Elyon".

Evolution typographique du tétragramme YHWH (Yahvé).

Dans la bible hébraïque, les auteurs insistent sur l'identité entre YHWH et les autres dieux, notamment certains psaumes : "Car toi, YHWH, tu es Elyon sur toute la terre, tu es souverainement élevé au-dessus de tous les dieux" (Psaume 97:9). Évidemment, les bibles chrétiennes ont remplacé ces noms propres par celui de leur doctrine (respectivement par Yahvé et le Très-Haut dans la bible catholique et l'Éternel et le Très-Haut dans la bible protestante de Segond). Dans d'autres textes bibliques, on fait toujours la distinction entre "les paroles d'El" et les "conseils d'Elyon" (Psaume 107:11), y compris dans le livre des Nombres : "Déclaration de celui qui entend les paroles de El, de celui qui possède la connaissance d'Elyon, de celui qui voit la vision de Shadday, de celui qui se prosterne et dont les yeux s'ouvrent" (Nombres 24:16). Une nouvelle fois, la tradition chrétienne a retraduit ce texte à sa manière : El a été traduit par Dieu, Elyon par le Très-Haut, Shadday par Tout-Puissant. En revanche, à Ougarit, situé sur le côte nord de l'actuel Liban, El était utilisé comme synonyme de Baal (texte catalogué KTU 1.16m:5-8).

La Genèse cite également d'autres références au dieu El associé au dieu YHWH. Il y a El Roï ("El me voit") qui se manifeste à Hagar, la servante de Sarah (Genèse 16) et lui demande d'appeler son fils Ismaël signifiant "qu'El écoute" pour bien signifier que El est identique à YHWH. De même, Abraham associe El Olam signifiant "El d'éternité" à YHWH : "il planta un tamaris à Beer-Sheva et il appela là le nom de YHWH El Olam" (Genèse 21). On trouve le même titre à Ougarit où YHWH est appliqué à Shapsu, la divinité solaire (KTU 2.42). Même chose pour El Shadday cité dans la Genèse comme épithète de YHWH utilisé à l'époque perse par des auteurs sacerdotaux ou encore El-Berith (signifiant "El du Contrat") cité dans les Juges 9:46 mais qui est nommé originellement Baal dans la version qui servit de base au texte grec (cf. Juges 8:33 et 9:4).

Bref, pour les juifs, l'acronyme divin "el" n'était pas encore synonyme d'Adonaï , Yahvé ou Dieu. Et quand bien même certains juifs y pensaient, le Dieu de la tribu d'Israël comprenait le dieu guerrier YHWH mais également d'autres dieux d'origines assyriennes. Yahvé n'était donc pas encore le seul Dieu à régner au ciel et sur la terre. Nous sommes encore à des siècles au sens propre du culte judaïque. De plus, ce dieu des Hébreux n'avait pas son sanctuaire dans le temple de Jérusalem, un concept très tardif, mais dans les régions du sud, au pays de Madian.

L'origine de YHWH

La région sud d'Arava (entre la mer Morte et la mer Rouge). Document Google Earth/Google Maps.

C'est à partir du XIXe siècle qu'on proposa une théorie selon laquelle YHWH proviendrait des régions méridionales. Originaire du sud de l'Arava (ou Ha'Arava ou encore Arabah) situé dans la zone désertique entre la mer Morte et la mer Rouge, il laissa ses premières traces dans des documents datant des XIVe et XIIIe siècles avant notre ère. On le retrouve ensuite dans le pays de Canaan en Israël aux XIIIe et XIe siècles, probablement transporté par les Shasous, un peuple de bédouins mentionnés dans les textes égyptiens, ainsi que par les Madianites, les Kénites et peut-être d'autres ethnies qui ont participé à l'Exode. Bien que cela reste hypothétique, il n'est pas exclu que YHWH fut considéré comme une divinité tutélaire des royaumes Israélite et Judéen au premier millénaire avant notre ère.

Récemment, une thèse alternative s'est également développée à partir des années 2000 qui postule une origine septentrionale pour YHWH. Selon "l'hypothèse de Berlin" l'origine de YHWH se situerait sur le territoire même du pays de Canaan voire même plus au nord du Levant et le tétragramme serait apparu au cours de la période pré-monarchique ou primitive.

Pour valider l'une ou l'autre théorie, il est impératif d'identifier toutes les sources disponibles et d'évaluer les données de manière critique. Pour nous aider dans cette tâche complexe, nous allons faire appel au professeur Martin Leuenberger, expert de l'Ancien Testament à l'Université de Tübingen qui a notamment publié une étude initulée "Noch einmal: Jhwh aus dem Süden." (Encore une fois : YHWH du Sud) publiée dans l'ouvrage collectif "Geschichte und Gott. XV" en 2014.

Cinq catégories de preuves ont été évaluées. Lorsque les experts ont examiné les toponymes théophoriques (les noms de lieux incluant des éléments de noms divins), les noms personnels et les noms de divinités de Canaan qui pourraient indiquer une origine septentrionale, le résultat fut tout à fait clair : YHWH n'est pas du tout attesté. À deux exceptions près, il en va de même pour les régions du sud, mais le nombre de sources pour le nord est beaucoup plus élevé et, par conséquent, l'absence de preuves pèse beaucoup plus lourdement. En revanche, quelques sources du sud contiennent des indices importants. Dans deux listes de temples égyptiens de noms étrangers datant de l'Âge du Bronze récent (XIVe-XIIIe siècles avant notre ère), des groupes de Shasous sont mentionnés, parmi lesquels "le pays des Shasous de YHWH". Cette inscription lie un territoire à une population et éventuellement une divinité correspondante située à Seir, dans la région édomite de l'Arava.

Le lien entre YHWH et les Shasous est d'autant plus fort que ce groupe assez bien documenté a joué un rôle important dans le sud de Canaan aux XIIIe et XIIe siècles avant notre ère, notamment dans les domaines de la métallurgie, du commerce et de la formation d'Israël.

En quête du camp de YHW au pays de Madian

Les textes égyptiens évoquent à l'est du golfe d'Aqaba un camp dénommé Yhw (Yahwou). Et justement, dans la Bible, avant l'Exode, après que Moïse ait tué un égyptien et fuit l'Égypte, il se refugia dans le pays de Madian situé près du camp de Yhw, où selon la Bible serait né le Dieu d'Israël. Pour rappel, c'est à cette occasion que YHWH ordonna à Moïse de retourner en Égypte sauver ses frères Hébreux (Exode 3:1-4:18).

Où se situe exactement ce pays de Madian ? Les géographes greco-romains et arabes précisent qu'à l'est du golfe d'Aqaba (cf. cette carte), il existait effectivement une ancienne cité appelée "Midama Madyan". Le pays de Madian pourrait correspondre à la région centrée sur la ville actuelle de al-Bad'a (ou Al Bad') située sur la côte ouest de l'Arabie Saoudite, à 120 km au sud d'Aqaba. Par ailleurs, à l'époque les Madianites contrôlaient les routes commerciales entre l'Arabie, le Néguev et le Sinaï. Selon la tradition (légende), les Madianites sont également rattachés à des tribus arabes issues de Qeturah, la femme d’Abraham.

Un autre passage de l'Exode évoque aussi cette révélation de YHWH au peuple hébreu dans le Sinaï. Selon la bible hébraïque, en sortant d'Égypte, les hébreux sont devenus le "am yhwh", le "peuple de YHWH" (Exode 19-20) avec lequel Dieu fit alliance (Exode 24). Selon les spécialistes, ces passages sont les traces d'anciens rites pratiqués par le peuple de Shasou, les Hapiru, qui se sont considérés comme le peuple "élu, médiateur entre Dieu et les hommes, voyant en leur Dieu celui qui leur attribua la victoire contre l'Égypte.

A gauche, le Pentateuque en hébreu (34 f. 176v-177). Dans cette page, Moïse est parvenu dans le Sinaï, dans le pays de Madian et face au Buisson ardent, il reçoit la révélation du Nom de Dieu, YHWH (Yahvé). Document BnF. Au centre, Soleb IV N 4 α: “le pays des Shasous de Yhwh”. Photo extraite de J.Leclant, "Les fouilles de Soleb (Nubie soudanaise) : Quelques remarques sur les écussons des peuples envoutés de la salle hypostyle du secteur IV", NAWG.PH 13 (1965) 205–216: 214*, fig. 15. A droite, représentation de la gravure "Le pays des Shasous de Yhwh". Extrait de J.Leclant, p.215, fig. c.

Selon les archéologues, comme on le voit ci-dessus au centre et à droite, on trouve dans des inscriptions égyptiennes datant du XIVe siècle (une colonne du temple d'Amon à Soleb en Nubie datant de la dynastie d'Aménophis III et sur un mur d'Amarah ouest datant du règne de Ramsès II) des références aux cités du pays des Shasous. Ce peuple de bédouins est associé aux Hébreux (Hapiru) habitant le Néguev et la Transjordanie méridionale à l'Âge du Bronze récent et du fer I, à partir de 1500 avant notre ère. Dans ces listes, il est mentionné "Yhw en terre de Shasou". Yhw (Yahu) est un toponyme qui pourrait indiquer une ville juive disposant d'un sanctuaire, peut-être à l'origine de Beth-Yhw, la maison de Yahu.

Ce groupe de Hébreux d'origine édomites ou madianites[2] se serait ensuite déplacé vers le pays de Canaan, introduisant ce dieu YHWH auprès des populations des régions de Benjamin et d'Ephraïm où se trouvait les tribus d'Israël. Ainsi, la bible hébraïque aurait conservé une trace des origines sudistes du Dieu d'Israël : "YHWH est venu du Sinaï, il s'est levé sur eux de Séïr, il a resplendi de la montagne de Paran [...] Oui, il aime son peuple (am) [...] il devient roi en Yeshouroun, quand s'assemblaient les chefs du peuple ensemble avec les tribus d'Israël" (Deutéronome 33:2-5). Notons que le verbe "aimer" correspond en fait au néologisme ou hapax "h-b-b" intraduisible mais qui se rapproche du mot "Habib", c'est-à-dire "ami" en arabe. On l'utilise aussi comme nom propre (par ex. Hobab, le beau-frère de Moïse). Si le Dieu des Hébreux est leur ami, on en déduit que tous ceux qui ne sont pas hébreux sont les ennemis du peuple juif.

Comme nous l'avons expliqué, aucune trace archéologique ne confirme la présence de Hébreux en Égypte ou dans le Sinaï à l'époque du Bronze récent, entre les XIVe et XIIe siècle ainsi que le livre de l'Exode le prétend. En revanche, des Shasous habitaient la région du Néguev et celle du nord-est. Mais ce que dit la Bible est différent. Ces textes sont donc tardifs, remontant pour la plupart à l'époque babylonienne et furent projetés à l'époque ancestrale, soit 1500 à 2000 ans plus tôt pour embellir et expliquer l'origine du peuple juif.

Mais pour ceux qui veulent y croire, il est possible qu'un groupe de Hébreux fuyant l'Égypte par la mer des Roseaux ou les rivages du lac Tanis (cf. le récit du passage de la mer Rouge), puis descendant vers Aqaba et la côte d'Arabie ait rencontré des bédouins édomites ou madianites. Parmi ces peuples animistes voire polythéistes, certains auraient eu des inspirations spirituelles que d'autres appelleront des "visions divines" dans la région de Madian. Leur doctrine les aurait conduits à se considérer comme le "peuple élu" devant fonder une nouvelle nation. Mais nous ne le saurons probablement jamais puisque l'archéologie est muette à ce sujet et le récit probablement légendaire. Dans tous les cas, un groupe de Judéens très pratiquant a imaginé ce projet noble et ambitieux qui forgea le monothéisme des premiers Israélites et devint la religion judaïque et indirectement à l'origine du christianisme.

Les premières références à YHWH

L'introduction de Yahvé chez les Hébreux est déjà mentionnée dans des textes hittites remontant au IIe millénaire avant notre ère. Selon James Pritchard[3] dans la longue liste des dieux vénérés, ils reprennent l'expression "les dieux des Hapiru" qu'on peut traduire à partir de la tournure "elohe ibrim" signifiant "dieux des Hébreux" qu'on retrouve dans la Bible (Exode 5:3). Ceci dit, rien ne prouve qu'à cette époque ce dieu des Hébreux avait déjà un nom précis et encore moins qu'il était identifié à YHWH. Rappelons que Moïse ne connaissait pas le nom de Dieu quand celui-ci l'a mandaté pour délivrer ses frères d'Égypte (Exode 3:13). En fait, la nomination de Dieu est beaucoup plus tardive.

Comme on le voit ci-dessous à gauche, lors de fouilles réalisées entre 1935-1938 dans l'ancienne cité fortifiée de Lakish (Lachish) en Israël, aujourd'hui associée à Tell ed-Duweir, 21 tessons dont des ostraca furent découverts parmi les cendres d'un incendie daté de 609-607 avant notre ère. Ils présentent des inscriptions dont le nom de Yahvé.

Puis, en 1979 un adolescent travaillant pour une équipe d'archéologues découvrit dans une vieille tombe israélite située au sud-ouest de la vieille ville de Jérusalem, à 8 km de Lakish, deux petits rouleaux en argent. Souvent assimilée à un seul rouleau, elle est appelée "l'amulette de Ketef Hinnom" du nom de la colline où elles furent trouvées. Toutes deux datent entre 650-587 avant notre ère.

A lire : Yahvé : "L'Eternel" (PDF), Hugo McCord

Les occurences du nom de Yahvé dans la Bible

Convertisseur hébreu-paléohébreu

A gauche, reproduction des ostraca de Lakish (Lachish) découverts en 1935-38 sur lesquels sont inscrits le nom de Yahvé. Ces tessons furent découverts dans les cendres d'un incendie daté de 609-607 avant notre ère. A droite, les deux amulettes en argent gravées d'un texte sacré découvertes en 1979 à Ketef Hinnom située près de Jérusalem, à 8 km de Lakish. Elles datent de 650-587 avant notre ère. Au centre, la transcription du texte de l'une des amulettes. A droite du dessin, l'agrandissement du nom de Yahvé.

Comme on le voit ci-dessus à droite, ces deux amulettes sont constituées de plaques d'argent mesurant respectivement 97x27 mm et 39x11 mm. Sur la plus grande amulette est gravée une inscription de 18 lignes dont il ne manque que quelques caractères. A la ligne 15, on peut y lire le nom de Yahvé et une prière ressemblant à la bénédiction sacerdotale reprise dans le livre des Nombres : "Que Yahvé vous bénisse et vous protège ! Que Yahvé vous regarde avec bonté et vous accueille favorablement ! Que Yahvé vous manifeste sa bienveillance et vous accorde la paix !" (Nombres 6:24). Rappelons que ce livre biblique relate l'histoire du peuple Hébreu entre la sortie d'Égypte et l'arrivée en terre de Canaan.

On en déduit que le texte original du livre des Nombres fut rédigé avant la déportation à Babylone (586 avant note ère), du temps du roi Josias (639-609 avant notre ère) vers 600 avant notre ère ou peut être deux trois siècles avant, vers 900 avant notre ère pour les passages les plus anciens. On reviendra sur l'hypothèse documentaire et ses récentes évolutions.

Mais il existe une preuve plus ancienne. Pour renforcer le lien entre la tradition biblique de l'Exode et les Madianites/Kenites, un autre support épigraphique est fourni par les célèbres inscriptions découvertes à Kuntillet Ajrud situé au nord-est du Sinaï datant du VIIIe siècle qui atteste non seulement d’un "YHWH de Samarie", mais également d’un "YHWH de Teman/du Sud" comme on le voit ci-dessous.

A gauche, ostraca 3.9 de Kuntillet Ajrud datant du VIIIe avant notre ère : "YHWH de Teman" (Yahvé du Sud, ligne 1).  Document Zeev Meshel (lettrage complété par Martin Leuenberger). A droite, le réseau de forteresses dans la région d'Arava/Neguev du temps de Salomon (vers l'an 1000 avant notre ère). La fortresse de Kuntillet Ajrud date de cette époque. Document Bible.ca.

Cette inscription est la plus ancienne référence écrite au Dieu unique YHWH. Elle date aussi de l'époque où l'écriture apparut en pays de Canaan grâce à laquelle le savoir pouvait dorénavant rapidement se transmettre dans toutes les classes sociales et en particulier la propagation des textes sacrés.

Comme il s'agissait évidemment d'une tradition établie, la vénération correspondante de YHWH est plus ancienne et doit donc se situer dans le sud et à une époque antérieure au royaume de Judée.

Enfin, concernant les textes bibliques eux-mêmes, la provenance méridionale de YHWH est attestée par un ensemble de textes de théophanie qui traitent de la manifestation de Dieu devant l'homme (Juges 5, Psaumes 68, Habakuk 3 et Deutéronome 33). Le plus ancien matériau des Psaumes (Psaume 29) constitue la seule indication attestant une provenance septentrionale. YHWH est décrit comme un dieu royal du temps de type Adad-Baal dominant dans le nord du Levant et en Syrie : "La voix de l'Eternel brise les cèdres; L'Eternel brise les cèdres du Liban (Psaume 29:5).

Mais contrairement à l'opinion des partisans de la théorie du Nord, cette preuve ne constitue pas une preuve concluante des origines les plus anciennes de YHWH, mais appuye seulement l'idée que les premiers États israélites et judéens ont adopté la conception historico-religieuse de leurs voisins du nord. Les psaumes les plus anciens fournissent des informations importantes, en particulier concernant la transformation du profil (des compétences) de YHWH au début du Ier millénaire avant notre ère.

Le modèle du Sud correspond également au caractère solitaire du premier YHWH (à l'exception de Deutéronome 32: 8 et du célèbre couple de "YHWH et son Asherah" de Kuntillet Ajrud). Cela rejoint bien l'Arava, où des groupes semblables à des hors-la-loi, comme les Shasous et les Hapiru, n'étaient pas intégrés dans l'ordre social stratifié. Le dieu royal du temps correspond mieux aux sociétés urbaines complexes et stratifiées du nord, telles qu'Ougarit ou les cités phéniciennes.

Les références à Baal puis à El montrent que les enfants d'Israël ont d'abord vénéré des dieux païens que la tradition de Jacob a regroupé sous la seule entité du dieu YHWH. Mais cette association qui fait de Jacob l'ancêtre d'Israël ne correspond pas à l'histoire politique et culturelle de la région ni à l'époque de la royauté où Israël et Édom étaient opposés (XIIIe-XIe siècle avant notre ère) ni à l'époque où les royaumes d'Israël et de Juda étaient séparés (931-687 avant notre ère). On en déduit que cette union autour d'un même dieu n'a été possible que lorsque régnaient des relations de bon voisinage entre tous les frères d'Israël, ce qui nous reporte à l'époque babylonienne ou perse, c'est-à-dire vers le VIe siècle avant notre ère.

Les inscriptions de Kuntillet Ajrud présentées ci-dessus supportent l'hypothèse que YHWH fut progressivement adopté dans les deux royaumes. Kuntillet Ajurd est une forteresse située dans le nord-est du Sinaï, sur la colline surplombant le Wadi Qurayyah et date de l'Âge du fer II soit entre les Xe-VIIIe siècles avant notre ère. Le texte daterait du VIIIe siècle et mentionne à la fois un "YHWH de Samarie", c'est-à-dire dans le royaume d'Israël, et un "YHWH de Teman", c'est-à-dire dans le sud.

Deuxième partie

La transition des dieux païens vers Yahvé

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[1] Thomas Römer, "L'invention de Dieu", Seuil, 2014, p105.

[2] Lire "l'hypothèse madiano-qénite" du théologien F.W. Ghillany dans Joseph Blenkinsopp, "The Midianite-Kenite Hypothesis Revisited and the Origins of Judah", Journal for the Study of the Old Testament, 2008.

[3] James Pritchard (s/dir), "Ancien Near Eastern Texts relating to the Old Testament", 3d ed., Princeton University Press, 1969, p548.

[4] Nahman Avigad et Benjamin Sass, "Corpus of West Semitic Stamp Seals", Israel Academy of Sciences & Humanities, 1997, p1175.


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