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Du corps noir aux étoiles

Corps noir et corps gris (I)

En astronomie, il existe un concept thermodynamique très important qui est à la base de notre compréhension de tous les phénomènes traitant de l'énergie, c'est la notion de corps noir et des lois qui en dérivent.

Un corps noir est un corps solide, liquide ou gazeux présentant un état d'équilibre thermodynamique entre la matière et son rayonnement : malgré l'agitation des particules et l'énergie du gaz de photons, l'état du système n'évolue pas et il n'échange aucune énergie avec son environnement. En d'autres termes, c'est un corps qui absorbe totalement le spectre électromagnétique (d'où son absence de couleur et de réflexion).

Expérimentalement, comme le fit Wilhelm Wien à la fin du XIXe siècle, un corps noir est un four totalement hermétique et donc isolé du monde extérieur dans lequel on a percé un petit trou. Cette ouverture permet de mesurer tout le spectre de rayonnements qu’il émet quand il est soumis à la chaleur. La température du corps noir se détermine en mesurant la distribution spectrale de l'objet et on calcule par itération la distribution spectrale du corps noir qui correspond à la courbe du spectre mesuré.

Dans le cas du corps noir, c'est plus un concept qu'une réalité. En effet, l'astrophysique solaire nous apprend que le Soleil ne transporte pas instantanément l'énergie qu'il a généré dans son noyau. Suite à la densité du milieu et la marche au hasard des particules, un photon qui en l'absence de matière mettrait 2.3 secondes pour traverser le Soleil prend en réalité entre 1 et 2 millions d'années pour rejoindre la surface du Soleil et parvenir sur Terre ! Le milieu est donc très absorbant pour les photons. Si nous traçons l'intensité de l'énergie du Soleil en fonction de la longueur d'onde, on obtient la courbe présentée ci-dessous.

L'énergie du Soleil est distribuée à part égale de chaque côté d'environ 700 nm de longueur d'onde, le Soleil émettant autant de lumière que de chaleur (infrarouge). Les 8% restant se partagent un spectre allant de l'infrarouge lointain aux ondes radio.

A tester : Simulation de la courbe de rayonnement du corps noir

Planck Law - Black Body Radiation

Applets Java simulant la courbe de Planck

La courbe d'énergie du Soleil. Dans l'encart la courbe relevée à 2.728 K par le satellite micro-ondes COBE. A la fréquence près, les deux courbes de Planck se superposent avec une précision supérieure à 0.1 %, preuve qu'il s'agit dans les deux cas d'une émission de corps noir et qu'elle ne dépend donc que de la température du milieu indépendamment de sa nature. Document T.Lombry

En 1900, Max Planck suggéra que l'énergie rayonnée par le fond continu des spectres n'était pas émise sous forme d'ondes mais plutôt par quantité discrète d'énergie ou quanta qu'on appelera par la suite le photon. Einstein parvint à la même conclusion en 1905 en analysant l'effet photovoltaïque.

Plus un corps noir rayonne d'énergie plus le pic d'intensité maximale se décale vers les courtes longueurs d'ondes (loi de Wien). Cette courbe lissée à plus de 0.1 % près signifie que le corps est parvenu à un état d'équilibre thermique global. En d'autres termes ce rapport direct entre l'émission du corps noir et l'intensité des photons signifie que la courbe d'énergie du corps noir ne dépend que sa température et est indépendance de la nature du corps qui l'émet. C'est en ce sens que le spectre d'énergie des étoiles suit le profil d'un corps noir. Ce profil particulier est appelé la courbe de Planck. Nous verrons la formule un peu plus loin.

Toutefois, du point vue spectroscopique le Soleil étant un gaz d'hydrogène mêlé d'autres matières (tous les éléments chimiques simples et naturels), son spectre d'énergie correspond en réalité à celui d'un "corps gris". En effet, si on analyse la lumière blanche du Soleil dans un spectrographe à haute résolution (de l'ordre du nanomètre), on constate que la courbe de Planck n'est pas lisse mais échancrée de profondes raies d'absorption, notamment celles de la série de l'hydrogène de Balmer.

En fait si nous prenons une photographie du spectre du Soleil on constate qu'il est cannelé de très nombreuses raies sombres qui sont autant de signatures de l'état de la matière présente dans les couches superficielles, d'où ces émissions sont émises. Ce phénomène est encore plus évident dans les étoiles des classes K et M qui possèdent beaucoup de raies d'absorption car les gaz ne sont pas en équilibre thermodynamique. On peut donc conclure de cette analyse que le profil spectral des étoiles ne dépend pas exclusivement de la température mais également de la nature et du degré d'excitation du milieu traversé.

La série de Balmer des différents états d'excitation de l'atome d'hydrogène observés en absorption sur le continuum visible (ci-dessus) et en émission (ci-dessous). On reconnaît à droite la plus connue et la plus profonde ou la plus brillante de ces raies, celle de l'hydrogène alpha à 6562.81 Å. Document T.Lombry.

Ces raies d'absorption ont un impact sur la couleur apparente des étoiles car leur niveau maximum énergie ne va plus correspondre à la température de leur pic d'émission. En effet, en caricaturant, si l'étoile présente de larges raies sombres juste à l'endroit du pic d'émission du corps noir équivalent, on compendra aisément que son spectre intégral sera affecté, son intensité maximale sera réduite et l'étoile paraîtra moins lumineuse.

En pratique, si on mesure la température de couleur d'une étoile, l'énergie qu'elle rayonne sera intégrée sur la totalité du spectre et pas uniquement dans son pic d'émission. Bref, on perçoit la couleur des étoiles comme si dame Nature avait placé un filtre absorbant sur sa surface.

Ceci explique par exemple pourquoi une étoile bleue ou rayonnant en UV nous apparaît encore blanche ou faiblement bleutée : l'oeil humain intégre son spectre du bleu ou rouge et se laisse influencé par sa luminosité. On reviendra sur cet effet physiologique lorsque nous discuterons de la vision des couleurs.

La présence de ces raies sombres dans le spectre de la photosphère (dit de Fraunhofer) signifie que toutes les longueurs d'ondes sont absorbées au niveau de la photosphère solaire. C'est également la première enveloppe visible à l'oeil nu et qu'on assimile à la surface solaire car c'est le niveau de l'atmosphère solaire où les photons peuvent s'échapper librement dans l'espace. Ce niveau correspond au minimum local de température. Dans les couches plus profondes, la matière est opaque au rayonnement et la température augmente.

A l'inverse, dans les couches plus élevées le gaz se raréfie, l'atmosphère est encore plus opaque mais elle devient transparente au continuum visible, c'est la couche renversante dont fait partie la chromosphère et plus haut encore la couronne solaire.

Aussi, par approximation on peut assimiler l'atmosphère solaire au corps noir. Au niveau de la photosphère la température du Soleil correspond à celle qu'on mesure au bolomètre, un thermosenseur qui transforme l'énergie électromagnétique en chaleur.

C'est ici qu'intervient un second concept très utilisé par les astronomes, celui de température effective.

La température effective

Nous savons qu'il existe un rapport direct entre le profil d'émission du corps noir et la température. La température effective représente la température d'équilibre de la matière comparée à celle d'un corps noir porté à la même température. On parle également de température de brillance et de température de couleur.

En pratique on détermine la température de couleur en mesurant la distribution spectrale de l'objet et on calcule par itération la distribution spectrale du corps noir qui correspond à la courbe du spectre mesuré.

En vertu du second principe de la thermodynamique postulant l’existence de la quantité d'entropie (la mesure du désordre), on en déduit que les couches profondes du Soleil à la source de son énergie sont nécessairement à une température plus élevée que celles se trouvant en surface. Et donc que la température effective correspond approximativement à la température minimale rencontrée dans la partie supérieure de l'atmosphère stellaire, c'est-à-dire à sa surface (en précisant bien celle qu'on voit en lumière blanche à 550 nm et  non pas celle observée dans un autre rayonnement qui correspondrait à une autre altitude dans l'atmosphère solaire, par exemple la chromosphère bien visible à 656 nm qui est située quelques 10000 km plus haut).

La température effective d'une étoile ne représente donc pas la température de son noyau qui est trois ou quatre facteurs plus élevés et qui est entretenue par des réactions thermonucléaires.

Selon la loi de Wien (T = 0.002884 / λ, pour obtenir un corps noir qui rayonne comme le Soleil en-dehors de l'atmosphère terrestre, nous devons le porter à une température effective d'environ 5772 K, ce qui se traduit par un indice de couleur I.C. = +0.65, correspondant à une coloration jaune (sachant qu'un indice négatif présente une dominante bleue).

Aspect visuel des étoiles établi à partir du rayonnement du corps noir et après réduction de leur luminosité afin qu'elles apparaissent sous leur véritable couleur (sinon elles sont presque toutes saturées par leur luminosité, en nuances de blancs). Ces couleurs varient très légèrement selon que l'étoile est sur la Séquence principale (par ex. A0 présente un indice B-V = 0.00) ou est une Supergéante (A0 présente alors un indice B-V = +0.01, plus "rouge"). Les classes spectrales sont données à titre indicatif car en pratique elles sont déterminées expérimentalement alors que la température effective résulte d'un calcul. Document T.Lombry.

La loi de Stephan (P = σT4) précise que la puissance totale rayonnée par le corps noir par unité de surface doit être proportionnelle à la quatrième puissance de sa température absolue. En d’autres termes, à surface égale, si la température du Soleil avait été de 9000 K (1.56 fois plus élevée) il aurait dissipé 6 fois plus d’énergie et serait devenu d'autant plus lumineux.

Ceci nous conduit à la troisième notion utile à l'astronome, la relation entre l'énergie dissipée par un corps et sa luminosité.

Luminosité et niveau d'énergie

Nous avons déjà tous constaté que lorsque l'acier est porté à haute température, sa couleur passe progressivement du rouge terne au jaune pâle. Les étoiles étant assimilées à des corps noirs, elles présentent également un spectre d'énergie caractéristique directement lié à leur température.

Mais nous devons tout de suite nuancer cette notion de couleur et sa relation avec la température. Quand on dit qu'une barre d'acier est chauffée "à blanc", malgré les apparences la couleur jaune pâle qu'elle prend vers 1400°C n'existe pas réellement. En effet du point de vue de sa température de couleur, l'acier en fusion reste rougeâtre : vous conviendrez que 1127 K (ajouter 273.15 K pour obtenir la valeur en degrés Celsius) ce n'est pas une température de couleur blanche mais rouge.

Il ne faut donc pas confondre la température du corps noir mesurée au bolomètre (la température effective) et la température de brillance ou température de couleur qui dépend des conditions physico-chimiques (matière, filtrage, extinction, etc).

L'expression "chauffé à blanc" est donc physiquement incorrecte. Au sens propre, un corps ainsi chauffé ne devient jamais blanc mais en revanche l'énergie qu'il rayonne (sa puissance) augmente bel et bien. La couleur "blanche" du tison n'est donc qu'une impression subjective.

Ici également l'acier est en réalité un "corps gris", c'est-à-dire que les impuretés qu'il contient et le niveau d'excitation des atomes affectent légèrement la distribution d'énergie de son spectre, et donc sa température de couleur.

Le changement de couleur (et de spectre) qu'on observe lorsqu'on chauffe un tison ou celle d'une flamme dépend de plusieurs facteurs. D'une part elle peut-être liée à la matière utilisée (le type de métal que l'on fond ou dans le cas du chalumeau oxygaz, l'utilisation de l'argon qui produit une flamme bleue), d'autre part elle dépend de l'intensité lumineuse (la puissance ou luminosité) de la source de rayonnement. Dans ce cas-ci, la température de brillance est différente de la température effective du corps chauffé à blanc et il n'est même pas certain que l'objet change de classe spectrale ou d'indice de couleur. En fait dans le cas de l'acier, son indice de couleur ne change que de quelques pourcents, passant de 2.10 à 1.98 entre 400 et 1400°C. Or visuellement il donne l'impression de passer par toutes les nuances entre le rouge et le jaune clair.

L'explication de ce phénomène se trouve dans la réponse spectrale de nos yeux. Pour des raisons physiologiques, si la luminosité est très forte, la saturation des couleurs donne l'impression que ces sources lumineuses deviennent blanches voire bleutées si la puissance rayonnée est très intense. Il en est de même pour les étoiles : au zénith le Soleil nous paraît blanc, en réalité il est jaune clair.

A lire : La couleur du Soleil (sur ce site)

Some paradoxes, errors, and resolutions about human vision

D.Lynch et B.Soffer, Am. J. Phys, Vol. 67, 11, Nov 1999 (PDF de 127 KB)

Sunset at De Panne (La Panne) on the belgian coast

Chute progressive de la température de couleur du Soleil à mesure que la diffusion et la réfraction atmosphériques s'accentuent. Notons que dans les deux premiers couchers de Soleil, la saturation des pixels et la faible dynamique du capteur CMOS de l'appareil photo numérique ont donné une couleur blanche au disque du Soleil alors qu'elle était en réalité orange et rouge comme en témoigne la couleur du halo. Documents T.Lombry et source inconnue pour la dernière image.

Même lors d'un coucher de Soleil, où sa coloration est altérée par la réfraction et dans une moindre mesure par la diffusion atmosphérique, nous pouvons calculer la température de couleur apparente du Soleil et la corriger pour déterminer sa température effective. Ainsi, même si le Soleil nous paraît rouge-rubis sur l'horizon, présentant une température de couleur de 2500 K, un simple calcul nous permet de déterminer que sa température effective est en réalité voisine de 5772 K.

On ne peut donc pas déterminer la couleur d'une source lumineuse sur base empirique. Nous devons trouver une méthode à l'abri de toute interprétation subjective, un étalon. Si vous m'avez bien suivi, vous aurez deviné qu'il s'agit de la température effective.

La définition du corps noir et la découverte du quantum d'action ont permis aux astrophysiciens de mieux comprendre les mécanismes mêlant la température et l'énergie. Ils ont ainsi découvert l'existence d'une relation entre la température et le niveau d'énergie des étoiles, entre leur taille et leur luminosité ainsi qu'entre leur masse et leur luminosité. Enfin, tant que la source de l'énergie des étoiles dépend des réactions thermonucléaires, ils ont également découvert que leur équilibre hydrostatique (leur phase de stabilité) obéissait à la même loi que celle des gaz parfaits. A partir de ces relations et des lois de la thermodynamique, les astrophysiciens ont pu retracer l'évolution complète des étoiles depuis le jour de leur naissance jusqu'à leur mort. Ce sont ces lois qui dirigent l'évolution stellaire que nous allons à présent décrire.

Deuxième partie

Les lois de l'évolution stellaire

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