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En hommage à Galilée

Les lunettes de Galilée (1609).

Histoire d'une invention (I)

En ce matin de la mi-février de l'annus domini 1610, le Soleil était toujours sous l'horizon. Alors que le silence de l'hiver engourdissait encore le petit village d'Arcetri situé à quelques kilomètres de Florence, Galilée s'enveloppa chaudement dans sa cape et sortit sur la terrasse située en contrebas de sa villa.

Le fameux "tube optique" qu'il avait préparé et fait décoré avec goût était prêt sur son piédestal. Galilée l'avait sortit une demi-heure auparavant afin que l'humidité qui s'était formée sur l'objectif se dissipe.

L'instrument qu'il avait construit était très original et seuls quelques savants en avait entendu parlé dont Paolo Sarpi, le conseiller scientifique du Sénat de Venise. A ses dires, la lunette de Galilée contenait des lentilles et permettait de rapprocher les objets lointains presque invisibles et même d'observer les objets célestes.

Portrait de Galilée vers 1600-1605 réalisé par Domenico Tintoretto. Voici la version en buste.

En fait en cette heure matinale, Galilée l'utilisait avec tout le soin qu'on accorde à un prototype car il devait encore convaincre un public d'intellectuels et de "nobles docteurs" très sceptiques des possibilités offertes par cette invention.

Traité de menteurs par les uns et de magiciens ou presque par les autres, il savait qu'il devait trouver d'autres arguments que l'une ou l'autre découverte bien étrange pour asseoir sa crédibilité et l'intérêt de son invention. Mais au fond de lui-même, il savait que les étoiles Médicéennes (les satellites de Jupiter) ou la trijumelle (Saturne) qu'il venait de découvrir n'était pas une illusion !

Cette première lunette astronomique avait une longue histoire. Tout commença semble-t-il dans l'Antiquité à l'époque où les Grecs utilisaient les propriétés grossissantes des objets transparents convexes et les qualités de netteté des verres concaves. 

Les lentilles seront introduites en Europe à la fin du XIIIe siècle par les lunetiers et seront, hasard de l'histoire, découvertes en Chine à la même époque. Bientôt les comptoirs de Venise et Florence auront des experts spécialisés dans la taille et le polissage des verres correcteurs.

Les maîtres scolastiques de l'époque étaient en effet confrontés au problème de la presbytie à mesure qu'ils prenaient de l'âge. Bon nombre d'hommes érudits ne pouvaient plus accomoder leurs yeux lorsqu'ils passaient de la vision lointaine à la lecture ou l'écriture. Pour palier à cet éternel problème, les lunetiers vendirent des loupes mais qui s'avéraient trop encombrantes quand il fallait écrire.

C'est dans ce cadre que des artisans véniciens inventèrent un système ingénieux. Ils fabriquèrent de petits disques en verre, bombés sur les deux faces et cerclés dans une monture que l'on pouvait porter à l'oeil ou déposer sur le nez, donnant un regard d'érudit voire un certain chic à celui qui l'arborait. Ils appelèrent ces disques biconvexes des "lentilles de verres" (du latin lenses). Mais leur invention ne corrigait pas la myopie ni l'astigmatisme. Il faudra pour cela attendre 1450 pour que des Italiens, une fois encore, créent des lentilles biconcaves ou taille leur forme asymétriquement. Pour la précision historique, à l'époque le terme "lentille" qualifiait uniquement les lentilles biconvexes.

Les trois défauts habituels de la vue : la myopie, la presbytie et l'astigmatisme. Ces défauts empêchent de faire une mise au point correcte et donnent des images floues. Des verres correcteurs permettent de les corriger

Au milieu du XVe siècle le matériel optique existait donc dans le commerce pour constuire des instruments astronomiques. Mais l'invention ne vit jamais le jour. On peut se demander pourquoi.

Selon les historiens des sciences, il semble qu'à l'époque la dioptrie[1] des lentilles et des miroirs n'était pas suffisante pour que les opticiens imaginent d'autre application que la correction de la vue.

Toutefois en 1578, William Bourne[2] décrivit dans son livre "Inventions and Devices" plusieurs instruments d'optique dont une sorte de lunette inventée par le père de son ami Thomas Digges.

Echoppe d'un opticien du XVIe siècle. Gravure réalisée en 1582 par Johannes Collaerts à partir d'une esquisse dessinée par Johannes Stradanus. 

Il semblerait en effet que Leonard Digges ait inventé une sorte de télescope utilisant des miroirs et des lentilles que l'on baptisa "the Elizabethan telescope".

Mais les historiens des sciences et certains astronomes pensent que cet instrument fait partie de ces inventions farfelues que l'on décrivait à l'époque, souvent décrites à partir d'éléments véritables, mais qui ne furent jamais construites.

Dans tous les cas rien ne prouve que Bourne ou Digges ai fabriqué un instrument d'optique fonctionnel. Si c'était le cas, il est surprenant que cette technologie se soit évanouie pendant plusieurs décennies. Il s'agirait plutôt d'un instrument expérimental qui n'aurait jamais été construit.

En revanche, ce dont nous savons avec certitude c'est que William Bourne avait déjà utilisé une sorte de lunette primitive à cette époque. Il la décrivait ainsi : "pour observer toute sorte de petites choses situées à grande distance de vous, vous avez besoin de deux verres".

Le lettré de la Nef des Fous écrit par Sebastian Brant en 1494 porte des verres correcteurs. Document NY Academy of Medicine.

Dans sa biographie consacrée à la Lune, David Whitehouse cite Thomas Digges qui précisa en 1570 : "[si vous placez] correctement des verres proportionnels sous des angles adéquats, vous découvrirez non seulement des objets éloignés, mais vous pourrez lire les caractères, les chiffres figurant sur la monnaie et les plus petites inscriptions sur les pièces".

En fait, l'instrument décrit par Bourne utilisait une grande pièce de "verre à brûler", bien plus grande que tout ce qui avait été fabriqué à cette époque. Toutefois cette lentille devait produire des images d'une qualité très médiocre.

Si la lunette de Thomas Digges a vraisemblablement existé, elle ne fut jamais commercialisée. L'invention verra finalement le jour dans la boutique du lunetier Hans Lippershey, un négociant d'origine allemande qui s'était installé à Middelburg, aux Pays-Bas, en 1602.

On raconte que quelques années plus tôt deux enfants jouaient avec ses lentilles lorsqu'ils les mirent l'une devant l'autre et s'aperçurent que la tour de l'église qu'ils voyaient au loin était agrandie. Lippershey en fut à ce point étonné qu'il monta les lentilles dans une structure en bois, créant la première lunette vers 1590.

Le 25 septembre 1608, Lippershey essaya de vendre son invention à l'armée hollandaise. Il s'adressa au gouverneur de Zélande qui envoya une délégation aux Etats généraux des Pays-Bas (le gouvernement national) venter les avantages de son invention. Sa proposition fut malheureusement refusée en octobre car d'autres commercants prétendirent eux aussi l'avoir inventée en montant deux lentilles dans un cylindre, l'une convexe l'autre concave. Les Etats généraux demandèrent toutefois à Lippershey de leur construire plusieurs versions sous forme de jumelles qu'ils payèrent généreusement.

Hans Lippershey et la demande de brevet qu'il déposa le 2 octobre 1608 mais qui sera refusée du fait que l'invention était déjà publique.

Parmi les personnes revendiquant la paternité de l'invention, peu de temps après l'offre de Lippershey les Etats généraux reçurent la plainte de Jacob Metius d'Alkmaar qui se ventit de pouvoir construire une lunette encore bien meilleure que celle de Lippershey.

Plusieurs dizaines d'années plus tard alors que l'invention de la lunette était déjà connue du public, les Etats généraux reçurent la plainte farfelue du fils de Zacharie Janssens habitant Middelburg qui revendiqua également son invention au nom de son père qui devait à l'époque avoir.... 2 ans ! La même année la lunette fut en vente à la foire de Franckfort. Aujourd'hui les attestations écrites sont trop rares pour juger sur le fond de l'affaire mais la demande de brevet écrite par Lippershey demeure à ce jour l'enregistrement authentique le plus ancien.

La première esquisse d'une lunette astronomique. Elle a été jointe à une lettre écrite par Giovanni Battista della Porta en août 1609. Ce savant fut également membre de l'Académie des Lynx qui visait à protéger la philosophie enseignée par Galilée. Document Rice University.

Libre de brevet, la "lunette hollandaise" sera rapidement copiée et commercialisée. L'ambassadeur de France à La Haye en acquit une grossissant 3 fois pour le compte du roi Henry IV. Grâce aux commerçants itinérants la lunette hollandaise sera vendue sur le Pont Neuf à Paris puis en Allemagne où elle sera également connue sous le nom de "cylindre" ou "perspective". Elle apparaît bientôt en Italie, à Milan, puis à Venise où le savant Giovanni Battista della Porta, auteur de "Natural Magick", en fait une esquisse dans une lettre daté d'août 1609. La même année des opticiens londoniens commencent à fabriquer l'instrument en série et l'anglais Thomas Harriot en profita pour acheter un modèle grossissant 6 fois avec lequel il observa la Lune. 

Pendant que Lippershey essayait de vendre sa lunette à l'armée hollandaise, un étranger passant par Venise proposa un modèle au Sénat. Pour juger la qualité de l'instrument, le Sénat demanda l'avis de Paolo Sarpi qui accepta de l'examiner. Mais entre-temps l'étranger et son instrument étaient partis pour Padoue. Sarpi se tourna alors vers son ami le professeur Galileo Galilei de l'université de Padoue qui était connu comme mathématicien et inventeur.

A consulter : Les lunettes de Galilée

Le porte-objectif de la lunette avec laquelle Galilée découvrit les satellites de Jupiter et conservé au Museo Galileo.

Alors qu'il était à Venise, Galilée entendit parler de l'étranger et de sa lunette et s'empressa de rentrer à Padoue mais trop tard pour rencontrer l'étranger qui était retourné à Venise.

Galilée se renseigna sur l'instrument et put reconstruire la lunette. Conformément à la lunette hollandaise, son modèle original utilisait un objectif constitué d'une lentille plan-convexe d'une focale de 750 à 1000 mm et d'un diamètre voisin de 35 mm. L'oculaire était constitué d'une lentille plan-concave d'une focale de 50 mm placée dans un tube coulissant afin d'assurer la mise au point. 

Cette lentille divergente offrait l'avantage de conserver l'image droite. L'inconvénient était que le champ oculaire était équivalant au diamètre apparent de l'objectif plutôt qu'au diamètre apparent du champ oculaire. 

En raison d'un polissage très sommaire des lentilles, ce système optique souffrait également d'aberrations optiques et d'une forte perte de luminosité. 

En pratique seul le centre du champ était exploitable raison pour laquelle Galilée diaphragmait ses lunettes à 25 mm de diamètre. Le champ était donc limité à environ 15' et il ne pouvait donc observer simultanément que le quart du disque de la Lune. Quand bien même il construisit des lunettes plus grandes et plus puissantes, leurs qualités médiocres l'ont certainement empêché de les utiliser dans de bonnes conditions.

Deuxième chapitre

Journal d'un découvreur

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[1] La dioptrie qualifie une lentille simple présentant une distance de focale de 1 m. Pour un télescope (à miroir parabolique) 1 dioptrie représente un miroir ayant un rayon de courbure de 2 m.

[2] The Moon, David Whitehouse. Consulter également "The Invention of Telescope, Dover.


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