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L'hypersensibilisation, écrit en collaboration avec David Healy

David Healy

L'effet Schwarzschild (I)

Cet article consacré à la photographie argentique fut rédigé à la fin des années '90, à une époque où les caméras CCD et les APN entraient à pas feutrés sur le marché et n'étaient pas encore aussi performants qu'aujourd'hui.

Ce document décrit un procédé très ingénieux mais aujourd'hui dépassé. Il est donc proposé pour mémoire. A ce titre, le texte original n'a pas été modifié. David B. Healy est décédé en 2011.

Bien peu d'émulsions argentiques sont appropriées à la photographie astronomique par manque de sensibilité aux faibles lumières. En astrophotographie du ciel profond - c'est-à-dire des nébuleuses et des galaxies -, si nous prolongeons le temps d'exposition on s'aperçoit qu'à partir d'un certain temps il n'y a plus de détails supplémentaires sur le négatif et au contraire que celui-ci est recouvert d'un léger voile, d'une densité pouvant aller jusqu'à noyer les plus fins détails que nous avions si patiemment enregistrés.

Sans y avoir pensé, il s'agit de la limite au-delà de laquelle il y a "échec à la Loi de réciprocité", loi qui lie la quantité de lumière reçue et le temps d'exposition sur notre film.

La galaxie M51. A gauche pose de 30 minutes sur film 103a-F au foyer d'un SC Celestron de 200 mm f/5 réalisée par Serge Brunier. A droite une photographie réalisée par Paul Roques. Pose de 90 minutes sur film Kodak TP 2415 hypersensibilisé placé au foyer d'un SC Meade de 200 mm f/6.3.

Tout cela est bien barbare pour dire qu'il ne faut plus doubler le temps de pose pour photographier un objet deux fois plus faible, mais d'une valeur supérieure. Pour fixer les idées alors qu'au rapport focal f/1.5 un télescope nécessite par exemple un temps d'exposition de 15 minutes pour enregistrer un objet donné, il demandera 4 heures de pose au rapport f/6 ! Or en photographie classique il suffit de doubler le temps d'exposition pour compenser une luminosité de moitié, c'est la loi de réciprocité.

Malheureusement cette simple loi ne s'applique pas aux films uilisés pour la photographie astronomique, que ce soit en noir et blanc ou en couleur. Il y a un niveau en dessous duquel un faible éclairement, quelque soit le temps d'exposition, ne sera pas enregistré par l'émulsion. Nous sommes sous le seuil de sensibilité du film, c'est l'effet Schwarzschild.Certains films présentant un grain très fin comme la série Solar ou le Microfile rendraient d'énormes services en astrophotographie s'ils présentaient en même temps une rapidité nominale dix fois supérieure.

Il s'agit d'un véritable problème technique et d'un dilemme que les principales maisons de fabrication tentent de résoudre.

En effet, la chimie est une fois de plus en retard sur la pratique et il nous faudra donc attendre que des progrès se fassent dans ce domaine, ou changer de méthode de travail.

C'est pour résoudre ces difficultés que depuis quelques années différents constructeurs proposent sur le marché des films dits hypersensibilisés dont le seuil de sensibilité est fortement accru, autrement dit reculant la limite d'application de la Loi de réciprocité.

Hypersensiblisation par le froid : la cold camera

A la fin des années 1970 Celestron International a mis sur le marché la fameuse "Cold Camera" qui, fixée au télescope à la place du boîtier photographique maintenait le film à très basse température durant l'exposition, environ -79°C, le niveau de stabilité de la neige carbonique. Elle était compactée et maintenue sous vide d'air au dos du film ce qui avait pour effet de reculer l'effet Schwarzschild. 

La Cold Camera Celestron et quelques accessoires (oculaire réticulé lumineux et diviseur optique).

Pour un même temps d'exposition, le film devenait trois fois plus sensible. Le film était ensuite développé selon la méthode habituelle et Oh surprise, l'image ainsi "réfrigérée" montrait des zones brillantes et denses alors que le cliché témoin réalisé sans moyen cryogénique ne présentait que de très faibles nébulosités, si ce n'était que les étoiles.

Son avantage était donc évident, principalement dans les villes où les amateurs sont confrontés aux problèmes de la pollution lumineuse, où chacun ne dispose pas de filtre UHC ou UltraBlock, où des prises de vues rapides s'imposent pour éviter le voile, la diffusion de la lumière dans l'émulsion ou la buée qui peuvent parfois gâcher toute une soirée de préparation.

On reprochait toutefois à cette technique de photographie à basse température une mise en oeuvre assez lourde et un certain encombrement. Aussi, imitant une fois de plus les professionnels, très rapidement des sociétés telles Lumicon, Henzl & Associates, Unitron et bientôt nos constructeurs européens ont proposé une autre technique, basée sur des kits d'hypersensibilisation au gaz hydrogène/azote à 92%, le "forming gas" de nos amis anglo-saxons.

Hypersensiblisation par le gaz H/N

La chimie organique nous apprend qu'une solution diluée d'ammoniaque augmente la sensibilité chromatique des émulsions. Ainsi, nous pouvons lire dans certains traités de chimie : "une plaque photographique trempée pendant 4 minutes dans la solution suivante : 73 cm3 d'eau, 25 cm3 d'alcool, 3.5 cm3 d'ammoiaque verra sa sensibilité augmenter de 2 à 8 fois."

La région de Zeta Orionis et la Tête de chevel, B33, photographiée par P.Stättmayer de l'Observatoire public de Munich au foyer d'une Flat-Field Camera FFC 190 mm f/4. Pose de 35 minutes sur film Kodak TP 2415 hypersensibilisé.

Une autre solution est d'utiliser "un bain de nitrate d'argent (0.12 g par litre à 20°C) durant 3 minutes. Un  lavage à l'eau distillée durant 2 minutes, suivi d'un rinçage à l'alcool à 90° durant 2 minutes. Le gain varie de 3 à 10 fois. Néanmoins l'accroissement de sensibilité est limité par la formation d'un voile intense. De plus, si le film est développé tardivement (plus de 8 heures après la prise de vue) le film se voile totalement. L'alcool n'est pas indispensable, cependant le séchage est plus lent et les risques de formation de voile augmentent. Par cette technique l'hypersensibilisation des émulsions non chromatiques ne produit qu'un effet négligeable".

Jusqu'au début des années 1980 tels étaient à peu près les commentaires que l'on pouvait trouver dans la plupart des magazines scientifiques qui recherchaient une solution au problème de l'astrophotographie du ciel profond. 

Puis un beau jour, le voile argentique s'est levé et un nouveau visage est apparu sur celui des astrophotographes épris des beautés du ciel : le film noir et blanc Kodak Technical Pan 2415 (TP 2415) est apparu sur le marché. Ci-joint la documentation originale de Kodak (PDF de 218 KB) et sa version francisée.

Ce film était disponible en cassettes de 35 mm ou en plan-films 4x5", l'amateur pouvant acquérir séparément le kit de traitement au gaz H/N. Vous pouvez également construire votre propre container de traitement ce qui vous dispensera de quelques frais. Les plus malins effectueront ce travail pour leurs amis astrophotographes qui, en échange, leur fourniront quelques belles spirales sur papier brillant... Aujourd'hui toutefois, les films hypersensibilisés ne sont presque plus disponibles en raison de la concurrence des caméras CCD et des webcams.

Voyons plus en détail les qualités du film 2415 ou 2415H et comment s'effectue le traitement d'hypersensibilisation. 

Hypersensibilisation du TP 2415, 2415H

Le traitement décrit ici produit un gain de sensibilité jusqu'à 8 fois pour 20 minutes d'exposition. Pour les longues expositions, la sensibilité du TP 2415 (ou le 2415H) devient similaire à celle de l'ancien film 103a-F de Kodak non traité, soit quelque 400 ISO pour une résolution 4 fois supérieure à celle de ce film !

Comme en témoignent les clichés présentés dans cet article, le grain extrêmement fin du TP 2415 permet d'obtenir des photographies d'une grande qualité quel que soit l'ouverture du télescope, qu'il s'agisse d'un astrographe ouvert à f/8 ou une chambre de Schmidt ouverte à f/1.5.

Avant la "révolution" que créa le TP 2415 hypersensibilisé, les professionnels ainsi que les amateurs qui travaillaient en noir et blanc n'avaient pas le choix. Ils devaient soit utiliser les films scientifiques Kodak 103a ou les plaques de la série II puis IIIa. Mais utilisé à faible résolution (petits télescopes inférieurs à 500 mm environ) le grain était très apparent. Voici par exemple trois photographies de M33. A gauche ce qui se faisait de mieux en 1898 au télescope Wilson de 600 mm installé en Irlande et appartenant à l'université de Londres. Exposition probalement comprise entre 60 et 90 minutes sur plaque IIa. Au centre photographie réalisée vers 1980 par Serge Brunier au foyer d'un télescope SC Celestron de 200 mm f/5. Pose de 45 minutes sur film 103a-F. A droite ce que nous propose Sauro Donati au télescope SC de 200 mm f/10 après 2 heures de pose sur film Kodak TP 2415 hypersensibilisé.

Le film est traité dans un container hermétique dans lequel on réalise le vide jusqu'à 25 militores (0.000025 atm) et que l'on maintient à la température de 66°C. La pression de 25 mt est atteinte au bout d'une à deux heures seulement. C'est le temps nécessaire pour que la vapeur d'eau s'évacue du film par osmose.

La chambre est ensuite isolée de la pompe à vide et un mélange gazeux composé de 8% d'hydrogène et de 92% d'azote est ensuite introduit à la pression absolue d'une atmosphère.

Pour un traitement classique, le film est stocké dans ce mélange durant 5 heures à 66°C. Il ne peut y avoir de fuites de gaz. A des intervalles d'une à deux heures le gaz est repompé jusqu'à 25 mt et un nouveau mélange frais est réintroduit.

A la fin du traitement le mélange gazeux est à nouveau pompé à l'extérieur et le vide est remplacé par de l'azote pur. Le container est alors refroidi au congélateur jusqu'à l'exposition de façon à préserver au maximum la nouvelle sensibilité du film et éviter les risques de contamination par l'air.

Deuxième partie

Tests et comparaisons

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