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Marées, vagues scélérates et tsunamis

Niveau moyen des mers relevé entre l'été 1978 et l'été 1987 par les satellites GEOSAT et SEASAT. Noter la bosse (rouge) dans le Pacifique et le creux (mauve) sous l'Australie ainsi qu'au large de Madagascar. Doc NASA/GSFC.

Les marées (I)

Les océans subissent les effets de la force de gravité suite à l'attraction de la Lune et du Soleil mais également en fonction de la forme des reliefs sous-marins. Cette attraction engendre les marées, tant sous la mer que sous la croûte terrestre.

En un point donné de la Terre, les mouvements de la Lune provoquent une marée toute les 12h 25m. Le Soleil, dont l'attraction est trois fois moindre que celle de la Lune provoque à son tour une marée toutes les 12 heures précises. Ce mouvement combiné provoque d'un jour à l'autre un retard de 50 minutes entre chaque marée, raison pour laquelle les observatoires astronomiques rédigent des éphémérides à l'intention des marins et des pêcheurs.

Sur nos côtes européennes, les marées sont dites "semi-diurnes" car elles présentent deux maximums (marée haute) et deux minimums (marée basse) pour chaque jour lunaire.

Enfin, tous les 15 jours, la Lune et le Soleil sont en conjonction avec la Terre (à la pleine Lune et à la nouvelle Lune) et amplifient le déplacement des eaux : se sont les marées de "vives-eaux". Elles seront d'autant plus fortes lors des équinoxes (printemps, automne), lorsque le Soleil traverse l'équateur. Inversement, en quadrature, lors du premier et du dernier quartier de Lune, nous assistons aux déplacements d'eaux minimums, il s'agit des marées de "mortes-eaux".

Sur les côtes de la Manche la marée monte avec une vitesse inférieure à 1 m/s (3.6 km/h), tandis que les oscillations maximales sont enregistrées dans le fjord de Bodo en Norvège où le courant atteint la vitesse de 7.8 m/s (28 km/h).

Savez-vous que les continents se déplacent également en fonction des marées ? En effet, ils s'élèvent toutes les 12 heures d'environ 40 cm à la latitude de 49° Nord !

Enfin, rappelons à l'intention des amateurs d'astrologie que la Lune ne provoque pas la montée de sève dans les plantes et ne participe nullement au destin des hommes si ce n'est en illuminant nos soirées romantiques d'une clarté blafarde...

Pourquoi y a-t-il des marées ?

Les vagues

Les vagues de l'océan sont provoquées par l'action du vent qui, en fonction de sa force et sa direction, va former des creux plus ou moins importants, orientés et périodiques. Ces vagues sont soit formées par le vent local soit par un vent éloigné de la zone d'observation. Dans ce dernier cas on parle de houle plutôt que de vague. On peut ainsi facilement identifier à la surface de la mer quatre ou cinq formes d'ondes différentes présentant des périodes plus ou moins longues et des orientations spécifiques.

En eaux profondes, la longueur d'onde moyenne d'une onde est de l'ordre de 100 mètres et généralement plus de deux fois inférieure à la profondeur de l'océan. Il s'agit d'ondes dites courtes. En eaux peu profondes, la longueur d'onde des ondes est généralement au moins 20 fois supérieure à la profondeur de l'océan. On parle d'ondes longues. Ces ondes obéissent à un modèle mathématique simple appelé le modèle linéaire. La cambrure de ces vagues est relativement faible. Pour les ondes courtes (la houle notamment), leur vitesse de propagation est proportionnelle à leur longueur d'onde. Pour les tsunamis (ondes longues), leur vitesse varie également en fonction de la profondeur d'eau. On y reviendra.

La vague scélérate

Depuis qu'ils explorent les mers, des marins-pêcheurs ou au long-cours ont rapporté quelquefois avoir observé une immense vague, plus haute que leur bâtiment. Parfois la mer présentait une faible houle avant que cette vague ne surgisse de l'horizon. Tous disent ne jamais avoir vu de vague aussi haute, formant un véritable mur d'eau de 15 à 30 m de hauteur devant leur navire. La plupart des navires ayant affronté ce phénomène disparurent corps et bien sans que les scientifiques ne comprirent réellement ce qui s'était produit.

En fait, pendant des décennies les océanographes et les physiciens n'ont pas pris les histoires de vagues géantes au sérieux car ces vagues de tailles gigantesques ne s'expliquaient pas dans le cadre du modèle linéaire et n'étaient pas associées à un tsunami. A l'image d'une courbe gaussienne, selon le modèle linéaire ce type de vague n'avait qu'une chance sur 10000 d'apparaître, autrement dit une fois tous les 10000 ans en un endroit donné. Or les marins en observaient soi-disant régulièrement; il devait donc s'agir encore une fois d'histoires exagérées... Jusqu'au jour où un supercargo des plus modernes disparut corps et biens dans l'Atlantique Nord à la Noël 1995. Mise à part la tempête, rien n'expliquait ce naufrage d'autant que ce navire était prévu pour supporter de fortes houles avec des vagues violentes dont la force de pression pouvait dépasser 15 tonnes/m2.

Plusieurs accidents similaires ayant gravement endommagés des navires cargos (proue ou coque éventrée de part en part ou sur plus de cent mètres carrés) et parfois conduit à leur naufrage, vu les risques qu'encourraient visiblement les équipages et devant l'impact économique de ces accidents, dans les années 1990 des océanographes et des physiciens ont pris le problème à bras le corps et ont orienté leurs radars vers la surface de la mer pour étudier le phénomène de houle.

A gauche, une vague de 30 mètres de haut frappant le phare de Seaham dans le comté de Durham en Angleterre en 2013. A droite, le phare de Bell Rock au large d'Angus en Écosse sous la tempête. Voici le phare par temps calme. Document Owen Humphreys/National Geographic et D.R.

Au bout de quelques années d'études réalisées à la fois à partir de plate-formes pétrolières offshore et par satellite, ils découvrirent que des courants océaniques pouvaient amplifier la houle si celle-ci se propageait dans le sens contraire à celui du vent dominant. Ce phénomène est par exemple bien visible en Afrique du Sud dans le "courant des aiguilles" où occasionnellement le vent soufflant du sud-ouest entre pour ainsi dire en collision avec un courant océanique de surface venant du nord-est, donnant lieu à des vagues pouvant atteindre 30 m de hauteur ! Un phénomène identique se produit en Norvège et dans l'Atlantique Nord. Ces vagues sont donc prévisibles dans une certaine mesure et peuvent être observées par satellite (radar).

Alors que les vagues ordinaires (jusqu'à 15 m de hauteur) obéissent aux mêmes lois que les petites vaguelettes, quelques dizaines de vagues géantes isolées et atteignant 28 à 30 m de hauteur observées dans les années 1980 et 1990 s'écartent résolument du modèle linéaire.

Si en théorie il devrait exister peu de vagues géantes, les statistiques tenues à jour par les sociétés d'assurances indiquent qu'à ce jour il semblerait que 200 cargos et supertankers furent coulés par des vagues géantes (sur une flotte d'environ 80000 cargos et tankers de plus de 120 m). En moyenne, un navire par mois affronterait ce genre de vague ! Leur fréquence réelle dépasse donc largement les prédictions du modèle linéaire. Aucune théorie ne semblait expliquer leurs apparitions répétées. C'est alors que les mathématiciens découvrirent l'existence d'un autre type de vague inconnue jusqu'alors, la vague scélérate ("freak" ou "rogue" wave en anglais).

A voir : Force 10 gale Brittany Ferries Pont Aven. Bay of Biscay, 2012

Un bateau remorqueur dans une tempête Force 12 ! Vague scélérate, 2017

Ship in Storm | WARSHIP Hit By Monster Wave Near Antarctica

Ship in Storm | Multiple MONSTER WAVES Hit Recuse Vessel in the North Sea!

A gauche, le navire patrouilleur hauturier HMNZS Otago de la flotte de protection de la marine néo-zélandaise de 85 m de long et de 1900 tonnes lors d'une mission dans l'océan Antarctique fin 2015. Il affronte un ouragan avec des vents de force 9 à 12 (77 à 148 km/h) générant des vagues de 15 à près de 20 m de hauteur. Voir aussi la vidéo ci-dessus. Au centre, une journée de pêche chahutée et à haut risque pour le capitaine Frédéric Quiniou et les 50 hommes du plus grand chalutier-usine d'Europe, le Joseph Roty II de 91 m de long et 3188 GT (jauge brute) affrontant une tempête en Atlantique Nord en 2014 avec des vagues atteignant 15 m de hauteur. Lors de ces deux missions, il n'y a pas eu de vagues scélérates. Documents Alex Croucher/Stuff et F.Quiniou/Le Telegramme.

Aujourd'hui on définit une vague scélérate comme une vague qui mesure plus de deux fois la hauteur moyenne des vagues qui l'entourent.

La vague scélérate est un véritable monstre qui n'épargne rien ni personne. C'est une vague isolée qui peut surgir dans toutes les eaux du monde de manière aléatoire, y compris en Méditerranée, en mer du Nord ou à l'entrée de la Manche.

Ainsi, une vague scélérate fut observée au nord de la Bretagne en mai 2006. Le 21 mai au soir le ferry Pont-Aven de 185 m de long pour 41758 GT (jauge brute) et d'une puissance de 47000 kW quitta Plymouth en Cornouailles vers Santander en Espagne avec 1149 passagers à son bord. Parvenu au nord-ouest de l'île d'Ouessant, le ferry essuya une tempête et des conditions météos que le capitaine de bord qualifia "d'exécrables" au point d'interdire l'accès au pont-promenade aux passagers. Soudainement, à 23h50, sous des vents de plus de 90 km/h (force 10) et des courants croisés, une vague de 15 à 18 m de hauteur s'abattit sur le ferry. Il y eut 6 blessés légers parmi les passagers et l'équipage. Sous le choc de la vague, les fenêtres étanches du premier pont-promenade situé à 13 m au-dessus du niveau de la mer ont explosé. Face aux mauvaises conditions météos dans le golfe de Gascogne, le capitaine préféra rembrousser chemin et rallia le port de Roscoff afin d'assurer la sécurité et le confort des passagers (cf. Le Parisien).

Un autre cas fut malheureusement plus dramatique. Le 3 mars 2010, le bateau de croisière Louis Majesty de 207 m de long naviguait en Méditerranée, reliant Cádiz en Espagne au port de Gênes en Italie avec 1350 passagers à son bord. Soudainement, à 25 milles au large du cap de Begur, trois vagues scélérates de plus de 8 m de hauteur se sont abattues sur le navire. Elles brisèrent des vitres et l'eau commença à inonder les cabines, déclenchant un chaos à bord. Deux personnes sont mortes et quatorze furent blessées dont certaines avec des fractures aux deux jambes. Le navire se dérouta vers le port de Barcelone (cf. Le Parisien).

A voir : Wave Hits Louis Majesty Cruise Ship, 2010

Nous ne possédons pas de photographies de vagues scélérates mais uniquement de conditions tempétueuses ou de quelques navires endommagés suite à leur impact. A gauche, des vents de tempête (12 Beaufort) soufflent souvent en hiver en mer du Nord démontant la mer, donnant naissance à des vagues qui peuvent atteindre plus de 15 m de hauteur, affleurant à 5 ou 10 m seulement des plate-formes pétrolières. Malgré leur masse supérieure à 10000 tonnes, ces plates-formes seraient brisées et balayées par une vague scélérate. Au centre, des vagues d'une hauteur variant entre 5 et 10 m s'abattant sur le supertanker Esso Lanquedoc le 21 juillet 2004 au large de Durban en Afrique du Sud. Le sommet du mât du navire se situe à 25 m au-dessus du niveau moyen de la mer. Photographie prise par le premier lieutenant Philippe Lijour. A droite, le tanker norvégien "Wilstar" endommagé par une vague scélérate en 1974. Documents Maersk group, D.R. et The New York Times.

La vague scélérate n'est pas le résultat d'un tremblement terre ni obligatoirement le résultat des effets du vent ou d'un contre-courant. C'est le résultat de l'application d'une loi quantique aux effets macroscopiques. Elle apparaît réellement à l'improviste, absorbant l'énergie des vagues adjacentes pour s'amplifier et former un véritable mur d'eau dont la cambrure est très prononcée, offrant des parois pratiquement verticales sur des centaines de mètres de longueur.

Sachant que 1 mètre cube d'eau pèse 1 tonne, une vague ordinaire de 3 m de hauteur qui s'abat sur un navire présente une pression d'environ 1 tonne/m2. Cela représente 100 g/cm2 et un bateau fabriqué en résine ou en plastique peut y résister. Une vague de 6 m de hauteur engendre déjà une pression de 6 tonnes/m2 et requiert de préférence une coque et un habitacle renforcés ainsi qu'un moteur de forte puissance (remorqueur, vedette, etc). Une vague de 10 m de hauteur excerce une pression de 12 tonnes/m2 et une vague de 30 m de hauteur excerce une force 8 fois plus élevée. Un mur d'eau de 7 m de hauteur et de 90 m de longueur pèse environ 50000 tonnes !

De plus, la longueur moyenne d'une onde est de 300 m de crête à crête, c'est-à-dire aussi grande qu'un supercargo. Cela signifie qui si un tel navire venait à se trouver en porte-à-faux au sommet d'une crête ou entre deux crêtes, il pourrait se briser sous l'effet de son propre poids, et d'autant plus facilement si une vague scélérate tombait sur lui. En effet, avec ses 30 m de hauteur, une vague scélérate ne suit plus le mouvement de la houle. Sous son propre poids ce mur d'eau vertical finit par se briser et la masse d'eau s'abat sur le navire et son équipage avec une pression atteignant 100 tonnes/m2 ! Quand on sait qu'un supercargo ou un supertanker fabriqué en acier est prévu pour résister à une pression de 15 tonnes/m2 et est capable moyennant des dégâts plus ou moins importants de résister à une pression de 30 tonnes/m2, on comprendra que dans de telles circonstances, une vague scélérate s'effondrant sur un navire le brisera et l'engloutira, quelle que soit sa taille.

C'est ainsi que plusieurs gros navires ont vu leur proue ou leurs flancs éventrés par des vagues scélérates, donnant l'impression qu'une bombe avait explosé à bord. Certains navires ont subi des brèches de plusieurs dizaines de mètres de longueur, la vague emportant jusqu'à 5500 tonnes d'acier !

A lire : Freak waves, rogue waves, extreme waves and ocean wave climate

The Wave, Susan Casey, Doubleday, 2010

In pursuit of the rogues, freaks, and giants of the ocean

Illustrations d'un porte-conteneurs face à une vague scélérate de plus de 30 m de hauteur surgissant à l'improviste sur une mer certes agitée mais loin d'être tempétueuse avec localement du beau temps. Documents T.Lombry.

Pourtant les dimensions et la masse de ces navires sont imposantes. L'Emma Maersk par exemple présenté ci-dessous à gauche, est un porte-conteneurs de classe E appartenant à l'armateur danois Maersk Sealand. Ce navire mesure 397 m de longueur (4 terrains de football !) et 56 m de hauteur (un building de 18 étages !). Il présente un tirant d'eau de 30 m, pèse 151687 tonnes à vide, offre une capacité de 15500 EVP (Equivalent Vingt Pieds) et charge 1100 conteneurs de 20 pieds ou 1000 reefers (conteneurs de 40 pieds renforcés et isolés) ! Il est équipé de 5 moteurs diesel développant au total 11000 BHP ou 80000 kW pour une vitesse maximale de 26.3 noeuds (48 km/h). Il est conduit par seulement 13 membres d'équipage. Aujourd'hui, il existe une vingtaine de supertankers d'une capacité 15 à 21% supérieure (jusqu'à 192237 tonnes pour le MSC Sveva lancé en 2015) chez CMA CGM, MSC, CSCL et UASC.

Malgré ces gabarits imposants et exceptionnels, comme toute la flotte de cargos, ce ne sont que des coquilles de noix comparées à la puissance développée par une vague scélérate. Dans ce contexte, on comprend mieux aujourd'hui pour quelles raisons on ne retrouve en général aucune trace de leur nauvrage.

Ceci dit, on a constaté que de nombreux supertankers se sont abîmés en mer au large du Cap de Bonne Espérance en Afrique du Sud, à proximité ou dans le "courant des aiguilles". On sait aujourd'hui qu'ils naviguaient dans un courant chaud propice au développement des vagues scélérates. Depuis plusieurs années, tous les navires y compris les porte-avions sont obligés de naviguer à plus de 1000 milles des côtes d'Afrique du Sud pour éviter de rencontrer une vague scélérate. Il existe une région similaire à l'ouest du Cap Horn en Argentine ainsi qu'en mer du Nord.

A gauche, le supercargo "Estelle" du groupe Maersk lancé en 2006 sous pavillon danois mesure 397 m de longueur pour un tirant d'eau de 30 m et pèse 151687 tonnes et peut charger 1100 conteneurs. A droite, la hauteur des vagues mesurées par satellites comparée au modèle ECMWF WAM (ligne en diagonale). On constate que la plupart des vagues mesurent en moyenne 2 m de hauteur et qu'il n'y a que deux vagues mesurant plus de 11 m de hauteur sur 300 observations et aucune vague scélérate, preuve de leur caractère spécifique et d'un comportement aléatoire. Documents Maersk group et Météo France/Ifremer/CNES.

Sur le plan scientifique, en décembre 2000 l'Union européenne a proposé le programme "MaxWave" d'une durée de 3 ans dans le but de modéliser et d'étudier ces vagues scélérates afin d'améliorer les critères de fabrication des structures des navires et des installations offshores. Ce programme fut développé par le centre de recherche GKSS en Allemagne sous la coordination de Wolfgang Rosenthal de l'Institut de Recherche Côtière (HZG) et par le Centre Aérospatial Allemand (DLR) en collaboration avec des chantiers navals, des services météorologiques et le bureau de vérification maritime Norske Veritas. Entre-temps, les satellites ERS-1 (1991-2000) et ERS-2 (1995-2011) de l'ESA et TOPEX/Poseidon de la NASA/CNES (1992-2006) ont surveillé par radar la hauteur des vagues dans les zones maritimes commerciales et à risque. Parvenus en fin de vie, ces satellites ont été remplacés par la série Jason et Saral ainsi que par Swot et Jason-CS à partir de 2020 (cf. le site Aviso du CNES pour plus d'informations).

Enfin, c'est en 2002 que le DLR développa un logiciel permettant d'analyser les images du satellite ERS 2 et a permis de dresser la première carte des vagues géantes.

Notons que c'est également au cours de ces études faites par satellites que les océanographes découvrirent que la surface de la mer était en fait couverte d'une myriade de tourbillons brassant l'eau horizontalement mais également en profondeur, participant aux échanges de chaleur et de gaz avec l'atmosphère et donc aux variations climatiques au même titre que le plancton et d'autres composantes plus visibles.

Mise en équation

Les vagues et les houles obéissent à des lois variées et complexes, à la fois linéaires classiques et non linéaires de l'équation de Schrödinger, appelée l'équation KdV (cf. le cours de l'EPFL). En comparant son profil à celui des rares vagues géantes dont on a pu mesurer les caractéristiques, les mathématiciens découvrirent que leurs amplitudes étaient identiques. Finalement les marins avaient raison !

Illustration d'une vague scélérate. Document T.Lombry.

Mais de nombreux facteurs causals (vents locaux, houle, bathymétrie, courants océaniques, etc) déterminent la formation d'une vague géante qui, jusqu'à présent, n'avaient pas été combinés en une seule estimation du risque.

Dans un article publié dans les "PNAS" en 2023 (en PDF sur arXiv), une équipe de chercheurs de l'Université de Copenhague présenta une équation mathématique permettant de prédire les vagues géantes et scélérates. Les chercheurs ont utilisé une combinaison d'intelligence artificielle (IA) et d'analyse causale (cause et effet) pour représenter ces vagues géantes.

Les chercheurs ont commencé par introduire de nombreuses informations sur les vagues océaniques dans le système d'IA. Ils ont collecté ces données à l'aide de bouées placées en mer dans 158 endroits différents dans le monde. Ces bouées ont enregistré l'élévation de la surface de la mer à une fréquence d'échantillonnage de 1.28 Hz et ont fonctionné sans arrêt, 24 heures sur 24, collectant au total plus de 700 ans de séries chronologiques.

Au total, les auteurs ont enregistré des informations sur plus d'un milliard de vagues qui représentent environ 1 TB de données. Cela constitua des Big Data mais qu'il fut impossible d'analyser manuellement sans l'aide de l'IA.

En raison du volume de ces Big Data, les auteurs ont utilisé une version agrégée qui cartographia chaque état de la mer pour une hauteur d'onde maximale pour les 100 vagues suivantes en tenant compte qu'une vague scélérate se manifeste indépendamment des autres. Cela réduisit le volume de données d'un facteur 100. Après avoir corrigé le sous-ensemble de données pour éviter de surestimer la représentation des vagues scélérates, il resta 12.9 millions de points de données à traiter.

Le sous-ensemble de données final contenait plus de 100000 vagues géantes dépassant deux fois la hauteur significative des vagues. Concrètement, cela équivaut à environ une vague géante se produisant chaque jour en n'importe quel endroit des océans. Cependant, ce ne sont pas toutes des vagues géantes de taille extrême. Autrement dit, des vagues anormales se produisent tout le temps.

Les auteurs ont ensuite identifié les différentes conditions environnementales ou facteurs causals, les paramètres d'état de la mer et leurs effets physiques pour calculer le risque d'apparition d'une vague scélérate. On peut résumer cette approche avec le schéma suivant :

Identification des conditions environnementales (causes) et les états de la mer à l'origine des vagues scélérates. Document D.Häfner et al. (2023).

Suivant cette structure causale, les auteurs ont utilisé des paramètres d'état de la mer (P) pour représenter les différents voies causales :

- La corrélation crête-creux r, pour tenir compte de l'effet linéaire de groupes de vagues sur des vagues scélérates de la crête au creux. r est le facteur causal dominant dans la formation d'une vague scélérate linéaire

- La pente ε régissant les effets faiblement non linéaires, tels que ondes liées du deuxième et du troisième ordre, et la rupture de vague

- L'énergie relative haute fréquence Eh (fraction de l'énergie totale contenue dans la bande spectrale de 0.25 Hz à 1.5 Hz) comme un indicateur de la force des vents locaux

- La profondeur relative (basée sur la longueur d'onde maximale), qui est centrale pour les effets non linéaires en eaux peu profondes et le déferlement des vagues

- Le spread directionnel dominant σθ, qui a une influence sur les ondes non linéaires de troisième ordre et le déferlement des vagues

- La bande passante spectrale νf (étroitesse) et σf (pic), apparaissant par exemple dans l'expression de l'influence d'ondes non linéaires du troisième ordre.

S'y ajoute un certain nombre de paramètres dérivés qui apparaissent généralement dans les modèles de vagues et régissent certains phénomènes non linéaires (onde-onde) :

- l'indice de Benjamin-Feir ou BFI qui contrôle les ondes libres non linéaires du troisième ordre et l'instabilité modulationnelle

- Le nombre d'Ursell ou Ur qui quantifie les effets non linéaires dans les eaux peu profondes

- L'indice de directionnalité R (le rapport entre la propagation directionnelle et la bande passante spectrale), qui a une influence sur le troisième ordre des ondes libres non linéaires et est généralement utilisé en conjonction avec le BFI.

A gauche et au centre, illustrations d'un porte-conteneurs face à une vague scélérate de plus de 30 m de hauteur. A droite, par comparaison, un porte-conteneurs dans une mer tempétueuse (10-12 Beaufort avec des creux dépassant 10 à 15 m). Documents T.Lombry.

La probabilité de mesurer une vague scélérate basée sur l'état de la mer peut ensuite être modélisée comme une somme de fonctions non linéaires, chacune ne dépendant que d'un sous-ensemble des paramètres de l'état de la mer représentant un chemin causal différent.

Ensuite, les auteurs ont utilisé une IA d'apprentissage automatique (machine learning) constituée d'un réseau neuronal avec des couches entièrement connectées (FCN) pour modéliser les fonctions (des approximateurs de fonctions universelles) qui furent entraînées sur les Big Data.

Finalement, les auteurs ont pu formuler l'équation empirique du risque d'apparition d'une vague scléréate :

Les auteurs pensent que leur équation peut aider la flotte de cargos et tankers à naviguer de manière plus sûre sur les mers, car elle peut prédire quand la bonne combinaison de conditions pourrait créer une vague dangereuse.

Selon le doctorant Dion Häfner de l'Institut Niels Bohr et auteur principal de cet article, "Comme les compagnies maritimes planifient leurs itinéraires longtemps à l'avance, elles peuvent utiliser notre algorithme pour évaluer les risques et déterminer s'il existe un risque de rencontrer des vagues scélérates en cours de route. Sur cette base, elles peuvent choisir des itinéraires alternatifs."

Malgré cette équation, il conviendra toujours de qualifier la vague scélérate d'imprévisible car même si le risque est calculable et certain, l'heure et l'endroit exact où elle surgira restera toujours une question de probabilité et donc de moyenne.

Ceci dit, grâce à ces études on peut espérer qu'à l'avenir les navires pourront éviter les vagues scélérates tandis les nouveaux cargos et supertanker seront construits différemment afin de mieux résister à l'assaut de ces vagues très dangereuses.

Le "tube" des surfers

Un autre type de vague est le "tube" des surfers, typique des îles du Pacifique. Comme l'explique cet article de Surfline rédigé en anglais, ces vagues géantes qui attirent autant les surfers que les médias n'obéissent pas aux lois classiques de formation des vagues.

Celles qui se manifestent à Teahupo'o à Tahiti par exemple se forment suite à la présence d'une pente sous-marine très forte à une centaine de mètres du rivage forçant les vagues à se relever et se gonfler plus ou moins fort en fonction de la force et de la direction du vent. Ce phénomène se produit lorsque le rapport de pente est proche de 1:3. A ce moment là la vague est appelée "surging" (houleuse ou déferlante) par les scientifiques.

A voir : Teahupoo 2012 - Teahupoo 2013 - Teahupoo 2013

Nazare 2006 - Nazare 2013

Le contest Billabong Pro du WCT

Biggest Waves Ever Recorded On Camera

A Teahupo'o les vagues sont tellement puissantes qu'elles forment un mur ou une plaque verticale (slab) de plus de 5 mètres de hauteur qui s'enroule sur elle-même sur une longueur qui peut dépasser 200 mètres, d'où leur surnom de "tube" ou "pipeline". La vague finit par s'écraser (collapsing) en libérant de spectaculaires embrunts par ses extrémités restées ouvertes.

A gauche, le fameux "tube" ou rouleau qui séduit tant les surfers. A droite, la structure du canyon sous-marin plongeant à 4877 m de profondeur juste devant la plage de Nazare au Portugal. Document D.R. et P.A.V. Morales.

Ces vagues représentent plus de 50 tonnes d'eau qui viennent s'écraser sur la barrière de corail. Elles sont tellement puissantes que le surfer non aguerri ou celui qui a mal pris son "take off" est emporté par la vague et risque de se blesser grièvement en retombant ("wipeout") sur le corail situé à moins de 3 mètres de la surface. En effet, régulièrement des surfeurs emportés par ces vagues ont le corps tailladé et en sang et sont parfois retrouvés inconscients. Les accidents mortels sont heureusement rares. Ces vagues ont bien mérité leur surnom de "jaws" (les mâchoires). A Hawaï notamment, le danger est tellement présent qu'il est interdit aux débutants de surfer les "jaws".

Le record est détenu par le spot de Nazare au Portugal où un canyon sous-marin qui plonge à 4877 m juste devant la plage et la combinaison de trois courants de sens différents ont permis à Garrett McNamara de surfer en 2006 et en 2013 sur des vagues de respectivement 24 m et de plus de 30 m de hauteur ! Le record observé à Nazare est une vague de 35 m de hauteur en 2018.

Deuxième partie

Le tsunami

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