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Irradié pour la France

Champignon atomique du tir Licorne du 3 juillet 1970 à Mururoa (1 MT). Document CEA-DAM.

De Reggane à Mururoa (I)

Dans les années 1950, 60 et 70, nous avons assisté un peu partout à travers le monde à l'explosion de bombes atomiques qui sortaient de terre comme des champignons ainsi qu'à quelques "ratés" mémorables de tirs nucléaires souterrains qui ont donné lieu à des contaminations radioactives alarmantes.

Voyons par exemple ce qu'il en a été des célèbres essais nucléaires français en Algérie et en Polynésie... Au total, entre 1960 et 1996 l'armée française procéda à 17 essais atomiques à Reggane et In Ecker en Algérie et à 193 essais dans les atolls polynésiens de Mururoa et Fangataufa dont 46 tirs en atmosphère.

Comme son objet, le sujet est très chaud, propice aux polémiques et aux préjugés que nous devons éviter; des accidents survenus il y a 20 ou 50 ans et dont les affaires sont classées deviennent des leçons du passé, presque des anecdotes, mais rien ne sert de les raviver. Les autorités et les associations de défense des victimes les connaissent et le sujet a été plaindé et les victimes indemnisées le cas échéant. En revanche, il reste des faits impunis connus des autorités et des questions en suspens. Jugez par vous-même.

Précisons également, et contrairement à l'esprit d'ouverture rencontré chez les autres agences ou organisations que j'ai contactées (AFCN, AIEA, FAS, etc), je n'ai reçu aucune explication de la part du CEA, maître d'oeuvre du programme nucléaire français; la transparence n'étant toujours pas à l'ordre du jour de cette institution. C'est totalement irresponsable et scandaleux dans un Etat de Droits ! Cela en dit long sur l'intérêt que porte ces fonctionnaires à une information objective et leurs préoccupations quant à la santé du public. En voici la preuve, une de plus du mépris des autorités françaises envers leurs citoyens. Nous traiterons séparement l'affaire du nuage de Tchernobyl. Que chacun en tire les leçons et notamment sur le rôle actuel d'EDF ou de ses supporters auprès de l'UMP...

Les irradiés de Reggane, Algérie

Penchons-nous un instant sur des évènements qui touchent encore des centaines de personnes dans leurs chairs aujourd'hui. Le gouvernement français est très lâche en matière d'accidents nucléaires et ne semble pas encore avoir tiré toutes les leçons du passé.

Commençons au début de l'histoire. Pierre Messmer fut Ministre des Armées entre 1960-69, à l'époque où la France procéda à son tour à ses premiers essais nucléaires dans le Sahara algérien (bombes au plutonium et à uranium). Au cours d'une émission sur la chaîne FR3 diffusée le 3 décembre 2004, suite aux premières actions en justice conduites par des victimes, Pierre Messmer osait prétendre qu'il avait été "très irradié... personne n'a été plus irradié que moi" osait-il dire sur la chaîne française. Que s'était-il exactement passé ?

Après l'accident du 25 avril 1961 (gerboise verte, ~5 kT qui eut lieu quelques jours après le "putsch des généraux") qui contamina 195 soldats lors d'un tir nucléaire en atmosphère dont la bombe n'explosa pas conformément aux directives, la France décida d'effectuer dorénavant ses tirs atomiques dans des galeries souterraines creusées dans les montagnes du désert du Hoggar, notamment à In Ecker près de Reggane, dans le Sud-Ouest Algérien. C'était une bonne manière d'éviter toute contamination de l'environnement car toute la poussière dégagée au cours de l'explosion ainsi que les gaz radioactifs devaient ainsi être confinés dans le cône d'éboullis formé à l'intérieur de la chambre après l'explosion et devaient se fixer dans les roches, du moins en théorie.

Le 25 avril 1961 à Reggane, en Algérie, une bombe atomique explose mal et aucun résultat ne peut en être tiré. Toutefois 195 soldats furent irradiés dont une dizaine mourront contaminés. Devant cette catastrophe, en accord avec Paris l'Etat-Major décida que ce serait le dernier tir en atmosphère et qu'il procédera dorénavant à des tirs en galerie souterraine. Un an plus tard, au cours du tir Béryl du 1 mai 1962 (ci-dessus), l'explosion atomique souterraine provoqua l'écroula d'une montagne et libéra un nuage radioactif dans l'atmosphère. Pas mieux... Au tir souterrain suivant (Emeraude, 18 mars 1963, 10 kT) de la radioactivité fut également libérée dans l'atmosphère. Encore raté ! A se demander si les ingénieurs étaient compétents...

Le 1 mai 1962, suite au tir Béryl  (~30 kT) dans une galerie, ainsi qu'on le voit à gauche la montagne s'écroula et libéra un nuage radioactif dans l'atmosphère ! Pierre Messmer et Gaston Palewski, Ministre de la Recherche scientifique étaient venus assister à l'essai et durent être décontaminés. Mais à ce que je sache, ni l'un ni l'autre n'ont jamais été hospitalisés en chambre stérile comme au moins 17 autres victimes qui ont fini par mourir de leucémie ! 

Pierre Messmer et les autres responsables portaient par ailleurs tous une combinaison et un masque anti-gaz ! Selon un rapport de l'OPECST publié en 2001 par C. Bataille et H. Révol, comme 1662 autres victimes, on peut estimer que monsieur Messmer fut exposé à une dose inférieure à 5 mSv, deux fois la dose annuelle de radioactivité naturelle, alors que les soldats les plus exposés subirent de 200 à 600 mSv, sachant qu'à partir de 500 mSv on observe une altération de la formule sanguine.

Monsieur Messner est même "fier de l'action de la France" et ne regrette rien avoua-t-il cyniquement devant les caméras. Dans son esprit, les "dégâts collatéraux" comme il les appelle (les victimes irradiées) faisaient partie des risques. Quand on lui parle de dédommager les victimes, forcé de répondre c'est à peine s'il avoue vouloir examiner les "quelques cas" de malades allégués (ils sont des dizaines, voir plus bas !)...

Mais mon cher monsieur, en tant qu'ancien Ministre des Armées et docteur en Droit vous devriez savoir mieux que quiconque que nous n'appliquons plus la Loi de la guerre en France depuis... 1945. Une telle négligence est un délit punissable par la loi ! De plus la Convention de Genève des Droits de l'Homme interdit de polluer l'environnement. Seriez-vous au-dessus des lois ou non concerné par les principes éthiques ?

Les responsables en place à l'époque reconnaissent qu'il y eu des incidents et des  accidents avec de fortes doses de radiations en Algérie. Malheureusement aucun scientifique ou politique ne veut reconnaître qu'il y a un lien de cause à effet entre les victimes de cancer ayant travaillé en Algérie et les expériences nucléaires !

A leur intention je me permets de leur rappeler quelques chiffres. S'ils ne disent sans doute pas grand chose à monsieur Messmer, les experts apprécieront. Les quatre essais atmosphériques effectués en Algérie ont contaminé 240 personnes qui reçurent une dose inférieure à 5 mSv. 6 soldats reçurent des doses comprises entre 50 et 100 mSv.

Au cours du tir Béryl "souterrain", 12 soldats auraient reçu des doses de 200 à 600 mSv, 37 soldats des doses de 100 à 200 mSv, 50 soldats des doses de 50 à 100 mSv, 224 soldats des doses de 5 à 50 mSv et 1662 personnes des doses inférieures à 5 mSv.

Au total les tirs souterrains auraient engendrer chez 581 personnes des doses supérieures à 5 mSv, dont près de la moitié imputable au seul tir Béryl. Selon les rapports officiels "l’éloignement des zones de tir était suffisant pour garantir un impact négligeable sur les populations locales". Cette conclusion est fausse car le nuage radioactif de l'accident Béryl atteignit 2600m d'altitude et fut suivi sur une distance d'au moins 600 km. Pour conservir la mémoire de ces incidents, quelques associations se chargent aujourd'hui de rassembler ces "faisceaux d'indices probants", dont AVEN.

Dans l'ensemble, 24000 personnes ont travaillé à Reggane durant 5 ans dont 8000 soldats qui participèrent aux tirs, faisant exploser 16 bombes nucléaires d'une puissance de 1 à 127 kT dont plusieurs au plutonium mais qui ont raté, libérant un nuage toxique dans l'air. Neuf personnes ont été officiellement irradiées. Or l'hôpital parisien qui les soigna plaça 17 personnes en chambre stérile en 1962, c'est-à-dire vraisemblablement tous les soldats ayant été exposé à une dose supérieur à 200 mSv. Toutes sont rentrées en France blafardes, amaigries et sont décédées entre 30 et 40 ans d'un cancer de la moelle osseuse... D'autres militaires ont été mis en pension anticipée ou sont devenus stériles à 32 ans ! Ces victimes là, monsieur Messmer ainsi que gouvernement français les ignorent jusqu'à présent comme ils ignorent toutes les victimes autochtones qui furent contaminées dans une zone de 80 km de rayon environ autour de Reggane. Est-il si normal de mourir irradié en France pour que le gouvernement ignore à ce point leur état de détresse ? La vérité doit éclater devant les tribunaux !

Notons que depuis 2003, la loi française exige que toute personne ayant été exposée à une dose de rayonnement ionisant d'au moins 100 mSv en quelques heures soit écartée des zones à risque durant 2 ans.

Comme le disait une victime de Reggane aujourd'hui retraitée : "j'étais à Reggane en 62 à la section tranport pour les transmissions. Par rapport à tout ce que j'ai vu et ce que l'on sait maintenant je trouve que l'on s'est bien foutu de notre gueule, petits soldat de deuxième classe". Il y a en effet de quoi avoir de l'amertume envers la France.

Rappelons également dans un autre cadre qu'aujourd'hui l'Algérie comme bon nombre d'autres pays sert encore de vide-ordure à la France. Des ingénieurs en environnement retraitant les déchets "ménagers" peuvent témoigner que des conteneurs de déchets toxiques arrivent en Algérie où ils sont enfouis sous la dénomination de... matière première ! Des scrupules ? Monsieur Chirac ne connaît pas ce mot ! Quant aux autorités algériennes, elles ferment les yeux; on sait que l'argent n'a pas d'odeur !

Prochain chapitre

Les essais nucléaires en Polynésie française

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