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La physique quantique

L'expérience UA2 du CERN, un détecteur proton-antiproton installé à l'Université de Mainz qui, avec UA1, permit de découvrir les particles W et Z en 1983. Document CERN / Science Photo Library.

L'asymétrie CP ou le privilège de la matière

En 1954, les physiciens G.Lüders, W.Pauli et J.Schwinger ont démontré que si les mathématiques étaient une science exacte, toute théorie qui obéissait à la mécanique quantique et à la relativité devait également obéir à la "loi du bon sens". Formellement appelée la "symétrie CPT", ce théorème assure une symétrie globale des lois de la Nature, combinant la charge, la parité et le temps[1].

Ainsi que nous l'avons expliqué en étudiant les théories de symétrie, les graphes de Feynman sont bien adaptés à ce genre de transitions et permettent d'exprimer par un graphique les interactions entre particules (graphes que l'on retrouve également dans la statique des fils).

Selon les physiciens, les évènements devraient se dérouler de la même façon si l'on remplaçait les particules par des antiparticules (symétrie C, la conjugaison de charge), si l'on prenait leur image dans un miroir (symétrie P ou hélicité, également appelée chiralité) et si l'on inversait la flèche du temps (symétrie T). La symétrie dite CPT devait être respectée.

Dans toutes les expériences réalisées à ce jour, de façon générale la symétrie T est conservée mais non verrons qu'il existe une exception. Généralement, l'image dans un miroir d'une antiparticule remontant le temps est bien similaire à l'image de la même particule qui évolue dans le sens direct. Mais en réalité, nous savons que l'univers n'obéit pas à la symétrie T, car comme le temps s'écoule, il s'étend. Inversement, il se contracterait, modifiant sa structure physique et chimique. Ceci est une explication "thermodynamique" mais elle prouve déjà la non conservation de certaines propriétés de symétrie de l'univers.

Les asymétries de parité et de temps peuvent déjà être isolées dans le cas de la propagation du neutrino ou de son antiparticule. Quand on parvient à le détecter, on découvre que le neutrino présente une hélicité à gauche. Il se propage uniquement dans le sens de son spin, spiralant vers la gauche, comme s'il ne participait pas à la symétrie universelle. Si l'on sait qu'une symétrie interdit certaines opérations, on peut se demander quel rôle essentiel joue le neutrino dans l'élaboration du cosmos... Si la Nature ne fait rien en vain, cette hélicité particulière limite quelque part les versions des théories aux seules conditions qu'elles prescrivent.

Paradoxalement la GUT précise que le neutrino appartient à la même famille que l'électron : tous deux sont des leptons. Ils sont les deux aspects d'une même interaction, la force électrofaible. Quelle influence peut donc avoir cette asymétrie ? Une fois de plus, la réponse n'est pas dans les livres[2].

La désintégration du kaon

La deuxième asymétrie concerne l'abondance de la matière au détriment de l'antimatière, question qui fut soulevée en 1956 par Chen Ning Yang - celui de la théorie électrofaible -. Avec son collègue Tsung Dao Lee, ils démontrèrent que la symétrie P ne s'appliquait pas dans tous les cas, en particulier dans les processus liant les interactions faibles : ils n'étaient pas à l'image de leur reflet dans un miroir.

En 1957, Lev Landau et Lev Okun de l'Université de Moscou démontrèrent que seul le produit de la symétrie CP était respecté. Mais il faudra attendre 1963 pour que les physiciens du Laboratoire National de Brookhaven (BNL) prennent cette possibilité au sérieux et découvrent expérimentalement la violation de la symétrie CP des kaons.

Non conservation de P

Désintégration du muon

Toutes les expériences confirment que la désintégration du muon produit mille fois plus d'électrons gauchers que d'électrons droitiers.

Violation de CP

Désintégration du kaon

Le kaon se désintègre de préférence en positron (à gauche) plutôt qu'en électron (son reflet opposé à droite).

La violation de CP apparut lors de l'interaction du méson K° ou kaon contenant un quark étrange (s), un méson à longue vie qui préfère se désintégrer en positrons (ou positons) plutôt qu'en électron. La confirmation de cette découverte leur valut le prix Nobel en 1957.

En 1964, les physiciens James Christenson, James Cronin, Val Fitch et René Turlay de l'Université de Princeton démontrèrent dans un article publié dans les "Physical Review Letters" que la désintégration du kaon violait également la symétrie de charge sans pour autant que la parité ne rétablisse l'équilibre de la combinaison CPT. L'effet fut observé pour la première fois au Laboratoire National de Brookhaven (BNL), aux États-Unis.

La décroissance du méson K° ou kaon en pions avec échange d'un boson (W) et de gluons (g).

Leurs expériences démontrent que si les lois physiques ne sont pas affectées par une transformation complète de la combinaison CPT, c'est parce que la particule K° est sa propre antiparticule. Mais elle ne se désintègre pas de façon symétrique. Elle a tendance à favoriser la production d'un pion négatif, d'un positron et d'un neutrino en délaissant sa désintégration en pion positif, électron et antineutrino. Si elle produit plus de positrons et de neutrinos que d'électrons et d'antineutrinos (les pions sont des bosons qui n'entrent pas dans le bilan) l'univers devrait se remplir d'antimatière, au détriment de la matière.

La décroissance du kaon (K+) en pions (π+ et π) fait intervenir les interactions faibles (échange de W) et fortes (échange de gluons g).

Les conditions de Sakharov

Pour expliquer la violation des symétries et l'excès de baryons, en 1967 le physicien soviétique Andreï Sakharov - l'inventeur de la bombe à hydrogène soviétique mais que l'on connaît surtout pour son action politique - émit une proposition géniale qui sera connue sous le nom des "conditions de Sakharov"[3] et que nous retrouvons en cosmologie à propos du Big Bang et de la baryogénèse.

Jugée tout d'abord trop spéculative, son idée devra attendre la confirmation de Motohiko Yoshimura en 1978 dans les "Physical Review Letters" pour être prise au sérieux. Cette question sera également analysée par Savas Dimopoulos et Leonard Susskind dans un article également publié en 1978 dans la "Physical Review D" consacré à la violation du nombre baryonique et à l'asymétrie CP.

En 2001, des expériences menées au SLAC aux États-Unis et au KEK au Japon ont également permis d'observer cette violation CP avec des mésons B neutres, qui contiennent un quark bottom. Ces résultats ont conduit à l'attribution de deux prix Nobel de physique, l'un en 1980 et l'autre en 2008.

Pour expliquer la violation du nombre baryonique, Sakharov rappela que durant l'ère de la Grande unification, l'Univers contenait un taux d'énergie très élevé où les antiquarks pouvaient se transformer en électrons et les quarks en positrons. L'asymétrie entre matière et antimatière s'annulait probablement lorsque les différentes interactions, à l'exception de la gravité, s'unissaient vers 1015 GeV (1027 K). A ce niveau d'énergie quarks et électrons étaient semblables.

Puisqu'il existe des forces qui n'obéissent visiblement pas à la symétrie du temps (et qui privilégièrent la matière), cela eut pour conséquence de produire plus de positrons devenant quarks que d'électrons devenant antiquarks. Le temps faisant son oeuvre, 10-35 s après le Big Bang les quarks prédominèrent et la matière pris le pas sur l'antimatière. Après l'annihilation, il resta environ 1 quark sur 1 milliard. Cette explication fut confirmée par les théories de Grande unification proposées par Abdus Salam, Sheldom Glashow et leurs collègues. Elle vaudra le prix Nobel de physique à Cronin et Fitch en 1980.

Mis à part des questions de "détails" concernant l'époque exacte en terme de niveau d'énergie (et de température) à à laquelle s'est produite cette dominance de la matière sur l'antimatière, cette idée est aujourd'hui acceptée par tous les physiciens supportant le modèle du Big Bang, c'est-à-dire pratiquement tous.

Amélioration de la précision des calculs

Dans un article publié dans la "Physical Review D" en 2020, Ryan Abbott de l'Université de Columbia et des chercheurs du BNL et du CERN parmi d'autres institutions ont affiné les calculs donnant la probabilité avec laquelle les kaons se désintègrent en pions chargé et neutre. Ces nouvelles valeurs permettent de mieux comprendre ces désintégrations et de comparer la prédiction avec les mesures expérimentales réalisées au CERN et au FNAL du DOE. De cette manière, les physiciens peuvent mieux tester les minuscules différences entre la matière et l'antimatière et rechercher des effets qui ne peuvent pas être expliqués par le modèle Standard.

Le superordinateur Cray XC40 Cori (~30 PFLOPS) du National Energy Research Scientific Computing Center (NERSC) appartenant au ministère américain de l'Energie (DOE). Il est opérationnel au LBNL (Lawrence Berkeley National Laboratory) depuis 2017.

Pour comprendre l'enjeu de cette amélioration, rappelons que toutes les expériences qui montrent une différence entre la matière et l'antimatière impliquent des particules faites non seulement de paires de quark-antiquark mais qui sont également entourées d'un nuage de paires de quark-antiquark virtuels reliés entre eux par des gluons porteurs de force.

Les calculs basés sur le modèle Standard du comportement de ces particules doivent donc inclure toutes les interactions possibles des quarks et des gluons, comme décrit par la théorie moderne des interactions fortes, la chromodynamique quantique ou CDQ.

De plus, ces particules liées se déplacent à une vitesse proche de la lumière. Cela signifie que les calculs doivent également inclure les principes de la relativité générale - à quatre dimensions - et de la théorie quantique qui régissent les interactions de ces particules à des vitesses relativistes. En termes de calculs, l'intégrale de Feynman par exemple implique l'intégration de... 67 millions de variables ! Ce sont quelques-uns parmi des calculs les plus compliqués de toute la physique. Parvenir à améliorer leur précision représente donc un véritable défi, même à l'heure des superordinateurs et de l'intelligence artificielle.

Selon Christopher Kelly du BNL et coauteur de cet article, "La précision des nouveaux résultats ne peut pas être améliorée de manière significative en effectuant simplement plus de calculs. Afin de resserrer le test du modèle Standard, nous devons à présent surmonter un certain nombre de défis théoriques plus fondamentaux. Notre collaboration a déjà fait des progrès significatifs dans la résolution de ces problèmes et, associée à des améliorations des techniques de calcul et à la puissance des superordinateurs du DOE, nous prévoyons d'obtenir des résultats nettement améliorés dans les trois à cinq prochaines années" soit d'ici 2025.

Le nouveau calcul représente une amélioration significative par rapport au résultat antérieur publié dans les "Physical Review Letters" en 2015. Basé sur le modèle Standard, il donne une plage de valeurs pour la violation directe de la symétrie CP dans les désintégrations ded kaons qui est cohérente avec les résultats mesurés expérimentalement. Selon les auteurs, "Cela signifie que la violation de CP observée est maintenant, à notre connaissance, expliquée par le modèle Standard, mais l'incertitude dans la prédiction doit être encore améliorée car il est également possible de révéler toute source d'asymétrie matière/antimatière située au-delà la description actuelle de notre monde par la théorie".

Selon le physicien théoricien Amarjit Soni du BNL et également coauteur de cet article, "Un calcul théorique encore plus précis du modèle Standard peut encore se situer en dehors de la plage mesurée expérimentalement. Il est donc très important que nous continuions nos progrès et affinions nos calculs, afin de pouvoir fournir un test encore plus solide de notre compréhension fondamentale".

L'expérience des kaons est l'une des rares qui permette de différencier la matière de l'antimatière. Si nous découvrons des antiparticules, en particulier un excès d'électrons lors d'une désintégration de K°, nous pourrons être sûr d'être en présence d'antimatière ! Or jusqu'à présent, et aussi loin que nos moyens nous le permettent, une telle observation n'a jamais été faite.

Vue générale des installations du LEARN du CERN qui permet de synthétiser des antiprotons.

Mis à part quelques antiparticules détectées dans les rayons cosmiques ou dans les interactions entre la matière et son environnement dans l'espace, toutes les expériences confirment que le monde visible est constitué de matière et ceci depuis l'époque du découplage de la matière du rayonnement, 380000 ans après le Big Bang lorsque la température était de l'ordre de 3000 K. En effet, au moment de la recombinaison, l'excès de matière sur l'antimatière était de l'ordre de 10 milliards de photons pour 1 proton. L'antimatière était déjà presque totalement annihilée.

Les 1015 GeV nécessaires à l'unification des interactions forte et électrofaible permet d'estimer la durée de vie de la matière à 1031 ans mais les expériences mises en oeuvres depuis les années 1980 n'ont toujours pas observé cette désintégration.

Ceci dit, le CERN a déjà pu créer des noyaux d'antideutérium, d'antihélium et bien sûr des antiprotons mais aucun atome n'a été observé. Personne n'a jamais vu les raies spectrales d'un antiatome ni mesuré la quantité d'antimatière dans les rayons cosmiques. Aujourd'hui de telles expériences sont à notre portée : le projet LEARN, Low Energy Antiproton Ring du CERN permet de synthétiser des antinoyaux d'hydrogène (antiprotons) et Artemis permet d'étudier les rayons cosmiques, en espérant que ces défis nous surprendront[4].

Il existe donc une distinction entre matière et antimatière. Pourquoi, nul ne le sait. Les théories de symétrie définies dans la GUT restent des conceptualisations qui doivent encore être confirmées par l'observation. Le modèle Kaluza-Klein remis au goût du jour plaît à une majorité de physiciens. Mais vu leur grande énergie, les supercordes resteront longtemps encore inaccessibles.

Une nouvelle physique ?

Les physiciens de l'Université d'Etat de Floride (FSU) pensent avoir trouvé une réponse aux rares désintégrations du kaon observées dans l'expérience KOTO réalisée au Japan Proton Accelerator Research Complex (J-PARC).

Dans un article publié dans les "Physical Review Letters" en 2020, les physiciens Takemichi Okui et Kohsaku Tobioka de la FSU proposent que cette désintégration s'explique par l'existence d'une nouvelle particule de courte vie qui jusqu'ici n'a pas été détectée dans les expériences similaires. En effet, en 2019 les chercheurs de l'expérience KOTO ont signalé quatre cas d'une désintégration du kaon qui aurait dû être trop rare pour être détectée (cf. D.Egana-Ugrinovic et al., 2019). Seul bémol, cette observation viole le modèle Standard des particules.

Les physiciens de la FSU ont proposé en 2020 l'existence d'une nouvelle particule (jaune) pour expliquer les rares désintégrations du kaon (bleu) en pions neutres (orange). Mais cela signifie qu'il faudrait amender le modèle Standard.

Selon les calculs des chercheurs, il pourrait y avoir deux explications. Selon la première, le kaon pourrait se désintégrer en un pion et une autre particule invisible. Seconde explication, les chercheurs de l'expérience KOTO auraient pu assister à la production et à la décroissance de quelque chose de complètement inconnu des physiciens !

Pour l'heure, les chercheurs japonais effectuent une série de contrôles pour vérifier si les observations précédentes étaient de véritables détections de nouvelles particules ou simplement du bruit. Selon Tobioka, "Si c'est confirmé, c'est très excitant parce que c'est complètement inattendu. C'est peut-être du bruit, mais ce ne l'est peut-être pas. Dans ce cas, le bruit prédit est très faible et donc tout évènement devient très frappant. Et dans ce cas-ci, il y en avait quatre." L'enquête se poursuit.

La désintégration du méson D°

En 2019, la collaboration LHCb du CERN a constaté pour la première fois une nouvelle violation ou asymétrie CP, cette fois dans la décroissance du méson D°. Les résultats furent présentés lors de la conférence annuelle des Rencontres de Moriond et dans le cadre d'un séminaire dédié au CERN.

Selon Eckhard Elsen, directeur de la recherche et de l'informatique au CERN, "le résultat est une étape importante dans l'histoire de la physique des particules. Depuis la découverte du méson D il y a plus de 40 ans, des physiciens des particules ont suspecté l'existence d'une violation de CP dans ce système, mais ce n'est que maintenant, en utilisant essentiellement l'ensemble des données recueillies par l'expérience que la collaboration LHCb a finalement pu observer cet effet."

Les réactions de décroissance du D° font intervenir des courants faibles (par ex. un échange de bosons W) et sont les suivantes :

D° → K- K+ et D° → π-π+

En général, on observe soit une décroissance forte :

D*(2010)+ → D°π+

soit une décroissance semileptonique :

anti-B°,B- → D°μ-anti-υμX

Le méson D° est constitué d'un quark charmé et d'un antiquark up. Jusqu'à présent, la violation de CP n'a été observée que dans des particules contenant soit un quark étrange soit un quark bottom. Ces observations ont confirmé le modèle d'asymétrie CP décrit dans le modèle Standard par la matrice de mélange dite Cabibbo-Kobayashi-Maskawa (CKM), qui détermine la probabilité dont des quarks de saveurs différentes se transforment dans les interactions faibles.

Exemples de décoissance du méson D° en pions et muons (gauche) et décoissance semileptonique (droite). Documents coll. LHCb (2014) et Kabusma Davy et al. (2017).

Pour observer cette asymétrie CP, les chercheurs du LHCb ont utilisé l'ensemble des données fournies par le LHC au cours de l'expérience LHCb conduite entre 2011 et 2018 (cf. J. Brod, 2012; LHCb, 2014) recherchant les désintégrations du méson D° et de son antiparticule, l'anti-D° soit en kaons soit en pions. Selon Giovanni Passaleva, porte-parole de la collaboration LHCb, "la recherche de ces deux produits de désintégration dans notre échantillon sans précédent de particules D° nous a donné la sensibilité requise pour mesurer la quantité infime de violation de CP attendue pour de telles désintégrations. Mesurer l'ampleur de la violation revient ensuite à comptabiliser les désintégrations D° et anti-D° et à prendre la différence." Le résultat présente une déviation standard de 5.3σ ou écarts-types donc suffisante pour revendiquer une découverte. Les physiciens vont à présent explorer de nouvelles sources possibles de violation de CP dans les particules charmées.

L'origine profonde de la matrice CKM et la recherche de sources et de manifestations supplémentaires d'asymétrie CP sont parmi les grandes questions en suspens de la physique des particules. La découverte d'une violation de CP dans le méson D° constitue la première preuve de cette asymétrie pour le quark charmé, ajoutant de nouveaux indices à l'étude de cette problématique.

Ceci dit, aucune de ces asymétries CP n'est suffisante pour expliquer pourquoi la matière domine sur l'antimatière. Le mystère demeure.

La violation de CP du dipôle électrique du neutron

L'asymétrie matière-antimatière touche également d'autres particules que les mésons. On a longtemps cru qu'il existait une violation de la symétrie CP dans l'interaction forte qu'on a surnommé "le problème CP fort" dont même la presse se fit l'écho (cf. Forbes, 2019). La CDQ ne l'interdit pas, par exemple selon les valeurs d'angle chiral et de phase de la masse chirale (cf. E.Witten et al., 1979; P.Di Vecchia et al., 2013).

La violation de la symétrie CP conduit en théorie à l'asymétrie de la distribution des quarks dans le neutron, engendrant un petit moment dipolaire électrique du neutron (nEDM). Cette valeur correspond à une fréquence qui peut être déterminée précisément en excitant le neutron avec des microondes.

La violation de CP a été observée dans les interactions faibles et est incluse dans le modèle Standard via la phase de violation de CP dans la matrice CKM qui contient des informations sur la force de l'interaction faible qui modifie la saveur des quarks. En théorie, sa contribution au nEDM est très faible, de l'ordre de |dn| ~10-31 e cm (electron centimètre). Mais des expériences et des modélisations ont suggéré qu'elle est plus importante.

A gauche, le modèle Standard des particules prédit que le moment dipolaire électrique du neutron (nEDM) devrait être 10 milliards de fois supérieur aux mesures expérimentales. La seule explication est qu'une contrainte en dehors du modèle Standard protège cette symétrie CP dans les interactions fortes. A ce jour, il n'a pas été totalement prouvé que la symétrie CP est conservée dans les interactions fortes mais on s'en rapproche. A droite, évolution de la valeur du dipôle électrique du neutron. Documents A.Knecht et NEDMatPSI adapté de PSI.

Dans une étude publiée en 1967, K.Nishijima et L.J.Swank de l'Université de l'Illinois estimèrent la contribution de la violation de CP au nEDM à dn ~9 x 10-22 e cm.

En 2005, Valery.Lyubovitskij de l'Université de Tübingen en allemagne et ses collègues ont montré dans un modèle de quark chiral perturbatif comprenant des nuages de pions et de kaons que le facteur de forme du dipôle électrique des neutrons viole le terme θ de la QCD. Ils obtiennent une valeur maximale |dn | < 0.63 x 10-25 e cm.

En 2010, les physiciens du PSI (cf. A.Knecht) proposaient une valeur |dn| = 5 x 10-27 e cm (écart-type de 2σ ou I.C. 95%) et pouvaient détecter un nEDM de 1.3 x 10-26 e cm avec 5σ.(I.C. > 99.77%).

A son tour, les versions supersymétriques du modèle Standard telles que SUSY montrent qu'il y a une violation importante de CP. Les prédictions pour nEDM découlant de la théorie varient entre 10-25 e cm < dn < 10-28 e cm.

En 2020, sur base d'expériences conduites en 2015-2016 en mode aveugle pour ne pas introduire de biais dans l'interprétation des résultats, la Collaboration nEDM du PSI annonça que le dipôle électrique des neutrons est nul aux incertitudes près, la valeur étant dn = (0.0 ±1.1 stat ±0.2 sys) x 10-26 e cm.

Ceci dit, toute déviation de zéro, aussi faible soit elle, serait une découverte majeure en physique des particules, car elle impliquerait l'existence de particules lourdes.

Souligons que selon une théorie proposée en 2022, la symétrie CP pourrait être préservée dans l'interaction forte s'il existe des bosons de Higgs légers et lourds qui restent à découvrir (cf. les découvertes récentes). Mais ce n'est qu'une hypothèse parmi d'autres.

L'asymétrie de l'oscillation des neutrinos

En 2016, l'étude des neutrinos grâce aux expériences Super-Kamiokande (T2K) au Japon et NOvA au Fermilab, a également permis aux physiciens de découvrir une nouvelle asymétrie, celle entre les oscillations des neutrinos et des anti-neutrinos. En effet, les premiers oscillent entre leurs différents états plus rapidement que les seconds. Bien que la preuve définitive exige des détecteurs plus sensibles, il s'avère qu'il existe également une différence entre matière et antimatière dans les neutrinos et nul ne sait pourquoi. On y reviendra à propos des neutrinos solaires.

Quid de la matière sombre et des axions ?

Tous ces travaux se focalisent sur la matière ordinaire et oublient qu'elle ne représente pas la forme dominante de matière dans l'Univers. En effet, les astronomes ont constaté depuis des décennies l'omniprésence de matière sombre (ou noire) et même d'énergie sombre dans l'Univers. C'est justement pour expliquer la violation de la symétrie CP en chromodynamique quantique que Roberto Peccei et Helen Quinn ont proposé en 1977 l'existence d'un nouveau champ scalaire. Ils nommèrent cette pseudoparticule, l'axion. Il fait partie des pseudo-bosons de Nambu-Goldstone.

L'axion serait 28 ordres de grandeur plus léger que le proton et 1 million de fois plus léger que l'électron, avec une masse au repos d'environ 10-5 eV/c2. De plus il serait neutre. Les axions constitueraient les "photons sombres" (ou photons noirs) ultra-légers qui inonderaient littéralement l'Univers depuis l'aube des temps. Ils seraient peut-être aussi les vecteurs d'une cinquième force hypothétique. Mais s'ils existent réellement, malgré leur nombre ils sont extrêmement difficiles à observer et à détecter, même indirectement. Pour l'instant la question de leur existence reste ouverte.

La symétrie des noyaux et la flèche du temps

Complémentaire des symétries de parité et de conjugaison de charge, il existe également une symétrie dans la forme des noyaux atomiques. Leur forme dépend de la disposition particulière de la charge des protons par rapport aux neutrons. Jusque récemment il n'existait que trois formes de noyaux : la sphère, le disque (ou oblate) et l'ovale (ou ballon de rugby). Ces trois formes sont symétriques.

Ainsi, comme on le voit ci-dessous, en ajoutant un proton aux isotopes du silicium par exemple, au lieu de rester sphérique comme le 36Si, il prend une forme ovale (40Si) puis celle d'un disque (42Si). Notons qu'il existe également des "superdéformations" donnant par exemple des noyaux en forme de banane ou de chapeau arrondi ainsi que des formes isométriques ressemblant à des cacahuètes.

A gauche, transformation graduelle de la forme des isotopes du silicium quand on leur ajoute un proton. Les trois formes conservent leur symétrie. A droite, l'étude de la quatrième forme de noyau, la piriforme dans le radon-220 et le radium-224. Cette forme n'est plus symétrique par rotation et pointe dans une certaine direction de l'espace-temps. Pour Marcus Scheck de l'Université de West of Scotland, cela aurait aurait des conséquences sur la "flèche du temps". Documents P.Riken et L.P.Gaffnet et al./CERN, 2013.

Comme nous l'avons évoqué, jusqu'à présent les astrophysiciens ont cru que la "violation CP" avait produit plus de matière que d'antimatière. Mais il est apparu que les violations connues ne suffisent pas pour produire toute la matière que nous observons. En fait, le physicien Brian Bucher du laboratoire LLNL et son équipe ont découvert en 2013 au CERN l'existence d'une quatrième forme de noyau : la poire ou piriforme dans l'isotope du radium-244 qui est également présente dans l'isotope du radon-220, du baryum-144 et d'autres éléments de masse élevée riches en neutrons. Cette piriforme correspond à une déformation  en octupôle dont la version symétrique avait déjà été observée en 2012.

Selon Marcus Scheck de l'Université de West of Scotland qui dirige l'expérience ISOLDE (On-Line Isotope Mass Separator) au CERN, ce noyau piriforme asymétrique pointe dans une direction particulière de l'espace qui est aussi une direction dans le temps, prouvant qu'il existe bien une "flèche du temps". Pour Scheck, cette découverte signifie aussi que voyager dans le temps est impossible. Ceci dit, son hypothèse est purement spéculative mais elle soulève d'intéressantes possibilités qu'il vaut la peine d'explorer.

Mais tous les physiciens ne partagent pas le pessimisme de Scheck, en particulier Brian Greene pour qui le voyage temporel est possible de même que pour Michio Kaku, auteur de "Hyperspace" et "Parallel Worlds" notamment. Mais restons néanmoins prudent avant d'avancer de telles propositions. La question étant débattue depuis quelques siècles, étant donné qu'aucune expérience macroscopique ne peut trancher la question, on peut supposer que les défenseurs du "pour" et du "contre" le voyage temporel s'opposeront encore longtemps.

La symétrie du temps brisée dans l'interaction à trois corps

Jusqu'à présent, les chercheurs expliquaient l'absence de symétrie temporelle par l'interaction statistique entre un grand nombre de particules. Dans une étude publiée dans les "MNRAS" en 2020, Tjarda Boekholt de l'Université de Coimbra au Portuga et ses collègues ont découvert grâce à des simulations que seulement trois particules suffisent à briser la symétrie temporelle.

Les chercheurs ont calculé les orbites de trois trous noirs en interactions mutuelles comme le montre la vidéo ci-dessous. Ils ont réalisé deux simulations. Dans la première simulation (ci-dessous à droite avec les trajectoires en pointillés blancs), les trous noirs partent du repos. Puis ils se rapprochent et se dépassent sur des orbites quasiment chaotiques. Enfin, un trou noir est éjecté du système. La deuxième simulation (avec les trajectoires en pointillés rouges) commence avec les deux trous noirs restants et tente de revenir en arrière, à la situation initiale.

Après 35 millions d'années, il n'y a toujours pas d'écart; la ligne rouge recouvre complètement la ligne blanche. Après 37 millions d'années, les orbites dévient légèrement et la ligne blanche devient visible. La symétrie temporelle est rompue. Après 40 millions d'années, l'écart s'amplifie et est évident.

A voir : Two computer simulations of 3 black holes that influence each other

Que déduire de cette simulation ? Il s'avère que le temps ne peut pas être inversé dans 5% des calculs, même si l'ordinateur utilise plus d'une centaine de décimales. Les 5 derniers pourcents ne sont donc pas une question de meilleure performance des ordinateurs ou de méthodes de calcul plus intelligentes, comme on le pensait auparavant.

Les chercheurs expliquent l'irréversibilité en raison de la longueur de Planck, cette longueur minimale qui s'applique aux phénomènes à l'échelle atomique et en deça. Mais cette fois, comme l'effet papillon, on découvre un effet amplifié jusqu'à l'échelle de l'univers ! Selon Boekholt "Le mouvement des trois trous noirs peut être tellement chaotique que quelque chose d'aussi petit que la longueur de Planck influencera les mouvements. En effet, les perturbations de la taille de la longueur de Planck ont un effet exponentiel et brisent la symétrie temporelle".

Portegies Zwart coauteur de cette étude conclut : "Donc, ne pas pouvoir remonter le temps n'est plus seulement un argument statistique. Il est déjà caché dans les lois fondamentales de la nature. Pas un seul système à trois corps en mouvements, grands ou petits, planètes ou trous noirs, ne peut échapper à la direction du temps".

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[1] Martin Gardner, "L'Univers Ambidextre", Dunod, 1967; Seuil, 1985/1994/2000 

[2] Lire Martin Gardner, "L'Univers Ambidextre", op.cit.

[3] A.Sakharov, "Violation of CP invariance, C asymmetry, and baryon asymmetry of the universe", JETP Letters, 5, 1967, pp24-27.

[4] A.Watson, Science, 271, 1996, p147 - A.Marshaal. La Recherche, 286,1996. p34; La Recherche, 289, 1996, p718.


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