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Physique des particules

Une collision pp avec émission de multiples jets enregistrée au LHC. Document CERN.

Les découvertes récentes (I)

Nous allons décrire les découvertes récentes en physique des particules et des très hautes énergies, y compris en recherche appliquée. Dans la mesure du possible, d'autres découvertes ont déjà été intégrées dans d'autres articles. Dans celui-ci, attendez-vous à découvrir des phénomènes paradoxaux ou tout à fait étonnants et inattendus ! Ce domaine étant très vaste, nous nous limiterons à un résumé des découvertes les plus étranges, le lecteur pouvant approfondir sa lecture en suivant le lien référencé dans l'article.

Mesure de la vitesse du son dans un plasma de quarks-gluons

Les états extrêmes de la matière dont les gaz atomiques ultra-froids obtenus en laboratoire et les plasma de quarks-gluons créés lors de collisions entre noyaux atomiques peuvent sembler totalement indépendants mais, étonnamment, ils ont quelque chose en commun. Ils constituent tous un état de la matière semblable à un fluide, composé de particules en forte interaction. On retrouve ce type d'état dans les étoiles à neutrons. Les connaissances sur les propriétés et le comportement de chacun de ces fluides presque parfaits sont donc essentielles à la compréhension de la Nature jusqu'à l'échelle astronomique.

Dans un article publié en 2024 en préimpression, la Collaboration CMS du LHC du CERN rapporte la mesure la plus précise à ce jour de la vitesse à laquelle se déplace le son dans un plasma de quarks-gluons, offrant ainsi de nouvelles informations sur cet état extrêmement chaud de la matière.

Pour rappel, une onde sonore est une onde longitudinale qui traverse un milieu, produisant des compressions et des raréfactions de la matière dans la même direction que son mouvement. La vitesse du son dépend des propriétés du milieu, telles que sa densité et sa viscosité. Le son peut donc être utilisé pour sonder le milieu.

Au LHC, le plasma de quarks-gluons se forme lors de collisions entre ions lourds. Dans ces collisions, pendant une très petite fraction de seconde, une énorme quantité d'énergie se dépose dans un volume dont la taille maximale est celle du noyau atomique. Les quarks et les gluons émergeant de la collision se déplacent librement dans ce petit espace, créant un état de matière semblable à un fluide dont la dynamique collective et les propriétés macroscopiques sont bien décrites par la théorie.

La vitesse du son dans cet environnement peut être obtenue à partir de la vitesse à laquelle la pression change en réponse aux variations de densité d'énergie ou, alternativement, à partir de la vitesse à laquelle la température change en réponse aux variations d'entropie, qui est une mesure du désordre dans un système.

Dans les collisions d'ions lourds, l'entropie peut être déduite du nombre de particules chargées électriquement émises par les collisions. La température, en revanche, peut être déduite de l'impulsion transversale moyenne (c’est-à-dire l'impulsion transversale à l'axe de collision) de ces particules.

A gauche, un instantané de l'onde de Mach à l'intérieur du plasma de quarks-gluons lors de collisions nucléaires au LHC. Une particule énergétique se déplaçant vers la droite est accompagnée d'un photon se déplaçant vers la gauche. Les couleurs représentent la densité d'énergie locale de l'onde du cône de Mach. A droite, représentation conceptuelle de la température en fonction de la densité d'entropie des collisions d'ions lourds mi-centrales à ultra-centrales. Documents Collaboration CMS (2024).

En utilisant les données de collisions plomb-plomb à une énergie de 5.02 GeV par paire de nucléons (protons ou neutrons), la Collaboration CMS a mesuré pour la première fois comment la température varie en fonction de l'entropie au centre des collisions d'ions lourds, dans lesquelles les ions entrent en collision frontale et se chevauchent presque complètement.

De cette mesure, ils ont obtenu une valeur de vitesse du son dans ce milieu proche de la moitié de la vitesse de la lumière et d'une précision record : en unités de vitesse de la lumière, le carré de la vitesse du son est de 0.241 ±0.002 (stat) ±0.016 (syst). En utilisant le moment transversal moyen, ils ont également déterminé que la température effective du plasma de quarks-gluons était de 219 ± 8 (syst) MeV.

Ce résultat correspond aux prédictions de la théorie des champs en treillis (lattice field theory) de la CDQ (qui permet d'étudier à basse énergie la formation des nucléons et des mésons en termes de quarks et de gluons) et confirme que le plasma de quarks-gluons agit comme un fluide constitué de particules transportant d'énormes quantités d'énergie. Il fournit également une contrainte stricte sur l'équation d'état du milieu créé et une preuve directe de l'atteinte d'une phase CDQ déconfinée dans les collisions nucléaires relativistes.

L'alignement préféré du spin des particules

Les 715 physiciens de la Collaboration STAR du RHIC (Relativistic Heavy Ion Collider) du Laboratoire National de Brookhaven (BNL) du Département américain de l'Énergie (DoE) ont découvert que des fluctuations locales de l'interaction forte (ou force forte) peuvent influencer le spin de certaines particules comme les mésons ɸ (phi) composés de deux quarks. Leur découverte fit l'objet d'un article publié dans la revue "Nature" en 2023.

Selon les chercheurs, les mécanismes conventionnels, tels que l'intensité du champ magnétique ou les gerbes de particules générées lors des collisions, ne peuvent pas expliquer les données. Mais un nouveau modèle qui inclut les fluctuations locales de la force nucléaire forte y est parvenu.

Selon le physicien Aihong Tang de la Collaboration STAR, "Il se pourrait que les fortes fluctuations de force soient le facteur manquant. Auparavant, nous n'avions pas réalisé que la force forte pouvait influencer le spin des particules de cette manière. Mais cette explication est encore sujette à débat et des vérifications supplémentaires sont nécessaires. Mais si cela s'avère vrai, ces mesures nous permettent d'évaluer l'ampleur des fluctuations locales de la force forte. Elles offrent une nouvelle voie pour étudier la force forte sous un angle différent."

Comme son nom l'indique, la force forte est la plus puissante des quatre interactions fondamentales de la nature. C'est elle qui maintient ensemble les éléments constitutifs des atomes - les protons et les neutrons - ainsi que leurs éléments constitutifs internes, les quarks et les gluons.

Le RHIC a été construit en grande partie pour étudier cette force. Pour ce faire, les physiciens provoquent des collisions entre des ions lourds qui tournent en sens opposé dans deux anneaux d'accélération distincts à une vitesse proche de la lumière. Les collisions frontales se produisent à l'intersection des anneaux. L'énergie cinétique des ions leur permet de franchir les limites des protons et des neutrons individuels, libérant les quarks et les gluons normalement confinés à l'intérieur pour créer un plasma de quarks-gluons ou QGP. Les physiciens de la Collaboration STAR prennent des instantanés de ces réactions et collectent des données détaillées sur les particules émergeant de ces collisions afin de tenter de découvrir comment les quarks et les gluons interagissent.

Les fluctuations locales de l'interaction forte peuvent influencer le spin des mésons phi (composés de deux quarks). Document BNL.

Des mesures antérieures de STAR ont révélé que lorsque les noyaux d'or entrent en collision de manière légèrement décentrée, l'impact fait tourner la soupe chaude de quarks et de gluons. Les chercheurs ont mesuré la vorticité du plasma tourbillonnant de quarks-gluons en suivant son influence sur les spins de certaines particules émergeant des collisions.

Rappelons que le spin est un paramètre physique similaire à la rotation d'une planète, avec des pôles nord et sud (cf. l'atome de Bohr). Pour les particules étudiées précédemment (des hypérons lambda), le degré d'alignement de leurs axes de rotation avec le moment cinétique généré lors de chaque collision décentrée est un indicateur direct de la mesure de la turbulence du plasma de quarks-gluons.

La Collaboration STAR a réalisé des expériences pour mesurer l'alignement du spin de différents types de particules, y compris du méson ɸ (phi) et du kaon K*°. Pour ces particules, il n'y a pas seulement deux orientations de spin possibles ("nord" et "sud"), mais trois orientations possibles.

Comme dans l'étude précédente, les physiciens ont mesuré l'alignement du spin de ces particules en suivant la distribution de leurs produits de désintégration par rapport à la direction perpendiculaire au plan de réaction des noyaux en collision. Pour les mésons ɸ et le kaon K*°, les physiciens traduisent ces mesures en une probabilité que la particule mère soit dans l'un des trois états de spin.

Selon le physicien Xu Sun de la Collaboration STAR et aujourd'hui à l'Institute of Modern Physics en Chine, "Si la probabilité de chacun de ces trois états est égale à un tiers, cela signifie qu'il n'y a aucune préférence pour la particule pour l'un des trois états d'alignement du spin". C'est en résumé ce que les physiciens ont constaté pour les kaons K*°. Mais pour les mésons ɸ, il y avait un fort signal qu'un état était préféré aux deux autres. Selon Sun, "D'une manière ou d'une autre, la nature a décidé que les mésons phi avaient une préférence dans le choix de l'un de ces états."

Expliquer la préférence

Depuis 2016, des physiciens de la Collaboration STAR ont tenté d'expliquer les résultats avec des mécanismes conventionnels comme la vorticité, le champ magnétique, la fragmentation, etc. Pendant ce temps, les physiciens de STAR ont vérifié leurs analyses, effectué de nouvelles analyses et réduit l'incertitude de leurs résultats. Finalement leurs résultats furent présentés à la communauté scientifique à partir de 2019. Selon Tang, "Nos résultats ont résisté à un examen minutieux, et les chiffres ne correspondent toujours pas."

Décrire l'alignement global du spin du méson ɸ en utilisant uniquement les mécanismes conventionnels se traduirait par une valeur inférieure à ce que les scientifiques ont mesuré au RHIC. Pour tenetr de résoudre ce problème, des théoriciens ont proposé l'idée que les fluctuations locales de la force forte dans le plasma de quarks-gluons pourraient être à l'origine de la préférence d'alignement du spin apparent des mésons ɸ. Comprendre comment interagissent les différents quarks des mésons ɸ et K*° pourrait aider à compendre comment cela se produit et fournir un moyen de mener d'autres tests.

Le physicien théoricien Xin-Nian Wang du Lawrence Berkeley National Laboratory (LBL) du DOE, a expliqué que chaque méson ɸ est composé d'un quark et d'un antiquark de la même famille de "saveur" (s et ). Les effets de la force forte ont tendance à s'additionner et à influencer ces particules de même saveur dans la même direction.

Les mésons K*°, quant à eux, sont constitués de paires de quark-antiquark de différentes saveurs (d et ). Selon Wang, "Avec ce mélange de saveurs, la force forte pointe dans différentes directions, de sorte que son influence ne se manifesterait pas autant que dans le méson ɸ."

Pour tester cette idée, les physiciens de la Collaboration STAR envisagent d'étudier l'alignement du spin global d'un autre méson constitué de quarks de la même famille de saveur : la particule J/ψ (J/psi), composée de quarks charmés c et . Cette expérience devrait être réalisée durant les cycles du RHIC de 2023 et 2025.

Trouver une préférence d'alignement du spin global pour les particules J/ψ ajouterait un support à l'explication de la force forte. Cela validerait également l'approche consistant à utiliser l'alignement du spin global de ces particules comme moyen d'étudier les fluctuations locales de la force forte dans le plasma de quarks-gluons.

Selon Tang, "Même après plus de 22 ans de fonctionnement, le RHIC continue d'affiner notre compréhension de la nature en nous surprenant avec de nouvelles découvertes."

Un progrès majeur vers la fusion thermonucléaire

Le Département de l'Énergie américain (DoE) en collaboration avec les chercheurs du National Ignition Facility (NIF), un dispositif laser de recherche sur la fusion par confinement inertiel installé au Lawrence Livermore National Laboratory (LLNL), en Californie, annonça le 13 décembre 2022 avoir réalisé une réaction de fusion thermonucléaire contrôlée dont le bilan net est positif, c'est-à-dire qu'elle a généré (et non produit car l'énergie se conserve) plus d'énergie que celle utilisée par les lasers pour l'obtenir.

Le 5 décembre 2022, le NIF a mené la première expérience de fusion contrôlée de l'histoire pour atteindre ce jalon, qu'on appelle dans le jargon le seuil de rentabilité énergétique scientifique.

Selon la secrétaire américaine à l'Énergie, Jennifer M. Granholm, "Il s'agit d'une réalisation historique pour les chercheurs et le personnel du National Ignition Facility qui ont consacré leur carrière pour voir l'ignition par fusion devenir une réalité, et cette étape importante suscitera sans aucun doute encore plus de découvertes. L'administration Biden-Harris s'est engagée à soutenir nos scientifiques de classe mondiale – comme l'équipe du NIF – dont le travail nous aidera à résoudre les problèmes les plus complexes et les plus urgents de l'humanité, comme fournir une énergie propre pour lutter contre le changement climatique et maintenir une dissuasion nucléaire sans essai nucléaire."

Pour rappel, la fusion thermonucléaire est une manière différente, mais plus puissante, d'exploiter l'immense énergie emprisonnée dans le noyau d'un atome. C'est le processus qui fait briller le Soleil et toutes les autres étoiles. Les tentatives pour maîtriser le processus de fusion commencèrent dans les années 1950, mais il s'agit d'une technologie excessivement difficile qui est encore au stade expérimental.

Actuellement, l'énergie nucléaire utilisée dans le monde provient du processus de fission, dans lequel le noyau d'un élément plus lourd est divisé en éléments plus légers de manière contrôlée. Lors d'une fusion, les noyaux de deux isotopes légers (D + 3H) fusionnent pour former le noyau d'un atome plus lourd (5He). Ce nouveau noyau instable se désintègre ensuite (4He) en émettant un neutron qui emporte l'énergie de la réaction.

Une grande quantité d'énergie (cinétique) est libérée dans ces deux processus, mais beaucoup plus dans la fusion que dans la fission. Ainsi, la fusion de deux noyaux de tritium (3H) génère au moins quatre fois plus d'énergie que la fission d'un atome d'uranium qui est le processus normal de production d'électricité dans un réacteur nucléaire. Outre un meilleur rendement énergétique, la fusion est également une source d'énergie sans carbone et présente des risques de rayonnement négligeables; c'est une énergie propre.

Mais les réactions de fusion ne se produisent qu'à des températures très élevées, de l'ordre de dix fois la température qui existe au cœur du Soleil soit plus de 120 millions de degrés, et créer un environnement aussi extrême dans un laboratoire nécessite de créer un plasma alimenté par d'énormes quantités d'énergie qui se chiffrent en mégajoules (MJ).

Jusqu'à présent, l'énergie libérée (l'énergie de masse des noyaux emportée par le neutron) dans de telles réactions de fusion expérimentales était inférieure à ce qui était consommé pour créer les hautes températures nécessaires. Au mieux, certaines de ces réactions ont généré des énergies proches de l'équilibre. C'est pourquoi la nouvelle expérience menée au LLNL est considérée comme un percée majeure.

Dans cette expérience, on utilisa des lasers mégajoules UV d'environ 400 MJ mais seulement 2 MJ ont atteint la cible sous forme de rayons X et on récupéra 3 MJ après la fusion. Cela correspond à un rendement inférieur à 1%, mais c'est tout de même un bilan net positif.

Aussi importante que soit cette réalisation, nous ne sommes qu'au début du projet visant à produire de l'électricité à partir de réactions de fusion. Selon toutes les estimations, l'utilisation de la fusion thermonucléaire pour produire de l'électricité à l'échelle commerciale exigera encore deux ou trois décennies de recherche. La technologie utilisée dans l'expérience américaine pourrait prendre encore plus de temps pour être déployée.

A gauche, des techniciens utilisent un ascenseur de service pour accéder à l'intérieur de la chambre cible (target chamber) à des fins d'inspection et de maintenance au National Ignition Facility (NIF), un dispositif de recherche sur la fusion par confinement inertiel basé sur des lasers installé au centre de recherche fédéral Lawrence Livermore National Laboratory (LLNL) à Livermore, en Californie, en 2008. A droite, vue extérieure de la chambre cible dans laquelle 192 faisceaux laser ont fourni plus de 2 millions de joules d'énergie ultraviolette à une minuscule pastille de combustible pour créer une ignition par fusion thermonucléaire le 5 décembre 2022 dont le bilan net fut positif. Documents Philip Saltonstall/LLNL.

Comment réalise-t-on une réaction de fusion thermonucléaire ? Il existe au moins deux manières différentes d'expérimenter les réactions de fusion. Celle réalisée au LLNL diffère principalement dans la manière dont l'énergie d'entrée est fournie pour créer la chaleur extrême permettant la fusion, mais cela entraîne également des différences de conception et de capacités. Au LLNL, les chercheurs utilisent des faisceaux laser à haute énergie pour atteindre ces températures, également appelées "fusion inertielle". Ailleurs, et notamment dans la collaboration internationale ITER installée en France, des champs magnétiques très puissants sont utilisés dans le même but.

En fait, il est relativement plus facile d'atteindre des niveaux d'énergie de rentabilité grâce à la fusion inertielle par rapport à la fusion magnétique. L'obtention d'un gain énergétique net est une étape très importante, mais nous sommes encore loin des réactions de fusion de la qualité exigée pour un réacteur commercial. Il reste de nombreux défis à relever avant que le potentiel de la réaction de fusion ne soit réalisé.

Selon le planning actuel (2022), le projet ITER devrait démontrer la viabilité d'un réacteur à fusion thermonucléaire commercialement évolutif entre 2035 et 2040. Le déploiement effectif d'un réacteur à fusion pour produire de l'électricité pourrait prendre une décennie supplémentaire, ce qui nous porte à 2050. Plusieurs pays, comme la Chine, le Japon, le Royaume-Uni et la Corée du Sud, travaillent également sur cette technologie séparément, en plus de collaborer à ITER. Malgré ce long délai, c'est la fusion magnétique qui devrait livrer les premiers réacteurs à fusion.

Mais les États-Unis, qui sont également partenaires d'ITER, et certains autres pays comme la Chine, expérimentent également la fusion inertielle par laser. La raison est que cette technologie peut également être utilisée pour développer des armes nucléaires basées sur la fusion qui seraient beaucoup plus puissantes et dévastatrices que les armes nucléaires actuelles.

Rappelons qu'en décembre 2021, le laboratoire JET installé au Royaume-Uni, qui expérimente la fusion magnétique, avait amélioré son propre record précédent en ce qui concerne la quantité d'énergie générée à partir d'une réaction de fusion. La réaction avait duré cinq secondes et généré 59 MJ d'énergie, plus du double du record précédent.

Les réactions de fusion actuellement en cours dans les laboratoires durent à peine quelques secondes. Celles basées sur des faisceaux laser fonctionnent pendant des temps encore plus courts. Le problème est qu'il est difficile de maintenir des températures aussi élevées pendant des périodes prolongées. Le projet ITER est conçu pour fonctionner pendant 3000 secondes. À pleine puissance, on s'attend à ce qu'il génère cinq fois plus d'énergie qu'il n'en consommerait. Mais lorsqu'il fonctionne pendant des périodes plus courtes, environ 300 à 500 secondes, il peut générer 10 fois l'énergie consommée.

Mais comme pour la fusion inertielle, ce n'est pas qu'il y ait une limite physique à la durée de fonctionnement d'un réacteur à fusion. Les réactions de fusion magnétique peuvent durer des heures et davantage. Mais ici aussi il y a beaucoup de défis techniques à surmonter.

Une fois qu'il sera opérationnel, ITER sera la plus grande machine du monde, plus complexe que le LHC du CERN ou que l'installation LIGO de détection des ondes gravitationnelles. Actuellement, le réacteur ITER est en phase de montage. Plus de 10 millions de pièces, fabriquées et testées dans les sept pays membres, doivent être transportées, assemblées et intégrées.

Des physiciens ont simulé un analogue de trou noir en laboratoire

Une équipe internationale de physiciens annonça dans un article publié dans la revue "Physical Review Research" en 2022, être parvenue à simuler l'horizon des évènements d'un trou noir en utilisant une chaîne d'atomes placés en file et observa l'équivalent de ce qu'on appelle le rayonnement de Hawking.

Selon les auteurs, cette prouesse technique pourrait aider à résoudre la tension existante entre les deux théories cadres de la physique décrivant l'Univers : la théorie générale de la relativité qui considère la gravité comme le champ continu de l'espace-temps et la physique quantique qui décrit le comportement de particules discrètes sur base de la théorie des probabilités.

Dans le cadre d'une éventuelle théorie unifiée de la gravité quantique, ces deux théories sont incompatibles. En effet, la première est une théorie locale tandis que la seconde est non-locale. Par conséquent, les chercheurs doivent trouver un moyen de s'entendre d'une manière ou d'une autre afin d'allier les deux théories ou plutôt leur variante unifiée.

C'est ici que les trous noirs jouent un rôle essentiel. Longtemps ignorés des astronomes, ils sont pourtant présents dans l'univers depuis qu'il existe des nuages d'hydrogène et seront les dernières entités à survivre après la disparition de la vie, des étoiles et des galaxies. Aujourd'hui, les astrophysiciens sont de plus en plus convaincus que par leurs effets sur l'environnement les trous noirs supermassifs participent activement à l'évolution des galaxies et indirectement de l'univers.

Comme nous l'avons expliqué, la taille d'un trou noir se définit par son horizon des évènements. Une fois qu'un objet franchit cette limite, il n'a plus aucun moyen de s'échapper de son emprise gravitationnelle (sauf une fusée évoluant dans l'ergosphère externe qui peut encore suivre une trajectoire en spirale sortante et s'échapper). Vu de l'extérieur, nous ne pouvons plus observer ce qui se passe sous l'horizon des évènements car plus aucune information ne peut s'échapper du trou noir. Mais en 1974, Stephen Hawking proposa que des effets quantiques se produisent à la limite de l'horizon des évènements engendrant un rayonnement très similaire au rayonnement thermique.

A gauche, ce tourbillon dans l'eau est une bonne approximation du mouvement du disque d'accrétion interne et fluide d'un trou noir. A droite, le rayonnement de Hawking. Lorsqu'une paire de particules virtuelles intriquées s'approche de l'horizon interne des évènements d'un trou noir, elle peut être séparée par l'effet de la gravitation : une particule est capturée par le trou noir, tandis que l'autre est contrainte de se matérialiser (en blanc). Pour un observateur extérieur, cela correspond à une émission du trou noir, à son évaporation. Documents Christine Westerback/Geograph et T.Lombry.

Si ce rayonnement de Hawking existe, il est trop faible pour que nous puissions le détecter et restera une hypothèse à jamais non validée pour les physiciens. En revanche, il existe un moyen alternatif qui permettrait peut-être de l'étudier. Les physiciens peuvent sonder cette particularité en créant des trous noirs synthétiques appelées des analogues de trous noirs en laboratoire, c'est-à-dire des objets qui présentent des similitudes avec certaines propriétés des trous noirs.

Si des analogues de trous noirs ont déjà été créés dans des systèmes soniques ou optiques (cf. W.G. Unruh, 1981; T.G. Philbin et al., 2008; A.J. Kollár et al., 2019; J.Steinhauer et al., 2021, etc), cette fois l'équipe dirigée par la physicienne théoricienne Lotte Mertens de l'Université d'Amsterdam aux Pays-Bas est allée un pas plus loin.

En créant une chaîne unidimensionnelle d'atomes, ils ont créé un chemin permettant aux électrons de sauter d'une position à une autre. En ajustant la facilité avec laquelle ce saut peut se produire, les physiciens pourraient faire disparaître certaines propriétés, créant ainsi une sorte d'horizon des évènements qui interfère avec la nature ondulatoire des électrons.

Selon les chercheurs, l'effet de ce simili horizon des évènements a produit une augmentation de la température qui correspondait au modèle théorique d'un trou noir, mais uniquement lorsqu'une partie de la chaîne s'étendait au-delà de l'horizon des évènements. Cela pourrait signifier que l'intrication de particules qui chevauchent l'horizon des évènements joue un rôle déterminant dans la génération du rayonnement de Hawking.

Pour fabriquer un analogue de trou noir (un trou noir synthétique), il suffit de prendre une chaîne d'atomes (vert) et de modifier la facilité (en bleu) avec laquelle un électron saute d'une position atomique à l'autre. La force de liaison variable dans la chaîne inférieure imite la déformation de l'espace-temps en présence d'un trou noir. De cette façon, l'une des propriétés physiques des trous noirs peut être explorée en laboratoire. Document de l'Université d'Amsterdam.

L'expérience montra également que le rayonnement de Hawking simulé n'était thermique que pour une certaine gamme d'amplitudes de sauts, et dans des simulations qui commençaient par imiter un espace-temps plat. Cela suggère que le rayonnement de Hawking ne peut être thermique que dans certaines topologies et lorsqu'il y a un seul changement dans la distorsion de l'espace-temps dû à la gravité.

Les chercheurs ne savent pas ce que cela signifierait en gravité quantique, mais le modèle offre un moyen d'étudier l'émergence du rayonnement de Hawking dans un environnement qui n'est pas influencé par la dynamique chaotique de la formation d'un trou noir.

Les chercheurs confirment que du fait que c'est un analogue très simple, il peut être mis en œuvre dans un large éventail de configurations expérimentales dans divers contextes de matière condensée. Cela pourrait inclure des systèmes électroniques accordables, des chaînes de spin, des atomes ultrafroids ou des expériences optiques. Fabriquer un trou noir en laboratoire peut nous rapprocher de la compréhension de l'interaction entre la gravité et la quantique, et nous mettre sur la voie vers une théorie de la gravité quantique.

La dynamique d'un trou de ver traversable simulé sur un processeur quantique

Des scientifiques ont, pour la première fois, développé une expérience quantique qui leur permet d'étudier théoriquement le comportement d'un trou de ver traversable. Dans cette expérience dont les résultats furent publiés dans la revue "Nature" en 2022, l'équipe de la physicienne Maria Spiropulu de la Division de Physique, Mathématiques et Astronomie au Caltech n'a pas réellement créé un trou de ver comme l'on laissé sous-entendre quelques temps les auteurs, mais ils ont simulé son action et réussi à sonder les propriétés quantiques d'un équivalent de trou de ver. Dans un article publié dans "The New York Times" le même jour, l'ingénieur et professeur Scott Aaronson, spécialisé en Génie électrique et informatique théorique à l'Université du Texas à Austin, insista sur ce point : " Si cette expérience a vraiment créé un trou de ver, alors on pourrait aussi bien affirmer que, vous aussi, vous créez un trou de ver à chaque fois que vous en dessinez un avec un crayon sur une feuille de papier."

Selon Spiropulu, "Nous avons trouvé un système quantique qui présente les propriétés clés d'un trou de ver gravitationnel, mais qui est suffisamment petit pour être mis en œuvre sur le matériel quantique d'aujourd'hui. Ce travail constitue une étape vers un programme plus vaste visant à tester la physique de la gravité quantique à l'aide d'un ordinateur quantique. Il ne remplace pas les sondes directes de la gravité quantique de la même manière que d'autres expériences prévues qui pourraient sonder les effets de la gravité quantique à l'avenir en utilisant la détection quantique, mais il offre un puissant banc d'essai pour mettre en pratique les idées de la gravité quantique."

Contexte

Pour rappel, les trous de ver (wormholes) sont des ponts ou plutôt des tunnels reliant deux régions éloignées de l'espace-temps (cf. ce schéma et sa version plus réaliste). Ils n'ont jamais été observés mais les scientifiques ont émis des théories sur leur existence et leurs propriétés depuis les travaux de Nathan Rosen et Albert Einstein en 1935. Plus récemment, Juan Maldacena et Leonard Susskind (2013) ont émis l'hypothèse que les trous de ver d'Einstein-Rosen (ER) étaient équivalents à une intrication quantique (cf. le paradoxe EPR), posant la conjecture ER = EPR. En théorie, il existe donc un lien entre l'univers de la gravité et celui de la physique quantique. Mais de l'aveu même de Spiropulu, "C'était une idée très audacieuse et poétique".

Représentation de l'expérience quantique qui pemet d'observer le comportement d'un équivalent de trou de ver traversable. Document Inqnet/A.Mueller, Caltech.

En 2015, le physicien théoricien Alexei Kitaev montra qu'un simple système dynamique quantique de fermions, appelé le modèle SYK (Sachdev-Ye-Kitaev), présente une "dualité holographique" explicite, ce qui signifie qu'il a une dynamique quantique qui ressemble à des effets de la gravité quantique dans un environnement spatial émergeant. Cela suggéra l'idée qu'il serait possible de réaliser des expériences de gravité quantique sur des processeurs quantiques, en particulier pour explorer certaines propriétés théoriques des trous de ver.

En 2017, Daniel L. Jafferis, Ping Gao et Aron Wall ont approfondi le sujet en étendant la conjecture ER = EPR aux trous de ver traversables. Les chercheurs ont imaginé un scénario dans lequel une énergie répulsive négative maintient un trou de ver ouvert suffisamment longtemps pour que quelque chose puisse passer d'un bout à l'autre. Les chercheurs ont montré que cette description gravitationnelle d'un trou de ver traversable équivaut à une téléportation quantique. Dans la téléportation quantique - un protocole qui a déjà été démontré expérimentalement sur de longues distances par fibre optique et par voie aérienne - les informations sont transportées à travers l'espace en utilisant les principes de l'intrication quantique.

Poursuivant ces idées, en 2019 Jafferis et Gao ont montré qu'en intriquant deux modèles SYK, il serait possible d'effectuer une téléportation à travers un trou de ver traversable et ainsi de mesurer ses propriétés dynamiques.

Dans leur article, Spiropulu et ses collègues se sont basés sur ces études pour explorer la téléportation quantique dans un équivalent de trou de ver, tentant de démontrer que l'information voyageant d'un point à l'autre de l'espace peut être décrite soit par la théorie de la gravitation (les trous de ver) soit par la théorie quantique (l'intrication).

 Spiropulu et ses collègues ont utilisé un modèle "jouet" - une représentation simplifiée d'un modèle physique - de type SYK préparé afin de préserver les propriétés gravitationnelles du système, et ont observé la dynamique d'un trou de ver sur un processeur quantique à supraconducteur Sycamore de 53 qubits fabriqué par Google. Pour y parvenir, les chercheurs ont dû réduire le modèle SYK à sa forme la plus simple, un exploit qui fut réalisé en utilisant des outils d'apprentissage automatique (de l'IA) sur des ordinateurs conventionnels.

Selon Spiropulu, "Nous avons utilisé des techniques d'apprentissage pour trouver et préparer un système quantique simple de type SYK qui pourrait être codé dans les architectures quantiques actuelles et préserverait les propriétés gravitationnelles. En d'autres termes, nous avons simplifié la description microscopique du système quantique SYK et étudié le modèle résultant sur le processeur quantique. Il est curieux et surprenant de voir à quel point l'optimisation d'une caractéristique du modèle a préservé les autres métriques ! Nous prévoyons d'effectuer davantage de tests pour obtenir de meilleures informations sur le modèle lui-même."

Dans l'expérience, les chercheurs ont inséré un qubit dans l'un de leurs systèmes de type SYK et ont observé que les informations émergeaient dans l'autre système. Autrement dit, les informations voyageaient d'un système quantique à l'autre via grâce à la téléportation quantique – ou, pour parler dans le langage complémentaire de la gravité, les informations quantiques transitaient par l'équivalent d'un trou de ver traversable.

A gauche, représentation d'un trou de ver traversable dans un processeur quantique. Un qubit est transmis en utilisant le même mécanisme microscopique de téléportation quantique que celui qui apparaît dans un trou de ver traversable. Le qubit est visualisé comme une fonction d’onde : il possède des propriétés ondulatoires et s’étend dans l’espace-temps, représentant la diffusion complexe des informations du qubit lorsqu’il traverse le trou de ver. L'expérience a codé toutes les informations spatio-temporelles dans le circuit d'un ordinateur quantique. L’espace-temps est tissé à partir d’un schéma de circuit quantique. Les boîtes et les connexions enchevêtrées entre les fils de qubits dans le schéma de circuit sont les portes quantiques. Certaines portes sont mises en évidence, car elles furent manipulées pour extraire différentes propriétés de l'espace-temps à différents instants du temps. Au centre, schéma du modèle SYK. Grâce à l'IA et aux outils d'apprentissage automatique (machine learning), le modèle peut être réduit jusqu'à 7 particules, sans changer la physique de la gravité, qui reste décrite par les mêmes lois et montre la même tendance. A droite, schéma de fonctionnement du modèle SYK simplifié. Documents Inqnet/A.Mueller, Caltech, M. Spiropulu et al. (2022) et Merrill Sherman/Quanta Magazine.

Selon le physicien théoricien Alexander Zlokapa du MIT et coauteur de cet article, "Nous avons effectué une sorte de téléportation quantique équivalente à un trou de ver traversable dans l'image gravitationnelle. Pour ce faire, nous avons dû simplifier le système quantique au plus petit exemple qui préserve les caractéristiques gravitationnelles afin de pouvoir l'implémenter sur le processeur quantique Sycamore de Google." La physicienne Samantha Davis du Caltech et coautrice de cet article précise : "Il a fallu beaucoup de temps pour arriver aux résultats, et nous sommes surpris du résultat."

Selon John Preskill, professeur Richard P. Feynman de physique théorique au Caltech et directeur de l'Institut de l'Information et de la Matière Quantiques (IQIM), "L'importance à court terme de ce type d'expérience est que la perspective gravitationnelle fournit un moyen simple de comprendre un phénomène quantique à plusieurs particules par ailleurs mystérieux. Ce que j'ai trouvé intéressant dans cette nouvelle expérience de Google, c'est que, grâce à l'apprentissage automatique, ils ont pu rendre le système suffisamment simple pour être simulé sur une machine quantique existante tout en conservant une caricature raisonnable de ce que prédit l'image gravitationnelle."

Selon les auteurs, même si les informations quantiques peuvent être transmises à travers l'appareil ou téléportées de diverses manières, le processus expérimental s'est avéré équivalent, au moins à certains égards, à ce qui pourrait se produire si les informations traversaient un trou de ver. Pour ce faire, les chercheurs ont tenté de "maintenir l'ouverture du trou de ver" en utilisant soit des impulsions d'énergie répulsive négative, soit l'énergie positive opposée. Ils ont observé les signatures clés d'un trou de ver traversable uniquement lorsque l'équivalent d'une énergie négative était appliqué, ce qui est cohérent avec les prédictions du comportement des trous de ver.

Selon Spiropulu, ""La haute fidélité du processeur quantique que nous avons utilisé était essentielle. Si les taux d'erreur étaient plus élevés de 50%, le signal aurait été entièrement obscurci. S'ils étaient de moitié, nous aurions un signal 10 fois supérieur!"

Illustrations d'un trou de ver de Lorentz stable et macroscopique, traversable dans les deux sens, bref quelque chose qui... n'existe pas ! Documents T.Lombry.

À l'avenir, les chercheurs espèrent étendre ces travaux à des circuits quantiques plus complexes. Même si de véritables ordinateurs quantiques ne seront peut-être pas encore disponibles dans des prochaines années, l'équipe prévoit de poursuivre des expériences de cette nature sur les plates-formes informatiques quantiques existantes.

Selon Spiropulu, "La relation entre l'intrication quantique, l'espace-temps et la gravité quantique est l'une des questions les plus importantes de la physique fondamentale et un domaine actif de recherche théorique. Nous sommes ravis de faire ce petit pas vers le test de ces idées sur du matériel quantique et nous continuerons."

Les critiques des astrophysiciens sur l'expérience

Quelle est l'importance de ce résultat ? En fait, tout est une question d'interprétation. Tout physicien vous dira que ce genre de modèle peut être simulé sans approximation sur un ordinateur classique et est déjà très bien compris sur le plan théorique. De plus, c'est un modèle "jouet", une version volontairement simplifiée pour la faire tourner sur un ordinateur quantique qui par nature ne représente pas la réalité. Contrairement aux apparences, cette expérience n'a rien appris aux chercheurs sur la gravité quantique.

Projection de l'univers sur une sphère. Document T.Lombry.

Dans un article complémentaire publié dans la même revue "Nature" en 2022, Adam Brown et Leonard Susskind de l'Université Stanford, rejoignent ce point de vue général mais considèrent malgré tout ce résultat comme une étape préliminaire à d'autres travaux. Mais dans sa réponse publiée sur "arXiv" en 2022, l'historienne et philosophe de la physique moderne Galina Weinstein de l'Université d'Haifa rappelle notamment "que la description de Brown et Susskind utilise un point de vue moderne très différent de la propre perception et motivation d'Einstein."

De nombreux physiciens estiment que l'expérience ne nous dit rien sur notre Univers, puisqu'elle crée une dualité dans l'espace anti de Sitter (AdS), ce que notre Univers n'est pas. Au cours des 25 années qui ont suivi la découverte de la correspondance entre AdS et le principe holographique par Juan Martin Maldacena, les physiciens ont recherché une dualité holographique similaire pour l'espace de Sitter. Ils ont créé la carte d'un système quantique dans un espace de Sitter (en expansion, à énergie positive) similaire à celui dans lequel nous vivons, mais les résultats ont conduit certains à se demander si l'espace de Sitter est holographique.

Les critiques soutiennent que les deux types d'espace sont catégoriquement différents. AdS a une limite externe alors que l'espace de Sitter n'en a pas, il n'y a donc pas de transition mathématique douce qui puisse transformer l'un en l'autre. De plus, la frontière dure ou surface de l'espace AdS est précisément ce qui rend l'holographie possible dans cet environnement, fournissant la surface quantique sur laquelle se projete l'espace. Par comparaison, dans notre univers de Sitter, les seules limites concevables sont celles dimensionnelles, qui sont déterminées par la distance à laquelle nous pouvons voir, et les limites temporelles, auxquelles s'ajoute le futur infini. Ce sont des "surfaces" floues sur lesquelles il faudrait essayer de projeter un hologramme spatio-temporel.

La physicienne théoriciennne Renate Loll, experte en gravité quantique à l'Université Radboud aux Pays-Bas, a également souligné que l'expérience des trous de ver concerne un espace-temps 2D. Le trou de ver est un filament, avec une dimension spatiale plus une dimension temporelle, alors que la gravité est plus compliquée dans l'espace-temps 4D dans lequel nous vivons.

Il est vrai que le modèle d'intrication qui enchevêtre l'espace 4D de Sitter est autrement plus compliqué que le modèle 2D de l'AdS. Il est cependant encore possible de tirer des enseignements généraux en étudiant l'holographie dans des contextes plus simples. Les défenseurs de cette idée ont tendance à considérer les deux types d'espace, de Sitter et AdS, comme plus similaires que différents. Les deux sont des solutions de la théorie de la relativité d’Einstein, ne différant que par un signe moins. Tous deux contiennent des trous noirs affectés par les mêmes paradoxes. Et lorsque vous êtes au milieu de l'espace AdS, loin de ses limites, vous pouvez à peine distinguer votre environnement de celui de Sitter.

Cependant, Susskind convient qu'il est temps de procéder à davantage d'études concrètes. À cette fin, Susskind a proposé que l'espace de Sitter pourrait être un hologramme d'une version différente du modèle SYK. Pas celui avec des interactions de particules à quatre voies, mais celui où le nombre de particules impliquées dans chaque interaction augmente comme la racine carrée du nombre total de particules.

Selon Susskind, un tel système quantique est plus complexe que ceux prévus jusqu'à présent, et "si cette limite sera réalisée en laboratoire, je ne le sais pas". Ce qui semble certain, c'est que maintenant qu'il existe un trou de ver holographique, d'autres peuvent être ouverts.

Le proton contiendrait un quark charm

Dans un article publié dans la revue "Nature" en 2022 (cf. aussi le podcast), les membres de la Collaboration NNPDF ont apporté des preuves solides selon lesquelles le proton contiendrait un quark charm. La découverte doit encore être confirmée, d'où l'usage du conditionnel.

La chromodynamique quantique (CDQ), c'est-à-dire la théorie de l'interaction nucléaire forte, nous dit que la structure d'une particule est régie par les probabilités. Un proton est constitué de deux quarks up (u) et d'un quark down (d) liés par des vecteurs de force appelés les gluons. Mais cette théorie prédit également que les protons, comme les neutrons ou tous les autres hadrons, contiennent une multitude d'autres paires de quark-antiquark.

La plupart de ces particules supplémentaires sont générées lorsque des gluons sont accélérés lors de collisions à haute énergie entre protons, tout comme la théorie électromagnétique nous dit que des photons sont émis lorsque des particules chargées accélèrent. Mais ce qui est moins clair, c'est dans quelle mesure il pourrait y avoir des quarks supplémentaires dans les protons et les neutrons, ce qu'on appelle les quarks intrinsèques qui contribuent aux fonctions d'ondes quantiques des hadrons.

Les scientifiques s'accordent sur l'existence de quarks étranges (s) intrinsèques, étant donné que les quarks étranges ont une masse au repos très inférieure à celle des protons. Cependant, l'existence et l'éventuelle contribution des quarks charmés (c) intrinsèques demeure incertaine. Ces quarks sont plus lourds que les protons, mais seulement d'une petite quantité, laissant ouverte la possibilité qu'ils représentent une petite composante mais néanmoins observable de la masse du proton.

Une expérience réalisée par la Collaboration Européenne du Muon (EMC) du CERN en 1980 (cf. S.J. Brodsky et al., 1980) suggéra que le proton pourrait contenir un quark charm et son antiparticule, un anticharm, mais les résultats n'ont pas été concluants et furent controversés.

Depuis d'autres expériences furent réalisées pour identifier l'éventuel quark charm intrinsèque du proton, mais jusqu'à présent tous les résultats furent contradictoires et on a du mal à séparer les éléments constitutifs intrinsèques du proton de l'environnement à haute énergie des accélérateurs de particules, où chaque type de quark est créé et détruit dans une cascade de réactions.

Arrêt sur image sur la structure probabiliste d'un proton composé de trois quarks (u,u,d). Document SPL.

Cette fois, Juan Rojo de l'Université Libre d'Amsterdam (VUA) aux Pays-Bas et ses collègues physiciens de l'Université de Milan et de l'Université d'Édimbourg ont trouvé des "preuves sans ambiguïté" qu'une petite partie de la quantité de mouvement ou impulsion du proton, environ 0.5%, provient du quark charm intrinsèque.

Selon Rojo, "Il est remarquable que même après toutes ces décennies d'études, nous découvrions encore de nouvelles propriétés du proton et, en particulier, de nouveaux constituants."

Pour isoler le quark charm, Rojo et son équipe ont utilisé un modèle d'apprentissage automatique pour proposer des structures de protons hypothétiques composées de toutes les différentes saveurs de quarks, ce qu'on appelle les fonctions de distribution de partons ou PDF, c'est-à-dire des densités de probabilité, qu'ils appellent NNPDF4.0. Pour rappel, le "parton" est un terme générique inventé par Richard Feynman en 1969 pour décrire les entités ponctuelles constituant les hadrons appelées de nos jours les quarks et les gluons, afin d'analyser les collisions à haute énergie entre particules et modéliser leurs interactions.

Les chercheurs ont ensuite comparé ces résultats à plus de 500000 collisions réelles issues de décennies d'expériences dans les accélérateurs de particules, y compris au LHC.

L'utilisation de l'apprentissage automatique était particulièrement importante car elle permet de générer des modèles auxquels les physiciens ne penseraient pas nécessairement, réduisant ainsi le risque de mesures biaisées.

Les chercheurs ont découvert que si le proton ne contient pas de paires de quarks c, il n'y a que 0.3% de probabilité d'obtenir le résultat observé, soit un écart-type ou erreur de dispersion de 3σ, qui est considéré comme le signe potentiel d'un évènement intéressant. Mais il faudrait atteindre 5σ pour revendiquer une découverte, ce qui équivaut à 1 chance sur 3.5 millions qu'il s'agisse d'un résultat aléatoire.

L'équipe a examiné les résultats récents de l'expérience LHCb sur le boson Z et modélisa la distribution statistique de la quantité de mouvement du proton avec et sans quark charmé. Ils ont trouvé que le modèle correspondait mieux aux résultats si le proton était supposé contenir un quark charm. Cela signifie que la présence d'un quark charm est plus probable que le niveau sigma lui-même ne le suggère.

L'existence du quark charm dans le proton pourrait également intéresser d'autres expériences de physique au LHC, car elles s'appuient sur le modèle Standard des particules et en particulier sur des modèles précis de la sous-structure du proton. L'observatoire de neutrinos IceCube installé en Antarctique, qui recherche les neutrinos produits lorsque les rayons cosmiques frappent l'atmosphère terrestre, pourrait également avoir besoin de prendre en compte cette nouvelle structure. Selon Rojo, "La probabilité qu'un rayon cosmique impacte un noyau atmosphérique et produise des neutrinos est assez sensible à l'abondance du quark charm du proton."

Mais tous les physiciens ne sont pas aussi enthousiastes. La physicienne Ramona Vogt du Laboratoire National Lawrence Livermore (LLNL) considère que "ce résultat est un pas en avant mais ce n'est pas le dernier mot", sous-entendant que nous sommes encore loin d'avoir une preuve. Le physicien Wally Melnitchouk du Thomas Jefferson National Accelerator Facility américain est même plus critique. Il considère que les preuves de NNPDF dépendent de la façon dont il définit le charm intrinsèque et des choix qu'il fait pour le calcul perturbatif, arguant que les définitions d'autres groupes qui n'ont pas trouvé de preuves sont également valables. Il soutient qu'un signal beaucoup plus convaincant serait l'observation d'une différence entre les PDF charm et anticharm dans le proton : "Une différence non nulle entre ceux-ci est beaucoup moins sensible aux choix de schémas théoriques et de définitions."

Bref, pour mettre tout le monde d'accord, il faut à présent refaire l'expérience et encore la refaire pour améliorer la précision afin d'être certain du résultat. On y reviendra en temps utile.

Créer une dimension supplémentaire du temps

Des physiciens ont soumis des atomes à l'intérieur d'un ordinateur quantique à des impulsions laser obéissant à la suite de Fibonacci et ont créé une phase complètement nouvelle et étrange de la matière qui se comporte comme si elle avait deux dimensions de temps. La technique pourrait être utilisée pour protéger les données des ordinateurs quantiques contre les erreurs. Les chercheurs ont présenté leur découverte dans un article publié dans la revue "Nature" en 2022.

Selon Philipp Dumitrescu, chercheur au Centre de physique quantique computationnelle de l'Institut Flatiron de New York et auteur principal de cet article, l'inclusion d'une dimension temporelle supplémentaire théorique "est une façon complètement différente de penser les phases de la matière. Je travaille sur ces idées théoriques depuis plus de cinq ans, et les voir se concrétiser dans des expériences est passionnant."

Gros-plan sur la chambre servant de piège à ions où sont confinés les qubits qui est au coeur des ordinateurs quantiques de Quantinuum.

Les physiciens n'ont pas cherché à créer une phase avec une dimension temporelle supplémentaire théorique, ni cherché une méthode pour permettre un meilleur stockage des données quantiques. En fait, ils voulaient créer une nouvelle phase de la matière, au-delà du solide, du liquide, du gaz et du plasma.

Ils ont commencé par construire la nouvelle phase du processeur quantique H1 de la société d'ordinateurs quantiques Quantinuum, qui se compose de 10 ions d'ytterbium (70Yb, un métal des terres rares) placés dans une chambre à vide qui sont contrôlés avec précision par des lasers dans un piège à ions tel celui présenté à droite. La nouvelle phase de la matière fut créée en utilisant des impulsions laser pour faire résoner en rythme les 10 ions d'ytterbium.

Pour contourner les effets de la décohérence qui détruit l'information et créer une nouvelle phase stable, les physiciens se sont tournés vers les phases dites topologiques. L'intrication quantique ne permet pas seulement aux dispositifs quantiques d'encoder des informations à travers les positions statiques singulières des qubits, mais aussi de les intégrer dans les mouvements dynamiques et les interactions de l'ensemble du matériau - dans la forme même, ou la topologie, des états intriqués du matériau. Cela crée un qubit "topologique" qui encode les informations dans plusieurs parties plutôt qu'une seule partie, ce qui rend la phase beaucoup moins susceptible de perdre ses informations.

Une caractéristique clé du passage d'une phase à une autre est la rupture des symétries physiques - l'idée que les lois de la physique sont les mêmes pour un objet quel que ce soit le moment ou le lieu. Prenons l'exemple de l'eau. En tant que liquide, les molécules d'eau suivent les mêmes lois physiques en tout point de l'espace et dans toutes les directions. Mais si on refroidit suffisamment l'eau pour qu'elle se transforme en glace, ses molécules choisiront des points réguliers le long du réseau cristallin pour s'organiser. Du coup, les molécules d'eau occupent des points préférentiels dans l'espace et laissent les autres points vides ; la symétrie spatiale de l'eau a été spontanément brisée.

La création d'une nouvelle phase topologique à l'intérieur d'un ordinateur quantique repose également sur la rupture de symétrie, mais avec cette nouvelle phase, la symétrie n'est pas brisée dans l'espace, mais dans le temps.

En donnant à chaque ion de la chaîne une secousse périodique avec les lasers, les physiciens voulaient briser la symétrie temporelle continue des ions au repos et imposer leur propre symétrie temporelle - où les qubits restent les mêmes à certains intervalles de temps - qui créerait une phase topologique rythmique à travers le matériau.

Mais l'expérience échoua. Au lieu d'induire une phase topologique insensible aux effets de la décohérence, les impulsions laser régulières ont amplifié le bruit extérieur au système, le détruisant moins de 1.5 seconde après sa mise sous tension.

Après avoir reconsidéré l'expérience, les chercheurs ont réalisé que pour créer une phase topologique plus robuste, ils auraient besoin de nouer plus d'une symétrie temporelle dans le brin ionique pour réduire les risques de brouillage du système. Pour ce faire, ils ont décidé de trouver un modèle d'impulsion qui ne se répétait pas simplement et régulièrement, mais qui présentait néanmoins une sorte de symétrie plus élevée dans le temps.

Un pavage de Penrose construit à partir de losanges de formes différentes. Ces figures permettent notamment de visualiser la structure périodique des quasi-cristaux.

Cela les a conduits à la série de Fibonacci, dans laquelle le numéro suivant de la séquence est créé en ajoutant les deux précédents. Alors qu'une simple impulsion laser périodique peut simplement alterner entre deux sources laser (A, B, A, B, A, B, etc.), leur nouveau train d'impulsions fonctionne plutôt en combinant les deux impulsions précédentes (A, AB, ABA, ABAAB, ABAABABA, etc.).

Cette impulsion de Fibonacci créa une symétrie temporelle qui, tout comme un quasi-cristal dans l'espace, s'est organisée sans jamais se répéter. Et tout comme un quasi-cristal, les impulsions de Fibonacci écrasent également un motif de dimension supérieure sur une surface de dimension inférieure. Dans le cas d'un quasi-cristal spatial tel que le pavage de Penrose (cf. aussi ces animations et cette programmation en Python), une tranche d'un réseau à cinq dimensions est projetée sur une surface à deux dimensions. En regardant le modèle d'impulsion de Fibonacci, on observe deux symétries temporelles théoriques s'aplatir en une seule physique.

Selon les chercheurs, "Le système obtient essentiellement une symétrie supplémentaire d'une dimension temporelle supplémentaire inexistante." Le système apparaît comme un matériau qui existe dans une dimension supérieure avec deux dimensions de temps - même si cela peut être physiquement impossible dans la réalité.

Lorsque l'équipe l'a testé, la nouvelle impulsion quasi-périodique de Fibonacci créa une phase topographique qui protégea le système contre la perte de données pendant les 5.5 secondes que dura le test; la phase était insensible à la décohérence bien plus longtemps que les autres.

Selon Dumitrescu, "Avec cette séquence quasi-périodique, il y a une évolution compliquée qui annule toutes les erreurs qui vivent sur le bord. A cause de cela, le bord reste cohérent sur le plan de la mécanique quantique beaucoup, beaucoup plus longtemps que prévu."

Bien que les physiciens aient atteint leur objectif, un obstacle intellectuel demeure pour faire de leur phase un outil utile pour les programmeurs quantiques : l'intégrer dans la partie informatique de l'informatique quantique afin qu'il puisse être utilisé avec des calculs.

Selon Dumitrescu, "Nous avons cette application directe et alléchante, mais nous devons trouver un moyen de l'intégrer dans les calculs. C'est un problème ouvert sur lequel nous travaillons." Si on y arrive, on pourra stocker des informations d'une manière beaucoup mieux protégée contre les erreurs, ouvrant ainsi la voie à des ordinateurs quantiques capables de conserver des données pendant une longue période sans décohérence.

Créer une surface courbe sans distorsions physiques

Dans une certaine mesure, la géométrie, les surfaces courbes et autres géodésiques qui relèvent des mathématiques et de la topologie ont un lien avec la physique quantique, en particulier quand elles concernent l'univers des particules. Une nouvelle découverte nous éclaire sur les relations entre ces domaines et disciplines.

Selon l'idée traditionnelle, pour créer un espace courbe il faut déformer un espace plat en le pliant ou en l'étirant. Dans un article publié dans la revue "Nature Communications" en 2022, l'équipe de Qi Zhou, professeur de physique et d'astronomie à l'Université de Purdue a développé une nouvelle technique pour créer des espaces courbes qui apporte également une réponse à un vieux mystère de la physique.

Les chercheurs ont découvert que la dualité entre la non-hermiticité et les espaces courbes offre un nouveau cadre théorique pour unifier la physique hermitienne et non-hermitienne. Ils ont développé une méthode utilisant la non-hermiticité, qui se produit dans tous les systèmes couplés à des environnements, pour construire une surface hyperbolique et un certain nombre d'autres espaces courbes prototypiques sans provoquer de distorsions physiques des systèmes physiques. Cette découverte pourrait révolutionner notre compréhension de la distance.

Selon Qi Zhou, "Notre travail peut révolutionner la compréhension du grand public des courbures et de la distance. Il a également répondu à des questions de longue date sur la mécanique quantique non-hermitienne en faisant le pont entre la physique non-hermitienne et les espaces courbes. Ces deux sujets étaient supposés complètement déconnectés. Les comportements extraordinaires des systèmes non-hermitiens, qui ont intrigué les physiciens pendant des décennies, ne deviennent plus mystérieux si nous reconnaissons que l'espace a été courbé. En d'autres termes, la non-hermiticité et les espaces courbes sont duels l'un à l'autre, étant les deux faces d'une même pièce."

Il faut d'abord comprendre la distinction entre les systèmes hermitiens et non-hermitiens en physique afin de comprendre cette découverte. Zhou l'explique en utilisant l'exemple d'une particule quantique qui peut "sauter" entre plusieurs emplacements sur un réseau.

Si la probabilité pour une particule de sauter dans un sens est la même que la probabilité de sauter dans l'autre sens, alors l'hamiltonien est hermitien. Si ces deux probabilités sont différentes, l'hamiltonien est non-hermitien. C'est la raison pour laquelle dans le schéma présenté à droite, Chenwei Lv et Ren Zhang ont utilisé des flèches de tailles et d'épaisseurs différentes pour indiquer les probabilités de saut dans des sens opposés.

Un demi-plan de Poincaré appartient aux géométries hyperboliques (non-euclidiennes). Il peut être visualisé à l'arrière-plan sur une surface courbe. Les "courbes" ou géodésiques blanches de la surface courbe sont analogues aux lignes droites dans un espace plat. Les boules blanches se déplaçant vers la droite démontrent l'origine géométrique de l'effet pelliculaire (skin effect) extraordinaire en physique non-hermitienne. Document Q.Zhou et al. (2022).

Selon Lv, "Les manuels typiques de mécanique quantique se concentrent principalement sur les systèmes gouvernés par des hamiltoniens qui sont hermitiens."

"Une particule quantique se déplaçant dans un réseau doit avoir une probabilité égale de tunnel dans les sens gauche et droit. Alors que les hamiltoniens hermitiens sont des cadres bien établis pour l'étude des systèmes isolés, les couplages avec l'environnement conduisent inévitablement à des dissipations dans les systèmes ouverts, qui peuvent donner naissance à des hamiltoniens qui ne sont plus hermitiens. Par exemple, les amplitudes d'effet tunnel dans un réseau ne sont plus égales dans des sens opposés, un phénomène appelé effet tunnel non réciproque. Dans de tels systèmes non-hermitiens, les résultats des manuels familiers ne s'appliquent plus et certains peuvent même sembler complètement opposés à ceux des systèmes hermitiens. Par exemple, les états propres des systèmes non-hermitiens ne sont plus orthogonaux, contrairement à ce que nous avons appris en première classe d'un cours de mécanique quantique de premier cycle. Ces comportements extraordinaires des systèmes non-hermitiens intriguent les physiciens depuis des décennies, mais de nombreuses questions en suspens restent ouvertes."

Le travail fournit par Zhou et ses collègues donne une explication sans précédent des phénomènes quantiques fondamentaux non-hermitiens. Ils ont découvert qu'un hamiltonien non-hermitien incurve l'espace où réside une particule quantique. Par exemple, une particule quantique dans un réseau avec effet tunnel non réciproque se déplace en fait sur une surface courbe. Le rapport des amplitudes d'effet tunnel dans un sens à celle dans le sens opposé contrôle la taille de la surface incurvée.

Dans de tels espaces courbes, tous les phénomènes étranges non-hermitiens, dont certains peuvent même paraître non physiques, deviennent immédiatement naturels. C'est la courbure finie qui nécessite des conditions orthonormées distinctes de leurs homologues dans les espaces plats. En tant que tels, les états propres n'apparaîtraient pas orthogonaux si nous utilisions la formule théorique dérivée pour les espaces plats. C'est aussi la courbure finie qui donne lieu à l'extraordinaire effet de peau non hermitien que tous les états propres concentrent près d'un bord du système.

Selon Zhang, "Cette recherche est d'une importance fondamentale et ses implications sont doubles. D'une part, cela établit la non-hermiticité comme un outil unique pour simuler des systèmes quantiques intrigants dans des espaces courbes. La plupart des systèmes quantiques disponibles dans les laboratoires sont plats et cela nécessite souvent des efforts importants pour accéder aux systèmes quantiques dans des espaces courbes. Nos résultats montrent que la non-hermiticité offre aux expérimentateurs un bouton supplémentaire pour accéder et manipuler les espaces courbes."

"Un exemple est qu'une surface hyperbolique pourrait être créée et ensuite être parcourue par un champ magnétique. Cela pourrait permettre aux expérimentateurs d'explorer les réponses des états Hall quantiques aux courbures finies, une question en suspens en physique de la matière condensée. D'autre part, la dualité permet aux expérimentateurs d'utiliser des espaces courbes pour explorer la physique non hermitienne. Par exemple, nos résultats offrent aux expérimentateurs une nouvelle approche pour accéder à des points exceptionnels en utilisant des espaces courbes et améliorer la précision des capteurs quantiques sans recourir aux dissipations."

A l'avenir, les chercheurs de l'équipe de Zhou continueront à explorer théoriquement davantage de liens entre la physique non-hermitienne et les espaces courbes. Ils espèrent également contribuer à combler le fossé entre ces deux sujets de physique et à rapprocher ces deux communautés différentes dans le cadre de recherches futures.

Les chercheurs espèrent que d'autres physiciens exploreront le sujet dans d'autres directions et de manière plus approfondie. Les physiciens qui étudient les espaces courbes pourraient par exemple utiliser leurs appareils pour répondre à des questions difficiles en physique non-hermitienne.

De plus, les physiciens travaillant sur des systèmes non-hermitiens pourraient adapter les dissipations pour accéder à des espaces courbes non triviaux qui ne peuvent pas être facilement obtenus par des moyens conventionnels.

Découverte du boson de Higgs axial

Dans un article publié dans la revue "Nature" en 2022 (en PDF sur arXiv), Kenneth Burch, professeur de physique au Boston College du Massachusetts et ses collègues ont annoncé la découverte d'une nouvelle particule qui est un parent magnétique du boson de Higgs. Alors que la découverte du boson de Higgs nécessitait toute la puissance d'accélération du LHC, cette nouvelle particule appelée le boson de Higgs axial a été découverte à l'aide d'une expérience qui tient sur une table.

Le mode de Higgs a également été observé dans les systèmes magnétiques supraconducteurs à ondes de densité de charge (CDW, c'est-à-dire des ondes d'électrons). Par "mode" on entend une oscillation de type Higgs dans un objet constitué d'atomes - un analogue du boson de Higgs trouvé dans un matériau physique. Ce type de mode de Higgs ne peut pas exister en dehors de ce matériau.

En fait, cette découverte n'a rien à voir directement avec le boson de Higgs comme certains le sous-entendent. De plus, les chercheurs n'ont pas réellement découvert une particule mais plus exactement un état d'excitation quantique.

Le boson de Higgs axial diffère du boson de Higgs découvert au LHC en 2012, car il possède un moment magnétique, une force magnétique ou une orientation qui crée un champ magnétique. En tant que tel, il nécessite une théorie plus complexe pour le décrire que son cousin non magnétique.

Pour rappel, aux premiers instants de l'Univers, il n'y avait pratiquement pas de distinction entre les forces et les particules; les interactions étaient unies et toutes les particules étaient presque identiques. Au fur et à mesure que l'Univers se refroidit, il y eut plusieurs brisures de symétrie dont une au cours de laquelle les interactions électrofaible et forte se sont séparées de la GUT (Théorie de Grande Unification). Cela conduisit les bosons W et Z à interagir avec le champ de Higgs pour acquérir leur masse et à se comporter très différemment des photons.

Le boson de Higgs est produit dans la nature chaque fois qu'une telle symétrie est brisée. Généralement, une seule symétrie est brisée à la fois, et donc le Higgs est simplement décrit par son énergie. Toutefois, la théorie derrière le boson de Higgs axial est plus compliquée.

Selon Burch, "Dans le cas du boson de Higgs axial, il semble que plusieurs symétries soient rompues ensemble, conduisant à une nouvelle forme de théorie et à un mode de Higgs [les oscillations spécifiques d'un champ quantique comme le champ de Higgs] qui nécessite plusieurs paramètres pour le décrire. : spécifiquement, l'énergie et le moment magnétique."

L'expérience

L'étude visait à découvrir les propriétés vectorielles d'un mode de Higgs à faible énergie au moyen d'expériences qui vont au-delà des techniques spectroscopiques ou de diffusion classiques. Mais toute la difficulté pour le détecter est qu'il n'apparaît que dans une onde de densité de charge, c'est-à-dire lors de la rupture d'une excitation collective d'une onde d'électrons. Ensuite, il faut pouvoir l'isoler des autres signaux et du bruit ambiant.

Spectres Raman à 300 K du GdTe3. Le tracé supérieur fut obtenu en polarisation linéaire parallèle. Le mode de Higgs est ombré en rouge. Le tracé du bas fut obtenu en polarisation linéaire croisée (lumière incidente alignée avec la direction a'=45° par rapport à l'axe a et lumière diffusée le long de la direction b'=45° par rapport à l'axe a).  Document K.Burch et al. (2022) adapté par l'auteur.

Le boson de Higgs ne se couple pas directement avec les photons et est difficile à créer. En revanche, selon les chercheurs, le boson de Higgs axial est apparu dans des matériaux quantiques à température ambiante, lorsque les matériaux imitaient des oscillations CDW. Les chercheurs ont ensuite utilisé la diffusion de la lumière pour observer l'état d'excitation. Les chercheurs ont découvert un mode de Higgs axial dans du RTe3 (avec R=La, Gd) grâce aux interférences quantiques.

Selon Burch, "Nous avons trouvé le boson de Higgs axial à l'aide d'une expérience d'optique de table qui repose sur une table mesurant environ un mètre de côté en se concentrant sur un matériau doté d'une combinaison unique de propriétés. Plus précisément, nous avons utilisé du tritelluride de terres rares (RTe3) [un matériau quantique avec une structure cristalline hautement 2D]. Les électrons de RTe3 s'auto-organisent en une onde où la densité de la charge est périodiquement augmentée ou réduite3) [un matériau quantique avec une structure cristalline hautement 2D]. Les électrons de RTe3 s'auto-organisent en une onde où la densité de la charge est périodiquement augmentée ou réduite."

La taille des oscillations CDW qui émergent au-dessus de la température ambiante peut être modulée dans le temps, produisant le mode de Higgs axial.

Les chercheurs ont créé le mode de Higgs axial en envoyant un rayon laser de 700 μW dans un cristal de RTe3. La lumière changea de fréquence (de couleur) dans un processus connu sous le nom de diffusion Raman. Elle fut ensuite analysée par un spectromètre équipé d'un réseau de diffraction. C'est l'énergie perdue lors du changement de fréquence qui créa le mode de Higgs axial.

Les chercheurs on ensuite fait tourner le cristal pour étudier sa polarisation et ont découvert que le mode de Higgs axial contrôle également le moment cinétique des électrons, c'est-à-dire la vitesse à laquelle ils se déplacent dans le matériau, ce qui signifie que ce mode doit également être magnétique.

Selon Burch, "À l'origine, nous étudiions simplement les propriétés de diffusion de la lumière de ce matériau. En examinant attentivement la symétrie de la réponse - en quoi elle différait lorsque nous faisions pivoter l'échantillon - nous avons découvert des changements anormaux qui étaient les premiers indices de quelque chose de nouveau. En tant que tel, il s'agit du premier Higgs magnétique de ce type à être découvert et indique que le comportement collectif des électrons dans le RTe3 ne ressemble à aucun état précédemment observé dans la nature3 ne ressemble à aucun état précédemment observé dans la nature."

Les physiciens des particules avaient déjà prédit un mode de Higgs axial et l'avait considéré comme un candidat possible de la matière sombre, mais c'est la première fois qu'il est observé. C'est aussi la première fois que des scientifiques observent un état avec de multiples symétries brisées.

Parmi les recherches à venir, sachant que les brisures de symétrie font partie des théories physiques actuelles, cela pourrait être un moyen de créer des particules jusqu'ici invisibles qui pourraient expliquer la matière sombre. En effet, selon Burch, "L'idée de base est que pour expliquer la matière sombre, vous avez besoin d'une théorie cohérente avec les expériences de particules existantes, mais produisant de nouvelles particules qui n'ont pas encore été observées." L'ajout de cette brisure de symétrie supplémentaire via le mode de Higgs axial est un moyen d'y parvenir.

Première observation de l'effet de "cône mort"

La Collaboration ALICE du LHC du CERN a réalisé la première observation directe de l'effet de "cône mort" (dead cone), une caractéristique fondamentale de la théorie de la force forte qui lie les quarks et les gluons ensemble en protons, neutrons et finalement, tous les noyaux atomiques (cf. le modèle Standard des particules). En plus de confirmer cet effet très attendu, l'observation fournit un accès expérimental direct à la masse du quark charm (ou charmé) avant qu'il soit confiné à l'intérieur des hadrons. Cette découverte fit l'objet d'un article publié dans la revue "Nature" en 2022.

Selon Luciano Musa, porte-parole d'ALICE, "Il a été très difficile d'observer directement le cône mort. Mais en utilisant les données de trois années de collisions proton-proton au LHC et des techniques sophistiquées d'analyse des données, nous avons finalement pu le découvrir."

Pour rappel, les quarks et les gluons sont produits lors de collisions de particules. Après leur création, ces particules él"mentaires subissent une cascade d'évènements appelés une gerbe ou pluie de partons, au cours de laquelle ils perdent de l'énergie en émettant un rayonnement sous forme de gluons, qui émettent à leur tout des gluons. Le diagramme de rayonnement de cette gerbe dépend de la masse du parton émetteur de gluons et affiche une région autour de la direction de vol du parton où l'émission de gluons est atténuée ou supprimée, c'est le cône mort. Selon Andreas Morsch de la Collaboration ALICE, "C'est un peu comme si vous donniez au quark une lampe de poche mais qu'il n'avait pas le droit de diriger son faisceau dans une certaine direction. À la différence que les photons émis par la lampe de poche sont des gluons."

Prédit dans les années 1990 à partir de la théorie de l'interaction forte ou CDQ (cf. Y.L. Dokshitzer et al., 1991), le cône mort a été indirectement observé dans les collisionneurs de particules. Cependant, il est resté difficile de l'observer directement à partir du diagramme de rayonnement des gerbes de partons. Les principales raisons sont que le cône mort peut être composé de particules dans lesquelles le parton émetteur se transforme, et qu'il est difficile de déterminer le changement de direction du parton tout au long du processus de désintégration.

Schémas détaillants la reconstruction du quark charm en gerbe de partons. A gauche, les panneaux supérieurs montrent la procédure initiale de "reclustering" ou regroupement au cours de laquelle les partons séparés par les angles les plus petits sont réunis en premier. Une fois le reclustering terminé, la procédure de décroissance est inversée et retracée en remontant le temps. Chaque nœud de division est numéroté en fonction de la gerbe de partons dans laquelle elle est reconstruite. A chaque séparation, l'énergie du quark charm (E Radiator,n) est réduite et le gluon est émis sous un angle (θn) plus petit par rapport aux émissions précédentes. La masse du quark lourd (mQ) reste constante tout au long du processus de gerbe. À chaque division, les émissions de gluons sont supprimées dans la région du cône mort (représentée par un cône rouge pour la dernière division), dont l'angle augmente à mesure que l'énergie du quark diminue au fil de la gerbe. A droite, une représentation dans l'espace. Documents Collaboration ALICE (2022) adaptés par l'auteur.

La Collaboration ALICE a surmonté ces défis en appliquant des techniques d'analyse de pointe à un large échantillon de collisions proton-proton réalisées au LHC, profitant d'une énergie dans le centre de masse de 13 TeV.

Comme illustré ci-dessus, ces techniques ont permis de remonter la gerbe partonique dans le temps à partir de ses produits finaux laissés dans le détecteur ALICE sous forme de jets de particules. En recherchant des jets comprenant une particule contenant un quark charm, les chercheurs ont pu identifier un jet créé par ce type de quark et retracer toute l'histoire des émissions de gluons à partir de ce quark. Sachant que le cône mort est proportionnel à la masse du quark, l'angle étant plus grand pour les quarks lourds que pour les quarks légers, une comparaison entre le modèle d'émission de gluons du quark charm avec celui des gluons et des quarks plus légers permit ensuite de révéler un cône mort dans le modèle du quark charm.

Le résultat permet également de calculer directement la masse du quark charm car la théorie prédit que les particules sans masse n'ont pas de cônes morts correspondants. La masse de repos du quark charm est de 1.28 ±0.02 GeV/c2 et celle du quark bottom (beauty) de 4.18 +0.03-0.02 GeV/c2.

Selon Andrea Dainese, coordinatrice physique d'ALICE, "Les masses des quarks sont des quantités fondamentales en physique des particules, mais elles ne peuvent pas être consultées ni mesurées directement dans les expériences car, à l'exception du quark top, les quarks sont confinés à l'intérieur de particules composites. Notre technique pour observer directement le cône mort d'une gerbe de partons peut offrir un moyen de mesurer les masses des quarks."

Divergence sur la masse du boson W

Après 10 ans d'analyses et d'examens minutieux des données de l'accélérateur de particules Tevatron du Fermilab, les chercheurs de la Collaboration CDF du FNAL (Fermi National Accelerator Laboratory) géré par le DoE ont annoncé qu'ils avaient réalisé la mesure la plus précise à ce jour de la masse (l'énergie de repos) du boson W, l'un des vecteurs de l'interaction faible. En utilisant les données recueillies par le CDF (Collider Detector at Fermilab), les chercheurs ont réussi à calculer la masse du boson W avec une précision de 0.01%, soit 1 chance sur 10000 que les données soient compatibles avec les prédictions du modèle Standard. Cette mesure est deux fois plus précise que la meilleure mesure précédente faite avec le détecteur ATLAS du CERN

Le modèle Standard des particules impose des contraintes strictes sur la masse du boson W. Étonnamment, la masse mesurée par les différentes expériences est significativement plus élevée (avec un écart-type de 7σ) que ce que prédit le modèle Standard.

Sur base de l'analyse des données rassemblées par les 397 chercheurs de la Collaboration CDF en 2012, les chercheurs ont publié une nouvelle mesure de sa masse dans un article publié dans la revue "Science" en 2022. Le résultat est basé sur l'observation de 4.2 millions de candidats bosons W, soit environ quatre fois plus que lors de l'expérience de 2012.

La masse du boson W (en MeV/c2) calculée au cours des différentes expériences s'écarte significativement de la valeur prédite par le modèle Standard. Document Coll. CDF (2022) adapté par l'auteur.

Selon les chercheurs, "En utilisant des données correspondant à 8.8 femtobarns inverses (fb-1) de luminosité intégrée collectés dans des collisions proton-antiproton à une énergie de centre de masse de 1.96 TeV avec le détecteur CDF II du collisionneur Tevatron du Fermilab Tevatron, un échantillon d'environ 4 millions de bosons W candidats fut utilisé pour obtenir MW = 80433.5 ±9.4 MeV/c2, dont la précision dépasse celle de toutes les mesures précédentes combinées. Cette mesure est en tension significative avec l'attente du modèle Standard." Cette masse représente environ 80 fois celle du proton (valant 938.21 MeV/c2).

Cette valeur est basée sur des calculs complexes du modèle Standard qui relient étroitement la masse du boson W aux mesures des masses du quark top découvert grâce au Tevatron du Fermilab en 1995 et celle du boson de Higgs découvert au LHC du CERN en 2012.

Par comparaison, la nouvelle mesure obtenue au CERN après la publication de l'article du CDF est de 80354 ±32 MeV/c2, très proche du modèle Standard qui est de 80357 ±6 MeV/c2, mais l'écart-type est supérieur à la mesure du CDF, ce qui l'entache d'une sérieuse incertitude.

Selon Giorgio Chiarelli de l'Institut National Italien de Physique Nucléaire (INFN-Pise) et coporte-parole du CDF, "De nombreuses expériences de collisionneurs ont produit des mesures de la masse du boson W au cours des 40 dernières années. Ce sont des mesures difficiles et compliquées, et elles ont atteint une précision toujours plus grande. Il nous a fallu de nombreuses années pour passer en revue tous les détails et les vérifications nécessaires. C'est notre mesure la plus robuste à ce jour, et l'écart entre les valeurs mesurées et attendues persiste."

Selon Ashutosh V. Kotwal de l'Université de Duke qui dirigea cette analyse, "le nombre de candidats pris en considération et les améliorations des vérifications supplémentaires du résultat sont énormes."

La nouvelle valeur est en accord avec de nombreuses mesures précédentes de la masse du boson W, mais il y a aussi quelques divergences.

Selon Joe Lykkne du Fermilab, "Bien qu'il s'agisse d'un résultat intrigant, la mesure doit être confirmée par une autre expérience avant de pouvoir être pleinement interprétée." Si elle est confirmée, cette mesure suggère qu'il faut encore améliorer les calculs du modèle Standard ou envisager son extension. En effet, les physiciens interprètent ces différences entre les valeurs expérimentales et la valeur attendue à l'existence éventuelle d'une nouvelle particule ou d'une nouvelle interaction fondamentale.

Conclusion, avant d'évoquer une nouvelle particule ou une physique exotique, des nouvelles mesures seront nécessaires pour élucider ce mystère.

L'universalité des leptons invalidée par le LHCb

Le modèle Standard des particules prédit que les différents leptons chargés, l'électron, le muon et le tauon (ou méson tau), présentent des forces d'interaction électrofaible identiques. Autrement dit, ils interagissent tous de la même manière avec les autres particules. Par conséquent, les différents types de leptons devraient, sous réserve de leurs différences de masse (cf. ce tableau), être créés avec la même fréquence lors des transformations ou des désintégrations de particules. Et de fait, jusqu'ici les mesures avaient montré qu'un très large éventail de désintégrations de particules est compatible avec ce qu'on appelle le "principe d'universalité de la saveur des leptons" ou l'universalité des leptons pour faire court.

Toutefois, en 2014 au cours d'une nouvelle expérience de collision proton-proton réalisée par la Collaboration LHCb du CERN et reprise ensuite par d'autres équipes de physiciens à travers le monde, les chercheurs ont constaté que les quarks b (bottom ou beauty) se désintégraient de manière inattendue, mettant en évidence une possible différence de comportement entre les différents types de leptons.

Les mesures portent sur des processus au cours desquels interagissent des baryons b ou des mésons b (des particules composites contenant au moins un quark b ou selon le cas) dans lesquels le quark b () se transforme en un quark s () avec l'émission de leptons, soit d'un électron et d'un positon, soit d'un muon et d'un antimuon. Voici deux réactions de décroissance d'un méson B+ (u) et d'un baryon Λ0b (bdu) en kaon chargé K+ (u) ou K- (s) et en pion π chargé (d ou u) :

B+  →  K+  +  μ+μ-  et  B+  →  K+  +  e+e-

Λ0b  →  Λc+  + K+  +  π+  et  Λ0b  →  Λc+  +  K- + π-

En filtrant les données de collisions pp à des énergies de 7, 8 et 13 TeV, la Collaboration LHCb a identifié des baryons b appelés Λb (ou Λ0b) et ont calculé la probabilité avec laquelle ils se désintégraient en kaon chargé et leptons, soit une paire de muon-antimuon soit en une paire d'électron-antiélectron (comme on le voit ci-dessus, Λ0b décroît également en charmonium Λc+ ou J/ψ composé des quarks c).

L'équipe a ensuite calculé le rapport entre ces deux taux de désintégration. Si l'universalité des leptons résiste au test, ce rapport devrait être proche de 1. Une déviation par rapport à cette prédiction pourrait par conséquent signaler une violation du principe de l'universalité des leptons.

A consulter : Large Hadron Collider beauty experiment, CERN

Le détecteur LHCb du CERN. Il permet d'étudier les propriétés des particules et des anti-particules ainsi que les désintégrations rares des mésons b et c. L'image de droite fut prise en septembre 2016 lors d'un arrêt technique. Documents CERN/IN2P3 et CERN.

Les chercheurs ont obtenu un rapport légèrement inférieur à 1, avec écart-type d'environ 1σ, bien en dessous de la norme de 5σ (soit 1 chance sur 3.5 millions qu'il s'agisse de l'effet du hasard) nécessaire pour annoncer une réelle différence entre les taux de désintégration. Les chercheurs notent cependant que ce résultat va de nouveau dans le même sens que les résultats antérieurs qui ont montré des indices selon lesquels les désintégrations en une paire de muon-antimuon sont moins fréquentes que celles en une paire d'électron-antiélectron.

Ce résultat est étrange car le muon est essentiellement une "copie" de l'électron, identique en tous points sauf qu'il est environ 200 fois plus lourd. On s'attendrait à ce que les quarks b se désintègrent en muons aussi souvent qu'ils le font en électrons.

Prises séparément, ces mesures n'avaient pas une signification statistique suffisante pour indiquer une violation de l'universalité des leptons, et donc une faille dans le modèle Standard, mais il était intriguant que des signes d'une différence se répètent dans diverses désintégrations de particules et au cours de plusieurs expériences.

En 2019, la Collaboration LHCb a de nouveau effectué la même expérience de désintégration des quarks b, mais cette fois avec des données supplémentaires enregistrées en 2015 et 2016. Les résultats indiquent également une différence dans le taux de désintégration des quarks b, cette fois avec un écart-type de 3.1σ, soit 1 chance sur 10000 (une probabilité d'environ 0.1%) que les données soient l'effet du hasard. C'est toujours insuffisant pour annoncer une découverte, mais on s'approche d'une valeur significative (cf. Collaboration LHCb, 2022, en PDF sur arXiv).

Sans l'annoncer officiellement mais en publiant malgré tous plusieurs articles académiques sur le sujet, le CERN confirme qu'il y a donc une rupture de l'universalité des leptons dans les désintégrations des quarks bottom. Reste à comprendre pourquoi ou plus exactement à cause de quoi ?

La seule façon d'expliquer ces désintégrations à des taux différents serait la présence durant les interactions d'une nouvelle particule non détectée et non prédite par le modèle Standard qui serait favorable aux électrons au détriment des muons. On évoque par exemple un hypothétique boson Z' ou un leptoquark (qui a la capacité unique de se désintégrer simultanément en quarks et en leptons). Cela pourrait aussi signifier qu'il existerait une cinquième interaction fondamentale (cf. l'expérience Muon g-2).

Selon les chercheurs, "Si le résultat est confirmé par de futures mesures, cette violation de l'universalité des leptons impliquerait une physique au-delà du modèle Standard, telle qu'une nouvelle interaction fondamentale entre les quarks et les leptons."

Mais il faut se méfier des interprétations et des conclusions hâtives. Nous verrons à propos de l'éventuelle cinquième interactions fondamentale, que ces résultats ne sont pas encore la preuve d'une nouvelle physique et ne signent pas encore la fin du modèle Standard.

Deuxième partie

Le boson de Higgs aurait empêché notre univers de s'effondrer

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