Contacter l'auteur / Contact the author

Recherche dans ce site / Search in this site

 

Physique des particules

Simulation de la production du boson de Higgs par fusion de gluons avec émission de jets. Document CERN.

Les découvertes récentes (I)

Nous allons décrire les découvertes et expériences récentes en physique des particules et des très hautes énergies, y compris en recherche appliquée. Dans la mesure du possible, d'autres découvertes ont déjà été intégrées dans d'autres articles. Dans celui-ci, attendez-vous à découvrir des phénomènes paradoxaux ou tout à fait étonnants et inattendus ! Ce domaine étant très vaste, nous nous limiterons à un résumé des découvertes les plus étranges, le lecteur pouvant approfondir sa lecture en suivant le lien référencé dans l'article.

La phase supersolide d'un condensat de polaritons

Une supersolidité est une phase de la matière dans laquelle les particules constituantes sont organisées en une structure cristalline tout en étant libres de s'écouler sans friction. Cet état contre-intuitif nécessite que les particules partagent une phase macroscopique globale tout en étant capables de réduire leur énergie totale par une auto-organisation spatiale spontanée.

L'existence de la phase supersolide a été envisagée dans les années 1970 (cf. A.F. Andreev et al., 1969; A.J. Leggett, 1970; D.A.Kirzhnits et al., 1971). Cependant, ce n'est qu'à partir de 2017 que des expériences utilisant des condensats de Bose-Einstein (BEC) ultrafroids couplés à des champs électromagnétiques ont prouvé son existence.

Cette fois, l'équipe de Dimitrios Trypogeorgos de l'Institut de Nanotechnologie de Lecce, en Italie, réussit à créer une phase supersolide ultrafroide dans des excitons-polaritons condensés dans un état lié dans le continuum, appelé BIC (Bound state In the Continuum) (cf. D.Trypogeorgos et al., 2025 et en PDF sur arXiv). Explication.

Les excitons-polaritons sont des quasi-particules hybrides résultant du couplage fort entre un photon et un exciton (ou polariton), c'est-à-dire une paire électron-trou dans un semi-conducteur. Ils possèdent des caractéristiques à la fois photoniques et matérielles, ce qui leur confère une dynamique unique (cf. I.Carusotto et C.Ciuti, 2013).

Contrairement aux photons ordinaires, qui interagissent très faiblement entre eux, les excitons-polaritons peuvent présenter des interactions non linéaires significatives grâce à leur composante matérielle (cf. A.Amo et al., 2009). Dans une phase supersolide, la modulation de densité coexiste avec la superfluidité, une propriété qui a été observée dans ce système hors équilibre.

Les condensats de Bose-Einstein d'atomes froids sont des systèmes purement matériels, alors que les condensats de polaritons bénéficient d'une faible masse effective et d'une propagation rapide, héritées de leur composante photonique. Cela leur confère des propriétés macroscopiques rappelant les fluides quantiques de lumière (cf. T.Byrnes et al., 2014). Autrement dit, ces excitons-polaritons condensés forment un fluide quantique où la lumière acquiert des propriétés analogues à celles d'un condensat de Bose-Einstein ou d'un superfluide.

Pour observer cette phase supersolide, les polaritons ont été confinés dans un guide d'ondes à cristal photonique, une structure permettant un contrôle précis de la lumière et des interactions électromagnétiques. Cette architecture a permis aux chercheurs d'exciter au moyen d'un laser la surface d'un échantillon d'arséniure de gallium structuré en crêtes, afin de mettre en évidence les seules interactions des excitons-polaritons, celles-ci étant principalement induites par leur composante matérielle.

Et donc, contrairement à ce qu'on lit sur certains sites de vulgarisation, les chercheurs n'ont pas converti de la "lumière pure en un état solide", ni transformé directement la "lumière d'un laser en corps solide ou en un état supersolide".

Mécanisme de formation de la phase supersolide. En a, la formation du supersolide : les processus de diffusion linéaires et non linéaires combinés génèrent une modulation de densité dans l'espace des coordonnées. En b, la dispersion : il y a quatre modes fondamentaux dans lesquels l'onde peut se propager. Les résultats expérimentaux mesurés pour la propagation de l'onde sont en accord avec les prédictions théoriques obtenues à l'aide d'un modèle mathématique (Hamiltonien 8x8). En c, la diffusion paramétrique : un état particulier (BiC |0>) à une certaine fréquence (mode kr=0) se transforme en deux autres états |±1> lorsqu'il est excité. Lorsque l'intensité dépasse un certain seuil, le BEC doit être masqué pour mesurer la population |±1>. Cette transformation génère des paires de photons qui peuplent ces nouveaux états. En d, la modulation de densité : la densité de la fonction d'onde du supersolide montre une modulation rapide due à la rupture de la symétrie de translation (après un déplacement dans l'espace, les propriétés du système changent, notamment la modulation de densité dans le supersolide), avec une amplitude de modulation le long de la ligne y=0 d'environ 2.6%. Document D.Trypogeorgos et al. (2025).

L'un des aspects les plus fascinants de cette découverte est que les excitons-polaritons ont été piégés dans un état BIC. Cet état quantique leur permet de rester confinés malgré leur énergie élevée, évitant ainsi de se dissiper dans l'environnement.

De plus, cet état est topologiquement protégé, ce qui signifie qu'il est stable face aux perturbations extérieures, un peu comme une toupie en rotation qui résiste aux chocs. Cette robustesse pourrait être précieuse pour des applications futures en optique et en informatique quantique.

Les chercheurs ont ainsi démontré expérimentalement qu'un état supersolide (cristallin et superfluide à la fois) pouvait exister dans un système où les photons interagissent fortement avec la matière.

Cette découverte ouvre la voie à de nouvelles expériences sur la matière quantique et pourrait déboucher sur des applications en photonique, un domaine qui explore l'utilisation de la lumière pour transmettre et traiter l'information.

A long terme, comprendre et manipuler ces nouveaux états quantiques pourrait conduire à des circuits optiques ultra-rapides, des capteurs quantiques ultra-sensibles ou encore des composants pour l'informatique quantique.

Pour l'heure, cette étude améliore notre compréhension des phases exotiques de la matière, montrant qu'un état supersolide peut émerger dans un système basé sur la lumière et les semi-conducteurs.

Observation de la production d'un triplet de bosons VVZ

Les bosons W et Z, vecteurs de l'interaction faible, sont au cœur du modèle Standard de la physique des particules. Bien que découverts en 1983 au CERN, ces bosons intermédiaires massifs continuent d'offrir aux physiciens de nouvelles pistes d'exploration.

Dans une nouvelle étude, la Collaboration ATLAS a analysé l'intégralité de ses données issues de la deuxième période d'exploitation du LHC enregistrées entre 2015 er 2018 à la recherche d'un processus rare dans lequel un boson Z est produit aux côtés de deux autres bosons vecteurs (appelés V). Ils ont découvert la production d'un triplet de bosons VVZ, avec V un boson W ou Z, dans une collision pp à 13 TeV (cf. CERN, 2025).

Selon Fabio Cerutti, coordinateur de la physique d'ATLAS, "La production de trois bosons vecteurs est un processus très rare au LHC. Sa mesure fournit des informations sur les interactions entre plusieurs bosons, qui sont liées aux symétries sous-jacentes du modèle Standard. Il s'agit d'un outil puissant pour découvrir de nouveaux phénomènes physiques, tels que de nouvelles particules qui sont trop lourdes pour être produites directement au LHC."

L'équipe d'ATLAS a observé une production de VVZ avec un écart-type de 6.4 σ, ce qui dépasse le seuil requis pour valider une observation. Ce processus a une probabilité d'environ 1 sur 100 milliards de se produire et est difficile à isoler car d'autres réactions ont une signature similaire.

Cette observation complète les résultats précédents, notamment l'observation de la production de VVV par CMS (cf. Collab. CMS, 2020) et l'observation de la production de WWW pat ATLAS (cf. Collab. ATLAS, 2022).

Étant parmi les particules les plus lourdes connues et instables, les bosons W et Z peuvent se désintégrer d'une multitude de façons différentes. Pour cette observation, les physiciens se sont concentrés sur sept modes ou canaux de désintégration présentant le plus grand potentiel de découverte (cf. Collaboration ATLAS, 2025). Étant donné la complexité des combinaisons de désintégration, ces canaux ont été affinés à l'aide d'une technique d'apprentissage automatique appelée les arbres de décision boostés (gradient boosting), un outil d'intelligence artificielle dont les algorithmes sont entraînés pour chaque canal afin d'identifier le signal recherché.

Sur ces schémas longitudinaux (gauche) et transversaux (droite) de l'expérience ATLAS, on observe la production d'un triplet de bosons massifs VVZ (en rouge). Cet évènement rare met à l'épreuve le modèle Standard de la physique des particules, test qu'il réussit parfaitement. Documents CERN/Collab.ATLAS.

En combinant les canaux de désintégration, les physiciens d'ATLAS ont pu observer la production de VVZ et fixer des limites aux contributions des phénomènes d'une éventuelle nouvelle physique au signal. Les limites obtenues confirment la validité du modèle Standard et sont conformes aux résultats précédents sur la production de trois bosons vecteurs.

A mesure que les chercheurs analyseront des ensembles de données plus importants provenant de la troisième période d'exploitation du LHC et du prochain HL-LHC, ils pourront encore affiner leurs mesures de la production du triplet de bosons, approfondissant ainsi notre compréhension de ces particules fondamentales et de leur rôle dans l'Univers.

Les délais temporels pour explorer l'intrication entre électrons

L'intrication quantique est l'un des phénomènes les plus fascinants de la mécanique quantique. Jusqu'à récemment, elle était considérée comme un phénomène instantané, émergent dès qu'une interaction entre deux particules se produisait. Toutefois, dans une étude publiée dans les "Physical Review Letters" en 2024, des chercheurs de l'Université Technique de Vienne (TU Wien) en collaboration avec des scientifiques chinois, remettent en question cette vision en démontrant que l'intrication se forme sur une échelle de temps finie, mesurable à l'attoseconde.

L'expérience repose sur l'utilisation d'impulsions laser ultra-courtes à l'échelle de l'attoseconde pour sonder la dynamique électronique dans les atomes. Lorsqu'un atome est soumis à une impulsion laser intense, un processus d'ionisation se produit : un électron est arraché à l'atome, tandis qu'un autre reste lié. Ces deux électrons, bien que spatialement séparés, deviennent intriqués. Ce phénomène est observé grâce à des techniques de métrologie attoseconde, qui permettent de mesurer le délai entre l'ionisation et l'établissement de l'intrication.

L'un des résultats clés de l'étude est la mise en évidence d'un retard moyen de 232 attosecondes entre l'instant où l'impulsion laser frappe l'atome et celui où l'électron éjecté quitte effectivement l'atome, signant ainsi la formation effective de l'intrication. 

Modèle à trois états décrivant la cohérence interélectronique et l'intrication entre les deux électrons de l'atome d'hélium en fonction du temps. Deux processus principaux sont considérés : l'ionisation simple directe (ISD), qui produit un ion He+ dans l'état 1s avec un électron libre, et l'ionisation-excitation (IE), qui laisse l'ion He+ dans l'état excité 2p0, ce qui affecte le retard temporel du paquet d'ondes sortant. Document W.-C. Jiang et al. (2024).

Comme le souligne Iva Březinová, professeure assistante de physique théorique à la TU Wien et coautrice de cet article, "L'électron ne jaillit pas simplement de l'atome. C'est une onde quantique qui se propage hors de l'atome, pour ainsi dire, et cela prend un certain temps. C'est précisément durant cette phase que se produit l'intrication, dont l'effet peut ensuite être mesuré précisément en observant les deux électrons."

Ce retard ou délai dépend directement de l'état énergétique résiduel de l'électron lié : si l'électron restant possède une énergie plus élevée, l'électron éjecté quitte plus tôt l'atome alors que si l'électron restant a une énergie plus faible, l'électron éjecté met plus de temps à partir. Cette relation énergie-temps suit une distribution probabiliste, caractéristique des processus quantiques.

Ce résultat remet en question la notion traditionnelle selon laquelle l'intrication quantique se produit instantanément. L'idée que l'intrication puisse émerger progressivement sur une échelle de temps non nulle implique qu'il existe une structure temporelle sous-jacente aux phénomènes quantiques corrélés.

Par ailleurs, la mesure du délai de 232 attosecondes permet d'affiner notre compréhension des corrélations quantiques et du rôle du temps dans l'évolution des états intriqués.

Les résultats de cette étude ont des implications majeures en informatique et communication quantiques. En effet, l'optimisation des processus d'intrication permettrait d'améliorer la stabilité et la fidélité des qubits dans les ordinateurs quantiques. En cryptographie quantique, une compréhension fine du processus d'intrication pourrait aboutir à des protocoles de transmission quantique plus robustes, en minimisant les pertes d'information lors du transport des états intriqués. Enfin, l'utilisation des délais attosecondes comme signature de l'intrication pourrait ouvrir la voie à de nouvelles méthodes pour détecter les interactions fondamentales entre particules.

Une quasi-particule dont la masse dépend de la direction du mouvement

Une équipe de chercheurs dirigée par Yinming Shao du Département de Physique de l'Université de Columbia annonça l'observation expérimentale des semi-fermions de Dirac, une classe de quasi-particules dont la masse effective... dépend de la direction du mouvement. Concrètement, ces quasi-particules se comportent comme des particules massives lorsqu'elles se déplacent dans une direction, et comme des particules sans masse lorsqu'elles se déplacent perpendiculairement à cette direction. Cette découverte publiée dans la "Physical Review X" en 2024 représente une avancée majeure en physique quantique.

Les chercheurs décrivent le mouvement de ces quasi-particules topologiques "comme un petit train qui change de voie - filant librement dans une direction mais gagnant soudainement de la masse lorsqu'il tourne."

Par "topologique", il s'agit de la manière dont les propriétés géométriques et topologiques d'un matériau (ou d'un espace) sont organisées et interconnectées, indépendamment de sa forme ou de sa déformation. La topologie joue un rôle crucial dans la protection des états de surface ou des états exotiques dans ces matériaux, rendant ces états résistants aux perturbations locales comme les impuretés ou les défauts dans la structure. Les matériaux topologiques sont utilisés dans les transistors, les semi-conducteurs, les dispositifs de stockage de données, les ordinateurs quantiques ou encore les capteurs de haute précision, et ce n'est qu'un début.

Les semi-fermions de Dirac furent théorisés en 2008-2009 (cf. C.-H. Park et al., 2008; D.Bercioux et al., 2009, etc), mais leur observation directe est un sujet complexe, qui a pris du temps avant d'être réalisée dans des expériences concrètes.

Ces semi-fermions ont été observés dans des matériaux topologiques modernes, tels que les cristaux de sulfure de silicium et de zirconium (ZrSiS, cf. 2D Semiconductors), le HfSiS, les métaux semi-métalliques de Weyl (TaAs) et dans l'isolant topologique magnétique MnBi2Te4, autant de semi-métaux topologiques connus pour leurs propriétés électroniques particulières résultant de leur structure topologique unique.

Des études (cf. F.C. Chou et al., 2017) montrent qu'on peut désormais observer les comportements de semi-fermions de Dirac dans des matériaux topologiques et même les manipuler pour diverses applications en physique de la matière condensée, ce qui était longtemps considéré comme purement théorique.

Pour cette étude, les chercheurs ont identifié ces quasi-particules dans des cristaux de ZrSiS. En utilisant des techniques de spectroscopie magnéto-optique, combinant lumière infrarouge et champs magnétiques intenses (17.5 T), les chercheurs ont pu détecter les signatures énergétiques spécifiques prédites pour ces quasi-particules (cf. PennState).

La particularité des semi-fermions de Dirac réside dans leur relation de dispersion énergétique anisotrope (leur valeur de masse différente selon leur direction) qui pourrait ouvrir de nouvelles perspectives dans la compréhension des phénomènes électroniques dans les matériaux, notamment en ce qui concerne la conductivité électrique et les transitions de phase quantiques.

Cette découverte souligne également l'importance de l'exploration des propriétés topologiques des matériaux. Les semi-métaux topologiques, tels que le ZrSiS, présentent des états électroniques "protégés" par des invariants topologiques, ce qui conduit à des phénomènes exotiques comme l'existence des semi-fermions de Dirac. Comprendre et maîtriser ces propriétés pourrait ouvrir la voie à une nouvelle classe de matériaux aux applications technologiques révolutionnaires.

Les implications potentielles de cette découverte sont vastes. Les propriétés uniques des semi-fermions de Dirac pourraient être exploitées dans le développement de nouvelles technologies, telles que des capteurs plus sensibles, des dispositifs électroniques à haute performance, voire des avancées en informatique quantique. La capacité de ces quasi-particules à alterner entre des états massifs et sans masse en fonction de la direction pourrait offrir des mécanismes de contrôle innovants dans des dispositifs à l'échelle nanométrique.

En conclusion, l'observation des semi-fermions de Dirac constitue une avancée majeure en physique de la matière condensée. Elle offre non seulement une validation expérimentale de prédictions théoriques antérieures, mais ouvre également de nouvelles voies de recherche sur les propriétés électroniques anisotropes des matériaux.

Les chercheurs vont à présent se concentrer sur la résolution des mystères restants derrière ces étranges quasi-particules.

Expérience de diffusion lumière-lumière au LHC

Dans une étude publiée fin 2024 mais qui débuta quatre ans plus tôt, les physiciens de l'expérience CMS du LHC du CERN ont isolé 26 collisions PbPb compatibles avec la diffusion lumière-lumière (cf. CMS/CERN, 2024). Par comparaison, sur quelques milliers de milliards de collisions proton-proton (pp), il ne devrait y avoir que 12 collisions de ce type. Le fait d'en avoir détecté plus du double que prévu avec des ions Pb est un résultat remarquable et potentiellement révélateur d'effets physiques supplémentaires ou de fluctuations statistiques (comme un tirage aléatoire peut sortir la combinaison gagnante).

L'expérience de diffusion lumière-lumière est un phénomène extrêmement rare car c'est un processus quantique intrinsèquement improbable (l'interaction de photons avec des particules virtuelles), avec une faible densité de photons produits dans les champs des ions lourds qui exigent des alignements et des conditions précises, ainsi que la suppression du bruit de fond. La probabilité d'observer ce phénomène dans une collision PbPb est donc extrêmement faible, moins de 1 sur 10 millions. C'est donc un évènement qui mérite d'être étudié. Voici le résumé technique de l'expérience. Explications. 10 000 000 000 000

Dans la vie courante, si deux faisceaux lumineux se croisent, du fait qu'il s'agit de bosons et ne portent pas de charge électrique, les photons se traversent sans interagir (contrairement aux fermions de la matière qui sont déviés ou se percutent). Cependant, selon la théorie de l'électrodynamique quantique (EDQ) qui définit les interactions entre particules chargées via l'échange de photons (le médiateur de l'interaction électromagnétique), dans de très rares cas, les photons peuvent interagir entre eux en créant des particules virtuelles chargées intermédiaires comme des électrons ou d'autres particules présentes dans le vide quantique qui s'annihilent ensuite pour recréer deux photons.

Diagramme de Feynman de la diffusion lumière-lumière. Document A.Khatun et al. (2023).

Ces collisions lumineuses élastiques que les physiciens appellent la diffusion lumière-lumière (light-by-light scattering) fut prédite par Hans Euler et Werner Heisenberg en 1936 (Enrico Fermi y contribua dès 1925) et fut affinée par Julian Schwinger en 1951, sans oublier à ses côtés Richard Feynman, Sin-Itiro Tomonaga et Freeman Dyson qui participèrent à la formulation moderne de l'EDQ.

Dans les collisionneurs de particules, des collisions d'ions lourds (comme des noyaux de plomb) sont utilisées pour générer des champs électromagnétiques très intenses. Ces champs produisent un grand nombre de photons quasi-virtuels, et dans de rares cas, deux de ces photons entrent en interaction et diffusent l'un sur l'autre.

Le diagramme de Feynman présenté à droite illustre des collisions d'ions lourds où le champ électromagnétique intense des noyaux sert de source de photons dans une expérience de diffusion lumière-lumière. Pour rappel, le temps s'écoule de gauche à droite. Une ligne droite représente un fermion (électron, muon, neutrino, quark, etc), une ligne ondulée représente un boson (photon, W ou Z). Le grand cercle gris plein représente un noyau de plomb (Pb) interagissant électromagnétiquement (le cercle grisé est souvent utilisé pour symboliser une source de photons comme un électron ou un noyau dans un champ électromagnétique intense). Les noyaux de plomb sont représentés en entrée et en sortie. Ils émettent des photons virtuels (γ) par interaction électromagnétique. Les photons échangés interagissent entre eux via une boucle de particules virtuelles chargées (ici une boucle d'électrons-positrons). Ces particules virtuelles ne sont pas observables directement, mais elles jouent un rôle crucial dans les calculs des effets de correction quantique, conformément à l'EDQ.

L'expérience ATLAS du CERN détecta pour la première fois cette diffusion lumière-lumière en 2017 (cf. G.Aad et al., 2019; CERN, 2019).

L'étude de la diffusion lumière-lumière est importante et utile car d'une part elle apporte une vérification expérimentale et spectaculaire de la QED et d'autre part elle permet de tester le comportement quantique de la lumière aux très hautes énergies (~TeV).

Cette expérience prouve aussi l'existence du vide quantique : elle montre que le vide n'est pas "vide" au sens classique, mais rempli de particules virtuelles capables d'interagir dans le monde réel, concret.

En prime, même avec le nombre modeste de particules candidates à la diffusion lumière-lumière, les physiciens peuvent rechercher d'éventuelles nouvelles particules qui interagissent (presque) uniquement avec des photons et potentiellement découvrir des phénomènes inconnus de la physique.

Parmi ces nouvelles particules potentielles, CMS est sensible aux hypothétiques axions et permet de fixer des limites à leurs masses et à leurs couplages photoniques dans une plage inaccessible aux expérience antérieures.

Des photons quasi-virtuels

Les photons utilisés dans l'expérience de diffusion lumière-lumière du LHC sont qualifiés de quasi-virtuels (quasi-virtuals mais qu'on traduit parfois en français par quasi-réels) car il ne s'agit pas de photons "libres" comme ceux de la lumière visible.

Les photons ordinaires, réels, sont des photons qui peuvent se propager librement dans l'espace, comme ceux émis par une lampe ou une étoile. En revanche, les photons quasi-virtuels ne sont pas totalement indépendants des ions qui les produisent. Leur état dépend du contexte électromagnétique très intense des ions, ce qui signifie qu'ils n'ont pas exactement la même "liberté" que les photons ordinaires. Leur énergie est souvent relativement basse, bien que suffisante pour permettre leur interaction.

Dans les collisions du LHC, des ions lourds relativistes produisent un champ électromagnétique très intense qui peut être décrit comme une "mer de photons" autour des ions. Ces photons ne sont pas totalement libres : ils sont générés par les champs électrique et magnétique des ions. Leur énergie et leur existence sont étroitement liées au mouvement de l'ion qui les porte. Cela n'empêche pas ces photons quasi-virtuels d'interagir dans les processus comme la diffusion lumière-lumière.

L'expérience du LHC

Selon la Collaboration CMS, "L'émission de ces photons est des millions de fois plus fréquente pour les ions de plomb que pour les protons, ce qui justifie l'utilisation des données de collision des ions de plomb du LHC pour rechercher la diffusion lumière-lumière. Il est également très rare que ces émissions de photons se produisent lorsque deux ions de plomb se rapprochent l'un de l'autre mais sans se toucher ni se briser, et enfin, la probabilité que les deux photons rebondissent l'un sur l'autre est également extrêmement faible."

Diffusion lumière-lumière enregistrée au CERN.

Pour compliquer les choses, "d'autres types de collisions peuvent se ressembler, ce qui donne deux photons observés dans le détecteur mais provenant de processus autres que la diffusion lumière-lumière. Heureusement, la théorie EDQ est très précise et elle prédit que les deux photons issus de la diffusion lumière-lumière seront presque exactement émis dos à dos. À partir des angles entre les photons mesurés dans l'expérience CMS, il est possible de distinguer différents types de collisions de photons du LHC et d'isoler la diffusion lumière-lumière" (la diffusion lumière-lumière apparaît en rose dans l'image présentée à gauche et le restant d'énergie associé aux particules neutres de l'arrière-plan - le bruit de fond - est en jaune-verdâtre).

L'expérience de diffusion lumière-lumière a également un sous-produit physique intéressant. Selon la Collaboration CMS, "En utilisant la même technique avec seulement des modifications mineures, la création d'une paire électron-positron à partir de la diffusion de deux rayons lumineux peut également être observée. Ce processus dit de Breit-Wheeler a mille fois plus de chances de se produire. L'étude de ces collisions offre un autre moyen de tester précisément l'EDQ, en confirmant que la mesure est cohérente avec les prédictions du modèle Standard."

Après l'expérience historique d'ATLAS, celle du CMS confirme à présent que ce processus est effectivement accessible aux collisionneurs. Comme le calorimètre de l'expérience CMS est particulièrement efficace pour détecter les photons de basse énergie, cette mesure est complémentaire et donne plus d'informations sur ces diffusions.

Selon la Collaboration CMS, "Actuellement, le nombre de collisions par diffusion lumière-lumière est encore très faible. Cela signifie que des ensembles de données plus importants pourraient aider les physiciens à mieux comprendre ce phénomène électromagnétique intrigant, car nous aurons plus de collisions à étudier."

Cependant, pour réussir, il est également essentiel de disposer d'un très bon détecteur, car les collisions les plus énergétiques du LHC finiront par affecter le calorimètre électromagnétique du CMS au point que cette mesure sera difficile. Selon la Collaboration CMS, "Un nouveau calorimètre à haute granularité (HGCAL) promet d'améliorer les performances du détecteur CMS pendant l'ère de la prise de données à haute luminosité du LHC afin que nous puissions continuer à étudier et à améliorer notre compréhension de phénomènes fascinants tels que la diffusion lumière-lumière." Pour rappel la luminosité représente l'intensité des collisions dans un accélérateur de particules, en particulier le nombre de collisions par unité de surface et de temps.

Notons que la diffusion photon-photon est un phénomène apparenté mais l'expression est utilisée dans un contexte plus précis, où deux photons peuvent interagir directement, en particulier dans des conditions où des effets quantiques (comme dans un champ intense) jouent un rôle. Ce phénomène est très rare et s'observe dans des environnements spécifiques comme dans les collisions à haute énergie, et peut conduire à des phénomènes tels que la production de paires de particules ou des effets non linéaires (les effets ne suivent pas la relation proportionnelle avec les excitations) dans des milieux très énergétiques, notamment en astrophysique.

Mesure de la vitesse du son dans un plasma de quarks-gluons

Les états extrêmes de la matière dont les gaz atomiques ultra-froids obtenus en laboratoire et les plasma de quarks-gluons créés lors de collisions entre noyaux atomiques peuvent sembler totalement indépendants mais, étonnamment, ils ont quelque chose en commun. Ils constituent tous un état de la matière semblable à un fluide, composé de particules en forte interaction. On retrouve ce type d'état dans les étoiles à neutrons. Les connaissances sur les propriétés et le comportement de chacun de ces fluides presque parfaits sont donc essentielles à la compréhension de la Nature jusqu'à l'échelle astronomique.

Dans un article publié en 2024 en préimpression, la Collaboration CMS du LHC du CERN rapporte la mesure la plus précise à ce jour de la vitesse à laquelle se déplace le son dans un plasma de quarks-gluons, offrant ainsi de nouvelles informations sur cet état extrêmement chaud de la matière.

Pour rappel, une onde sonore est une onde longitudinale qui traverse un milieu, produisant des compressions et des raréfactions de la matière dans la même direction que son mouvement. La vitesse du son dépend des propriétés du milieu, telles que sa densité et sa viscosité. Le son peut donc être utilisé pour sonder le milieu.

Au LHC, le plasma de quarks-gluons se forme lors de collisions entre ions lourds. Dans ces collisions, pendant une très petite fraction de seconde, une énorme quantité d'énergie se dépose dans un volume dont la taille maximale est celle du noyau atomique. Les quarks et les gluons émergeant de la collision se déplacent librement dans ce petit espace, créant un état de matière semblable à un fluide dont la dynamique collective et les propriétés macroscopiques sont bien décrites par la théorie.

La vitesse du son dans cet environnement peut être obtenue à partir de la vitesse à laquelle la pression change en réponse aux variations de densité d'énergie ou, alternativement, à partir de la vitesse à laquelle la température change en réponse aux variations d'entropie, qui est une mesure du désordre dans un système.

Dans les collisions d'ions lourds, l'entropie peut être déduite du nombre de particules chargées électriquement émises par les collisions. La température, en revanche, peut être déduite de l'impulsion transversale moyenne (c'est-à-dire l'impulsion transversale à l'axe de collision) de ces particules.

A gauche, un instantané de l'onde de Mach à l'intérieur du plasma de quarks-gluons lors de collisions nucléaires au LHC. Une particule énergétique se déplaçant vers la droite est accompagnée d'un photon se déplaçant vers la gauche. Les couleurs représentent la densité d'énergie locale de l'onde du cône de Mach. A droite, représentation conceptuelle de la température en fonction de la densité d'entropie des collisions d'ions lourds mi-centrales à ultra-centrales. Documents Collaboration CMS (2024).

En utilisant les données de collisions Pb-Pb à une énergie de 5.02 GeV par paire de nucléons (protons ou neutrons), la Collaboration CMS a mesuré pour la première fois comment la température varie en fonction de l'entropie au centre des collisions d'ions lourds, dans lesquelles les ions entrent en collision frontale et se chevauchent presque complètement.

De cette mesure, ils ont obtenu une valeur de vitesse du son dans ce milieu proche de la moitié de la vitesse de la lumière et d'une précision record : en unités de vitesse de la lumière, le carré de la vitesse du son est de 0.241 ±0.002 (stat) ±0.016 (syst). En utilisant le moment transversal moyen, ils ont également déterminé que la température effective du plasma de quarks-gluons était de 219 ± 8 (syst) MeV.

Ce résultat correspond aux prédictions de la théorie des champs en treillis (lattice field theory) de la CDQ (qui permet d'étudier à basse énergie la formation des nucléons et des mésons en termes de quarks et de gluons) et confirme que le plasma de quarks-gluons agit comme un fluide constitué de particules transportant d'énormes quantités d'énergie. Il fournit également une contrainte stricte sur l'équation d'état du milieu créé et une preuve directe de l'atteinte d'une phase CDQ déconfinée dans les collisions nucléaires relativistes.

Découverte d'un temps négatif

Une équipe de physiciens de l'Université de Toronto, dirigée par Aephraim Steinberg, a mis en évidence un phénomène intrigant en optique quantique : l'observation d'un "temps négatif" dans l'interaction entre photons et atomes. Ce résultat, issu d'une expérience où un faisceau laser traverse un nuage d'atomes ultra-froids, remet en question certaines intuitions sur la causalité en physique quantique et suggère que les photons peuvent influencer un système avant même leur arrivée apparente (cf. K.Thompson et al., 2023).

L'étude repose sur la mesure de la durée d'excitation des atomes en réponse au passage d'un photon. En mécanique classique, un photon qui traverse un nuage atomique sans être absorbé ne devrait pas affecter l'état quantique des atomes. Or, les chercheurs ont observé que les atomes pouvaient être excités par le simple passage du photon, même sans interaction directe conventionnelle. Plus surprenant encore, la durée d'excitation mesurée pouvait être négative, suggérant que l'effet se manifestait avant la présence effective du photon.

Le temps d'excitation atomique des photons transmis (τT) peut être négatif, surtout pour les impulsions étroites et faibles profondeurs optiques, reflétant son lien avec le retard de groupe, lui-même négatif près de la résonance. Document K.Thompson et al., 2023).

Ce phénomène repose sur des effets quantiques non intuitifs liés aux mesures faibles (des mesures sur un système quantique qui ne perturbent pas fortement son état) et aux interférences. En mécanique quantique, une particule peut exister dans un état de superposition et interagir de manière non locale avec son environnement. Ici, l'expérience révèle que l'arrivée du photon ne peut être décrite simplement par une propagation classique, mais qu'elle doit être interprétée dans un cadre où l'état quantique de l'ensemble du système (photon + nuage d'atomes) évolue de manière cohérente.

L'une des explications avancées repose sur le concept de rétrodiction quantique. Contrairement à la prédiction classique où l'on suit l'évolution d'un système du passé vers le futur, la rétrodiction permet d'analyser la manière dont une mesure finale influence l'interprétation des états antérieurs. Ainsi, le fait de détecter un photon en sortie du nuage peut modifier rétrospectivement la manière dont les atomes ont interagi avec ce photon au moment de son passage.

Un autre aspect fondamental de cette étude concerne le rôle du retard de groupe (le temps que met le maximum d'une enveloppe d'onde à traverser un milieu dispersif) et des effets de dispersion dans les milieux optiques. Dans certains matériaux, un paquet d'ondes peut sembler se déplacer plus rapidement que la vitesse de la lumière dans le vide, sans pour autant violer la relativité restreinte. Ici, la notion de temps négatif pourrait être reliée à des effets similaires où la forme du paquet d'ondes et son interaction avec le milieu entraînent une anticipation apparente de l'effet sur l'atome.

Ce phénomène s'inscrit dans un cadre plus large de recherches sur la causalité en mécanique quantique. Plusieurs expériences antérieures ont montré que l'ordre temporel des évènements peut devenir flou dans un cadre purement quantique, notamment dans les protocoles exploitant des états de superposition d'ordres causaux. L'expérience menée ici apporte une démonstration expérimentale supplémentaire que le temps, tel qu'il est perçu classiquement, peut ne pas être une variable fondamentale en mécanique quantique.

Les implications de cette découverte sont nombreuses, notamment dans le domaine des technologies quantiques. Une meilleure compréhension des interactions photon-atome pourrait améliorer la conception des mémoires quantiques, où l'information est stockée dans des états excités d'atomes. Par ailleurs, les réseaux de communication quantique pourraient bénéficier d'une maîtrise plus fine de la propagation des photons dans les milieux atomiques, ce qui optimiserait l'efficacité des protocoles de transfert d'information.

Un aspect crucial reste cependant à explorer : l'universalité de ce phénomène. Est-il propre à certains systèmes optiques bien définis, ou bien s'agit-il d'une propriété fondamentale de l'interaction lumière-matière à l'échelle quantique ? D'autres expériences utilisant différents types d'atomes et de configurations optiques devront être menées pour répondre à cette question.

Enfin, cette étude soulève des interrogations plus profondes sur la nature du temps en physique quantique. Certains théoriciens envisagent que le temps pourrait émerger d'un niveau plus fondamental de la réalité, lié aux corrélations quantiques plutôt qu'à une variable absolue. L'expérience rapportée ici fournit un nouvel exemple d'une situation où le temps, tel que nous le concevons classiquement, ne semble pas jouer son rôle habituel.

L'alignement préféré du spin des particules

Les 715 physiciens de la Collaboration STAR du RHIC (Relativistic Heavy Ion Collider) du Laboratoire National de Brookhaven (BNL) du Département américain de l'Énergie (DoE) ont découvert que des fluctuations locales de l'interaction forte peuvent influencer le spin de certaines particules comme les mésons ɸ (phi) composés de deux quarks. Leur découverte fit l'objet d'un article publié dans la revue "Nature" en 2023.

Selon les chercheurs, les mécanismes conventionnels, tels que l'intensité du champ magnétique ou les gerbes de particules générées lors des collisions, ne peuvent pas expliquer les données. Mais un nouveau modèle qui inclut les fluctuations locales de l'interaction nucléaire forte y est parvenu.

Selon le physicien Aihong Tang de la Collaboration STAR, "Il se pourrait que les fortes fluctuations de force soient le facteur manquant. Auparavant, nous n'avions pas réalisé que la force forte pouvait influencer le spin des particules de cette manière. Mais cette explication est encore sujette à débat et des vérifications supplémentaires sont nécessaires. Mais si cela s'avère vrai, ces mesures nous permettent d'évaluer l'ampleur des fluctuations locales de la force forte. Elles offrent une nouvelle voie pour étudier la force forte sous un angle différent."

Comme son nom l'indique, l'interaction forte est la plus puissante des quatre interactions fondamentales de la nature. C'est elle qui maintient ensemble les éléments constitutifs des atomes - les protons et les neutrons - ainsi que leurs éléments constitutifs internes, les quarks et les gluons.

Les fluctuations locales de l'interaction forte peuvent influencer le spin des mésons phi (composés de deux quarks). Document BNL.

Le RHIC a été construit en grande partie pour étudier cette interaction. Pour ce faire, les physiciens provoquent des collisions entre des ions lourds qui tournent en sens opposé dans deux anneaux d'accélération distincts à une vitesse proche de la lumière. Les collisions frontales se produisent à l'intersection des anneaux. L'énergie cinétique des ions leur permet de franchir les limites des protons et des neutrons individuels, libérant les quarks et les gluons normalement confinés à l'intérieur pour créer un plasma de quarks-gluons ou QGP. Les physiciens de la Collaboration STAR prennent des instantanés de ces réactions et collectent des données détaillées sur les particules émergeant de ces collisions afin de tenter de découvrir comment les quarks et les gluons interagissent.

Des mesures antérieures de STAR ont révélé que lorsque les noyaux d'or entrent en collision de manière légèrement décentrée, l'impact fait tourner la soupe chaude de quarks et de gluons. Les chercheurs ont mesuré la vorticité du plasma tourbillonnant de quarks-gluons en suivant son influence sur les spins de certaines particules émergeant des collisions.

Rappelons que le spin est un paramètre physique similaire à la rotation d'une planète, avec des pôles nord et sud (cf. l'atome de Bohr). Pour les particules étudiées précédemment (des hypérons lambda), le degré d'alignement de leurs axes de rotation avec le moment cinétique généré lors de chaque collision décentrée est un indicateur direct de la mesure de la turbulence du plasma de quarks-gluons.

La Collaboration STAR a réalisé des expériences pour mesurer l'alignement du spin de différents types de particules, y compris du méson ɸ (phi) et du kaon K*°. Pour ces particules, il n'y a pas seulement deux orientations de spin possibles ("nord" et "sud"), mais trois orientations possibles.

Comme dans l'étude précédente, les physiciens ont mesuré l'alignement du spin de ces particules en suivant la distribution de leurs produits de désintégration par rapport à la direction perpendiculaire au plan de réaction des noyaux en collision. Pour les mésons ɸ et le kaon K*°, les physiciens traduisent ces mesures en une probabilité que la particule mère soit dans l'un des trois états de spin.

Selon le physicien Xu Sun de la Collaboration STAR et aujourd'hui à l'Institute of Modern Physics en Chine, "Si la probabilité de chacun de ces trois états est égale à un tiers, cela signifie qu'il n'y a aucune préférence pour la particule pour l'un des trois états d'alignement du spin". C'est en résumé ce que les physiciens ont constaté pour les kaons K*°. Mais pour les mésons ɸ, il y avait un fort signal qu'un état était préféré aux deux autres. Selon Sun, "D'une manière ou d'une autre, la nature a décidé que les mésons phi avaient une préférence dans le choix de l'un de ces états."

Expliquer la préférence

Depuis 2016, des physiciens de la Collaboration STAR ont tenté d'expliquer les résultats avec des mécanismes conventionnels comme la vorticité, le champ magnétique, la fragmentation, etc. Pendant ce temps, les physiciens de STAR ont vérifié leurs analyses, effectué de nouvelles analyses et réduit l'incertitude de leurs résultats. Finalement leurs résultats furent présentés à la communauté scientifique à partir de 2019. Selon Tang, "Nos résultats ont résisté à un examen minutieux, et les chiffres ne correspondent toujours pas."

Décrire l'alignement global du spin du méson ɸ en utilisant uniquement les mécanismes conventionnels se traduirait par une valeur inférieure à ce que les scientifiques ont mesuré au RHIC. Pour tenetr de résoudre ce problème, des théoriciens ont proposé l'idée que les fluctuations locales de l'interaction forte dans le plasma de quarks-gluons pourraient être à l'origine de la préférence d'alignement du spin apparent des mésons ɸ. Comprendre comment interagissent les différents quarks des mésons ɸ et K*° pourrait aider à compendre comment cela se produit et fournir un moyen de mener d'autres tests.

Le physicien théoricien Xin-Nian Wang du Lawrence Berkeley National Laboratory (LBL) du DOE, a expliqué que chaque méson ɸ est composé d'un quark et d'un antiquark de la même famille de "saveur" (s et ). Les effets de la force forte ont tendance à s'additionner et à influencer ces particules de même saveur dans la même direction.

Les mésons K*°, quant à eux, sont constitués de paires de quark-antiquark de différentes saveurs (d et ). Selon Wang, "Avec ce mélange de saveurs, la force forte pointe dans différentes directions, de sorte que son influence ne se manifesterait pas autant que dans le méson ɸ."

Pour tester cette idée, les physiciens de la Collaboration STAR envisagent d'étudier l'alignement du spin global d'un autre méson constitué de quarks de la même famille de saveur : la particule J/ψ (J/psi), composée de quarks charmés c et . Cette expérience devrait être réalisée durant les cycles du RHIC de 2023 et 2025. A ce jour, cette expérience n'a pas encore eu lieu.

Trouver une préférence d'alignement du spin global pour les particules J/ψ ajouterait un support à l'explication de l'interaction forte. Cela validerait également l'approche consistant à utiliser l'alignement du spin global de ces particules comme moyen d'étudier les fluctuations locales de l'interaction forte dans le plasma de quarks-gluons.

Selon Tang, "Même après plus de 22 ans de fonctionnement, le RHIC continue d'affiner notre compréhension de la nature en nous surprenant avec de nouvelles découvertes."

Un progrès majeur vers la fusion thermonucléaire

Le Département de l'Énergie américain (DoE) en collaboration avec les chercheurs du National Ignition Facility (NIF), un dispositif laser de recherche sur la fusion par confinement inertiel installé au Lawrence Livermore National Laboratory (LLNL), en Californie, annonça le 13 décembre 2022 avoir réalisé une réaction de fusion thermonucléaire contrôlée dont le bilan net est positif, c'est-à-dire qu'elle a généré (et non produit car l'énergie se conserve) plus d'énergie que celle utilisée par les lasers pour l'obtenir.

Le 5 décembre 2022, le NIF a mené la première expérience de fusion contrôlée de l'histoire pour atteindre ce jalon, qu'on appelle dans le jargon le seuil de rentabilité énergétique scientifique.

Selon la secrétaire américaine à l'Énergie, Jennifer M. Granholm, "Il s'agit d'une réalisation historique pour les chercheurs et le personnel du National Ignition Facility qui ont consacré leur carrière pour voir l'ignition par fusion devenir une réalité, et cette étape importante suscitera sans aucun doute encore plus de découvertes. L'administration Biden-Harris s'est engagée à soutenir nos scientifiques de classe mondiale – comme l'équipe du NIF – dont le travail nous aidera à résoudre les problèmes les plus complexes et les plus urgents de l'humanité, comme fournir une énergie propre pour lutter contre le changement climatique et maintenir une dissuasion nucléaire sans essai nucléaire."

Pour rappel, la fusion thermonucléaire est une manière différente, mais plus puissante, d'exploiter l'immense énergie emprisonnée dans le noyau d'un atome. C'est le processus qui fait briller le Soleil et toutes les autres étoiles. Les tentatives pour maîtriser le processus de fusion commencèrent dans les années 1950, mais il s'agit d'une technologie excessivement difficile qui est encore au stade expérimental.

Actuellement, l'énergie nucléaire utilisée dans le monde provient du processus de fission, dans lequel le noyau d'un élément plus lourd est divisé en éléments plus légers de manière contrôlée. Lors d'une fusion, les noyaux de deux isotopes légers (D + 3H) fusionnent pour former le noyau d'un atome plus lourd (5He). Ce nouveau noyau instable se désintègre ensuite (4He) en émettant un neutron qui emporte l'énergie de la réaction.

Une grande quantité d'énergie (cinétique) est libérée dans ces deux processus, mais beaucoup plus dans la fusion que dans la fission. Ainsi, la fusion de deux noyaux de tritium (3H) génère au moins quatre fois plus d'énergie que la fission d'un atome d'uranium qui est le processus normal de production d'électricité dans un réacteur nucléaire. Outre un meilleur rendement énergétique, la fusion est également une source d'énergie sans carbone et présente des risques de rayonnement négligeables; c'est une énergie propre.

Mais les réactions de fusion ne se produisent qu'à des températures très élevées, de l'ordre de dix fois la température qui existe au cœur du Soleil soit plus de 120 millions de degrés, et créer un environnement aussi extrême dans un laboratoire nécessite de créer un plasma alimenté par d'énormes quantités d'énergie qui se chiffrent en mégajoules (MJ).

Jusqu'à présent, l'énergie libérée (l'énergie de masse des noyaux emportée par le neutron) dans de telles réactions de fusion expérimentales était inférieure à ce qui était consommé pour créer les hautes températures nécessaires. Au mieux, certaines de ces réactions ont généré des énergies proches de l'équilibre. C'est pourquoi la nouvelle expérience menée au LLNL est considérée comme un percée majeure.

Dans cette expérience, on utilisa des lasers mégajoules UV d'environ 400 MJ mais seulement 2 MJ ont atteint la cible sous forme de rayons X et on récupéra 3 MJ après la fusion. Cela correspond à un rendement inférieur à 1%, mais c'est tout de même un bilan net positif.

Aussi importante que soit cette réalisation, nous ne sommes qu'au début du projet visant à produire de l'électricité à partir de réactions de fusion. Selon toutes les estimations, l'utilisation de la fusion thermonucléaire pour produire de l'électricité à l'échelle commerciale exigera encore deux ou trois décennies de recherche. La technologie utilisée dans l'expérience américaine pourrait prendre encore plus de temps pour être déployée.

A gauche, des techniciens utilisent un ascenseur de service pour accéder à l'intérieur de la chambre cible (target chamber) à des fins d'inspection et de maintenance au National Ignition Facility (NIF), un dispositif de recherche sur la fusion par confinement inertiel basé sur des lasers installé au centre de recherche fédéral Lawrence Livermore National Laboratory (LLNL) à Livermore, en Californie, en 2008. A droite, vue extérieure de la chambre cible dans laquelle 192 faisceaux laser ont fourni plus de 2 millions de joules d'énergie ultraviolette à une minuscule pastille de combustible pour créer une ignition par fusion thermonucléaire le 5 décembre 2022 dont le bilan net fut positif. Documents Philip Saltonstall/LLNL.

Comment réalise-t-on une réaction de fusion thermonucléaire ? Il existe au moins deux manières différentes d'expérimenter les réactions de fusion. Celle réalisée au LLNL diffère principalement dans la manière dont l'énergie d'entrée est fournie pour créer la chaleur extrême permettant la fusion, mais cela entraîne également des différences de conception et de capacités. Au LLNL, les chercheurs utilisent des faisceaux laser à haute énergie pour atteindre ces températures, également appelées "fusion inertielle". Ailleurs, et notamment dans la collaboration internationale ITER installée en France, des champs magnétiques très puissants sont utilisés dans le même but.

En fait, il est relativement plus facile d'atteindre des niveaux d'énergie de rentabilité grâce à la fusion inertielle par rapport à la fusion magnétique. L'obtention d'un gain énergétique net est une étape très importante, mais nous sommes encore loin des réactions de fusion de la qualité exigée pour un réacteur commercial. Il reste de nombreux défis à relever avant que le potentiel de la réaction de fusion ne soit réalisé.

Selon le planning actuel (2022), le projet ITER devrait démontrer la viabilité d'un réacteur à fusion thermonucléaire commercialement évolutif entre 2035 et 2040. Le déploiement effectif d'un réacteur à fusion pour produire de l'électricité pourrait prendre une décennie supplémentaire, ce qui nous porte à 2050. Plusieurs pays, comme la Chine, le Japon, le Royaume-Uni et la Corée du Sud, travaillent également sur cette technologie séparément, en plus de collaborer à ITER. Malgré ce long délai, c'est la fusion magnétique qui devrait livrer les premiers réacteurs à fusion.

Mais les États-Unis, qui sont également partenaires d'ITER, et certains autres pays comme la Chine, expérimentent également la fusion inertielle par laser. La raison est que cette technologie peut également être utilisée pour développer des armes nucléaires basées sur la fusion qui seraient beaucoup plus puissantes et dévastatrices que les armes nucléaires actuelles.

Rappelons qu'en décembre 2021, le laboratoire JET installé au Royaume-Uni, qui expérimente la fusion magnétique, avait amélioré son propre record précédent en ce qui concerne la quantité d'énergie générée à partir d'une réaction de fusion. La réaction avait duré cinq secondes et généré 59 MJ d'énergie, plus du double du record précédent.

Les réactions de fusion actuellement en cours dans les laboratoires durent à peine quelques secondes. Celles basées sur des faisceaux laser fonctionnent pendant des temps encore plus courts. Le problème est qu'il est difficile de maintenir des températures aussi élevées pendant des périodes prolongées. Le projet ITER est conçu pour fonctionner pendant 3000 secondes. À pleine puissance, on s'attend à ce qu'il génère cinq fois plus d'énergie qu'il n'en consommerait. Mais lorsqu'il fonctionne pendant des périodes plus courtes, environ 300 à 500 secondes, il peut générer 10 fois l'énergie consommée.

A l'inverse de la fusion inertielle qui est discontinue par nature, il n'y a pas de limite physique à la durée de fonctionnement d'un réacteur à fusion. Les réactions de fusion magnétique peuvent durer des heures et davantage. Mais ici aussi il y a beaucoup de défis techniques à surmonter.

Une fois qu'il sera opérationnel, ITER sera la plus grande machine du monde, plus complexe que le LHC du CERN ou que l'installation LIGO de détection des ondes gravitationnelles. Actuellement, le réacteur ITER est en phase de montage. Plus de 10 millions de pièces, fabriquées et testées dans les sept pays membres, doivent être transportées, assemblées et intégrées.

Deuxième partie

Les particules subissent l'influence de la gravité à distance

Page 1 - 2 -


Back to:

HOME

Copyright & FAQ