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La physique quantique La téléportation (I) Année 2245, la téléportation embarquée est installée à bord du vaisseau mère de la Fédération, l'USS Enterprise FCC-1701... Cette histoire remonte à 1965. En février de cette année là, la chaîne de télévision américaine NBC diffusa pour la première fois les aventures de science-fiction "Star Trek" de Gene Roddenberry et produit par Norway Productions et Desilu Productions. Un épisode pilote intitulé "The Cage" fut diffusé avec Christopher Pike dans le rôle du capitaine. De la distribution originale, la production ne conserva que Léonard Nimoy (Mr. Spock) et Majel Barrett (Number One qui joua ensuite un rôle secondaire). Le 8 septembre 1966, la série fut lancée sur NBC mettant en vedette le capitaine Kirk (William Shatner) et son équipage en quête de nouveaux mondes étranges. Music Maestro !.... Entre-temps, le 4 mars 1967 William Shatner et Leonard Nimoy firent la couverture du magazine "TV Guide". Leur célébrité ne faisait que commencer. La série produite par Paramount Television entre 1968 et 1969 eut un succès mitigé et ne dura que trois saisons comprenant tout de même au total 79 épisodes. Mais au fil des rediffusions la série connaîtra une popularité croissante et sans précédent, dépassant de loin "Les Envahisseurs", "La quatrième dimension" ou "Cosmos 1999". Rapidement, l'oeuvre devint une série culte, tant aux Etats-Unis qu'en Angleterre, en Australie, au Japon, en France ou en Italie pour ne citer que quelques pays ayant un fan club disposant d'un site Internet. Devant ce succès, les réalisateurs développeront la série pour le petit écran et la portèrent pour la première fois sur le grand écran en 1979 avec le succès que l'on sait. Rétrospectivement l'entreprise "Star Trek" représente aujourd'hui 7 séries TV comprenant entre 4 et 7 saisons chacune soit au moins une centaine d'épisodes dont les séries "The Next Generation" (1987-1993), "Voyager" (1995-2001), "Enterprise" (2001-2005) et "Discovery" (depuis 2017) et 14 films entre 1979 et 2023. Pour les fans, voici les bandes sons de "Voyager", "Origine", "The Next Generation" et "Deep Space 9". Il y eut également 5 franchises et diverses adaptations tirées ou non des séries TV telles que "New Frontiers", "Picard", "Lower Decks", "Strange New Worlds", etc, des dessins animés et toute une série de produits de marchandising. A lire : Léonard Nimoy est décédé (1931-2015), sur le blog Origine de la téléportation Mais la physique de Star Trek a-t-elle un sens ? Pourrons-nous par exemple un jour nous téléporter d'un coin à l'autre de l'espace d'une simple commande verbale ou d'une frappe sur un écran tactile ? On peut en douter... Mais prenons les choses par le commencement. Qu'est-ce que la téléportation ? Le néologisme "teleport" apparaît pour la première fois dans la chronique "The Last Wonder" (La dernière Merveille) dans le journal australien "The Capricornian" du 19 juin 1878 (dont voici la page scannée) qui reprend un article publié dans un journal de Bombay décrivant le teleport comme "un appareil par lequel l'homme peut être réduit en atomes infinitésimaux, transmis à travers un fil et reproduit sain et sauf à l'autre extrémité !" Le quotidien "The Hawaiian gazette" (dont voici la page scannée) s'en fit l'écho dans son édition du 23 octobre 1878 dans lequel le journaliste déclare "qu'au moyen d'un téléport un homme pourra voyager des Indes en Angleterre par câble sous-marin en quelques minutes." Il va de soi que cet appareil n'a jamais été construit, ce que suggère l'article australien. Le néologisme "téléportation" est plus récent. C'est l'auteur américain Charles H. Fort passionné par les phénomènes paranormaux qui utilisa pour la première ce terme dans son livre "Lo!" publié en 1931[1]. Il utilisa à l'époque le mot "téléportation" pour expliquer des disparitions et des apparitions soudaines et "anormales". Puis, on retrouve la téléportation dans le roman "Cycle du Ã" de A.E. van Vogt publié en 1945. Ensuite, il faudra attendre 1964 pour que Gene Roddenberry rédige les premiers scripts de la série TV "Star Trek" afin de concurrencer les séries "Buck Rogers" et "Flash Gordon" et qu'on entende la célèbre réplique du capitaine Kirk : "Beam me up Scotty !" accompagnée du son caractéristique du téléporteur. A ce propos, le son du téléporteur, caractéristique de l'atmosphère des films de science-fiction rappelait les bruits parfois aigus du film" Planète Interdite" (1956) et on retrouve ce son étrange stridant dans la série TV "Les Envahisseurs" (1968) dans le son de la soucoupe volante (en VF) et des appareils de régénération des envahisseurs. Face au succès de la téléportation, on retrouva cette méthode de transport, parfois adaptée sous forme de portail, dans les films "Doctor Who" (1962), "Terminator" (1984), "La Mouche" (1986), "Stargate" (1994), "Jump" (2008) ou encore "Thor" (2011) ainsi que dans des séries TV ("Buck Rogers", "Babylon 5", "Doctor Who", "Stargate SG-1", "Smallville", etc), sans oublier les jeux vidéo, les bandes dessinées et les mangas. On peut rêver ! Sur le plan scientifique, dans son livre "The human use of human beings" publié en 1950, le mathématicien et fondateur de la cybernétique Norbert Wiener déclare : "Admettons alors que l'idée qu'on puisse éventuellement voyager par télégraphe, en plus de voyager en train ou en avion, n'est pas intrinsèquement absurde, dans la mesure où cela peut se réaliser. Les difficultés sont, bien sûr, énormes." Et il explique notamment le problème lié à la structure atomique du corps humain. Il réaborde le sujet dans son livre "God & Golem, Inc." publié en 1964 dans lequel il écrit : "il est conceptuellement envisageable de transmettre un être humain à travers une ligne télégraphique […]. Pour l'instant et peut-être pour toute la durée de l'espèce humaine, cette idée est impraticable mais elle n'est pas pour autant inconcevable." Nous allons voir que quelques générations plus tard, nous n'avons pas beaucoup progressés. Pourquoi ? Pour comprendre toute la difficulté du problème, commençons par une expérience simple en nous demandant s'il est déjà possible de transmettre l'état quantique d'une particule à une autre, c'est-à-dire de transférer ses paramètres physiques ? Le 11 décembre 1997, la revue "Nature" rapportait que des physiciens italiens étaient parvenus à transmettre l'état quantique d'une particule à une autre, située à quelque distance. Deux mois plus tard, une équipe de chercheurs autrichiens réussissaient une expérience analogue. L'équipe du Dr. Anton Zeilinger de l'Université d’Innsbruck était en effet parvenue à transmettre l'état de polarisation d'un photon à un autre, une caractéristique - et non pas une information - intrinsèque du monde quantique obéissant aux sacro-saintes relations d'incertitudes. Le 17 juin 2002, des physiciens de l'Université Nationale Australienne (ANU) annoncèrent qu'ils avaient réussi à séparer un faisceau laser contenant une information encodée dans un système de communication à fibre optique et à le reconstruire instantanément à un mètre de distance en utilisant la technologie de l'intrication quantique ou enchevêtrement quantique, rappelez-vous le paradoxe EPR. Avec cette seconde expérience, la physique de Star Trek semble être à notre portée. Mais est-ce une douce illusion propre aux récits de science-fiction ou une révolution technologique qui se profile à l'horizon ? Quelles sont concrètement les conséquences de telles découvertes ? De la mesure à la démesure Quelques journalistes envisageaient déjà d"appliquer ces découvertes à la téléportation chère aux héros de Star Trek. Seul problème, la physique de Star Trek ne sera jamais à notre portée. Il faut en effet trouver le moyen de stocker puis de téléporter en quelques secondes toutes les caractéristiques quantiques de tous les constituants des atomes qui forment un corps humain (~1028 atomes !), sachant qu'un seul atome se définit par de nombreux paramètres (position, énergie, etc, de tous ses composants) qui occupent au bas mot 1000 mots-machine (1 kilobyte). Toutes les données physiques d'un corps humain représentent donc 1028 KB d'information pour un seul état quantique. Si toutes ces informations nécessaires à la définition purement physique d'un corps humain étaient stockées sur des disques durs compacts d'une capacité de 100 GB, leur empilement atteindrait une longueur de 1013 km ou dix mille années-lumière ! Même avec des cartes flashes on ne réduit l'empilement que d'un facteur 1000 à 10000.
Compte tenu de l'espace disponible pour stocker ces informations, de l'énergie requise pour l'écrire et la relire et surtout du temps estimé pour effectuer ce transfert, si nous nous mettions tout de suite à la tâche cette perspective n’est même pas envisageable. En effet, téléportée en cet instant, la pauvre victime devrait attendre 25 mille milliards d'années avant d'être totalement définie en termes quantiques (et que ces données soient stockées sur un support). Or entre-temps, à chaque instant l'état quantique que chaque particule de son corps a changé. Aujourd'hui, on ignore si ces changements d'états quantiques ont un impact macroscopique. Mieux vaut le savoir avant de procéder à la téléportation ! Par précaution, il faudrait donc trouver un moyen pour cartographier à un instant t les états quantiques de toutes les particules constituant le corps de la personne à téléporter. Cela paraît impossible. De plus, cela suppose que l'esprit n'a pas besoin d'être cartographié ni digitalisé. Si ces deux cartographies ne sont pas nécessaires - mais comment le savoir sans téléporter un être humain -, alors on la chance de pouvoir téléporter la personne en préservant son intégrité. Mais ce n'est pas terminé. Ensuite, la personne devra patienter encore autant de temps pour être physiquement téléportée à l'autre endroit ! Il est difficile d'imaginer que cette solution est réaliste. Comme le disait Wiener, "les difficultés sont énormes" et "l'idée est impraticable". Cette solution présente toutefois d'autres difficultés sur le plan pratique. La première est la plus contraignante. Pour téléporter un atome il fait mesurer sa position et son impulsion (mv) simultanément afin de les transférer ou les recopier à destination. Or les relations d'incertitudes de Heisenberg tant décriées par les pères de la physique quantique nous interdisent de connaître avec la même précision les deux valeurs simultanément. Ensuite, dans un système corrélé, on ne peut pas choisir les états quantiques à téléporter. Le clonage quantique est donc impossible. Nous verrons qu'il en est de même pour la reconstruction. Mais ce n'est pas tout. Si on envisage la téléportation des atomes et des quarks individuels, il faut trouver un moyen pour briser les quarks. Il faut d'une part des énergies folles pour les briser et développer des températures de l'ordre de 1000 milliards de degrés. Aujourd'hui aucun accélérateur de particules ou autre ITER ne peut atteindre de telles températures. Et on ne les atteindra certainement pas demain ni après-demain eu égard aux difficultés techniques qu'engendre une telle entreprise. Dans ces circonstances, il existe une autre solution : construire à destination l'objet à partir d'un modèle tridimensionnel et d'un stock de quarks et d'atomes. Mais ne demandez à aucun spécialiste comment résoudre les problèmes de logistique, de confinement et financier car aujourd'hui nous avons déjà pas mal de difficultés pour confiner quelques malheureux protons et trouver les financements de ces projets. Sans parler du problème de la mesure et d'imbrication quantique... au demeurant insolubles. Cette solution est donc tout autant vouée à l'échec que la précédente en raison des principes mêmes de la physique quantique et des règles mathématiques (statistiques) qui président à l'état des particules (leurs paramètres). Une dernière méthode consisterait à transformer la matière en énergie (E=mc2) puis à la transmettre sur de longues distances, à l'image de la technique utilisée par la "Porte des étoiles" dans la série culte "Stargate SG-1". Mais l'énergie requise est astronomique : 50 kg représentent l'énergie libérée par 1000 bombes H d'une mégatonne. Se greffe sur ce problème le fait que personne ne sait aujourd'hui comment créer un trou de ver, et on ignore encore plus comment lui donner une taille macroscopique, l'entretenir et le stabiliser à cette échelle... Comme vous le constatez, il reste un certain flou entre l'idée et la conception, mais cette fois le "flou quantique" n'est pas mis à profit et nous pose plus de problèmes qu'il n'en résout ! Plus rationnels, les physiciens pensent utiliser cette technique pour transmettre l’information dans les futurs ordinateurs quantiques. L'idée de base est que les bits d'information ne seraient plus classiques, présentant deux états, 1 ou 0, mais quantiques et pouvant prendre une infinité d'états quantiques par intrication de ces états. Puisque la taille de l'espace des configurations potentielles est très vaste, le système pourrait effectuer des calculs en parallèle, en superpositions d'états, et donc bien plus rapidement qu'un algorithme traditionnel, en particulier pour tout ce qui concerne la factorisation des grands nombres et l'analyse de données. Malheureusement, l'idée avancée par Peter Shor et Low Grover est peut-être avortée dans l'oeuf car la décohérence est difficile à contrôler bien que des méthodes de correction aient été développées. Mais pire encore, en revenant à l'ordinateur analogique, nous savons combien ce genre de méthode est sensible à la moindre perturbation, d'où les progrès réalisés dans la digitalisation de tous les systèmes de mesure. On peut donc se demander si l'ordinateur quantique est très réaliste... Mais laissons le temps à nos ingénieurs de se pencher sur la question avant de décréter précocement sa mort. Une autre voie de recherche concerne la sécurité informatique où les propriétés quantiques seraient mises à profit pour envoyer à un correspondant les clés de cryptage des messages secrets. Ici, plutôt que de compter sur des précautions physiques de la vie courante (détenir une clé de codage, encoder un mot de passe, coffre-fort, etc) dont l'efficacité est contextuelle et donc difficile à évaluer a priori, la sécurité fonde sa confiance sur les lois fondamentales de la physique, inviolables par nature. Par exemple, il est impossible de capturer un photon, d'en faire des copies puis de le replacer dans la fibre optique comme si de rien n'était. Son état quantique a été modifié et l'opération est contradictoire avec les lois de la physique (dans le cadre du paradoxe EPR, un tel clônage violerait la théorie de la Relativité car il permettrait par exemple de communiquer des signaux à une vitesse supérieure à celle de la lumière). L’avenir de l’informatique reste passionnant et il ne fait aucun doute que la NSA étudie actuellement ces questions. Vous allez me dire qu'on est bien avancé avec ça ! Il est vrai que nous sommes encore loin du téléporteur, mais au moins nous sommes déjà capables de téléporter un bit d'information ! Mais il est encore plus vrai que la science-fiction n'a pas volé son nom... La somme des parties Un mot comme "téléporter" représente-t-il la simple juxtaposition de caractères ou ce terme contient-il en plus un sens ? Il ne faut pas chercher loin pour trouver des exemples dans lesquels la somme des parties représente plus que l'entité purement physique qu'ils représentent. A une autre échelle, certains organes du corps humain présentent des fonctions qui dépassent a posteriori les possibilités de leur agencement en termes purement mécanique, voyez par exemples les facultés du cerveau ou les propriétés des protéines...
En poussant notre raisonnement jusqu'au bout, on peut se demander ce qu'il adviendrait de notre état psychique après avoir ainsi été dématérialisé et reconstruit lors d'une téléportation ? Cette question fascinante turlupine les Dr Frankenstein et autres Merlin depuis longtemps. Car un corps humain ou tout autre objet vivant représente plus que la somme de ses parties. Prenez pas exemple les atomes constituants le corps humain. Ainsi que nous l'avons expliqué dans une autre page, c'est l'énergie de liaison (champs électriques) qui rattache les atomes entre eux et rend la matière solide à nos yeux. Nos atomes et nos molécules ont des affinités chimiques, des courants d'excitation traversent nos cellules, autant de propriétés "immatérielles" qu'un téléporteur devrait sans doute prendre en considération si nous voulons être rematérialisé à l'identique en quelqu'autre lieu, et bien sûr le plus rapidement possible, ce que nous verrons dans un instant. D'après ce qu'on a pu voir de l'installation de Star Trek, leur téléporteur n'est pas très fiable. Parfois il perd carrément le corps téléporté, parfois il le dédouble ce qui est par contre paradoxal. Je ne mettrais pas même mon petit doigt dans leur téléporteur ! Celui présenté dans "La Mouche" ne fonctionne pas mieux. Car si un téléporteur est censé transporter simultanément la matière et les données, de tels dédoublements ou fusions sont impossible.
Mais peut-on téléporter l'esprit ou l'âme comme l'appelle certains, notre mémoire ainsi que toutes les connaissances que nous avons acquises depuis que nous existons ? Tout au long de la série Star Trek le thème de la "force vitale", ce qu'ils appellent l'"énergie neuronale" ou le "katra" chez M.Spock est sous-jacent et parfois mis en avant dans plusieurs épisodes où le téléporteur présente des défaillances. Lors de ces accidents, l'esprit erre séparément de son corps charnel et tant Scotty que Data éprouvent beaucoup de difficultés pour faire "rentrer les choses" dans l'ordre... Citons parmi quelques épisodes, les accidents survenus dans "L'ennemi intérieur" dans la série originale, "Une seconde chance" et "Seul parmi nous" dans "The Next Generation" ou encore "Cathexis" dans la série "Voyager". Mais malgré ces quelques accidents, comme l'on dit dans le jargon astronautique le taux de réussite est nominal et le capitaine Kirk, Picard ou Janeway en sont toujours ressortis intègres, tant physiquement que mentalement. Tous ces épisodes de la vie quotidienne tentent toutefois à démontrer que beaucoup de gens ont encore du mal à déterminer si l'esprit fait entièrement partie du corps matériel ou s'il peut se libérer de sa structure. On aimerait le croire pour s'affranchir parfois des contraintes de ce bas-monde ou de notre condition humaine, mais cela est loin d'être démontré. Il est évident que seule une expérience pourrait nous apporter cette preuve, chose qui jusqu'à présent n'a jamais été permise si l'on écarte les phénomènes psychiques qui se déroulent durant les phases de sommeil paradoxal (rêves) ou lorsqu'une personne est proche de la mort (expériences "NDE"). N'en déplaise aux croyants, on peut toutefois penser que l'esprit est intimement lié à l'état de la matière et jusqu'à preuve du contraire, l'organisme et tout ce qu'il représente sur le plan psychique disparaissent avec sa mort physique. Vous seriez bien en peine de démontrer le contraire qui ne serait que pure spéculation, un sujet bien sûr que pas mal d'auteurs, y compris des physiciens et des biologistes, n'ont pas hésité à aborder pour notre plus grand plaisir. On en reparlera à propos de la bioastronomie. Deuxième partie
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