Contacter l'auteur / Contact the author

Recherche dans ce site / Search in this site

 

Les roches lunaires

Coupe d'un basalte lunaire de 9.8 kg (ref. 15555.838) ramené par Apollo 15. Document NASA-JSC.

La simplicité de la minéralogie lunaire (I)

Les sélénologues et autres géochimistes spécialistes de la Lune nous disent que seuls quatre minéraux - le feldspath plagioclase, le pyroxène, l'olivine et l'ilménite - représentent 98 à 99% du matériau cristallin de la croûte lunaire.

Le matériau présent à la surface de la Lune contient une forte proportion de matériau non cristallin, mais la plupart est du verre formé à partir de la fusion de roches contenant ces quatre principaux minéraux. Les 1 à 2% restants sont majoritairement composés de feldspath potassique, des oxydes minéraux tels que la chromite, le pléonaste (spinelle), le rutile, les phosphates de calcium, le zircon, la troilite et le fer. De nombreux autres minéraux ont été identifiés, mais la plupart sont rares et ne se présentent que sous forme de très petits grains interstitiels noyés dans les quatre principaux minéraux.

Certains des minéraux les plus courants à la surface de la Terre sont rares ou n'ont jamais été trouvés dans les échantillons lunaires comme le quartz, la calcite, la magnétite, l'hématite, les micas, les amphiboles et la plupart des minéraux sulfurés. De même, si une météorite soi-disant lunaire contient du quartz, de la calcite ou du mica comme minéral primaire, on peu déjà conclure qu'elle ne provient pas de la Lune.

De nombreux minéraux terrestres contiennent de l'eau emprisonnée dans leur structure cristalline. Les micas et les amphiboles sont des exemples courants. Ces minéraux hydratés n'ont pas été trouvés sur la Lune. En revanche, il existe de la glace d'eau sur la Lune et en 2010 on a découvert que le régolite renferme également un peu d'eau (cf. NASA, 2019; A.R. Hendrix et al., 2019; M.Benna et al., 2019).

La majeure partie de la croûte lunaire, cette partie appelée le "Feldspathic Highlands Terrane" ou simplement les hauts plateaux feldspathiques, se compose de roches riches en une variété particulière de feldspath plagioclase connue sous le nom d'anorthite. En conséquence, les roches de la croûte lunaire sont dites "anorthositiques" car ce sont des roches riches en plagioclase (au moins 60%) comme l'anorthosite, l'anorthosite noritique ou la troctolite anorthositique.

Les roches de la croûte lunaire ont été à plusieurs reprises brisées par les impacts et resoudées par d'autres impacts. C'est pourquoi la plupart des roches des hautes terres lunaires sont des brèches, c'est-à-dire une roche composée de fragments de roches plus anciennes. Les brèches se forment aussi sur Terre, mais elles sont beaucoup moins fréquentes que sur la Lune. De plus, la plupart des brèches terrestres ne se sont pas formées par des impacts de météorites mais par des failles.

A voir : Where does NASA keep the Moon Rocks?

Deux basaltes vésiculaires, l'un pesant 923 g ramené par Apollo 15 (à gauche, réf. 15016), l'autre par Apollo 16 (droite). Cette dernière roche est âgée de 3.5 milliards d'années et fut extraite d'un container scellé sous vide fermé en 1972 qui fut seulement ouvert le 17 juin 2019 au centre Johnson de la NASA. Documents NASA-JSC et Michael Wyke/AP.

Les brèches lunaires sont subdivisées en une variété de catégories telles que les brèches à fusion par impact, les brèches granulitiques, vitreuses, fragmentaires et le régolite. Dans les brèches à fusion par impact et vitreuses, des fragments de roche ou clastes sont en suspension dans une matrice de fusion solidifiée (cristalline ou vitreuse) formée par l'impact d'une météorite.

Dans les brèches fragmentaires et régolitiques, il y a peu ou pas de partie fondue, juste des débris fragmentés qui ont été lithifiés (transformés en roche) par la pression de choc d'un impact.

Etant donné que la brèche fait référence à la texture et que les roches anorthositiques ou feldspathiques font référence à la minéralogie, les roches des hautes terres lunaires sont diversement appelées brèches anorthositiques, brèches feldspathiques ou brèches des hautes terres.

Du fait que la croûte lunaire fut intensément bombardée par les météorites, elle contient très peu de roches plus grandes que la taille d'une main. Même les échantillons récoltés au cours des missions Apollo sont de petits débris de la première croûte ignée de la Lune. Il n'est donc pas surprenant que toutes les roches et les météorites lunaires originaires des hautes terres (Feldspathic Highlands Terrane) et des mers lunaires (Procellarum KREEP Terrane) soient des brèches (KREEP est l'acronyme de K pour le potassium, REE pour Rare Earth Elements ou lanthanides, et P pour le phosphore).

Il y a environ 3.9 milliards d'années, le manteau lunaire a partiellement fondu sous l'impact des météorites. Le magma résultant est monté à travers la croûte jusqu'en surface, la lave s'accumulant dans les dépressions. Ces endroits étaient principalement les bassins d'impacts formés par les plus grandes météorites. Le volcanisme lunaire dura ainsi environ 2 milliards d'années.

A consulter : Lunar Sample Atlas, LPI/USRA

The Lunar Sample Compendium, NASA/JSC

Explore Moon rocks collected from the first Moon landing

A gauche, une brèche de régolite lunaire ramenée par Apollo 11 (réf. 10009.0). Au centre, une anorthosite ramenée par Apollo 16 (réf. 60015.1) A droite, un basalte ramené par Apollo 17 (réf. 74235).

Sur Terre, les roches volcaniques se solidifient à partir de lave en fusion. Le type de roche volcanique le plus courant est le basalte (cf. les volcans terrestres). Les basaltes des mers lunaires sont composés principalement de clinopyroxène et tous contiennent également du plagioclase et de l'ilménite, certains contiennent aussi de l'olivine.

Les mers lunaires sont plus foncées que les hautes terres car d'une part les basaltes des mers sont riches en minéraux ferreux qui sont de couleur foncée et d'autre part le plagioclase est de couleur claire.

Contrairement aux hautes terres, la plupart des roches collectées dans les mers lunaires par les astronautes sont de véritables basaltes, et non des brèches composées de fragments de basalte. C'est l'une des nombreuses raisons pour lesquelles nous savons que les basaltes se sont principalement formés après un bombardement intense. Les basaltes des mers couvrent environ 17% de la surface de la Lune, mais on estime qu'ils ne représentent qu'environ 1% du volume de la croûte.

Comme les météorites basaltiques provenant de Mars, les basaltes des mers lunaire ressemblent fortement aux basaltes terrestres. En l'absence de croûte de fusion, il y a peu de chose sur une météorite basaltique provenant d'une mer lunaire qui susciterait l'intérêt d'un géologue.

En revanche, un examen attentif au microscope peut révéler certaines caractéristiques suspectes comme le manque de certains minéraux, l'abondance d'autres (ilménite), la faible teneur en sodium du feldspath ou la constante du rapport Fe/Mn ~70. Les grains minéraux montrent également des signes de choc et de fracture dus aux impacts de météorites. Cependant, des tests chimiques restent nécessaires pour prouver une origine lunaire (ou martienne).

A voir : Moon Rocks at The Open University

A gauche, deux petits fragments d'anorthosite cataclastique ramenées par Apollo 16 (réf. 60025). Cet échantillon est presque entièrement constitué de feldspath plagioclase. Le qualificatif "cataclastique" signifie que la roche est choquée et fracturée par les impacts de météorites, ce qui provoque la couleur blanche opaque par opposition à la translucidité que l'on voit dans les roches terrestres riches en plagioclase de cette taille (l'échelle est graduée en millimétriques). Au centre, des fragments lithiques (des graviers) lunaires de 1-2 mm ramenés par Apollo 16 (réf. 65902). Il s'agit de lithologies anorthositiques (les fragments les plus clairs) et de brèches noritiques par fusion de choc (les gris non vitreux). A droite, du régolite lunaire ramené par Apollo 17. Documents R.L. Korotev/WUSTL, R.L.Korotev/WUSTL et NASA/Apollo 17/WUSTL.

Les brèches fragmentaires et le régolite sont les analogues lunaires les plus proches des roches sédimentaires terrestres et présentent une certaine ressemblance texturale. Cependant, il existe de nombreuses différences, presque toutes associées au manque d'eau et de vent sur la Lune. Comme expliqué ci-dessus, les roches lunaires ne contiennent pas beaucoup de minéraux carbonatés ou de quartz, à l'inverse de la plupart des roches sédimentaires terrestres.

Il n'y a pas de mécanisme de tri efficace sur la Lune, de sorte que les composants lithiques des brèches lunaires sont disponibles dans une grande variété de tailles de grains, sans taille ni orientation préférées. Les brèches lunaires sont en grande partie des objets fractals qui se ressemblent en coupe transversale quelle que soit l'échelle à laquelle ils sont visualisés (cf. ALHA 81005).

Il n'y a aucune roche lunaire connue qui ait une caractéristique qui ressemble aux couches qui sont caractéristiques des roches sédimentaires terrestres. Les roches sédimentaires terrestres présentent des couches parce que la Terre a une forte gravité, de sorte que les particules se déposent dans l'eau ou dans l'atmosphère. La Lune n'a qu'une faible gravité et pas d'eau ni d'atmosphère.

La plupart des petits clastes des brèches lunaires sont des fragments de plagioclase ou d'anorthosite. Il est rare que le rapport d'aspect (longueur sur largeur) d'un claste dans une brèche lunaire dépasse 3. La plupart des clastes sont anguleux et non arrondis.

Il y une exception avec les sphérules de verre volcanique dans le régolite présentées ci-dessous. Ces sphérules se trouvent parfois dans les brèches du régolite, mais elles mesurent moins de 0.1 mm de diamètre et ne sont pas facilement visibles à l'œil nu. Des sphérules produites par impact se produisent et peuvent être gros, mais ils ne sont pas communs par rapport aux fragments de roches et de minéraux. Les brèches de fusion par impact peuvent contenir des clastes qui ont été partiellement fondus et qui ne sont donc pas anguleux.)

Chimie des roches lunaires

En raison de la simplicité de la minéralogie lunaire, les roches lunaires ont des compositions chimiques prévisibles. Presque tout l'aluminium est dans le plagioclase et presque tout le fer et le magnésium sont dans le pyroxène, l'olivine et l'ilménite. On peut donc se baser sur des courbes de concentration d'aluminium (l'alumine Al2O3) par rapport aux concentrations de fer (FeO) et de magnésium (MgO) pour identifier les météorites lunaires. Si la composition d'une roche ne suit pas le modèle, la roche n'est presque certainement pas une roche lunaire.

Microphotographies de régolite lunaire contenant des sphérules de verre de ~0.1 mm de diamètre formées suite à un impact. Echantillons ramenés par Apollo 17 (réf. 71061 et 74220). Ce régolite contient des sphérules volcaniques ou "verre orange". A gauche, la zone sombre est l'endroit où l'ilménite s'est cristallisée à partir du verre. Ces échantillons contiennent également de l'olivine (les traits et les taches sombres). Ces sphérules sont créées lorsque le magma lunaire en fusion émergea en surface il y a 3 ou 4 milliards d'années. Au contact du vide de l'espace, la lave s'est séparée en minuscules fragments et gela, formant de minuscules billes de verre volcanique. Documents NASA/Brad Jolliff/WUSTL et NASA/U.Az, Digital Petrographic Slide Collection.

Sur Terre, la concentration en silice (SiO2) des roches ignées est utilisée comme paramètre de classification chimique de premier ordre car elle varie considérablement entre les différents types de roches.

De plus, puisque sur la Lune il n'y a pas de roches riches en quartz ou autres polymorphes de silice, dans les brèches en particulier, la concentration moyenne de silice dans les trois principaux minéraux, plagioclase, pyroxène et olivine, est à peu près constante. L'ilménite (FeTiO3) par exemple n'est généralement présente qu'en petites quantités (<3%), la concentration de silice (SiO2) varie uniquement entre 43 et 47%. En revanche, l'aluminium varie au moins d'un facteur 3. Le calcium (CaO) varie d'un facteur 2 entre 10 et 20% et c'est beaucoup moins que la proportion qu'on trouve dans les roches terrestres. Par conséquent, une roche présentant des concentrations de silice ou d'oxyde de calcium sensiblement en dehors de ces plages n'est presque certainement pas une roche lunaire.

L'oxydation des roches lunaires est également un indice. Dans les roches ignées lunaires, presque tout le fer est à l'état d'oxydation 2+ (dans l'olivine, le pyroxène et l'ilménite) ainsi que le manganèse. Par conséquent, le rapport Fe/Mn ~ 70 dans toutes les roches lunaires alors que les roches terrestres ont un rapport FeO/MnO très variable (sauf pour la croûte terrestre où le rapport moyen est un peu inférieur à celui de la Lune).

Le chrome est en plus grande concentration dans les roches lunaires que dans la plupart des roches terrestres (0.14 à 0.44% dans les mers lunaires et 0.05 à 0.09% dans les météorites lunaires feldspathiques contre seulement ~0.01% dans la croûte terrestre).

Microphotographies de basaltes lunaires ramenés par Apollo 11 (réf. 10020) et Apollo17 (réf. 70017). Les barres d'olivine, la présence de magnésium et de fer ainsi que la teneur en silicium inférieure à 45% signifient que ces roches proviennent d'une éruption volcanique. Documents NASA/Apollo 11 et U.Az, Digital Petrographic Slide Collection.

Enfin, les concentrations en éléments alcalins (potassium, sodium, rubidium et césium) sont également 10 à 100 fois plus faibles dans les roches lunaires que dans les roches terrestres. De plus, les minéraux sulfurés sont rares dans les roches lunaires et des éléments tels que le cuivre, le zinc, l'arsenic, le sélénium, l'argent, le mercure et le plomb qui se trouvent souvent dans les minéraux sulfurés se trouvent en très faible abondance dans les roches lunaires. Par conséquent, de faibles concentrations en éléments alcalins et sulfurés (chalcophiles) sont l'une des données les plus significatives des roches lunaires.

Les enseignements de la troctolite 76535

Nos connaissances sur l'évolution interne de la Lune sont limitées aux échantillons ramenés par les missions Apollo (bien que la mission chinoise Chang'e5 en ait également rapporté en 2020).

La  troctolite 76535 (156 g pour 5 cm). Document LPI/NASA.

Dans une étude publiée dans la revue "Nature Communications" en 2021, William Nelson de l'Université d'Hawaï à Mãnoa et ses collègues ont analysé l'échantillon lunaire archétypal, la troctolite 76535 ramenée par l'équipage d'Apollo 17 en 1972.

La troctolite est une roche magmatique plutonique et mafique qui se compose essentiellement d'olivine et de plagioclase calcique avec une faible abondance de pyroxènes.

Jusqu'ici les spécialistes pensaient que la troctolite s'était refroidie lentement à partir d'un grand corps magmatique. Mais les résultats de cette nouvelle étude bouleversent nos connaissances de l'évolution de la Lune.

Nelson et ses collègues ont choisi cet échantillon spécifique car il est exceptionnellement vierge : "Il n'a pas été fortement modifié par les impacts au cours de son séjour sur la surface de la Lune. Une telle pureté est rare pour les roches lunaires."

Les chercheurs ont constaté des variations chimiques intéressantes dans les grains minéraux d'olivine et de plagioclase contenus dans cette roche. Selon Nelson, "C'était inattendu, car des études précédentes avaient signalé que ces deux minéraux ne présentaient aucune variation chimique."

Au terme de leurs analyses, les chercheurs conclurent que l'échantillon présente "un degré d'hétérogénéité compositionnelle intracristalline (phosphore dans l'olivine et sodium dans le plagioclase) fondamentalement incompatible avec un séjour prolongé à haute température. La chronométrie de diffusion montre que ces hétérogénéités n'auraient pas pu survivre à des températures magmatiques durant plus de quelque 20 millions d'années, c'est-à-dire bien moins que la durée de refroidissement estimée précédente de plus de 100 millions d'années."

Nelson et ses collègues proposent à la communauté des sélénologues de jeter un nouveau regard sur la façon dont les échantillons lunaires se sont formés car les nouvelles données mettent au défi notre compréhension de l'évolution de la Lune.

A gauche, en a) images en lumière à polarisation croisée (XPL) de deux coupes minces (haut et bas) de la troctolite 76535 montrant les fragments d'olivne (ol) et de plagioclase (pl). Les images b) et c) sont les cartes d'intensité du phosphore kα. A droite, les courbes colorées représentent le temps de refroidissement maximal modélisé par rapport au refroidissement linéaire de 3.9°C par million d'années (ligne pointillée). Aucune des deux solutions n'entre en conflit avec la formation du FAS 60025 (ligne verte). Documents W.S. Nelson et al. (2021).

Jusqu'à présent, on pensait qu'après sa formation, La Lune connut une période de refroidissement qui dura 100 millions d'années. Mais selon Nelson, en examinant cette roche, "nous avons découvert qu'il n'aurait pas fallu plus de 20 [millions d'années] pour que cet échantillon se refroidisse jusqu'au point de solidification complète. Si l'échantillon s'était refroidi aussi lentement que suggéré précédemment, il ne devrait présenter aucune variation dans la teneur en phosphore", ajoutant que toute variation aurait été "aplanie" depuis longtemps.

Cette découverte change notre compréhension de l'histoire et de l'évolution de la Lune de 80 millions d'années. Selon Nelson, "Je pense que l'on peut encore apprendre beaucoup de la collection d'échantillons lunaires d'Apollo. D'abord et avant tout, comme le démontre cette étude, les techniques analytiques s'améliorent constamment. Ensuite, il existe une boucle de rétroaction positive : les observations des engins spatiaux orbitaux et terrestres nous motivent à revoir et à réévaluer la collection des échantillons lunaires, ce qui conduit à améliorer les modèles de formation et d'évolution de la Lune."

Modèle pétrogénétique pour la troctolite 76535 impliquant le transport réactif à l'état de fusion. a) Le manteau lunaire inférieur riche en magnésium interagit avec une croûte anorthitique chaude et ur-KREEP, mélangeant mécaniquement les trois composants. b) Une fusion partielle se produit ; le liquide s'infiltre dans la roche environnante et s'accumule en lentilles (échelle cm–m). c) Vues microscopiques de la cristallisation initiale rapide suivie de la dissolution et de la cristallisation du plagioclase (gris), de l'olivine (vert) et de l'orthopyroxène (vert foncé) pendant un refroidissement rapide. Au fur et à mesure que la température du magma se rapproche de la température de l'environnement, la vitesse de refroidissement ralentit. Les grains subissent un recuit pendant un refroidissement subsolidus prolongé. Document W.S. Nelson et al. (2021).

Il n'y a plus qu'à espérer que les futures missions habitées vers la Lune du programme Artémis de la NASA ramèneront de nouveaux échantillons de roches afin que les sélénologues puissent améliorer leurs connaissances sur l'évolution de la Lune.

De l'apatite minérale aquifère dans la météorite lunaire AP007

En analysant la météorite lunaire AP007 (Arabian Peninsula 007) découverte en Arabie en 2015, la cosmochimiste Tara Hayden alors à l'Open University de Milton Keynes et ses collègues identifièrent pour la première fois de l'apatite minérale aquifère, le phosphate le plus commun, de formule générique Ca5(PO4)3X avec X = Cl, F ou OH. Cet échantillon provient de la croûte lunaire primitive datant de plus de 4 milliards d'années. Cette découverte apporte la preuve que la première croûte ignée de la Lune contenait plus d'eau qu'on ne le pensait initialement, ouvrant ainsi de nouvelles perspectives pour l'étude de l'évolution de la Lune. Cette découverte fit l'objet d'un article publié dans la revue "Nature Astronomy" en 2024.

Un échantillon d'une dizaine de centimètres de la météorite lunaire AP007 similaire à celui étudié par l'équipe de Tara Hayden de l'Open University. 

Selon Hayden, "Nous en savons davantage sur l'histoire de l'eau sur la Lune grâce aux échantillons d'Apollo, mais on estime que ces échantillons ne représentent qu'environ cinq pour cent de la surface totale de la Lune. Jusqu'à ce que nous récupérions davantage d'échantillons lors des prochaines missions Artemis, les seuls autres échantillons de la surface dont nous disposons sont des météorites."

Les travaux d'Hayden et ses collègues se sont principalement concentrés sur l'apatite car elle contient des éléments volatils dans sa structure minérale. L'apatite a été identifiée dans tous les types de roches lunaires, à l'exception des billes de verre (cf. A.Saal et al., 2008) et des anorthosites ferroennes. Ces dernières représentent la première croûte de la Lune et sont connues pour être très  anciennes (4.5 à 4.3 milliards d'années). Les anorthosites ferroennes sont le seul type de roche connu à s'être formé directement à partir de l'océan magmatique lunaire, à une époque où la Lune était presque entièrement en fusion. La découverte d'apatite dans ce type de roche a permis pour la première fois d'examiner directement cette étape inconnue de l'évolution de la Lune.

Selon Hayden, "La découverte pour la première fois d'apatite dans la première croûte de la Lune est incroyablement excitante car nous pouvons enfin commencer à reconstituer cette étape inconnue de l'histoire lunaire. Nous avons découvert que la première croûte de la Lune était plus riche en eau que prévu, et ses isotopes stables et volatils révèlent une histoire encore plus complexe que ce que nous connaissions auparavant. Les météorites lunaires révèlent de nouvelles parties passionnantes de l'évolution de la Lune et élargissent nos connaissances au-delà des échantillons collectés lors des missions Apollo. Alors que la nouvelle étape de l’exploration lunaire commence, j’ai hâte de voir ce que nous apprendrons de la face cachée de la Lune."

Selon Mahesh Anand, professeur de sciences planétaires et d'exploration à l’Open University et superviseur principal d'Hayden, "Démêler l'histoire de l'eau dans la première croûte lunaire formée il y a environ 4.5 milliards d'années est important pour améliorer notre compréhension de l'origine de l'eau dans le système solaire. Les échantillons de roches anciennes de la Lune sous forme de météorites lunaires offrent une excellente opportunité pour entreprendre de telles investigations."

Cette découverte tombe à pic au moment où les missions Artémis de la NASA se préparent au lancement et que les chercheurs développent des programmes et des cibles pour les astronautes. Selon Hayden, "On a longtemps cru que la surface lunaire était asséchée depuis des milliers, voire des millions d'années, mais il y a peut-être plus d'eau disponible que nous le pensions à la surface de la Lune et nous devons simplement trouver un moyen de l'extraire."

Le planétologue Gordon "Oz" Osinski du Département des Sciences de la Terre et qui travaille avec Hayden est également enthousiasmé par les opportunités potentielles de cette nouvelle découverte. En 2023, Osinski fut sélectionné pour faire partie de l'équipe de géologues de la NASA qui élabore le plan scientifique de la première mission d'alunissage d'Artémis. Il rejoindra ses collègues scientifiques du contrôle de mission au centre JSC de la NASA à Houston pour apporter son soutien tout au long de la mission Artémis III. Pour Osinski, "Les découvertes de Tara sont extrêmement passionnantes et alimenteront notre stratégie d'échantillonnage pour les missions d'Artémis".

Compositions inhabituelles

Comme nous l'avons expliqué, à côté des règles générales, il existe des exceptions et les experts espèrent toujours découvrir un nouveau type de roche lunaire mais la probabilité est très faible. Les échantillons analysés ayant une composition et une minéralogie inhabituelles sont rares et ne se présentent généralement que sous forme de petits clastes (< 1 gramme) dans les brèches ou dans le sol lunaire.

Selon les spécialistes de la Lune, sur la base des données acquises à distance (depuis l'orbite) par les missions Clémentine et Lunar Prospector, il n'y a aucune raison de soupçonner que la surface de la Lune contiendrait des types de roches significativement différentes de celles existantes ou prédites. En effet, la plupart des processus de formation des minerais sur Terre impliquent de l'eau, et on ne s'attend pas à trouver des gisements de minerais cachés sur la Lune.

A consulter : Coupes microscopiques de brèches lunaires (Union College)

A gauche, une roche lunaire de 53 g ramenée par Apollo 12 (réf. 12017). Il s'agit d'un basalte pigeonite âgé de ~3.19 milliards d'années. Sa surface est en partie recouverte de dépressions créées par des micrométéorites et partiellement recouverte de silice. L'intérieur est constitué de basalte noir (pyroxène, ilménite, chromite et troilite) comme en témoigne la microphotographie au centre. A droite, du régolite lunaire ramené par Apollo 17 (réf. 74220) contenant des sphérules de verre volcanique ou "verre orange" de ~0.1 mm de diamètre formées suite à un impact. Il contient aussi des cristaux d'olivine (les traits et les taches sombres). Documents NASA/Apollo 12/Virtual Microscope, MNH et NASA/Apollo 17/U.Az, Digital Petrographic Slide Collection.

Gardons à l'esprit que si plus de 150 météorites lunaires ont été découvertes sur la Terre, alors en n'importe quel point de la surface lunaire il peut y avoir des roches provenant de n'importe quel autre endroit de la Lune. Pour cette raison, l'idée que la surface lunaire aurait été "mal échantillonnée" par les missions Apollo et Luna n'est pas une raison valable pour imaginer que des roches très différentes de celles déjà étudiées existeraient en des points non échantillonnés de la Lune.

Selon Randy L. Korotev, professeur émérite de planétologie et géochimiste lunaire à l'Université Washington à Saint Louis (WUSTL), dans le Missouri, "des dizaines de milliers de roches lunaires ont été étudiées depuis les missions Apollo. Il est hautement improbable qu'une nouvelle météorite lunaire diffère considérablement dans les minéraux qu'elle contient ou dans son caractère géochimique des roches lunaires d'Apollo et des météorites lunaires."

Il n'existe pas de fausses roches lunaires

Si les scientifiques ont fabriqué des simulants de régolite lunaire à des fins de recherche qui reproduisent les caractéristiques chimiques, mécaniques et minéralogiques de la poussière lunaire, il n'est pas possible de fabriquer en laboratoire de fausses roches lunaires, ceci pour rappeler aux quelques dénégateurs que les roches lunaires ramenées par les missions Apollo sont bien authentiques ! Voici la raison.

Les échantillons lunaires montrent des preuves de formation dans un environnement extrêmement sec, sans oxygène libre et avec peu de gravité. Certains présentent des cratères d'impacts à leur surface et beaucoup présentent des preuves d'une série d'effets aléatoires et complexes associés à de grands et petits impacts de météorites. De plus, les roches lunaires et le sol contiennent des gaz (hydrogène, hélium, azote, néon, argon, krypton et xénon) dérivés du vent solaire avec des rapports isotopiques différents de ceux induits par les gaz terrestres. Les roches lunaires contiennent aussi des défauts cristallins causés par les rayons cosmiques. Enfin, les roches ignées lunaires ont des âges de cristallisation (déterminés par des techniques radioisotopiques) qui sont plus anciens que toutes les roches terrestres connues.

Bref, il est plus facile et moins coûteux d'aller sur la Lune et de ramener des roches que de tenter de reproduire toutes ces caractéristiques particulières et fascinantes en laboratoire !

Pour plus d'informations

La Lune (sur ce site)

Les météorites lunaires (sur ce site)

La datation des météorites (sur ce site)

ANSMET, The Antarctic Search for Meteorites

Lunar Sample Atlas, LPI/USRA

Lunar meteorite Compendium, NASA

Dating Rocks and Fossils Using Geologic Methods, D.J. Peppe et al., 2013

Explore Moon rocks collected from the first Moon landing, Open University

Apollo 15 moon Rocks, Virtual Microscope

Lunar Regolith Breccias and Fragmental Breccias, WUSTL.

Retour sur la Lune

Retour aux Histoires d'impacts


Back to:

HOME

Copyright & FAQ