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Dénialisme : ce qui pousse les gens à rejeter la vérité Introduction (I) "Le monde est hébété de folie générale : chacun est toujours prêt à avaler d'un coup tout ce que dit un fou. Le monde est ainsi fait qu'il aime être trompé." Sebastian Brant, La Nef des Fous, 1494. Le dénialisme est un terme issu de la psychologie comportementale. Il désigne le comportement consistant à rejeter les faits et les concepts soutenus par un large consensus de scientifiques au profit d'idées radicales et controversées. Les théories du complot sont l'exemple emblématique. La dénégation est une façon de penser que le psychanalyste autrichien Sigmund Freud (1856-1939) a décrit dès 1925 dans son bref article sur la négation (Die Verneinung). En résumé, une personne qui nie une vérité fait apparaître quelque chose qu'elle refoule. Mais ce n'est pas obligatoirement un imbécile ni un idiot, que du contraire. En effet, à l'extrême, le dénégateur se fait passer pour une personne irrationnelle, un fou, pour tromper ceux qui cherchent à le comprendre et prédire ses actions. C'est en soi une stratégie pour déstabiliser son adversaire. Ces dernières années un certain nombre de connaissances acquises de longues dates et des domaines de la recherche ont été dans le collimateur des dénégateurs (ou dénialistes) dans le seul but de s'opposer aux conclusions scientifiques sur base de théories la plupart du temps fausses ou de faits qui ne sont même pas établis. La dénégation est également présente en politique où Donald Trump, Vladimir Poutine ou Jail Bolsonaro parmi d'autres sont passés maître. On y reviendra. Ne soyons pas surpris qu'il existe des dégénateurs dans la population mais également à tous les niveaux de pouvoir car finalement ceux qui nous dirigent sont des gens comme vous et moi, même si on s'attendrait à ce que les autorités soient exemplaires et respectent plus l'éthique et la morale que le reste de la population. En effet, chacun de nous a certainement déjà été confronté à ce comportement. Votre interlocuteur dément ce que vous dites alors que vous avez été témoin des faits. Cela se produit dès l'enfance où le jeune enfant ment à ses parents de peur d'être puni. Pour certains, cela continue à l'âge adulte, y compris lors d'interrogatoires de police ou devant le tribunal, que les faits soient anodins ou criminels. En soi, ce n'est donc pas une attitude rare mais elle est vexante ou contrarie celui qui est honnête et qui doit donc prouver ce qu'il dit. Mais la dénégation devient symptomatique et dangereuse pour la société lorsque les personnes propageant ces rumeurs s'organisent pour déstabiliser l'État ou refusent d'aider leur population (cf. les catastrophes climatiques ou la pandémie de Covid-19). Ces affirmations et ces théories apparaissent surtout en temps de crises, lors de bouleversements sociétaux et de guerres, lorsque certaines personnes perdent leurs repères et leurs certitudes et cherchent la vérité ailleurs, en dehors des courants de pensées normaux. Prenons quelques exemples. En astronomie, certaines personnes prétendent que la Terre est plate. En astronautique, d'autres prétendent que le débarquement de l'homme sur la Lune est un canular monté en studio. En biologie, les Créationnistes prétendent que le livre de la Genèse doit être pris au pied de la lettre, que le monde fut créé il y a six mille ans comme le "calcula" l'évèque Ussher au début du XVIIe siècle et que la théorie de l'évolution est une impossibilité scientifique.
En histoire, il y a quelques irréductibles négationnistes, des révisionnistes ou des nationalistes de partis extrémistes, qui nient le génocide des Juifs entre 1933 et 1945 et d'autres crimes de masse. En climatologie, les climato-sceptiques prétendent que les activités anthropiques ne sont pas à l'origine du réchauffement du climat et qu'on peut donc continuer sans risque à émettre des gaz à effet de serre dans l'atmosphère. Dans le domaine de la santé, les anti-vaccinalistes ou antivax (anti-vaxers) ont convaincu certains parents naïfs qu'ils ne doivent pas exposer leur enfant aux éventuels effets indésirables des vaccins, ce qui malheureusement favorise le retour de maladies mortelles si elles ne sont pas traitées, telles que la grippe, la rougeole ou la diphtérie parmi beaucoup d'autres (cf. les avantages de la vaccination). D'autres prétendent que le SIDA n'existe pas ou n'est pas lié au VIH et que les malades peuvent survivre sans vaccin si leur désir de vivre est plus fort que la mort (sic!) ou que la pandémie de Covid-19 est une "hystérie de masse" (cf. TWP). Les adeptes végans nient l'intérêt de la nourriture carnée pour l'équilibre de l'organisme, pour ne citer que quelques groupes d'individus rejetant les orthodoxies scientifiques et historiques. Enfin, en matière religieuse les pasteurs Evangélistes notamment prétendent qu'on peut guérir d'une maladie si on croit en Dieu ou promettent le succès financier ou professionel aux démunis s'ils se convertissent à leur Eglise. Sans parler des guerres de religion et des abus de l'Eglise où la foi rend aveugle et couvre tous les crimes. Comme on le constate, les dénialistes sont constitués d'une majorité de personnes soit mal informées soit endocrinées ou déçues voire frustrées et qui ne se reconnaissent pas dans les valeurs défendues par la société : leurs membres comprennent des dénégateurs, des anti-vaccinalistes, des scientifiques exclus par leurs pairs, des médecins licenciés ou exclus des antennes, des pseudo-scientifiques, des opposants politiques, des ecclésiastiques, des gourous, et même des amateurs (salariés, chômeurs, pensionnés), désabusés par la politique de leur gouvernement qui ont décidé de ne plus respecter l'autorité, n'ont plus aucun sens civique ou ne respectent plus aucune loi. Si généralement ces personnes se contentent de partager leurs théoriques pseudo-scientifiques sur Internet ou lors de conférences, certains dénégateurs et complotistes n'hésitent pas à passer à l'acte en défendant leurs idées par des actions violentes contre les institutions démocratiques. Le fait le plus célèbre et le plus choquant fut la marche contre le Capitole le 6 janvier 2021 instiguée par les supporters du président Donal Trump qui conduisit au décès de cinq personnes dont un policier. Ce fait démontre que les instigateurs de ce mouvement dont le président Trump et les membres de l'organisation QAnon sont des anti-sociaux et des criminels qui représentent un véritable danger pour la démocratie ! On y reviendra. A travers ces quelques exemples parfois criminels, il faut bien constater qu'une nouvelle ère de déni s'est abattue sur le monde comme un fléau surgit des temps obscurs. Comment cela se fait-il que nous n'ayons pas prêté attention à ces dérives et échoué à les comprendre ? Le point de vue du psychologue Sans nous en rendre compte, à divers degrés nous sommes tous parfois dans le déni. En effet, chaque personne vit dans une société entourée d'autres personnes avec lesquelles elle communique mais aussi envers lesquelles, parfois, elle évite de montrer ses émotions. Du commentaire évasif au langage diplomatique le plus sophistiqué, les humains excèlent à semer le doute ou à tromper leurs contemporains.
Les comportements de dénialisme ne sont pas nécessairement conscients ni malveillants. A un certain niveau, l'individu éprouve un besoin de se conformer aux normes sociales, qui incluent des comportements parfois malicieux, mais aussi des civilités superficielles, des compétitions sociales et une curiosité invasive. Ces régulations sociales et ce contrôle des comportements sont essentiels, car dans certains cas, le silence ou la rétention d'informations devient nécessaire. Cela peut résulter de l'intention de dissimuler certains faits, soit parce qu'on préfère les garder secrets, soit parce que la société s'attend à ce qu'on les ignore ou les passe sous silence. Ce phénomène est particulièrement pertinent dans des contextes tels que les secrets d'État, souvent associés à la désinformation et à la propagande, ou encore dans les secrets familiaux et personnels, où l'on préfère maintenir un certain degré d'intimité. De même que nous choisissons de ne pas évoquer certains aspects de notre personnalité ou certaines expériences embarrassantes lors d'une entrevue, nous réprimons également certaines désirs ou aspirations profondes. La plupart du temps, nous nous engageons dans cette forme de refoulement pour éviter d'affronter nos faiblesses ou nos pulsions les plus instinctives. Cependant, cette auto-tromperie peut devenir nuisible lorsqu'elle prend une forme publique : elle se manifeste alors par un déni, qui est le refus de reconnaître des réalités évidentes, des faits légaux ou des résultats scientifiquement établis. Le dénialisme constitue une extension et une exacerbation du déni. Initialement, le déni et le dénialisme sont simplement des mécanismes utilisés pour manipuler la perception des autres et de soi-même. Le déni peut se manifester par un simple refus d'accepter l'honnêteté d'autrui, et il peut être aussi inconscient que le processus de refoulement. Ce comportement, bien que difficile à comprendre pour un esprit rationnel et critique, constitue un obstacle majeur à l'acceptation des évidences. Le dénialisme, quant à lui, dépasse la simple manifestation de notre complexité interprétative. Il représente une transformation du déni en une nouvelle manière de percevoir le monde, reposant sur des constructions collectives. Contrairement au déni, qui est un phénomène individuel et souvent furtif, le dénialisme devient un mouvement social, une revendication collective qui cherche à redéfinir la vérité selon des principes alternatifs. Tandis que le déni occulte des faits établis, le dénialisme élabore une ‘nouvelle vérité', prétendant être plus conforme à la réalité. Les adeptes du dénialisme inversent ce que l'on appelle en droit la charge de la preuve, adoptant le principe illogique selon lequel "ce qui ne peut être réfuté est vrai", une position qui contredit les principes de la logique scientifique défendus par le logicien Karl Popper et les théoriciens du scepticisme scientifique.
Sur le plan psychologique, personne ne se qualifie de "dénialiste" et à moins de vouloir contredire tout et tout le monde, personne ne se reconnaît dans toutes les formes de déni. En fait, le dénialisme repose sur l'affirmation falacieuse qu'il ne s'agit pas d'une forme de déni. Comme on peut le lire dans tous les ouvrages de vulgarisation de la psychologie de Freud, personne ne veut être accusé d'être "dans le déni" et étiqueter les personnes concernées de "dénialistes" est considéré par celles-ci comme une insulte car elle implique que cette personne n'a plus toute ses facultés mentales et a fait du déni un dogme public. Une expérience révélatrice Selon une étude publiée par Louis Marti de l'Université de Californie à Berkeley et ses collègues dans la revue "Open Mind" en 2018, il se pourrait que les dénégateurs pensent avoir raison non pas a priori ou en réaction à l'opinion des autres mais pour une question de compréhension personnelle et de réaction. Pour réaliser leur étude, les chercheurs ont recruté plus de 500 adultes auxquels ils ont montré des combinaisons de 24 formes colorées. On leur demandait s'il s'agissait d'un "Daxxy", un néologisme inventé par les chercheurs pour les besoins de cette expérience. En l'absence d'indices sur les caractéristiques déterminantes d'un Daxxy, les participants ont dû deviner seuls quels objets constituaient un Daxxy et ont reçu en échange une réponse leur expliquant s'ils avaient bien ou mal deviné. Après chaque conjecture, ils ont indiqué s'ils étaient ou non certains de leur réponse. De cette manière, les chercheurs ont pu mesurer le degré de certitude par rapport à la rétroaction, c'est-à-dire aux réponses données par l'arbitre. Les résultats ont montré que la confiance des participants était largement basée sur les résultats de leurs quatre ou cinq dernières hypothèses et non sur leurs performances globales. La vidéo suivante décrit cette expérience. A
voir : Why do we stick to false beliefs? Pourquoi tenons-nous compte de fausses croyances ? Selon les résultats de leur étude, le fait d'obtenir des réactions positives ou négatives à quelque chose que les participants ont fait ou dit influe davantage leur pensée que la logique et le raisonnement. Ainsi, s'il font partie d'un groupe de personnes partageant les mêmes idées, cela renforcera leurs idées. Selon Marti, "il était intéressant d'observer que les participants pouvaient se tromper lors des 19 premières conjectures mais s'ils avaient raison lors des 5 dernières, ils étaient très confiants. Ce n'est pas le fait qu'ils ne faisaient pas attention, ils apprenaient ce qu'est un Daxxy, mais ils n'utilisaient pas la plupart des données les informant sur leur degré de certitude. Leurs dernières réactions eurent plus d'effet que des preuves tangibles. Cette attitude pourrait s'appliquer dans un sens plus large, comment par exemple apprendre quelque chose de nouveau ou essayer de différencier le bien du mal. Bien que les participants à l'étude essayaient d'identifier une forme inventée, les mêmes processus cognitifs pourraient être à l'œuvre quand il s'agit d'interpréter des informations médiatisées sur les réseaux sociaux ou sur les chaînes d'information - où les opinions sont constamment renforcés." Ce principe s'appliquerait à n'importe quelle théorie ou concept. Si vous utilisez une théorie débile pour faire une prédiction qui s'avère finalement correcte à plusieurs reprises, vous pouvez rester piégé dans cette croyance et ne plus souhaiter rassembler plus d'informations ou de nouvelles preuves pour étayer et valider votre théorie. Concrètement, si vous pensez par exemple que les vaccinations sont nuisibles, les résultats de l'étude de Marti et ses collègues montrent que les personnes se basent sur les avis les plus récents plutôt que sur des preuves probantes ou des statistiques (des données globales). C'est le même principe qui convainc certains joueurs que leur martingale pour jouer aux courses ou en bourse est infaillible jusqu'au jour où ils perdent toute leur mise. Cela s'applique également au fameux jeu Mastermind où le joueur intelligent apprend de ses erreurs mais où celui qui manque de logique échouera presque toujours. De manière générale, recevoir de bons commentaires ou constater que ce qu'on pense s'applique effectivement dans quelques cas précis encourage certains à penser qu'ils en savent plus que ce qu'ils savent réellement. En d'autres termes, plus ils ont la conviction que leur point de vue est correct, moins ils prendront en considération d'autres opinions ou même des données scientifiques rigoureuses. Selon Marti, "Si vous pensez en savoir beaucoup sur un sujet, même si ce n'est pas exact, vous serez moins curieux et moins tenté d'explorer le sujet plus en profondeur, et vous ne pourrez pas déterminer vos limites." Idéalement, selon les chercheurs, l'apprentissage devrait être basé sur des observations plus réfléchies au fil du temps - même si ce n'est pas toujours ainsi que fonctionne le cerveau. Et Marti de conclure : "Si votre objectif est d'arriver à la vérité, la stratégie consistant à utiliser vos commentaires les plus récents, plutôt que toutes les données que vous avez accumulées, n'est pas une excellente tactique." En résumé, les dénégateurs ne sont pas idiots ni des imbéciles mais ils manquent foncièrement d'expérience voire de compétence, de logique et surtout de sens critique et ne se remettent jamais en question avec toutes les dérives, excès et préjugés que cela sous-entend ! Discerner le vrai du faux Dans une étude publiée dans la revue "Nature Human Behaviour" en 2025, Jan Pfänder du Département d'Etudes Cognitives de l'ENS et Sacha Altay du Département de Science Politique de l'Université de Zurich ont effectué une méta-analyse pour déterminer dans quelle mesure les personnes sont capables de juger de la véracité des informations. L'étude a compilé 303 tailles d'effet (l'ampleur d'une différence observée, indépendamment de la taille de l'échantillon mesurée par le d de Cohen) extraites de 67 publications. Ces publications ont évalué les notes d'exactitude attribuées à 2167 informations d'actualité, analysées par 194438 participants répartis dans 40 pays sur 6 continents (dont 34% aux Etats-Unis, 54% en Europe, 6% en Asie et ~2% en Afrique). Les chercheurs ont constaté que les personnes distinguent facilement les vraies des fausses informations vérifiées (les fausses reprenant les rumeurs et les erreurs). Selon les auteurs, "Elles estimaient que les informations vraies étaient plus exactes que les fausses et ils étaient plus aptes à évaluer les fausses informations comme fausses qu'à évaluer les vraies informations comme vraies. En d'autres termes, les participants étaient capables de distinguer les informations vraies des fausses et faisaient preuve de scepticisme plutôt que de crédulité." Comme illustré ci-dessous à gauche par les courbes colorées, le discernement est plus facile à développer en renforçant l'acceptation des informations vraies (courbe mauve), mais le biais de scepticisme (la distance entre les erreurs des informations vraies et fausses) montre que les individus sont plus réticents à accepter les informations vraies, même lorsqu'elles sont vérifiées. En effet, on observe un écart plus important pour la courbe jaune (informations fausses vérifiées), où les erreurs d'évaluation sont généralement plus grandes (0.40) que celles observées pour les informations vraies vérifiées (0.36, courbe mauve). Les participants sont plus enclins à accepter les fausses informations vérifiées, ce qui montre une plus grande acceptation des informations fausses, même après correction, ce qui va à l'encontre de ce qui serait attendu si le scepticisme était équilibré. Cela se confirme dans les deux courbes noires présentées ci-dessous à droite : si les participants peuvent discerner le vrai du faux (il y a peu de valeurs autour de 0), ils se montrent un peu plus méfiants et parfois trop prudents vis-à-vis des informations vraies. En effet, le biais de scepticisme se manifeste davantage du côté négatif pour les informations vraies. Autrement dit, ils sont plus enclins à douter de leur jugement lorsqu'il s'agit d'une information vraie, et à commettre des erreurs en sous-estimant ou en rejetant ces informations vraies.
En résumé, les participants rejettaient davantage les informations vraies que les fausses vérifiées, même si les informations vraies sont correctes. Ce comportement peut être interprété comme une forme de biais cognitif où l'on doute plus des informations véridiques que des fausses, même si elles ont été vérifiées. Les chercheurs n'ont trouvé aucune preuve que la concordance politique des individus, c'est-à-dire les croyances, opinions ou affiliations politiques des participants, ait un effet sur le discernement, mais les participants étaient plus sceptiques à l'égard des informations politiquement discordantes. Ces résultats renforcent l'idée que la vérification des faits peut bénéficier d'une approche participative, c'est-à-dire impliquant un large public ou des groupes de personnes dans le processus de vérification des informations (des modérateurs par exemple). Cela suggère que pour améliorer le discernement, il est plus facile d'accroître l'acceptation des informations vraies que de réduire l'acceptation des informations fausses vérifiées. Mais cette étude ne dit rien sur l'influence des commentaires publiés sur les forums et autres réseaux sociaux où à peu près tout et son contraire peuvent se dire et où l'on sait qu'une campagne de propagande ou de matraquage de rumeurs peut changer l'opinion d'un public mal informé, notamment lors des élections. Les dangers des dénégateurs Ceci dit, il ne fait aucun doute que le déni est un comportement dangereux pour la bonne santé de la société qu'on peut rapprocher des dérives en science. Il existe des exemples concrets de dénialisme ayant provoqué un préjudice réel. Le cas récent le plus célèbre est le président Donald Trump réélu en 2025 par la moitié des Américains regroupés sous le slogan "America First". Réputé pour ses déclarations fracassantes, sans retenues, ses volte-face imprévisibles, ses "fakes news", son anti-mondialisme, son anti-scientisme, c'est le dénégateur par excellence, obscurantiste, incompétent, aussi arrogant qu'un dictateur et sans limites, couvert par la légitimé d'une élection démocratique. A peine quelques mois après son entrée à la Maison Blanche, on peut déjà dire qu'il a bousculé tous les codes de la bonne conduite, du respect, des règles démocratiques, de la protection des citoyens, des Droits de l'homme, du droit commercial, de la diplomatie et bien d'autres règles établies. En croyant travailler pour le bien des Américains, l'administration Trump est en train de détruire tout le tissu socio-économique du paysage américain, les actions scientifiques, humanitaires, les accords transatlantiques, les règles du commerce mondial, ses actions affectant surtout la population la plus pauvre au bénéfice des plus fortunés. Le second cas est celui du président russe Vladimir Poutine. En 2022, il prétendit que son pays avait été agressé par l'Ukraine pour justifier la guerre contre cet État indépendant. Mais ce genre d'imposture lui est coutumier puisque dès 1999 Poutine avait déjà prétendu que les attentats commis en Russie contre des habitations civiles avaient été commis par des indépendantistes tchéchènes - alors qu'eux-mêmes ne les ont pas revendiqués -, ce qui lui permit de justifier une guerre massive contre cette population. Pour Trump, Poutine et d'autres chefs d'États ayant le même profil, ce déni fait suite notamment aux réactions négatives de leurs actions, de l'opinion internationale ou de leur sentiment d'avoir été humilié par d'autres chefs d'États. Mentir et nier l'évidence ou diffuser de la propagande est une manière de se déresponsabiliser aux yeux de l'opinion public - en fait uniquement de la majorité de la population acquise à leur cause - mais certainement pas aux yeux de l'opinion internationale. En Afrique du Sud, l'ancien président Thabo Mbeki, en poste entre 1999 et 2008, fut influencé par les idées de dénégateurs tels que Peter Duesberg qui mettait en doute l'efficacité des médicaments antirétroviraux pour lutter contre le SIDA. La réticence de Mbeki à mettre en œuvre des programmes de traitement nationaux utilisant des antirétroviraux coûta la vie à 330000 personnes. Aux États-Unis, la communauté somalienne du Minnesota fut frappée par une épidémie de rougeole, une conséquence directe de la propagande mensongère discréditant le vaccin ROR et son lien avec l'autisme, persuadant les parents de ne pas vacciner leur enfant. Il a fallut plus de 10 ans pour que le public comprenne qu'il avait été manipulé pas un chercheur ayant truqué des résultats d'expériences. Lors de la pandémie de Covid-19 en 2020, le président Trump a d'abord minimisé la crise puis s'est cru plus intelligent que les épidémiologistes au point que la presse n'a pas manqué de lui rappeler son incompétence et son déni face à l'urgence de la situation. On peut également citer le comportement des sectes comme les Témoins de Jéhovah qui refusent toute transfusion sanguine ou des traitements médicaux pour de falacieuses raisons idéologiques et mettent ainsi la vie de leurs proches en danger mortel. En général les effets du dénialisme sont moins directs et plus insidieux. Les climato-sceptiques par exemple qui refusent d'admettre l'impact des activités humaines sur les changements climatiques (hausse des températures, hausse du niveau des mers, hausse de la fréquence des tempêtes, des inondations, des feux de forêts plus fréquents et plus violents, etc) n'ont pas réussi à renverser le consensus scientifique autour de cette question. En revanche, ils ont réussi à faire du lobby et soutiennent subtilement tous les politiciens et industriels qui s'opposent à des actions radicales pour résoudre ce problème planétaire urgent. La mise en application d'un accord mondial susceptible de favoriser la transition vers une économie post-carbone capable de ralentir la hausse des températures n'a toujours pas été signée par tous les pays. Le déni des climato-sceptiques a contribué à rendre le défi encore plus difficile. Le déni peut également créer un environnement proprice à la haine et la suspicion. Le négationnisme à propos du génocide des Juifs n'est qu'une des tentatives de renversement de faits historiques irréfutables; ils attaquent les témoins survivants de l'Holocauste et leurs descendants. Ceux qui nient l'Holocauste n'essaient pas de minimiser le dossier historique mais s'efforcent, avec plus ou moins de subtilité, de démontrer que les déportés ou leurs enfants sont des menteurs pathologiques et fondamentalement dangereux, afin de réhabiliter la réputation des Nazis. Les gouvernements qui ne reconnaissent pas le génocide arménien de 1917 représentent également une attaque et une menace contre les Arméniens d'aujourd'hui et contre toutes les minorités vivant en Turquie. Les dangers que posent les autres formes de déni peuvent être moins concrets mais leurs conséquences ne sont pas moins graves. Le fait que les Créationnistes rejètent la théorie de l'évolution par exemple n'a pas d'effet immédiat en politique. Il vise plutôt à fournir au public une autre réponse que celle de la science. Même si des concepts comme la théorie des aliens, les conspirations, la conquête de la Lune filmée en studio ou la théorie de la Terre plate sont difficiles à prendre au sérieux, ces affirmations mensongères qui ne sont soutenues par aucune preuve créent un environnement proprice au rejet de la science au profit d'idées fantasques et d'un retour des légendes urbaines allant jusqu'à l'absurde. Malgré la faiblesse des arguments de leurs défenseurs, ces théories comptent beaucoup d'adeptes. Rien que la théorie de la Terre plate née en 1956 au sein de l'organisation "Flat Earth Society" se revendiquait en 2021 de 15 millions d'adeptes aux Etats-Unis. Selon divers sondages, les "platistes" sont plus de 11 millions au Brésil et 6 millions (9%) en France ! A côté des forums et des discussions sur les réseaux sociaux, ils organisent des conférences et prêchent des croyances qui se rapprochent dangereusement de l'inconscience. En effet, certains se sont tués en lançant une fusée artisanale pour crever le dôme du ciel ! Comme le disent les psychiatres, le "platisme" est une sorte de nihilisme très très sombre, un désintérêt du monde tel qu'il est. Dans le fond, c'est une croyance qui permet aux personnes partageant la même conviction de se retrouver au sein d'une même communauté. En partie grâce aux nouvelles technologies et notamment au développement des réseaux sociaux, le dénialisme est passé de la marge des livres d'ésotérisme au centre du discours public. En effet, à mesure que le public accède de plus en plus facilement à Internet sans aucun contrôle, il peut consulter toutes sortes d'informations, qu'elle soient publiées par une institution scientifique ou un amateur marginal cherchant à faire le buzz à n'importe quel prix. Les possibilités de contrer les vérités se multiplient et la majorité des internautes - ainsi que certains journalistes - ne contrôlent jamais les sources d'informations et les prennent pour acquises et les colportent à leur tour. La profusion d'opinions les plus diverses ainsi que le chaos intellectuel qu'ils engendrent dans l'esprit des internautes les moins critiques suffisent à propager ces rumeurs et mensonges, "fake news" (fausses nouvelles et mensonges) et autre "hoaxes" (canulars), comme les appellent les Anglo-saxons. Il faut y ajouter les méthodes visant à désinformer en rendant invisible la vraie information (cf. les "Mute news" et "Shadow ban"). On reviendra sur ces sujets à propos des rumeurs et de la pseudscience en hausse sur Internet. A consulter : To The American People, 2025 Lettre ouverte de 1900 scientifiques américains pour défendre la Science Comment lutter contre les dénégateurs ? Le dénialisme représente une approche qui rejette systématiquement des faits ou des connaissances établies, créant ainsi une vision déformée et décalée de la réalité où aucune information ne peut être considérée comme fiable et où les sources d'autorité, comme les scientifiques ou les institutions gouvernementales, sont constamment mises en doute. Paradoxalement, ce scepticisme excessif conduit souvent à une croyance aveugle dans des informations fausses ou trompeuses, en particulier lorsque celles-ci sont alignées avec les convictions personnelles de l'individu. Cette dynamique de doute et de crédulité, lorsqu'elle est appliquée de manière extrême, comme cela a pu être observé chez les partisans du président Donald Trump, nourrit des croyances infondées et peut devenir corrosive pour le tissu social, en exacerbant la propagation de la désinformation et en saper la confiance dans les institutions démocratiques et scientifiques. Le dénialisme suscite la colère et l'indignation, en particulier chez ceux qui sont directement interpellés. Si vous êtes un survivant de l'Holocauste, un historien, un climatologue, un îlien dont l'habitation a été submergée, un géologue, un évolutionniste, un virologue ou un enfant qui contracte une maladie faute d'avoir été vacciné, le déni se ressent comme une agression personnelle de vos compétences, de vos croyances fondamentales voire même une atteinte à votre vie. Bien entendu les victimes concernées vont se battre pour faire éclater la vérité. Heureusement aujourd'hui en Europe les négationnistes sont considérés comme des criminels et jugés comme tels. De même, les tentatives d'enseigner le Créationnisme a largement été combattu dans les écoles américaines. Les dénégateurs sont exclus des revues scientifiques et des conférences universitaires et la plupart des pays les ignorent (à l'exception de la Russie et la Chine où on trouve encore des études pseudoscientifiques). La réponse la plus commune qu'on oppose aux dénégateurs consiste à les démystifier, ce que les Anglo-saxons appellent le "debunking". Tout comme les dénégateurs publient un nombre croissant de livres, d'articles, de pages Internet, de vidéos et organisent des conférences, leurs détracteurs ou démystificateurs réagissent avec une abondante littérature ciblée. Les affirmations des dénégateurs sont réfutées point par point, dans une course en spirale dans laquelle aucun argument - même le plus ridicule - n'est oublié. Certains détracteurs sont patients et civilisés, d'autres préfèrent considérer les dénégateurs comme une espèce d'imbéciles pseudo-intellectuels envers lesquels ils expriment toute leur colère et leur mépris. Mais montrer ses émotions et avoir des réactions épidermiques ne peuvent évidemment que faire plaisir aux dénégateurs. Mieux vaut donc les traiter simplement sans éclat comme on s'adresserait à des ignorants. Certains ne pourront s'empêcher de ponctuer leur commentaire d'une pointe d'humour sarcastique, mais c'est déjà leur faire trop d'honneur. Parmi les détracteurs ou "debunkers" célèbres, citons bien entendu le staff de la NASA qui s'efforce de défendre le programme lunaire, de démentir certaines observations d'OVNI en orbite autour de la Terre ou la présence d'objets soi-disant artificiels sur la Lune ou Mars, Richard Dawkins qui défend la théorie de l'évolution, Richard Evans qui milite pour préserver la mémoire de l'Holocauste ou James Oberg qui descend en flamme la plupart des ufologues et adeptes de la théorie des aliens qui confondent les bolides avec des vaisseaux spatiaux extraterrestres ou voient dans la moindre statue anthropomorphe un peu bizarre la représentation d'un extraterrestre ! Finalement, pour un scientifique ou un intellectuel, il est très facile de contredire un dénégateur, et certains s'y défoulent ! Pourtant, aucune de ces stratégies ne fonctionne totalement. Dans le cas des propos diffamatoires tenus par le négationniste David Irving, il n'a pas hésité à porter plainte contre l'historienne Deborah Lipstadt en 1996 qui avec son éditeur l'avaient traité de négationniste de l'Holocauste et un falsificateur de l'histoire, des affirmations que récusait Irving. Bien que vivant dans un pays prônant la liberté d'expression et que les faits étaient de notoriété publique et historiquement prouvés, Lipstadt fut obligée de se défendre en apportant les preuves au tribunal. Mais l'argumentation d'Irving fut démolie par Richard Evans et d'autres éminents historiens. Le jugement eut un effet dévastateur sur la réputation d'Irving et a clairement dénoncé sa prétention d'être un historien légitime. Le juge condamna Irving, il fut répudié par les historiens traditionnels et fut emprisonné en Autriche en 2006 pour déni de l'Holocauste. Mais l'histoire ne s'est pas arrêtée là. Aujourd'hui Irving continue d'écrire et de donner des conférences sur les mêmes sujets, bien que de manière plus secrète. Il fait toujours des déclarations similaires et ses défenseurs le considèrent comme une figure héroïque qui a survécu aux tentatives de l'établishment dirigé par les Juifs de le réduire au silence. Bref, rien n'a vraiment changé. Le négationnisme est toujours vivant et ses partisans trouvent de nouveaux adeptes. En termes juridiques et académiques, Lipstadt connut une victoire absolue, mais sur le long terme elle échoua à faire disparaître le négationnisme ou même à taire Irving. Pire, si cette affaire servit de leçons aux négationnistes qui seront dorénavant beaucoup plus discrets, cela n'a pas empêché le développement des groupes radicaux pro-nazis et la montée de la xénophobie en Europe et ailleurs. A lire : 17 times Donald Trump said one thing and then denied it, Politifact Il y a heureusement une leçon salutaire : dans les sociétés démocratiques en tout cas, le dénialisme ne peut pas être combattu légalement, on ne peut rien publier sur le sujet ni par le biais de la démystification ou par des tentatives de discréditer ses partisans. Pourquoi ? Parce que dans l'esprit des démystificateurs, reconnaître l'existence du dénialisme serait un triomphe en soi qu'on ne peut pas leur accorder. Au cœur du dénialisme se trouve l'argument selon lequel la vérité a été effacée par ses ennemis. Continuer à exister serait donc un acte héroïque, une victoire pour les dénégateurs défendant leur pseudo-vérité. Bien sûr, les négationnistes veulent une victoire totale, à savoir que les théories scientifiques et l'Histoire tels qu'on les enseigne soient marginalisés dans les milieux universitaires et politiques. À défaut, la victoire du déni le plus modeste ressemble à un triomphe même sans victoire totale. Chaque jour où le sujet est évoqué est un bon jour comme chaque jour où un parent ne fait pas vacciner son enfant est une bonne journée. Mais ce n'est pas avec ce genre de mentalité que notre société évoluera dans le bon sens ! Inversement, ceux qui s'opposent au dénégateurs ont rarement le temps ou l'envie d'argumenter sur ces "foutaises" que certains considèrent comme une perte de temps qu'ils peuvent consacrer à des activités plus utiles. Alors que le changement climatique se trouve aujourd'hui à un point de non-retour, que les survivants de l'Holocauste sont presque tous décédés et ne peuvent plus témoigner, que les maladies virales se trransforment en pandémies, les démystificateurs se font plus rares alors que leur tâche est urgente et tous les jours plus difficile. De plus, la panique s'installe chez les gens sains d'esprit et la colère monte chez ceux qui luttent contre les dénégateurs. Aspects psychologiques du dénégateur Une approche plus efficace du déni est l'autocritique. La question est de se demander pourquoi le système éducatif a échoué à développer le sens critique et le discernement des étudiants ? Pourquoi les scientifiques et les démystificateurs ne parviennent-ils pas à arrêter la progression des dénégateurs ? Ces questions sont souvent le résultat d'une sorte d'abandon et de désespoir. Les militants luttant contre le réchauffement du climat déplorent qu'à mesure que la tâche devient plus urgente, les climato-sceptiques deviennent plus nombreux (même si les formes varient entre l'opposition active et le support passif). Mais peu importe le sujet, car il semble que rien ne fonctionne pour faire entendre raison aux dénégateurs ou plus généralement aux personnes dans le déni, comme si elles étaient endocrinées ou incapables de reconnaître qu'elles ont été trompées et se sont fourvoyées en croyant des pseudo-vérités sans trop réfléchir. On peut assimuler ce comportement à un trouble mental ou un trouble du comportement car les patients souffrant de ces maladies présentent exactement les mêmes symptômes ou réactions mais pour des raisons différentes. L'obstination avec laquelle certaines personnes réfutent des notions validées est attestée en sciences sociales et en neurosciences. Les êtres humains sont dotés de raison qui leur permet d'argumenter sur base de preuves et d'arguments. Mais il y a une différence entre la recherche pré-conscience de la confirmation d'une idée existante - ce vers quoi nous tendons tous dans une certaine mesure - et la tentative délibérée de rechercher la vérité ultime, comme le font les dénégateurs. Le dénégateur ajoute des "couches de protections" supplémentaires afin de renforcer et défendre son opinion dans le but inavoué mais bien connu des psychologues d'éviter toute exposition. Ce comportement défensif rend certainement tout changement de mentalités plus difficile du chef des dénégateurs qu'un changement de point de vue du reste de l'humanité la plus obstinée. Il existe plusieurs types de dénégateurs : entre le sceptique passif et le dénégateur contribuant à développer une école d'érudits en passant par celui qui doute de son scepticisme. Mais tous ont en commun un type particulier de désir : celui d'éprouver du plaisir à supporter une théorie fausse. L'empathie chez les dénégateurs est une émotion essentielle. Le dénégateur n'est pas idiot ou ignorant et généralement ce n'est pas un cas pathologique relevant de la psychiatrie. Sa réaction n'est pas non plus une forme de mensonge. Bien entendu, les dénégateurs peuvent être des idiots patentés ou des imbéciles sans aucune culture, mais il en va de même pour toute la population. Les dénégateurs se différencient de la moyenne de la population par le fait qu'ils vivent une situation désespérée. En effet, le dénialisme est un phénomène réactionnaire moderne apparut suite aux nombreuses découvertes scientifiques. La théorie de l'évolution par exemple ne convient pas à ceux qui prennent le récit biblique au pied de la lettre. Cette vérité scientifique contredit leur croyance qui généralement leur fut inculquée dès la prime enfance telle un endocrinement. Parvenues à l'âge adulte et peu importe leur niveau d'éducation, malgré des preuves formelles ces personnes refuseront de reconnaître leur erreur, ce qui serait dans leur esprit un signe de faiblesse et de manque d'esprit critique, ce qu'ils refusent d'admettre évidemment puisqu'ils sont dans le déni. Le dénégateur réagit aussi suite au consensus moral qui émergea depuis que le sens critique et l'éthique ont prouvé leur efficacité pour départager deux idées. Dans le monde Antique ou au Moyen-Âge, il était possible de glorifier un génocide pour l'honneur d'une cité ou d'un empereur. Dans le monde moderne, les massacres, les famines, les catastrophes naturelles et autres pandémies ne peuvent plus être légitimés publiquement. Pourtant, une bonne partie de la population veut continuer à pratiquer ce que ses semblables ont toujours fait : assouvir ses désirs. Nous volons, calomnions, détruisons, spolions, assassinons avec parfois le support de l'État, notamment dans les dictatures. Dans ces conditions, les personnes concernées refusent de voir la réalité en face afin de soi-disant préserver leur ignorance et leur foi indiscutable (en réalité, certaines connaissent la situation réelle mais refusent d'y croire). Donc, si elles ne sont pas autorisées à se comporter ainsi dans le monde moderne, elles sont forcées de mentir et de prétendre que le reste du monde ne veut pas ce qu'elles désirent. Mais dans ce contexte, le déni ne suffit pas. Comme une tentative désespérée de détourner l'attention vers quelque chose d'inhabituel, le déni est toujours vulnérable au moindre défi. Le déni est à l'image d'un sophiste croyant en ses illusions dont l'argumentation peut être réfutée par de simples arguments mettant en évidence l'incohérence du discours et le manque de preuves.
Le dénialisme est en partie une réponse à la vulnérabilité du déni. Être dans le déni, c'est savoir jusqu'à un certain point. Être un dénégateur de la presse par exemple, c'est ne jamais parvenir à tout savoir sur un sujet et même souvent à se méprendre sur son propre savoir. Le déni est une tentative temporaire d'éviter d'affronter le défi et la reconnaissance publique. C'est suggérer qu'il n'y a rien à reconnaître. Alors que le déni est au moins soumis à la possibilité d'une confrontation avec la réalité, le dénialisme est rarement compromis face à la vérité, d'où le faux sentiment de certitude qu'il confère à ses partisans. La tragédie pour les dénégateurs est qu'ils approuvent a priori des arguments falacieux sans aucune analyse et esprit critique. Les négationnistes qui ont tenté de nier l'Holocauste ont cru pouvoir sensibiliser le public en prétendant que si ce génocide avait eu lieu, la population s'y serait opposée. Le point de vue des climato-sceptiques repose sur une reconnaissance implicite similaire : si un changement climatique d'origine anthropique se produisait, nous aurions fait quelque chose pour l'éviter. Pour les Covid-sceptiques (voir page suivante), la Covid-19 n'existe pas et s'ils tombent malades c'est forcément en raison d'une autre cause. Pour les sympatisants du groupe QAnon (Q pour l'omniscience par référence au personnage de "Q" Star Trek et "Anon" pour anonyme), le monde et donc la politique est régi par des secrets, d'où l'émergence des théories complotistes et autres conspirations. Pour ces dénégateurs et autres complotistes, tout ce qu'on ne peut pas prouver... est donc vrai ! Mais ce qu'une partie des gens ne s'avouent pas ou ne savent pas c'est qu'ils sont eux-mêmes consciemment ou inconsciemment manipulés par d'autres sympatisants ! Le travail du dénégateur n'est donc pas seulement difficile - celui de trouver les moyens de discréditer des tonnes de preuves scientifiques est un travail de longue haleine - mais également de refouler ou supprimer l'expression de ses propres désirs. Les dénégateurs sont piégés dans des modes de raisonnements archaïques car ils ont peu d'options pour atteindre leurs objectifs. Le dénialisme et les techniques associées font souvent référence à une "guerre contre la science". C'est un malentendu compréhensible mais profond. Certes, le déni et les autres formes de pseudo-érudition ne suivent pas les méthodologies scientifiques classiques. Le négationnisme représente une perversion de la méthode scientifique et la pseudoscience qu'elle produit repose sur des hypothèses erronées. Le dénialisme vise à remplacer un type de science par un autre mais il n'est pas possible de remplacer la Science elle-même. En fait, le déni est un hommage au prestige de la Science et de l'érudition typique du monde moderne. Face au succès de la Science, les dénégateurs ne peuvent être que désespérés car leur combat est perdu d'avance.
Bien que le déni ressemble à une attaque post-moderne contre la vérité, le dénégateur est investi des notions d'objectivité scientifique comme n'importe quel positiviste amateur. Même ceux qui supportent des théories alternatives à la science occidentale peuvent exploiter une réthorique moderne pour essayer de valider leur pseudo théorie. Par exemple, les personnes opposées aux vaccins tentent de valider leur critique de la médecine occidentale par des techniques appliquées par la même médecine occidentale. Dans ce contexte, la réthorique des dénégateurs ressemble à une guerre totale sous couvert du manteau de la Science. Mais ce n'est bien sûr qu'une apparence trompeuse cachant une enveloppe vide de sens. Le terme "science de la malbouffe" ("junk science") fut appliqué aux climato-sceptiques. En effet, la science traditionnelle peut également être dogmatique et ne pas reconnaître ses propres limites. Si par exemple l'argument du réchauffement climatique est instrumentalisé par le monde politique et devient une idéologie, alors la science risque d'affronter l'objectivité absolue; on prend le risque de passer sous silence des questions désagréables où l'idée de la vérité absolue, libre des intérêts humains, est insaisissable. Or les intérêts humains sont rarement voire jamais séparés de la manière dont nous interprétons le monde. En effet, les philosophes des sciences ont montré que les idées modernes sur la connaissance scientifique désintéressée ont tissé des liens inextricables entre la connaissance et les intérêts humains. Comme on le dit souvent, la population préfère une vérité qu'elle comprend mais fausse à la stricte vérité qui dérange et dans laquelle elle ne se retrouve pas, préférant ainsi la pseudo-connaissance facile et accessible à tous à la véritable connaissance mais complexe et inaccessible au plus grand nombre. C'est notamment ainsi que la population européenne connut les Âges Sombres au Moyen-Âge (VI-VIIIe siècles) du fait que les gens étaient endocrinés autour de dogmes religieux chimériques et qu'au XXe siècle encore l'idéologie du régime communiste a maintenu la population dans l'ignorance et la misère. Il n'est pas évident qu'il existe un moyen pour convaincre les dénégateurs qu'ils se sont trompés et se fourvoyent. Un climato-sceptique par exemple n'est pas un écologiste ou un environnementaliste; un négationniste ne va jamais commémorer l'Holocauste; un anti-vaccinaliste n'est pas un activiste du SIDA et n'a aucune idée de l'intérêt de la médecine occidentale dans la lutte contre la maladie, etc. Si les dénégateurs arrêtaient de tout nier, on ne peut pas certifier que nous aurions pour autant une base éthique commune sur laquelle nous pourrions fonder notre sagesse. Ceci dit le déni n'est pas un obstacle à la reconnaissance d'une base morale commune. En revanche, c'est un obstacle à la reconnaissance des différences morales. La fin du dénialisme est donc une perspective inquiétante car elle impliquerait directement ces différences morales. Nous devons donc commencer par nous préparer à cette éventualité, celle que le dénialisme commence à s'effondrer et pas dans le bon sens. Le discours post-dénialiste En politique, l'attitude de l'ancien président Donald Trump est un exemple typique de dénégateur très dangereux en raison de son influence. Une fois de plus, le 6 novembre 2012, Trump envoya un tweet sur le changement climatique, déclarant : "Le concept de réchauffement climatique a été créé par les Chinois pour rendre la fabrication U.S. non compétitive." À l'époque, cela ressemblait juste à un autre exemple de boutade ou plus exactement de déni après celui du changement climatique attribué à la Droite américaine. Après tout, l'administration Bush, jr avait fait le moins possible pour lutter contre le changement climatique et de nombreux Républicains de premier plan se sont battus pour réfuter les preuves scientifiques. Cette fois-ci, quelque chose d'autre se produisit : le tweet annonçait un nouveau type de discours post-dénialiste (soulignons qu'entre 2011 et 2015, Trump envoya 115 tweets réfutant le réchauffement du climat). La revendication de Trump n'était pas une revendication similaire à celle des dénégateurs du réchauffement planétaire. C'était en fait une version confuse de l'argument habituel des Républicains prétendant que les lois internationales sur le climat affaiblissaient l'économie américaine au profit de la Chine. Comme la plupart de ses discours, Trump lança ce énième tweet sans trop réfléchir. Or, ce n'est pas ainsi que fonctionne le dénialisme. Les dénégateurs travaillent généralement des décennies pour produire, souvent contre vents et marées, des simulacres d'études bien élaborées qui, pour la majorité des lecteurs, ne se distinguent pas des véritables études objectives. Ils ont affiné leur discours afin de soulever le doute sur les vérités les plus solides. Ainsi, sachant que presque personne ne va refaire les études pour vérifier leur exactitude, on est quasiment certains que si 10 études disent "blanc" et 10 études alternatives et présentées comme telles disent "noir", les études alternatives vont soulever le doute dans l'esprit des lecteurs et peut être même chez les autorités les moins critiques en charge de ce problème. Trump est un exemple de dénégateur passif de la vérité scientifique reposant sur la sécurité que procure le fait de savoir que des générations de dénégateurs ont déjà créé des doutes dans l'esprit d'un certain public, la plupart du temps très mal informé. Toutes les personnes qui apprécient Trump sont favorables au déni, ce qu'on appelle le post-dénialisme. Sachant cela, si le dénialisme est minutieusement réfléchi, le post-dénialisme devient instinctif. Alors que le dénialisme est structuré et discipliné, le post-dénialisme est anarchique. Internet joue un rôle important dans le lacher-prise de l'autodiscipline des dénégateurs. L'absence de modération dans les médias en ligne repousse le déni jusqu'à ce qu'il commence à s'effondrer. La nouvelle génération de dénégateurs ne crée pas de nouvelles alternatives aux orthodoxies, mais elle élimine l'idée même d'orthodoxie. Le travail collectif et institutionnel de construction d'un rempart contre le consensus scientifique cède la place à une sorte de libre-parcours accessible à tous. Un exemple de cette attitude est le "9/11 Truth Movement" (mouvement sur la vérité du 11 septembre 2011) ou le "Reopen911". Étant donné que les attaques eurent lieu dans un pays très connecté, le dénialisme n'a jamais abouti à une institutionnalisation et à une orthodoxie comme le firent les dénégateurs avant l'invention d'Internet. Ceux qui croient que "l'histoire officielle" des attentats du 11 septembre 2011 était un mensonge d'État peuvent également croire n'importe quel autre bobard. Notamment, que le gouvernement américain avait anticipé les attaques mais laissa faire, que les Juifs ou le Mossad étaient derrière ces attentats, que des forces occultes du "Nouvel Ordre Mondial" étaient derrière ces attentats ou un cocktail de toutes ces hypothèses évidemment jamais confirmées. Ils peuvent aussi croire que les tours jumelles furent détruites par des démolitions contrôlées et qu'aucun avion n'a percuté les tours, qu'il n'y avait pas de plancher dans les tours ou qu'il n'y avait pas de passagers dans les avions. Bref, ils peuvent inventer des histoires farfelues, il y aura toujours quelqu'un pour y croire ! Le post-dénialisme permet de libérer des désirs réprimés et conduit au dénialisme. Bien qu'elle repose toujours sur le déni d'une vérité établie, ses méthodes visent un désir plus profond : reconstruire la vérité elle-même, refaire le monde, libérer le pouvoir de réorganisation de la réalité en estampillant leur marque sur la planète. Ce qui compte dans le post-dénialisme ce n'est pas tant de créer une alternative scientifique crédible que de se donner l'autorisation générale de voir le monde comme bon leur semble. Si le post-dénialisme n'a pas encore de remplaçant, certains de ses praticiens remettent en question leur style à une époque post-moderne. C'est particulièrement évident auprès des groupes raciste d'Extrême droite où la domination du négationnisme commence à s'éroder. Le dénialiste Mark Weber, directeur de l'Institut de Revue Historique (Institute for Historical Review) conclut dans un article publié en 2009 que certains négateurs de l'Holocauste se sont même rétractés, exprimant leur frustration à l'égard du mouvement et reconnaissant que nombre de ses affirmations sont tout simplement acceptables, comme le fit en 2016 Eric Hunt, auparavant producteur de vidéos en ligne niant l'Holocauste. Toutefois, ces reconnaissances ne signifient pas que l'antisémitisme recule. Weber traite les échecs du négationnisme comme la conséquence du pouvoir néfaste des Juifs : il reconnaît qu'un million de Juifs sont morts pendant la Seconde guerre mondiale mais il ne reconnaît pas que les Juifs furent exterminés dans les chambres à gaz à Auschwitz. Ceux qui étaient auparavant "forcés" de nier l'Holocauste se rendent compte qu'il serait possible de célébrer publiquement le génocide pour une fois de plus se délecter du meilleur de l'antisémitisme. L'examen minutieux des mouvements d'Extrême droite entre 2017 et 2018 permit de découvrir des déclarations qui ne furent jamais publiées ou uniquement connues à huis-clos. En août 2017 par exemple, un dirigeant du KKK déclara à un journaliste : "Nous avons tué 6 millions de Juifs la dernière fois. Onze millions d'immigrés ne sont rien." Un article publié par le "Daily Stormer" avant le rassemblement des nationalistes blancs à Charlottesville le même mois s'est terminé ainsi : "Prochain arrêt : Charlottesville, VA. Dernier arrêt : Auschwitz." Le "Daily Stormer" compte parmi ces publications en ligne de l'Extrême droite renaissante misant sur une agile exubérance pour concilier le dénialisme, le post-dénialisme et la haine ouverte des étrangers, utilisant l'humour pour voguer d'un concept à l'autre. Mais il n'y a aucun doute sur la destination finale de ce webzine. Andrew Anglin qui dirige ce webzine propose à ses contributeurs un guide de style : "Les non-endoctrinés ne doivent pas être capables de dire si nous plaisantons ou pas. Il faut également prendre conscience des moqueries des stéréotypes racistes haineux. Je pense généralement à cela comme à un humour auto-dévalorisant - je suis un raciste qui se moque des stéréotypes de racistes, parce que je ne me prends pas au sérieux. C'est évidemment un stratagème et en fait je veux des chambres à gaz." A lire : Psychologie des personnes réfractaires aux mesures anti-Covid-19
Tous les dénégateurs ne peuvent pas assouvir leurs désirs. Dans certains domaines, la volonté de réprimer le désir reste forte. Nous ne sommes heureusement pas encore au stade où un négociateur du GIEC pourrait déclarer : "Les îles basses du Pacifique seront submergées, des millions de personnes souffriront du changement climatique d'origine anthropique, mais nous devons préserver notre mode de vie basé sur le carbone, quel qu'en soit le prix." Les anti-vaccinalistes ne sont pas prêts à affirmer que même si les vaccins ne provoquent pas l'autisme, la mort des enfants suite à des maladies que l'on pourrait éviter est un mal nécessaire si nous voulons nous libérer des griffes de "Big Pharma" ! Cependant, il est probable que les dénégateurs traditionnels seront de plus en plus influencés par le milieu post-dénialiste émergeant. Après tout, quelle société pétrolière financée par l'industrie du pétrole ne travaille pas sur l'élaboration d'un document politique suggérant que les populations d'ours blancs ne déclinent pas sans avoir recours à des mensonges à la Trump ? Les croyances illusoires Dans une étude publiée dans l'"European Journal of Social Psychology" en 2017, le psychologue Jan-Willem van Prooijen, de l'Université Libre d'Amsterdam et ses collègues ont testé l'hypothèse selon laquelle la croyance dans les théories du complot et les phénomènes surnaturels pourrait être liée à la tendance de percevoir des modèles illusoires ou des liens fallacieux entre des évènements sans rapport.
Les chercheurs ont analysé les choix et décisions de cinq groupes mixtes comprenant entre 223 et 455 adultes américains, dans cinq cas différents : les tirages au sort aléatoires, les manipulations des tirages au sort, les structures soi-disant cachées dans les oeuvres d'art abstraites, l'interprétation des mesures et la manipulation de la croyance en une théorie du complot spécifique. Dans les cinq expériences qui duraient chacune 15 à 20 minutes, en fonction des informations qu'ils recevaient avant le test, les participants devaient déterminer soit s'il s'agissait ou non d'une théorie complotiste, d'une croyance ou d'un fait réel soit si le résultat était ou non truqué. Ils confirmaient ainsi s'ils étaient enclins à croire des théoriques pseudoscientifiques ou s'ils étaient plus critiques et sceptiques et dans quel contexte (dans la vie en général, en regardant une peinture, dans les jeux aléatoires, etc). En résumé, les chercheurs confirment des études antérieures concluant que les théories du complot et les croyances surnaturelles sont répandues parmi la population d'adultes normaux et sains d'esprit. Mais pourquoi ces croyances irrationnelles sont-elles si répandues ? Les psychologues ont abordé cette question en se concentrant sur les processus cognitifs sous-jacents aux croyances irrationnelles. Ils concluent que "les gens ont besoin de détecter les modèles existants afin de bien fonctionner dans leur environnement physique et social ; cependant, ce processus les amène également à détecter parfois des modèles dans des stimuli chaotiques ou générés de manière aléatoire." Autrement dit, certaines personnes ont besoin de s'inventer ou de croire dans des théories et des explications sans fondement pour se sentir plus à l'aise face à quelque chose qu'elles ne comprennent pas ou ne maîtrisent pas. Elles établissent des corrélations illusoires afin de confirmer leur croyance ou pour se rapprocher d'autres personnes partageant cette idée; on parle alors de croyances collectives (cf. L. et J. Chapman, 1967; D.Hamilton et al., 1989; M.Berndse, 1996). Un exemple très connu est celui des personnes croyant en l'astrologie : elles reconnaissent des traits typiques de leur personnalité dans leur signe astrologique. Alors que le rôle de la perception des modèles illusoires a souvent été suggéré comme un processus central sous-jacent aux croyances irrationnelles, les preuves réelles de cette affirmation étaient jusqu'à présent insatisfaisantes. Dans leur étude, Van Prooijen et ses collègues ont découvert des preuves empiriques du rôle de la perception des modèles illusoires dans les croyances irrationnelles. Ils concluent que "la perception des schémas illusoires est un mécanisme cognitif central qui explique les théories du complot et les croyances surnaturelles." Mais comme évoqué plus haut, certains complotistes et dénégateurs, souvent mal informés et trop naïfs, ne se rendent pas compte qu'ils sont souvent eux-mêmes manipulés par certains médias et notamment par la désinformation, les rumeurs et autres "fake news" propagées sur les réseaux sociaux. Cette stratégie orchestrée par des groupes de pression et des minorités est particulière active lors de certaines élections comme ce fut le cas lors de l'élection de Trump en 2016 (cf. le rapport Mueller), celle avortée de Georgescu en Roumanie en 2024 ou durant la pandémie de Covid-19. Dernière partie |