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La théorie de Gaïa

Document Andrew Moir/Photo.net

La suite du programme (III)

A l'époque où Lovelock créa son modèle Daisyworld à une seule dimension, il ignorait la biologie des populations et le fait que si ce type de modèle contenait plus de deux espèces en compétition simultanée, le système était presque invariablement instable.

Ce problème sera résolu en introduisant une dépendance spatiale dans le modèle. Les températures locales T1, T2 et les albedos A1, A2 peuvent être remplacés par des champs à deux dimensions T(x,y) et A(x,y).

De cette manière l'évolution temporelle et spatiale de la température est déterminée par des équations différentielles partielles basées sur un modèle d'équilibre énergétique[5], l'évolution de l'albedo étant directement relié à la végétation et modélisé par l'approche de l'automaton cellulaire. Ainsi ce modèle bi ou tridimensionnel peut s'appliquer à quantités de problèmes, de la formation de calcite dans les marais microbiens à la fragmentation des habitats.

Lovelock élabora ensuite un nouveau modèle contenant entre 3 et 20 espèces de pâquerettes de couleurs différentes vivant en compétition pour conquérir l'espace de leur planète, régulant inconsciemment leur monde comme elles l'avaient fait jusqu'ici. Ces modèles informatiques comprennent des pâquerettes grises dont la couleur est identique à celle de la surface dénudée de la planète hôte.

L'automaton cellulaire : l'état d'une cellule un instant plus tard dépend uniquement de l'état de la cellule même et de celui de ses voisines. Programmé par Werner von Bloh du PIK sur un ordinateur parallèle RS/6000P d'IBM ce programme tire profit d'une bibliothèque GeoPar fondée sur le paradigme message-passing. Consulter ce site pour en savoir plus.

Lovelock modélisa ensuite la régulation de la température de surface en prenant 10 espèces de pâquerettes vivant en compétition. Il est aussi stable que le modèle contenant deux espèces de fleurs mais il offre l'avantage de pouvoir contrôler la température avec plus de précision.

En incorporant l'environnement physique dans ce modèle, une variable que les théoriciens en écologie n'avaient jamais utilisée jusqu'à présent, l'instabilité inhérente qui ressortait des modèles écologiques multi-espèces s'évanouit. Dès lors on pouvait ajouter des lapins ou d'autres herbivores pour couper les pâquerettes et même des renards, pour tuer les lapins, sans éprouver la stabilité du système.

Ainsi de manière beaucoup plus indépendante que dans la première version, nous avons trouvé pour la première fois une justification théorique à la diversité. La diversité est la plus vaste lorsque la régulation de la température est la plus efficace, et la plus faible lorsque le système subit un stress : au moment où la croissance débute ou lorsque les pâquerettes souffrent de la chaleur et dépérissent.

Ces modèles multi-dimensionnels montrent quelques effets remarquables :

- Les interactions locales entre les espèces en compétition conduit à des effets globaux : sous des perturbations extérieures un comportement régulateur de la température globale s'auto-organise

- Le système subit une transition de phase de premier ordre : lorsque le régime entretenu est stressé, une brisure irréversible se produit immédiatement

- En morcelant les régions (par exemple en fragmentant les comportements régulateurs) le régime se brise également.

L'effet de la fragmentation

Le schéma supérieur présente la dépendance de la température moyenne globale en fonction du paramètre de fragmentation p pour différents taux de mortalité des herbivores. En dessous, la dépendance de la concentration des herbivores en fonction de p pour le même taux de mortalité. Documents Werner von Bloh/PIK-Postdam.

Bien sûr Daisyworld ou ses variantes est un modèle et pas une recette pour mettre une planète sous air conditionné ! Mais il s'agit d'un modèle général qui ne se limite pas aux pâquerettes et au climat ainsi que nous allons le découvrir.

Depuis sa première expérience en 1982, Lovelock a créé des modèles s'attachant aux époques primitives de la Terre, l'Archéen et le Protérozoïque du Précambrien, en programmant des micro-organismes capables de réguler simultanément la composition de l'atmosphère et le climat.

Daisyworld fournit un outil puissant qui offre une explication plausible de la manière dont Gaïa fonctionne et des raisons pour lesquelles toute prédestination ou planification est inutile pour équilibrer la biosphère. Mais quelque part l'explication demeure virtuelle, s'attachant à un monde simpliste, simplement connecté et ne subissant pas l'influence anthropogénique (la colonisation humaine et ses inévitables infrastructures) qui finit toujours par morceller le paysage en différentes concentrations d'espèces ou de zones infertiles.

Au-delà de Daisyworld

Coccolithophores. Doc NASA/SEAWIFS.

Si le modèle de Daisyworld est décidemment trop simple, on peut se demander s'il existe vraiment sur Terre des mécanismes de rétroactions à la Gaïa ?

Lovelock considère qu'il en existe quelques-uns. Il prend pour exemple la production de sulfite de diméthyle (SDM) par les algues Coccolithophores (phytoplancton) dans les océans. Ces algues sont un des multiples maillons du grand cycle du carbone.

Des études américaines menées en 1996 dans l'Atlantique nord ont démontré que le SDM produit par ses algues s'oxydait dans l'atmosphère en produisant du sulphate et des particules qui devenaient les noyaux de condensation des nuages. Ces derniers augmentaient la couverture nuageuse des régions situées au-dessus des océans où se développait ce phytoplancton, une manière soi-disant pour ces organismes de contrôler la température superficielle de la mer et de favoriser leur développement. D'une certaine manière ces colonies se créent une ombrelle à l'ombre de laquelle elles se développent et, étant à la base de la chaîne alimentaire, leur évolution implique de profondes modifications sur l'ensemble de la Terre[6].

On peut également citer l'évolution concurrente de différentes espèces de poissons vivant dans des lacs ou du gibier parqué dans des réserves, autant d'exemples où le système finit par trouver un régime d'équilibre en fonction des populations respectives, de l'espace disponible, des conditions climatiques et de la disponibilité de la nourriture. Dans tous les cas l'équilibre est assuré par des boucles de rétroactions assurant la survie des espèces. Mais dans certaines circonstances, la vie peut malgré tout disparaître suite à un changement climatique ou la présence de nouveaux prédateurs; le système est alors stable mais il est mort.

Suite aux travaux de Lovelock les chercheurs se rendirent compte que les systèmes de rétroactions jouaient un rôle fondamental dans la théorie des systèmes ainsi qu'en cybernétique (Ashby, 1956; Riggs, 1970). Dans ce sens le modèle de Daisyworld consiste en un système élégamment simple de mécanisme de rétroactions qui, jusqu'alors, n'avait jamais été reconnu (Saunders et al., 1998).

Le modèle Daisyworld fournit également un cadre pour explorer l'effet de la complexité et des interactions écologiques sur la stabilité des systèmes (Hardin, 1999, Harding et Lovelock, 1996). Il apparaît aujourd'hui que ces types de rétroactions sont par exemple présentes dans la physiologie humaine tel le contrôle hormonal ou le taux de glucose sanguin (Koeslag et al., 1997). Les modèles écologiques multi-espèces sont remarquablement stables par contraste avec les modèles conventionnels de communautés écologiques qui ignoraient le couplage entre la vie et son environnement. Ceci a déjà fournit d'importants résultats, en particulier dans la relation qui existe entre l'alimentation et la stabilité du système lorsque il y a couplage avec l'environnement. Les effets de la compétition inter-spécifique (Cohen et Rich, 1999) avec l'inclusion de différents modèles de populations (Maddock, 1991) ont également été explorés.

Evidemment Daisyworld a également permis d'étudier les mécanismes régulant le climat sur la Terre et le rôle de la vie dans ce processus (Watson, 1999; Lenton, 1998; Lenton et Betts, 1998, Henderson-Sellers et McGuffie, 1997). Cela a conduit à une nouvelle approche des modèles climatiques, ainsi qu'à la notion de Terre comme système. La "science du système terrestre" a ainsi vu le jour comme nouvelle discipline s'alliant au passage de nouveaux modèles informatiques pour essayer de comprendre et de prédire le comportement des mécanismes de rétroactions dans ce domaine.

L'analyse du système terrestre pris dans sa globalité a permis de mettre l'être humain en équations et d'offrir une méthodologie pour les actions futures (Shellnhuber, 1999; Schellnhuber et Wenzel, 1998). Daisyworld a inspiré le modèle dynamique de végétation TRIFFID inventé par Cox en 1998 qui fait aujourd'hui partie intégrante du modèle climatique anglais du Centre de la Terre de Hadley qui étudie également le cycle du carbone.

Pétales mécaniques

Enfin, les grands organismes de télécommunications tels que la British Telecom sont intéressés par Daisyworld car ce modèle leur permettrait de réguler les requêtes Internet.

Celles-ci en effet ont démontré qu'elles contenaient une séquence (pattern) déterministe au cours du temps (Roadknight et al., 1999). Daisyworld a pu simuler différents types de contraintes (linéaire, pérodique, fractale et aléatoire) et a permis d'établir des rapprochements avec le traffic Internet. A terme BT envisage de mettre en place des dispositifs pour convertir le traffic ayant des propriétés fractales en un flux de requêtes dont la distribution serait mieux répartie.

Tout ceci parfois est allié à la théorie du chaos qui, paradoxalement, joue aussi un rôle régulateur ainsi que nous l'avons expliqué dans le dossier consacré au chaos dans les systèmes inertes et vivants.

Le modèle Daisyworld se prête ainsi à un grand nombre d'applications explorant les effets de l'évolution sur la régulation des systèmes. On le retrouve principalement dans les domaines technologiques comme celui de la cybernétique (Andrew, 1996) où il constitue la base de nombreux cadres de recherche.

Mais à côté de son aspect formel, la théorie de Gaïa cache quelques subtilités sur le plan philosophique que n'ont pas manqué de relever les critiques. Avant de dévoiler la fin de l'histoire, disons déjà que Lovelock n'avait pas approfondit son étude du phytoplancton et chercher le contre-exemple qui pouvait ruiner sa théorie. C'est dans cette faille qu'ont plongé ses détracteurs. Nous y reviendrons mais pour cela nous devons d'abord faire un détour par les aspects philosophiques de sa théorie afin de bien centrer le débat.

Prochain chapitre

Les hypothèses philosophiques

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[5] Henderson-Sellers et McGuffie, Energy-balance model, 1983.

[6] M.Bjornerud, 1996.


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