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La théorie de Gaïa

James Lovelock.

Concept scientifique et religion (V)

De manière assez inattendue la théorie de Gaïa est tout autant un concept scientifique - dans la mesure où elle serait testable - qu'une théologie de l'aveu même de James Lovelock[16] : "Pour moi écrit-t-il, Gaïa est une religion autant qu'un concept scientifique, et dans les deux sphères, elle est gérable... Dieu et Gaïa, la théologie et la science, tout comme la physique et la biologie ne sont pas séparées mais forment une unité de pensée".

D'un point de vue philosophique, l'humanité dit Lovelock, se trouve à la périphérie des systèmes vivants sur la Terre. Notre vision anthropocentrique implique que nous préservions la Terre comme nous l'entendons.

Mais cette idée de pouvoir régir la planète est une idée absurde et dangereuse car nous ignorons toutes les interactions qui se manifestent dans la biocénose : "On n'en sait jamais trop... La réponse est 'mains en l'air'".

La macrofaune est l'iceberg sur le gâteau; la base de la vie est la microbiologie. Ces micro-organismes dirigent le système et nous ne pouvons pas les influencer et dans cette mesure nous sommes probablement incapables de détruire la vie sur Terre. Nous pouvons réfreiner certaines de nos attitudes destructrices mais cela soulève de profondes questions concernant la responsabilité des individus et des groupes sociaux. Est-ce que nous devons donner une valeur à la continuité de la vie en général, à l'expérience humaine ou aux sentiments des animaux ? Pourquoi s'en préoccuper si nous détruisons les espèces ?

Aussi, d'un point de vue philosophique, les idées Gaïennnes proposent une alternative à la vision mécaniste du monde, une meilleure compréhension que le réductionnisme qui vise à tout réduire en ses parties. Cette nouvelle vision montre que le monde vivant est interconnecté, et dans une certaine mesure, vide de sens. Dès lors pourquoi ne pas instaurer une nouvelle métaphore du vieille adage "le monde comme machine". 

Dans son article "Gaïa in Action", David Abraham suggéra que ce changement de sens supprimerait l'idée du "concepteur" extérieur qui d'une certaine manière ressemblait à un être humain fabriquant des machines. Cela évite de tomber dans le piège considérant que nous pouvons traiter la nature comme une machine et cela nous permet de retrouver l'idée que nous sommes immergés dans le monde comme participants. Le monde Gaïen aurait plus à gagner de la coopération que de la compétition, en intégrant les organismes et leur environnement plutôt qu'à lutter et défier la nature - entre nous cette vision holistique fait partie des arguments écologiques européens depuis les années 1980.

D'un point de vue éthique, certains auteurs telle Kate Rawles se demandent si cette conception s'étend au-delà des êtres humains, à tous les êtres sensibles ? Aux écosystèmes ? A la planète ? Quels genres d'obligations et de responsabilités cela implique-t-il ? Est-ce que la théorie de Gaïa sugggère l'existence d'objectifs et de valeurs spécifiques à l'environnement ? Peut-elle nous dire comme nous devons agir ? Retire-t-elle aux êres humains la position suprême qu'ils assument au sommet de l'évolution, et dans ce cas qu'y a-t-il au-delà ? Si aujourd'hui la plupart de ces questions sont encore du ressort de la philosophie, un jour ou l'autre les scientifiques devront y répondre ainsi que les politiciens.

Il y a enfin d'autres implications. L'image Gaïenne permet aux êtres humains de se donner une signification (en raison de leur conscience et auto-réflexion) et de se considérer comme une partie significative d'une interaction à l'échelle globale. Si la Terre doit être considérée comme un organisme vivant capable de se préserver, devons-nous la respecter voire même la vénérer ? Une compréhension de Gaïa peut-elle aboutir à des attitudes que nous appelerions "religieuses", capables d'influencer l'impact humain sur les processus planétaires ? Lovelock en tous cas le crois.

En guise de conclusion

Objectivement, on ne peut nier toutes les questions philosophiques qui surgissent dès que l'on creuse un peu le concept de Gaïa. S'il est évident que cette théorie présente des faiblesses et peut subir plusieurs niveaux de lecture,  il est aussi évident à travers le cadre de recherche qu'elle procure que Gaïa permet d'illustrer de quelles manières la Terre répond à un stress. 

Jusqu'il y a peu on pensait que la Terre s'adaptait uniquement face aux changements naturels. Grâce à Gaïa, les scientifiques ont découvert qu'elle devait aussi répondre à l'impact des hommes, à travers les effets de la pollution de l'air et les interférences artificielles que cela entraîne sur le climat global.

Aujourd'hui la théorie de Gaïa est plus instructive que jamais. Comme les créatures vivantes, la Terre est un système ouvert mais un système fini, limité. D'un côté, il est limité par l'espace et c'est à travers l'atmosphère que nous échangeons du rayonnement avec l'univers. De l'autre côté, notre planète est limitée par son écorce solide dont les soubassements océaniques et continentaux échangent de la matière avec le manteau en fusion. La Terre perd peu d'énergie : une partie infrarouge rayonne et s'échappe dans l'espace, tandis que dans les zones de subduction les roches fusionnent avec le manteau. C'est donc le déséquilibre de l'atmosphère qui demeure la principale variable nous permettant de mesurer la réduction de l'entropie, du désordre de ce système.

Grâce aux superordinateurs, les théoriciens sont capables de simuler l'évolution des modèles climatiques sur une très longue période, avec un temps de réponse très raisonnable si on se limite à quelques variables. Nous avons vu précédemment que Vénus et Mars ne semblent pas abriter de formes de vie. En tous cas celles-ci ont probablement disparu. Les systèmes régulateurs que nous connaissons sur Terre, les océans et la couche d'air stratosphérique ont disparu depuis longtemps de ces deux planètes. Dans ces conditions, irréversiblement, en quelques millions d'années les modèles théoriques imposent l'extinction de la vie.

Mais la composante biologique n'a pas été introduite dans ces modèles. Devant cette exclusion arbitraire de la vie et par référence à celle qui survit sur notre planète, on peut faire l'hypothèse que de nombreux paramètres restent inconnus. Sur Terre, la dérive des continents et les courants océaniques ont profondément modifiés les données climatiques. La surface des continents a aussi considérablement augmenté depuis 200 millions d'années, modifiant l'influence de l'atmosphère et les propriétés des masses d'air. Les interactions de ces systèmes et le rôle régulateur joué par certaines composantes (forêts, gaz carbonique) sur le climat semblent indissociables de l'évolution des espèces [17].

Selon la théorie de Gaïa, la vie est étroitement liée à l'évolution de l'atmosphère et de la croûte terrestre. Bien sûr, il n'est pas aisé de déterminer l'influence de notre souffle sur l'atmosphère ou de nos déchets sur l'écosystème. Mais certains n'hésitent pas à postuler, feu Carl Sagan[18] en premier, qu'un hiver nucléaire détruirait totalement la vie sur Terre. Le climat en serait si bouleversé pendant si longtemps, que dans cette éventualité l'extinction des êtres vivants serait inévitable.

Rien que l'explosion volcanique du Pinatubo en 1991 refroidit l'atmosphère de 0.5°C. Mais nous savons à quel point l'évolution de la vie est le résultat d'un long apprentissage et d'une constante adaptation au milieu. Depuis plusieurs milliards d'années notre écosystème est toujours en équilibre en raison des mutations et des boucles de rétroactions. La vie s'est développée en symbiose avec l'environnement. Voici donc une preuve de l'interaction entre la vie et son biotope.

Mais le facteur régulateur de température n'obéit plus à notre loi. Malgré l'équilibre général de la Terre, nous avons connu des périodes glacières. Pendant les glaciations successives, les êtres vivants inadaptés ont succombé au froid quoiqu'en dise Lovelock.

Si la théorie de Gaïa explique l'activité générale de la Terre, l'évolution des organismes vivants doit être analysée d'un point de vue global, en fonction de l'activité physico-chimique de la planète hôte.

Dans ce cadre, Caldeira et Kasting ont développé un modèle de ce type en 1992 afin d'estimer la distribution des organismes dans la biosphère en tenant compte des phénomènes de rétroactions comme l'altération des roches par l'activité biologique. Franck et son équipe étendirent ce modèle en 2000 en ajoutant une description géodynamique des processus géosphériques. Dans de telles conditions, ils s'avèrent que de nombreuses planètes pourraient abriter une forme de vie toute différente de celle que nous avons l'habitude de rencontrer ici bas.

Evolution de la température globale de surface dans le modèle de Caldeira/Kasting (trait plein) et dans un modèle contenant du gaz carbonique atmosphérique (pointillé).

Mais ainsi que l'ont rappelé F.Doolittle, R.Dawkins et J.Kirchner, la théorie de Gaïa n'est pas testable, et il ne s'agit pas non plus d'une hypothèse scientifique dans le sens de Popper car elle ne peut pas être falsifiée... Si la définition d'une théorie selon Popper est basée sur le réductionnisme, il s'agit aussi d'un mécanisme de défense qu'utilise les scientifiques lorsqu'ils étudient des systèmes trop complexes pour être compris dans leur globalité. Trop souvent cependant, la science réductionniste conduit à des non-dits parmi la communauté scientifique qui conduisent à ignorer les aspects les plus intéressants des phénomènes qu'ils étudient. Les outils informatiques ont permis de morceller ces systèmes qui étaient auparavant trop vastes. Espérons que l'approche de Lovelock ne soit pas rejeté en raison d'une définition à ses yeux démodée du fonctionnement de la Science...

Pour plus d'informations

Site web de James Lovelock

Lovelock

La Terre est un être vivant, J.Lovelock, Ed.du Rocher, 1986

Les Âges de Gaïa, J.Lovelock, Robert Laffont, 1990

L'hiver nucléaire, C.Sagan et R.Turco, Seuil, 1991

L'origine de la vie sur terre, A.Oparine, Masson, 1965

Gaïa in Action: Science of the Living Earth, Peter Bunyard (ed), Floris Books, Edinburgh, 1996

What is Life, L.Margulis/D.Sagan, Simon & Schuster, 1995

The Practical Science of Planetary Medicine, J.Lovelock, Gaïa Books Ltd, London, 1991

Hands up for the Gaïa hypothesis, J.Lovelock, 1990

Science of Gaïa, J.Kirchner, 1988

Biodiversity, E.Wilson/E.Wilson eds., National Academy Press, Washington DC., 1988

Limits of life, C.Ponnamperuma/L.Margulis, D.Reidel, 1980

Gaïa: a new Look at Life on Earth, J.Lovelock, OUP, Oxford, 1979/1987.

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[16] J.Lovelock, "Les Ages de Gaïa", op.cit.

[17] R.Dubos, Science, 193, 1976, p459 – J.Lovelock, Proceedings of the Royal Society of London, op.cit.

[18] C.Sagan et R.Turco, "L'hiver nucléaire", Seuil, 1991.


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