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Annexe 2 : Pol’Ex : le « Pollution Explorer »



La pollution du ciel par l'éclairage artificiel est une calamité pour tous les astronomes, amateurs ou professionnels, à juste titre. En éclaircissant le ciel nocturne, cette lumière parasite empêche de percevoir les splendeurs du ciel astronomique, que l'on soit néophyte (la Voie lactée n'est plus visible dans les villes), que l'on soit amateur du ciel profond, ou que l'on soit Chercheur. Plus généralement, tous les amoureux de la nature en sont victimes. On ne compte pas le nombre d'espèces animales perturbées ou en voie de disparition à cause de l'éclairage inconsidéré des monuments, des lampadaires agressifs et des zones commerciales qui dépensent de l'énergie en pure perte.


La situation s'aggrave encore avec l'éclairage à base de LED. La prétendue économie apportée par cette technologie est une tromperie manifeste, mais peu de gens en sont conscients et parmi eux, on trouve de nombreux élus. Cet éclairage LED apparaît à certains comme une solution de progrès qu'on utilise à l'excès puisqu'il est réputé économe, pour finalement avoir un bilan énergétique nul, voire même aggravé. L'installation et la maintenance de cet éclairage ne sont pas gratuites non plus (pas mal d'électronique et de matériaux rares employés, et il n'est pas sûr que le bilan écologique soit si positif que cela). De plus, le spectre de ces lampes LED est antinaturel, avec un excès de bleu à l'origine de troubles physiologiques, voire même d'accidents (en voiture, par exemple). Et l'histoire des voleurs la nuit, si souvent avancée : grâce  aux lampadaires, lesdits agresseurs se pourlèchent les babines de bien voir leurs victimes, de bien choisir leur cible et de constater que l'environnement est tranquille. L’éclairage urbain à base de LED, utilisé à outrance, apparaît être une fausse bonne solution. Mais il n’est pas trop tard pour agir et évoluer dans le bon sens.


Certaines municipalités ont pris conscience de tous ces problèmes. Elles ont l'intelligence de prendre l'initiative d'éteindre ou de limiter l'éclairage urbain tard dans la nuit. Le bilan est positif pour les finances publiques et pour l'environnement. Il est important de soutenir ces actions et plus généralement toutes les personnes qui luttent pour la préservation du ciel nocturne. Mais puisque toute bonne solution à un problème nécessite un bon diagnostic, il est essentiel de mesurer la pollution lumineuse et de suivre son évolution pour agir de la manière la plus efficace possible.


La mesure de la luminance du ciel à l'aide de photomètres étalonnés est un bon moyen de tracer la pollution lumineuse. Cependant, il est possible d'obtenir une analyse plus précise en prenant en compte la distribution spectrale de cette source de perturbation. C'est l'objectif de Pol’Ex, le "Pollution Explorer", qui réalise le spectre précis du ciel nocturne, aussi bien à l'intérieur qu'à l'extérieur d'une ville, en campagne, en montagne et dans les observatoires astronomiques où l'évolution de la pollution du ciel nocturne est surveillée de très près. L'idée est de mieux comprendre la nature des sources de pollution, d'analyser leur évolution dans le temps, de géolocaliser les zones critiques, puis de mettre en place des solutions en toute connaissance de cause.


Il existe des appareils qui font déjà ce type de travail, et très bien. Mais l’idée de Pol’Ex est de rendre ce type de système moins coûteux, en visant une large diffusion. Il fait aussi des utilisateurs de vrais acteurs qui s’informent, qui apprennent, et qui éventuellement agissent. Faire prendre conscience à une classe d’élèves de la différence entre l’éclairement du soleil, qui a façonné notre vision, et l’éclairage artificiel agressif qui détruit cette vision, est une vraie expérience pédagogique et de formation de citoyens responsables.


Il serait vraiment dommage de passer à côté de cela lorsque l'on possède un Sol'Ex ou un Star'Ex, des instruments peu coûteux et simples que l'on peut fabriquer soi-même en les imprimant grâce à la technologie 3D (on peut également s'en procurer par d'autres sources). Cette conception et cette utilisation font partie d'une démarche volontariste d'apprentissage : fabriquer, mesurer, analyser et agir. L’instrument est si simple et attractif qu'il serait raisonnable de la voir se généraliser partout : dans les mairies, les écoles, les universités, chez les particuliers et dans les observatoires. On peut imaginer à terme une banque de données qui centralise toutes ces précieuses informations spectrales, en faisant par exemple une distinction entre un ciel nuageux ou clair en fonction de l'heure de la journée, ou pour réaliser des mesures absolues qui sont la base de cartes territoriales de la pollution lumineuse ou d'étalons pour d'autres instruments, y compris satellitaires.


Fondamentalement, Pol’Ex est un Star’Ex LR (Star’Ex « Low Resolution »). La seule différence est que l’on n’utilise pas de télescope pour les mesures. Le mode opératoire est bien plus simple puisqu'on se contente de viser vers le haut (zénith) pour capter la lumière du ciel.

Disposition de Pol’Ex lors des mesures. On a ici fabriqué une petit support en impression 3D pour maintenir l’instrument (vous pouvez télécharger les STL de ce support en cliquant ici).

Sur le plan technique, Pol’Ex est équipé d'un réseau classique de 300 traits/mm, d'une optique de 80 mm x 80 mm spécialement optimisée (disponible auprès de la société Shelyak) et d'une fente d'entrée de 23 microns ou 35 microns. Une caméra CMOS refroidie (type ASI533MM Pro dans l'idéal) complète le dispositif, mais il est également possible d'obtenir un résultat avec une caméra CMOS non refroidie, qui est plus économique mais demande davantage de patience.


Est-ce que Pol’Ex est performant ? Oui, bien sûr, c'est la raison pour laquelle il est présenté ici. Certains pourraient suggérer d'utiliser un réseau à diffraction moins dispersif, de changer l'optique du spectrographe ou d'ajouter une optique très lumineuse à l'entrée de Pol’Ex. Cependant, j'ai considéré qu'il est préférable d'avoir un dispositif polyvalent qui peut fournir des spectres particulièrement résolus et fins (la finesse est meilleure que 1 nanomètre à la base), même si cela peut dépasser les besoins primaires. Mais cela est compensé par les propriétés de Pol’Ex (ou Star’Ex) et les outils qui l'accompagnent. Examinons cela de plus près.


Tout d'abord, Pol’Ex est un spectrographe grand champ avec une fente de 4,5 mm de long, nette sur toute sa hauteur. Cela signifie que pour obtenir la signature spectrale du ciel nocturne, il est possible de faire une agrégation massive de plusieurs centaines de lignes du détecteur, voire plusieurs milliers de lignes, ce qui augmente considérablement le rapport signal sur bruit. À ce stade et compte tenu de la résolution, il est possible de réaliser des analyses très avancées, telles que la mesure de la pollution naturelle du ciel, venant de la haute atmosphère terrestre (voir plus loin).


Ensuite, il est possible de réaliser une agrégation colonne par colonne (appelée "binning spectral"), ce qui réduit la résolution spectrale mais diminue le bruit de mesure. Vous êtes libre de choisir les paramètres de cette opération pour, par exemple, descendre à un pouvoir de résolution de 50 nm si vous le souhaitez. Vous disposez donc d'un instrument à géométrie variable, très flexible, ce que n'offre pas une configuration trop spécialisée. Pour les traitements, les logiciels SpecINTI ou tout autre logiciel de votre choix peuvent faire le travail. Pour ce qui concerne SpecINTI, référez-vous à l'annexe 1 et à la description de l'extension Lab’Ex, les procédures de traitement étant très similaires (quasi un seul clic lorsque tout est bien étalonné).


Disposer une optique devant Pol'Ex n'apporte rien, si ce n'est des problèmes : un coût, un réglage et de la buée. Rien, absolument rien n'est nécessaire devant la fente, à l'exception d'un petit diaphragme de 15 mm de diamètre qui délimite l'étendue géométrique d'observation. Nous mesurons ici la luminance d'une scène uniforme ; ainsi, un objectif placé à l'avant de la fente est de peu d'intérêt.


Cette courte annexe n'a pas pour but de décrire en détail les procédures d'utilisation et l'analyse des données, qui feront l'objet de documents spécifiques. Disons simplement que les choses sont simples et assez naturelles : par exemple, pour étalonner en longueur d'onde, en distribution spectrale et même en flux absolu (de vraies mesures physiques du ciel à la clé, en Watt/stéradian/micron, par exemple), vous pouvez vous appuyer sur une mesure banale mais très efficace effectuée en plein jour avec un écran blanc éclairé par le soleil.

Un outil nécessaire est un petit cadran solaire improvisé pour mesurer la hauteur angulaire du Soleil et pour finalement tenir compte de la transmission atmosphérique lors des calculs (très simple à évaluer). On ajoute un carton plume de dessinateur, qui constitue un très réflecteur spectral neutre, et quelques bons livres comme support :

Voici un échantillon de spectres du fond de ciel obtenues par Pol’Ex, depuis un lieu citadin :

Le spectre du haut a été réalisé au moment du crépuscule (twilight), alors que le Soleil était déjà sous l’horizon, mais que ses rayons éclairaient encore la haute atmosphère terrestre jusqu'à environ 100 km d’altitude. La couleur du ciel change rapidement à ce moment-là. On y observe principalement des raies fines émises par notre propre atmosphère dans la stratosphère, une sorte de pollution lumineuse naturelle et discrète. Il est important de noter l’émission du doublet du sodium (il y a bien sûr du sodium à ces hautes altitudes!), qui apparaît assez brièvement. C'est un phénomène intéressant à observer et qui fournit des informations sur notre atmosphère (on appelle cela l’airglow).


En bas, nous avons deux spectres caractéristiques nocturnes de Juan-Les-Pins, une station balnéaire au bord de la Méditerranée, qui jouxte la ville d’Antibes (plus peuplée que Cannes, non loin de là). La pollution lumineuse est bien présente, avec des lampadaires à sodium haute pression (qui donnent une couleur jaune caractéristique, avec quelques raies fines du mercure). On observe également une forte augmentation de l'intensité dans le bleu due à la pollution lumineuse par l’éclairage LED. Au milieu de tout cela, pour montrer l'intérêt d'acquérir des données avec une résolution spectrale relativement élevée, il convient de noter la présence des raies verte et rouge de l’oxygène atmosphérique ([OI]) - ce sont ces mêmes raies qui donnent leurs couleurs aux draperies des aurores polaires. Il est même possible d'observer des aurores dans les zones tempérées grâce au spectrographe. Il est intéressant de noter que Pol’Ex est capable de détecter les raies atmosphériques du lithium (Li) et du potassium (K), dont la présence est plutôt rare. Ces raies sont probablement induites par la combustion de météorites dans l'atmosphère. Détecter cette signature spectrale est remarquable pour un instrument construit à peu de frais avec une imprimante 3D !


Il est également important de noter qu'il existe une version proche infrarouge de Star’Ex et donc, une version infrarouge de Pol’Ex. Voici l'aspect du ciel nocturne à Antibes/Juan-les-Pins, obtenu dans les mêmes conditions que précédemment :

Cette fois, c’est le radical OH, ici encore une molécule présente dans la haute atmosphère qui continue la principale source de pollution. Ne vous trompez pas, l’intensité de ce spectre est de très faible intensité, mais il va intéresser en particulier les astronomes professionnels et les géophysiciens.


Bien sûr, je ne vous apprends pas que la pollution lumineuse affecte nos observations astronomiques, photographique ou spectrographique, avec un petit avantage pour la spectrographie du fait que par traitement d’image, il est possible de gommer dans une certaine mesure cette pollution. Voici un exemple qui concerne une observation de la comète C/2022 E3 (ZTF), avec Star’Ex, dans un mode de résolution intermédiaire, en haut avec la pollution et en bas sans la pollution (retirée numériquement) :

Pour mieux « apprécier » encore les dégâts de la pollution lumineuse, voici deux images spectrales de la nébuleuse Messier 1 réalisées depuis la ville d’Antibes avec Star’Ex LR 300 t/mm et une fente de 35 microns au foyer d’un télescope Newton de 150 mm ouvert à f/4, le temps de pose étant d’une heure :

Messier 1 (ou « Nébuleuse du Crabe ») est un rémanent de supernova bien connu, une nébuleuse en expansion à grande vitesse. C’est la raison pour laquelle les images de raies de cette nébuleuse montrent une structure en anneau, liée à l’effet de vitesse des gaz dont l'image est coupée par la fente d’entrée (un effet Doppler-Fizeau spectaculaire). Le spectre montre des raies d'émission de l'hydrogène, de l'azote, du soufre, de l'oxygène, etc. Dans l'image du haut, le fond de ciel pollué n'est pas retiré et l'on voit comment il est plus intense que la nébuleuse (il est vrai que le télescope pointe alors assez bas et au-dessus des lumières de la ville de Cannes, non loin). En bas, le fond de ciel est retiré numériquement, mais cela ne peut empêcher la présence du bruit de photon, ce qui réduit la "détectivité". La bande diffuse horizontale est réelle et provoquée par le rayonnement synchrotron à l'intérieur de la nébuleuse, le champ magnétique y étant important.


Il y a bien plus à dire et à faire, ce n'est que le début d'une histoire !


Si vous percevez le besoin et vous voulez disposer de plus d’informations, contactez christian Buil, l’auteur de ces lignes et du projet Sol’Ex/Star’Ex : christian.buil-at-wanadoo.fr


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