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Les éclipses solaires

L'éclipse du 2 juillet 2019. Il s'agit du compositage de photographies prises depuis trois observatoires du Chili et de 646 images prises par les coronographes C2 et C3 du satellite SOHO. Le compositage HDR fut réalisé par Nicolas Lefaudeux au CTIO. Document C.A.Lockwood et al. (2020).

Le traitement d'image (III)

Tout photographe averti sait qu'une photo doit passer par un travail de traitement d'image, ne fut-ce que pour recadrer le sujet ou corriger une dominance. Mais en astrophotographie et en particulier pour les éclipses de Soleil, le traitement peut être assez complexe si l'amateur souhaite révéler tous les détails dans la couronne.

En résumé, le procédé est similaire à celui que les astrophotographes utilisent pour révéler les détails subtils sur les photos des astres du système solaire ou du ciel profond, à la différence qu'il est préférable d'appliquer à la couronne solaire des filtres radiaux ou circulaires plutôt que de simples gradients bien que plusieurs méthodes alternatives permettent d'obtenir des résultats équivalents.

L'un des photographes les plus expérimentés en cette matière est l'ingénieur mathématicien Miloslav Druckmüller, dont deux photos d'éclipses très détaillées et reconnaissables entre toutes par leur grande dynamique (HDR) sont présentées ci-dessous. Pour toutes ses images, l'auteur réalise également une calibration ou prétraitement en réalisant des images noires et de champ plat qui servent à corriger les défauts des images brutes. L'auteur explique sa procédure dans sa thèse de Ph.D (2014) et ces instructions rédigées en anglais. Il démontre aussi dans un autre article l'intérêt d'utiliser une fonction de normalisation gaussienne (un masque flou dégradé) pour accentuer les détails et optimiser le contraste.

À titre privé, Druckmüller a développé plusieurs logiciels qu'il continue d'améliorer pour traiter ses photos d'éclipses. Après avoir calibré ses images avec le logiciel AstroD2F ou AstroD3F 2.0, il les aligne (enregistrent) au moyen de ce qu'on appelle une corrélation de phase dans PhaseCorr 6.0 et réalise la composition dans LDIC 5.0. Ensuite, pour accentuer les détails dans la couronne, il utilise Corona 4.1. (nommé ACHF dans sa thèse) ainsi que PM-NAFE (Planckian Mapping – Noise Adaptive Fuzzy Equalization), un logiciel qui est également utilisé pour améliorer la définition des images prises par le satellite SDO. Enfin, il traite l'image résultante avec Sofo ACC 6.1 sans procédure particulière.

Malheureusement, ces logiciels ne sont pas commercialisés. Mais on peut tout aussi bien utiliser d'autres logiciels car certains filtres et fonctions (flou, netteté, filtre passe-haut et les fusions y compris HDR) sont incorporées dans les outils et autres filtres proposés par exemple par défaut dans Adobe Photoshop ou MaximDL voire de manière simplifiée dans Iris parmi d'autres logiciels (cf. cette revue de logiciels en anglais).

Seules différences avec ces programmes, LDIC par exemple travaille en double précision, une option qui n'est pas disponible dans Photoshop. Une précision inférieure génère des artefacts après avoir accentué les détails dans la couronne. De même pour Corona qui exploite un filtre passe-haut circulaire qui n'existe pas dans les fonctions de Photoshop.

Ceci dit, il existe des solutions alternatives qui sans offrir la même définition et qualité finale que les outils de Druckmüller donnent de très bons résultats comme on peut en juger avec les photos présentées plus bas à gauche et page précédente.

A gauche, image composite de l'éclipse du 3 novembre 2013 photographiée par Miloslav Druckmüller et ses collègues depuis le Gabon au moyen de lunettes Takahashi FSQ 106N et FS60C équipées respectivement d'un APN Nikon D7100 et Canon EOS 350D modifié. Il s'agit du compositage de 117 images exposées entre 1/2000 et 8 s à 100 ISO, calibrées (biais et plats) et traitées dans divers logiciels. A droite, image composite de l'éclipse du 11 juillet 2010 (lors du minimum du cycle solaire) photographiée par le même auteur et ses collègues depuis la Polynésie française. Il s'agit du compositage de 120 images exposées entre 1/125 et 8 s à 100 ISO au moyen d'une lunette William Optics FLT de 110 mm f/7 équipée d'un aplanisseur de champ, d'un télescope RC de 203 mm f/8 et d'un APN Canon EOS 5D Mark II équipé de plusieurs objectifs dont un Rubinar de 1000 mm f/10. Les images ont été calibrées et traitées dans les mêmes conditions que la précédente. Notons que l'image de gauche fut prise lors du maximum du cycle solaire; la couronne est globalement symétrique. L'image de droite fut prise environ deux ans après le maximum; la couronne accuse déjà une forme asymétrique.

Bien que le prétraitement d'image (la calibration) ne soit pas obligatoire, il permet d'éliminer les défauts de nature électronique dans les images de sujets présentant de faibles contrastes et le plus souvent photographiés de nuit et c'est notamment les conditions qui se présentent quand on photographie la couronne solaire durant les éclipses totales. Mais la plupart des photographes ne réalisent pas cette calibration et corrigent simplement leurs images dans un éditeur graphique. C'est cette seconde partie très importante que nous allons brièvement décrire.

L'essentiel du traitement d'image (postprocessing) consiste à appliquer à chaque image individuelle un certain nombre de traitements correctifs parfois itératifs avant de les fusionner et d'y appliquer les corrections finales. Notons que le traitement d'image comprend une grande part d'expérimentations qui peut vous occuper pendant des heures.

On parle de filtre "passe-haut" (et non pas de filtre passe-bas) car il révèle les détails dans les parties brillantes et donc le niveau élevé des valeurs des pixels (proche du maximum de 255) d'une photographie numérique.

Le procédé mathématique de traitement est le suivant :

Original (hautes et basses fréquences) - Masque flou (basses fréquences) = Hautes fréquences

Autrement dit, la soustraction d'un masque flou de l'image originale va accentuer les détails dans les parties brillantes, concrètement dans la couronne. Sous Photoshop par exemple, on obtient ce résultat en superposant les deux images, l'originale en mode "Normal" au-dessus de laquelle on place le masque en mode "soustraction" (Substract).

Image composite de l'éclipse du 21 août 2017 photographiée par Roger Clark depuis les Etats-Unis au moyen d'un APN Canon EOS 6D équipé d'un objectif de 500 mm f/4 équipé d'un téléconvertisseur 1.4x. Il s'agit du compositage HDR de 17 images exposées entre 1/250 et 1/8 s à f/11 et 200 ISO traitées avec un masque flou radial, un masque de déconvolution (de netteté) et dont les couleurs ont été accentuées.

 On commence par exemple par au moins un masque flou radial (Radial blur) en mode soustractif et semi-transparent (75%) pour accentuer les détails. On peut appliquer ce masque deux ou trois fois mais avec une intensité décroissante (par exemple transparence 50% la seconde fois puis 35% la troisième fois). Ensuite il faut révéler les détails latents de chaque image au moyen d'un filtre, d'un gradient d'ajustement ou d'un masque de netteté (Unsharp mask). Ce filtre exploite un algorithme de déconvolution Richardson-Lucy, de Van Cittert ou d'entropie minimale. Comme expliqué dans les pages anglaises sur le traitement d'image (fonction PSF) et ce résumé en français, il faut seulement faire attention aux paramètres utilisés car un filtre trop intense (au-dessus d'un certain seuil) va certes accentuer les détails (les bords) mais aussi détruire l'image.

Roger Clark par exemple a réalisé l'image présentée à gauche en appliquant cette méthode. Jerry Lodriguss a également obtenu d'excellents résultats en traitant toutes ses photos HDR (et calibrées) d'éclipses sous Photoshop. Il a également écrit plusieurs livres sur le traitement d'image.

Pour en savoir plus sur les empilements HDR, le site Captain Kimo a brièvement présenté en anglais les 20 meilleurs logiciels HDR tandis que Expert Photography propose un comparatif entre Adobe Lightroom, Photoshop et Photomatix Pro que la plupart des photographes utilisent pour empiler et aligner les différentes images HDR. Précisons que Photoshop est plus spécialisé dans le traitement d'image mais permet aussi d'aligner deux images empilées via l'outil "Pipette" (Eyedropper Tool) et de mesurer des distances et des angles entre pixels avec l'outil "Mesure" (Ruler Tool), cf. ce tutoriel préparé par Denis J. pour Astrolabo.

De son côté, Russell Brown, directeur de la suite Creative chez Adobe Systems propose un fichier d'Action ou script pour Photoshop intitulé "Stack-A-Matic" qui permet de traiter et combiner plusieurs images d'une éclipse ainsi que "Radiar Blur Action" qui est un filtre radial amélioré. Il propose aussi un bref tutoriel en format PDF (dont voici une copie) expliquant comment combiner plusieurs images sous Photoshop. 

Enfin, à l'intention des débutants, Sean Walker a également publié dans "Sky & Telescope" un bref article sur le traitement d'image intitulé "Improving Your Eclipse Photos".

Bien sûr les meilleurs programmes sont payants, de plus ils sont parfois lourds et complexes pour celui qui ne les a jamais utilisé. Toutefois, un photographe aura beaucoup d'usage d'un programme comme Photoshop. On peut aussi trouver de l'aide dans les nombreux tutoriels disponibles en ligne ou dans des livres ainsi que dans les démos et forums d'Adobe, de Futura-Sciences (logiciel ou matériel astro) ainsi que sur le forum anglophone de "Cloudy Nights" ou sur le site Astrolabo précité consacré principalement aux techniques d'astrophotographie.

A voir : Total Solar Eclipse - Basic Processing Tutorial, Nico Carver

Photographie du spectre-éclair du Soleil

Enfin, soulignons qu'une éclipse totale de Soleil se prête très bien à l'étude spectrale, notamment à la photographie du spectre-éclair du Soleil. Le matériel n'est pas nécessairement encombrant ni coûteux et peut se limiter à un appareil photo fixé sur un trépied équipé d'un téléobjectif de 200 à 500 mm de focale (ou d'un 125 à 200 mm équipé d'un doubleur de focale) et d'un réseau de diffraction pour décomposer la lumière.

Le spectre-éclair du Soleil obtenu durant l'éclipse du 21 août 2017. Photomontage réalisé par Yujing Qin qui photographia l'éclipse depuis Madras, en Orégon au moyen d'un APN équipé d'un téléobjectif de 400 mm f/5.6 muni d'un réseau de diffraction de 150 lignes/mm. Il s'agit de la juxtaposition de trois images prises au 2e contact, au maximum et au 3e contact. On reconnaît le spectre continu de la photosphère correspondant à l'anneau de diamant qui trace deux bandes horizontales arc-en-ciel sur lesquelles se superposent les raies d'émission des atomes présents dans la chromosphère. On distingue les raies du Ca II raies H et K (bleu foncé), l'Hδ et Hγ (bleu), le [Fe XIV] (vert), l'He I (jaune) et l'Hα (rouge).

En observant le Soleil dans un spectrographe juste après le 2e ou avant le 3e contact, on voit aussitôt des raies d'émission brillantes en forme d'arcs et des chaînes de points s'allumer telles des flashes dans la chromosphère, d'où le phénomène tire son nom.

Plus de 3500 raies ont été identifiées dans le spectre-éclair dont évidemment celles de la série de l'hydrogène de Balmer (Hδ à 410 nm, Hγ à 434 nm, Hß à 486 nm et Hα à 656 nm), celles de l'hélium (He I à 447 nm et 588 nm), du calcium (Ca II K et H à 395 nm), du magnésium (Mg I à 517 nm), du sodium (Na I à 589 nm) et certaines raies (ou plutôt des arcs) du fer ([Fe XIV], [Fe X]) bien que plus pâles. Ce processus d'excitation et d'ionisation de la chromosphère est particulièrement apparent lorsque la fine chromosphère est bien visible.

On peut également observer des raies en absorption des atomes et molécules présents dans l'atmosphère terrestre (oxygène B à 685 nm et 702 nm, oxygène A à 758 nm, molécule d'eau à 715 nm). On y reviendra en détails dans l'article précité.

Les changements de comportement de la nature

On évoque rarement ce phénomène mais pendant une éclipse de Soleil, la nature réagit à l'obscurité soudaine, ce qui souligne à quel point le rôle du Soleil est important.

Selon l'agronome Tim Reinbott du College d'Agriculture de l'Université du Missouri, certains animaux de ferme dont les chevaux et les poulains seront très nerveux et galoperont en tout sens. Si leur poulailler est trop chaud durant la journée, à cette occasion les poules en profiteront pour prendre l'air comme elles le font d'habitude en soirée et dès que le Soleil réapparaîtra elles retourneront s'abriter.

On rapporte qu'au moment de la totalité les colibris modifient leur chant, devenant soit très bruyant soit ils se taisent par intermittence. Reinbott entendu dire qu'une personne qui était en train de pêcher avec des amis durant une éclipse rapporta que le poisson mordit juste avant la totalité. Bien qu'il s'agisse d'un cas isolé, sachant que les poissons se nourrissent tôt le matin et le soir, il est possible que l'obscurité l'ait perturbé.

Même les insectes réagissent aux éclipses. Les cigales qui sont habituées au Soleil et généralement bruyantes deviennent subitement silencieuses; ces animaux n’ont pas le souvenir d’avoir vécu un crépuscule si rapide... On peut imaginer que nos ancêtres des cavernes ne devaient pas non plus apprécier cet instant.

Les éclipses affectent également les animaux et la végétation. La cigale habituée au Soleil arrête de "chanter" et certaines fleurs comme les hibiscus se referment durant le court lapse de temps que dure une éclipse totale de Soleil. Documents du domaine public et owensdc/Creative Commons.

Enfin, les plantes qui dépendent évidemment de la lumière pour la photosynthèse sont également sensibles aux éclipses. Rebecca Johnson de l'Académie des Science de Californie à San Francisco dirigea un programme d'observation durant l'éclipse totale du 21 août 2017 et demanda au public de notifier toute observation inhabituelle grâce à l'application "iNaturalist" pour smartphones sous iOS et Android.

De nombreux observateurs ont noté que des fleurs comme les gloires du matin ou les hibiscus qui leur ressemblent et que l'on voit ci-dessus qui ferment leurs pétales la nuit (c'est la nyctinastie) faisaient la même chose à l'approche de la totalité, puis s'ouvraient de nouveau lorsque le Soleil réapparut. Autrement dit, toutes végétatives qu'elles soient, ces fleurs sont capables de réagir en quelques minutes à un stimulus extérieur.

Un phénomène plus surprenant s'est produit durant l'éclipse du 21 août 2017. Selon le journal "Seattle Times", suite à la marée haute les filets d'un pêcheur se sont rompus dans la ferme d'élevage sitée près de la baie de Bellingham dans l'État de Washington. Jusqu'à 305000 saumons d'Atlantique (bien que nous soyons côté Pacifique) ont été jetés à terre sous la force des vagues. Pour l'anecdote, les fonctionnaires de la région ont demandé à la population d'attraper autant de saumons perdus que possible car ils représentent un risque environnemental pour la région du fait qu'ils peuvent menacer le saumon sauvage du Pacifique vivant dans la région.

Bonne chance pour votre prochaine éclipse !

Pour plus d'informations

Sur ce site

Préparer l'observation d'une éclipse de Soleil

Les accessoires pour télescopes (filtre solaire)

Le prétraitement d'image (calibration des images numériques)

Formulaire pratique

La photographie numérique

Bagues T et tubes allonges

Les appareils photos numériques en astrophotographie

Eclipses and the absorption level of the D-layer

Les éclipses lunaires

Sur Internet

Éphémérides

Solar Eclipse, NASA-GSFC

Les Canons des Eclipses Solaires depuis 5000 ans, X.Jubier

Mr Eclipse, Fred Espenak

Ephémérides des éclipses (passées comprises dont celle du 29 mai 1919)

Calculatrice solaire

Ephemerides

Scientists Use NASA Data to Predict Solar Corona Before Eclipse, NASA, 2024

Simulation de l'éclipse annulaire du 26 décembre 2019

Shadow and Substance (éphémérides et simulations), Larry Koehn

Bureau des Longitudes

Modélisation de l'éclipse totale de Soleil du 21 août 2017, Predictive Science/NASA

Traitement d'image

Total Solar Eclipse - Basic Processing Tutorial, Nico Carver, YouTube

Le Masque flou en imagerie numérique (généralités), David Romeuf

Eclipse Photography, Miloslav Druckmüller

Eclipse photography: reveal totality in HDR, Sean Walker, S&T, 2020

Application of Adaptive Filters in Processing of Solar Corona Images (thèse, 2014), Miloslav Druckmüller

How to Photograph the Solar Eclipse, Alan Dyer

How to Photograph a Solar Eclipse, Nikon/Fred Espenak

Improving Your Eclipse Photos, Sean Walker, S&T, 2017

Préparatifs et généralités

Total Eclipse Sheet (PDF), Space.com

Solar Astronomy Handbook, R.Beck, Hilbrecht et al., 1995, Willmann-Bell

Repères pratiques pour réussir des images d’éclipse partielle de Soleil, SAF

Exmouth Eclipse Expedition, Phil Hart, 20 April 2023

Eclipse 2017, NASA

UCAR

Eclipse chaser

Wendy Carlos

Logiciels

Eclipse Orchestrator (PC), Moonglow Technologies

Solar Eclipse Maestro (MacOS)

Photoshop, Adobe

Photomatrix Pro, HDR Soft

Stack-A-Matic (.zip, fichier Action pour combiner plusieurs images d'une éclipse), Russell Brown

Radiar Blur Action (.zip., fichier Action d'un filtre radial amélioré), Russell Brown

20 best HDR Sofware, Captain Kimo, 2016

What’s the Best HDR Software? Lightroom vs Photoshop vs Photomatix Pro, Expert Photography

PM-NAFE (.zip), M.Druckmüller

Calcul de la dilatation thermique des solides.

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