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La philosophie des sciences

L'astronome et exobiologiste Carl Sagan discutant avec le Dalaï Lama en 1991. Document Jon Reis Photograpy.

Science et religion (I)

L'alliance du spiritualisme et du rationalisme

En octobre 1979 s'est tenu à Cordoue un colloque sur le thème "Science et conscience". On y retrouva les physiciens David Bohm, Fritjof Capra, Olivier Costa de Beauregard, Brian Josephson, Harold Puthoff, Hubert Reeves, etc., un parterre d'environ 60 chercheurs du monde entier qui s'étaient réunis là pour discuter de science et de spiritualité durant cinq jours.

Cette ville n'avait pas été choisie au hasard. En effet, du VIIIe au XIIe siècle Cordoue, à l'instar de Séville ou Grenade, fut une cité très en vue, riche et intellectuellement très active, qui vit la transmission des ouvrages des philosophes Grecs de l'Orient à l'Occident.

Cet évènement historique marqua une rupture philosophique et provoqua une prise de conscience chez les intellectuels qui déclencha l'envol des sciences. Alors que les philosophes musulmans tel le maître Abn Arabi (1165-1241) privilégiaient le spiritualisme et l'expérience mystique, Ibn Rushd dit Averroès (1126-1198) avait choisi une démarche rationnelle en traduisant et commentant les pensées d'Aristote[1].

Comme tout bon rationaliste Averroès tenta de concilier la révélation divine, le savoir sacré avec la pensée scientifique spéculative et démonstrative. Avec Averroès, l'Occident se détacha du spiritualisme pour soumettre la connaissance à la seule observation rationnelle du monde. Il n'est donc pas étonnant que Yves Jaigu, alors directeur de France Culture et organisateur du colloque, choisit symboliquement cette ville antique pour débattre de culture dans une perspective historique.

Ce thème était d'autant plus intéressant qu'il répondait aussi à l'attente du public. Il faut savoir en effet que selon les enquêtes effectuées en France par la SOFRES, en l'espace de 20 ans l'opinion des Français s'est majoritairement retourné et, ainsi que nous l'avons déjà dit à propos des dérives, ils croient plus qu'hier à la transmission de pensée, à l'influence des astres sur le caractère ou aux soucoupes volantes. Cet intérêt pour les phénomènes paranormaux et irrationnels signifie aussi que le public ne demande pas aux scientifiques la vérité mais simplement des réponses à ses questions, une description du réel auquel il peut s'identifier. Nous reviendrons en détails sur ce thème lorsque nous discuterons du rôle de la science.

La Voie octuple du physicien Murray Gell-Mann emprunte sa philosophie au Dharma Chakra bouddhiste qui symbolise la loi Universelle et Spirituelle.

Dès la publication des Actes du colloque[2], les réactions épidermiques fusèrent au sein des grandes institutions scientifiques. La plupart des chercheurs étaient plus enclins à accepter une alliance avec des philosophes plutôt que de s'impliquer dans une analyse métaphysique des phénomènes, secondés par des psychanalystes, des psychologues ou encore des neurophysiologistes. Au cœur de la théorie quantique, cosmologique ou relativiste, les considérations anthropomorphiques et "psy" n'avaient pas droit de citer.

Cette alliance entre l'expérience mystique et scientifique se révélait encore il y a quelques années dans les propos tenus par le physicien Costa de Beauregard (1911-2007) du CNRS qui interprétait les phénomènes quantiques à la lumière de la psychokinèse, ceux du physicien David Bohm (1917-1992) de l'Université de Londres qui était l'inventeur de l'ordre implicite ou dans de la théorie autocohérente à mi-chemin entre la pensée occidentale et hindoue du physicien Fritjof Capra de l'Université de Berkeley. Ne parlons pas de la "Voie Octuple" de Murray Gell-Mann, de la théorie du corps astral diffusé dans tout l'espace-temps de Brian Josephson ou des questions carrément métaphysiques que se posait Stephen Hawking à propos de l'origine de l'Univers.

Les propos tenus par ces éminents chercheurs sont aujourd'hui connus dans le monde entier et sont écoutés par des gens très sérieux qui travaillent au CERN, au MIT ou dans des laboratoires industriels. On ne peut donc pas considérer que ce courant de pensée qui se rapproche de l'idée unificatrice est marginal ou ne concerne qu'un groupe de chercheurs isolés, "conditionnés" par les théories avant-gardistes de leurs confrères.

En prenant des références dans les théories syncrétistes (la Kabbale, l'alchimie, etc), occultes et dans la psychanalyse Jungienne, les participants aux Actes ont soulevé bien des réticences de la part de leurs collègues restés loin de la manifestation. A l'instar de Jean-Pierre Vigier également présent au colloque, mais pourfendeur de toute spéculation sur le rôle de la conscience en physique, on peut en effet se demander si les physiciens ne sont pas en train de verser dans la métaphysique… au point de croire très sérieusement à l'influence de la pensée sur la matière. Qu'un jeune répétiteur évoque seulement une telle idée en chaire d'université, il serait immédiatement étiqueté de "spiritualiste pathologique" et contraint d'oublier cette idée farfelue s'il envisage faire carrière…

Cette attitude rationaliste est partagée par la majorité des scientifiques et fut confirmée au colloque de Tsukuba qui fut organisée en 1985 sur le thème "Science et symboles"[3]. Il donnait cette fois la parole au camp des rationalistes patentés. Ils rejetèrent en bloc les théories occultes et les voies orientalistes au profit d'un encrage scientifique orthodoxe de la science, considérant les interprétations de Costa de Beauregard, Richard Mattuck ou de Fritjof Capra comme dénuées de sens et naïves.

Ce n'est pas pour autant que les rationalistes refusent toute spéculation. Au contraire. La "Théorie de Tout" que tentent de découvrir les physiciens des particules élémentaires et le principe de non-localité sont de pertinents exemples de concepts métaphysiques. Mais ils sont soutenus par des données expérimentales, ce qui fait leur force de persuasion face à l'esprit critique des scientifiques.

Les participants du colloque de Tsukuba ont seulement précisé leur champ d'action, refusant d'accorder leur crédit aux spéculations pseudo scientifiques et aux soi-disant expériences occultes des parapsychologues. Même si leurs méthodes sont en train de changer, ayant de plus en plus recours aux méthodes expérimentales (ganzfeld), la méthode d'analyse statistique utilisée par les "psi" est encore loin de refléter les conditions les plus favorables à la production et au contrôle de ces phénomènes.

Les psychologues, les physiologistes et les amateurs de pouvoirs "psy" reconnaissent eux-mêmes que les procédures de vérification sont peu systématiques et que le risque d'erreur pose une question pertinente sur la validité de leurs conclusions.

Avec le recul, le colloque de Cordoue influença plus la communauté scientifique et le public en général que celui de Tsukuba. Le public préfère un système de pensées qui met en avant une conception globale du monde, une représentation qui se définit tout à la fois en termes physiques, philosophique ou psychanalytique. Les réponses et les théories diffèrent bien sûr en fonction des questions que chacun se pose, mais dans le fond les symboles utilisés à Cordoue et à Tsukuba représentaient les mêmes choses. Mathématiques pour la plupart, ces symboles transforment notre réalité sensible en modèles que tantôt la science, tantôt la religion ou la psychanalyse interprétera. En ce sens la réalité est avant tout conscience et laissons aux sages le soin d'essayer de nous définir son champ d'action et ses limites. Je crois cependant que la réponse restera en suspens tant que la science sera incapable de décrire le fonctionnement du cerveau avec précision ainsi que les pouvoirs paranormaux.

Prochain chapitre

L'hypothèse Dieu

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[1] M.Ruben Hayoun et A. de Libera, "Averroès et l'averroïsme", PUF-Que Sais-je ?, 1991.

[2] "Science et conscience. Les deux lectures de l'univers", colloque de Cordoue, Stock/France Culture, 1980 - D.Terré-Fornacciani, "Les sirènes de l'irrationnel", Albin Michel, 1991.

[3] "Science et symbols. Les voies de la connaissance", colloque de Tsukuba, Albin Michel/France Culture, 1986.


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