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La philosophie des sciences

Science et religion (IV)

L'unité de la nature

Si la théologie nous permet d'approcher la conception divine, nous devons recourir à note soif insatiable de savoir, à nos capacités d'abstraction pour soulever l'envers du décor cosmique et essayer de décrire cette réalité inaccessible.

La main du Créateur tendue vers Adam peinte par Léonard de Vinci au plafond de la Chapelle Sixtine du Vatican, aspect après restauration.

 

L'unification des lois garde un sens historiquement parlant. A l'époque d'Aristote, le monde était logique : harmonieux par essence, les objets semblaient "obéir" à certains rapports de nombres (Nombre d'or, etc). Ils se présentaient sous une certaine forme, toujours pure. Le démiurge de Platon avait créé un monde ordonné, "régit" par des lois universelles. Nous savons combien la mécanique copernicienne et la thermodynamique bouleversèrent ces concepts. Galilée dû même abjurer ses théories car elles ne reflétaient pas tout à fait la doctrine de la Bible.

Nous avons discuté en physique quantique de l'expression de Hegel[30] qui disait en 1821 : "Ce qui est rationnel est réel et ce qui est réel est rationnel". Faut-il vraiment considérer cette formule lapidaire comme l'essence d'une pensée scientifique ? Pour être exact, le réel dont il parle opère par la Raison absolue et les hommes ne sont que les instruments de Dieu. Hegel croyait que ce qui se déduisait par le raisonnement sans référence à l'expérience était conforme à la réalité.

Nombreux sont les scientifiques qui admettent que la raison humaine est universelle et invariante. Le rationalisme, "semence de vérités" comme le dit Descartes doit être utilisé jusqu'à son extrême limite pour englober l'ensemble des phénomènes. Mais nombreux sont aussi les pseudoscientifiques qui utilisent ce rationalisme en dehors du cadre rationnel.

La spirale est une fonction simple mais dans ses détails elle peut aussi cacher une structure très complexe.

Si nous suivons le raisonnement de Hegel on peut se demander si le monde est réellement ordonné et harmonieux ? Par déontologie les scientifiques ne peuvent jouir de tous leurs "droits" intellectuels. Ils ne peuvent admettre par exemple la fécondité de la théologie ou du subjectivisme pour enrichir leurs connaissances. Sur ce point Hegel est tout à fait d'accord mais il considère tout de même que la philosophie, loin d'être une rêverie sur l'idéal peut travailler sur le réel grâce à l'étude scientifique.

Mais en deux mille ans les idées de Platon et d'Aristote ont tout de même évoluées. La logique pure à laquelle fait référence Hegel n'est pas synonyme de connaissance et constitue encore moins un chemin d'accès à la réalité.

Depuis deux mille ans personne n'a jamais pu dire si le monde était ordonné ou non. Rien n'indique que les théories que nous avons découvertes puissent s'unifier sous un principe plus général, la théorie "de Tout". Cela nous ferait plaisir, mais la nature ne l'impose pas et s'explique même plutôt en termes indéterministes ainsi que nous l'avons démontré dans le dossier consacré à la science du chaos.

Il est vrai que jusqu'à ce jour, toutes les théories furent incluses dans des principes généraux. Einstein reconnaissait que sa théorie traduisait l'harmonie de la nature et les physiciens se l'accordent. Il est également vrai que le petit nombre de théories fondamentales reflète une esthétique profonde, un sens caché et une symétrie intrinsèque qui traduit l'équilibre et la complémentarité des sciences. Il s'agit une fois encore d'une commodité de notre vie, à l'instar du concept d'espace-temps. Mais en cherchant à maintenir une théorie en vertu des faits contradictoires de la réalité, les scientifiques, tout rationnels qu'ils soient ont toujours aboutit à des impasses. Nous avons l'exemple de l'éther, la calorique, l'action instantanée à distance, la nature ondulatoire de la lumière, la création continue. En biologie nous retrouvons les Créationnistes. Toute la période médiévale s'est accrochée à la sacro-sainte Bible. L'obscurantisme régna près de 1000 ans !

Le paradigme universel nous fait penser que l'unité de la Nature peut être l'aboutissement d'une Connaissance ultime. Mais quel sens faut-il donner à cette signification ? Disons-le franchement, cette recherche d'unité signifie que les physiciens croient au mysticisme. Certains s'y réfèrent volontairement, bien que la plupart des chercheurs envisagent l'existence d'une harmonie naturelle ou considèrent la beauté des mathématiques comme l'expression d'un profond mystère, de Dieu diront certains, involontairement.

Plus les chercheurs sondent la matière et les lois de la nature plus ils ont tendance à attribuer à la matière des qualités qui transcendent cette représentation matérialiste. Il s'agit de qualités spirituelles qui, même si elles ne sont pas acceptées en tant que telles par les physiciens, les contraignent à rechercher un principe esthétique, une harmonie dont ils n'ont peut-être pas conscience.

Une preuve de ce besoin d'harmonie est le retour à la nature, au calme, à la méditation que recherche chacun et chacune d'entre nous. A l'inverse, les Orientaux, très mystiques jusqu'à présent tentent d'épouser nos mœurs de citadins. Pourrons-nous échapper à cette confusion ? L'unité de la nature est peut-être là, à mi-chemin entre les deux modes de pensée, ce que confirma le colloque de Cordoue.

Sous ce dilemme transparaît l'état paradoxal de la conscience sur lequel Wittgenstein et de nombreux philosophes se sont penchés, lui attribuant une dimension de "pensée post-métaphysique".

Etat paradoxal, car pour l'homme érudit, il est évident que la conscience éclaire le monde à la lumière de la connaissance dans un schéma autoréférencé. Piaget[31] disait : "les mathématiques fondent la biologie, qui fonde la physique, qui fonde la psychologie, qui fonde à son tour les mathématiques". Il base son idée sur la méthode "épistémologique génétique" qui considère que les comportements cognitifs que nous avons acquis dès l'enfance nous permettent de concevoir l'adéquation du monde, une méthode qu'affectionnait déjà Ernst Mach au XIXe siècle.

La connaissance évoquée par Piaget établit une relation entre des domaines de la connaissance qui sont autonomes par définition. Mais cette relation n'est-elle pas synonyme d'une Connaissance unique et globale, d'une unité de la science ? En d'autres termes toutes les sciences ne sont-elles pas un seul et même objet, celui qui reflète une époque de l'histoire comme le rappelle Kuhn, une façon d'imaginer l'Univers, un seul milieu socio-économico-culturel ? Cette réflexion se rapproche de celle du Lama Govinda[32] qui disait que "la philosophie doit émerger des conditions de son temps".

A vrai dire, l'une et l'autre définition sont exactes. Il est difficile et même impossible aujourd'hui d'appréhender la science dans sa totalité. L'historien des sciences qui se risquerait dans une telle tâche devra se limiter à une période, une nation ou une activité précise, sans quoi il survolerait son sujet. A cette difficulté intellectuelle se greffe l'évolution scientifique elle-même.

Sans contredire Thomas Kuhn, on peut probablement relier la notion de paradigme à l'éthologie. Le comportement des sociétés s'est imposé à l'homme de science. L'évolution scientifique qui en découle s'est effectuée à un certain rythme dans chaque domaine, rythme quelquefois contrecarré par des choix sociaux ou philosophiques. Au fil du temps, les universités et les laboratoires ont développé leur propre idéologie, leurs propres méthodes et attribués des valeurs éthiques particulières à leurs travaux. Cette "métascience" ne facilite en rien l'intelligence de son unité et mieux vaut la scinder pour pouvoir décrire et comprendre la réalité qu'elle tente à cerner.

Steven Weinberg

Steven Weinberg

Vu le nombre de chaires universitaires actuellement ouvertes et les fortes expertises exigées dans les offres d'emploi, il est évident que de nos jours les sciences et technologies représentent une pépinière de domaines qui représentent autant d'indices du morcellement de cette unité de la Nature en autant de disciplines et de spécialisations. La biologie par exemple est basée sur la chimie, elle même fondée sur la physique qui repose sur la théorie des particules élémentaires. L'étude de la Terre, de l'astronomie, de la mécanique et d'un grand nombre d'autres disciplines se basent également sur la chimie et la physique, qui à son tour fait référence à la théorie des particules élémentaires. La recherche de la nature véritable des choses descend ainsi graduellement tous les échelons du savoir pour finalement aboutir aux constituants même de la matière. Il n'est donc pas exagéré de considérer la physique des particules élémentaires comme la science fondamentale par excellence.

Cette hiérarchie des sciences permet finalement aux mathématiciens de modéliser la réalité, de prédire des faits inattendus et d'entrevoir parfois un trait d'union entre disciplines séparées. C'est alors que le chercheur se pose la question de savoir "pourquoi" le réductionnisme est-il ainsi orienté vers l'infiniment petit.

Steven Weinberg a la sentiment qu'"il existe un axe des sciences. Des flèches de l'explication scientifique […] semblent converger vers un point commun ! Partez de n'importe quelle science et, comme un enfant désagréable, demandez constamment : "Pourquoi ?" Vous atteindrez finalement le niveau microscopique…". Il finit par conclure qu'il semble exister une structure logique de l'Univers, des principes de plus en plus simples, des règles de plus en plus cohérentes et universelles, bref il voit l'émergence d'une théorie "de Tout".

Richard Noyes, Robert Millikan et Ellery Hale, les fondateurs du Caltech posant en 1921 dans la salle de l'Athenaeum pour le peintre Robert Paz.

Vu le nombre de chaires universitaires actuellement ouvertes, il est évident que de nos jours la science est une pépinière de domaines qui représentent autant d'indices du morcellement de cette unité de la Nature en autant de disciplines. La biologie par exemple est basée sur la chimie, elle même fondée sur la physique qui repose sur la théorie des particules élémentaires. L'étude de la Terre, de l'astronomie, de la mécanique et d'un grand nombre d'autres disciplines se basent également sur la chimie et la physique, qui à son tour fait référence à la théorie des particules élémentaires. La recherche de la nature véritable des choses descend ainsi graduellement tous les échelons du savoir pour finalement aboutir aux constituants même de la matière. Il n'est donc pas exagéré de considérer la physique des particules élémentaires comme la science fondamentale par excellence.

Mais nous avons pris conscience depuis le début du siècle que cette division de la science en disciplines conduit au réductionnisme. Or nous savons que ce concept offre certaines limites, en particulier en physique quantique. Mais il y a d'autres problèmes. Qu'en est-il de l'unité du langage ? Quelles réductions allons-nous faire pour réduire les lois des sciences aux lois d'une discipline ? Et si cette réduction est possible, faut-il réduire chaque science à toutes les échelles de grandeur ? Cette discipline sera-t-elle nécessairement la physique ?

La recherche de cette unité de la Nature me permet de rappeler que la science ne peut ni être étudiée dans sa globalité, ni être considérée comme une juxtaposition d'activités incompatibles entre elles. Le problème est réel. Chacun doit faire un effort de synthèse pour extraire une structure commune à toutes les sciences. Cela ne signifie point qu'il faille réduire chaque science avant de les relier entre elles. Le succès de cette démarche exige tout le contraire.

Tous les professeurs ayant la direction d'une chaire académique doivent étudier quels sont les moyens intellectuels et idéologiques, les activités dites "techniques" qui sont à l'œuvre dans leur domaine spécialisé et que l'on peut retrouver dans le contenu d'autres sciences. Cette caractéristique est notre critère de cohérence.

C'est en quelque sorte le travail de recherche habituel des sciences. Leur vocation est de faire une synthèse de résultats a priori incompatibles, de sciences cloisonnées pour en extraire les points communs. Les résultats peuvent être très féconds tels les travaux de P.Duhem, A.Koyré ou T.Kuhn malgré le côté idéaliste de certaines de leurs conclusions. La recherche scientifique révèle finalement une structure complexe, conditionnée par des facteurs intellectuels et sociaux qui influencent son évolution.

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[30] G.Hegel, preface des "Principes de la Philosophie du droit", 1821.

[31] J.Piaget, "Logique et Connaissance Humaine", Gallimard-La Pléiade, 1969.

[32] R.Weber, "Dialogues avec des Scientifiques et des Sages", Ed.du Rocher, 1986.


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