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Les défaillances des satellites

écrit en collaboration avec le Dr. Joe H. Allen du NGDC/NOAA

Les effets électromagnétiques et corpusculaires du Soleil (I)

Nous savons tous que le Soleil produit des effets sur Terre, sa chaleur et nos coups de soleil en étant deux exemples. Mais il produit aussi des effets sur le matériel électronique dont celui des satellites en orbite et sur les installations électriques au sol.

Voyons en détails comment les chercheurs ont découvert ces effets du Soleil et quelles sont leurs conséquences dans l'environnement terrestre.

La découverte des Ceintures de Van Allen

En 1958, l'U.S. Army Ballistic Missile Agency qui deviendra la NASA, alors sous la direction du Dr Wernher von Braun, lança son deuxième satellite artificiel Explorer 2, un cylindre de 2.05 m de longueur moteur compris et 16.5 cm de diamètre. Equipé d'un détecteur de rayons cosmiques, d'un capteur de micrométéorites et d'un compteur Geiger, il resta en orbite autour de la Terre durant 8 mois.

Orbitant entre 354 et 2515 km d'altitude, Explorer 2 mesura le taux de radiation dans l'environnement terrestre immédiat. Cette expérience conduite par le célèbre Dr James Van Allen de l'Université d'Etat d'Iowa révéla un taux de rayons cosmiques plus faible que prévu.

Herb Sauer, alors assistant à l'Université d'Etat d'Iowa, s'intéressa aux mesures effectuées par le compteur Geiger récupéré sur le satellite. Il découvrit que l'amplitude des signaux périodiques dépassait l'échelle chaque fois que le satellite était passé dans des régions où le comptage radioactif fut élevé, et qu'il ne s'agissait donc pas d'une perte de signal due à de mauvaises transmissions.

Représentation schématique des Ceintures de Van Allen. Document NASA/SRAG.

Par la suite d'autres astronomes analysèrent ces données et confirmèrent cette hypothèse. Au-dessus de la zone d'activité des aurores ainsi qu'au-dessus de l'Anomalie de l'Atlantique Sud (SAA), le détecteur fut exposé à un taux tellement important de radiations qu'il satura.

James Van Allen pensa alors que le compteur Geiger avait été saturé par d'intenses rayonnements émis par des ceintures de particules chargées piégées dans l'espace par le champ géomagnétique.

L'existence de ces ceintures de radiation fut confirmée par un autre satellite américain lancé deux mois plus tard, et elles deviendront les célèbres Ceintures de Van Allen en son hommage. Ces ceintures de radiation encerclent la Terre et capturent le vent solaire et toute particule s'approchant un peu trop près de la Terre.

Comme le montre l'illustration présentée à gauche, les Ceintures de Van Allen sont divisées en deux parties, une première ceinture se situe vers 3000 km d'altitude, la seconde vers 20000 km d'altitude, toutes deux dans le prolongement de l'équateur. 

La ceinture interne contient une proportion stable de protons de plus de 10 MeV tandis que la ceinture supérieure rassemble essentiellement des électrons dont le niveau d'énergie ne dépasse pas 10 MeV.

En raison de l'inclinaison d'environ 11.6° de l'axe magnétique de la Terre par rapport à son axe de rotation, la partie inférieure de la ceinture interne descend jusqu'à 200 km d'altitude au-dessus de l'atlantique sud (SAA), précisément au-dessus du Pérou et du Brésil, accentuant les anomalies que l'on enregistre sur les satellites orbitant à basses altitudes (LEO).

Nous y reviendrons un peu plus loin ainsi que dans les articles consacrés à la Terre et au champ magnétique terrestre.

Ces ceintures piègent les protons et les électrons issus du Soleil et s'y accumulent. Les particules qui ne sont pas piégées pénètrent dans la haute atmosphère par les pôles et y provoquent des orages magnétiques, le phénomène de fading et les fameuses aurores polaires.

Pannes sur les satellites

Grâce à l'astronautique on découvrit donc que le rayonnement solaire pouvait influencer le fonctionnement des satellites voire les endommager. Parmi les exemples récents et spectaculaires citons la panne survenue en septembre 1997 au satellite de TV directe Telstar qui perdit tous ses moyens de communication avec la Terre plusieurs quelques jours.

Le 19 mai 1998, le satellite Radio/TV Galaxy IV fut frappé par un flux intense de protons rendant le processeur de contrôle primaire et secondaire totalement inopérant. Ce satellite servant à toutes sortes de télécommunications il empêcha même les Pager et autre Beeper de bon nombre d'hommes d'affaires de fonctionner par satellite. Comme on le voit à droite, l'évènement fut si inattendu que les journaux en firent leur manchette.

Le 24 juin 1998, le satellite SOHO passa en mode "safe" probablement suite à une défaillance de son gyroscope.

Enfin en mai 1999, des anomalies ont affecté les transpondeurs du satellite Echostar IV, ses radiateurs électriques et son système de carburant.

Le jour de la Bastille, the "Bastille Day"

L'effet le plus spectaculaire se produisit le 14 juillet 2000 où une immense boucle de plasma apparut au-dessus de la région active AR9077. Elle fut suivie d'une éruption solaire de classe X5/B3 de rayons X. 1h15 plus tard, les observatoires orbitaux SOHO, YOHKOH et TRACE furent frappés par des protons relativistes et des ions de haute énergie qui ont saturé et obscurci les caméras CCD d'imagerie solaire durant plus de 24 heures ainsi qu'en témoigne l'animation présente ci-dessous à gauche.

Dans la foulée, le satellite d'étude cosmologique et d'astrophysique ASCA ne fut plus en mesure de conserver l'alignement de ses panneaux solaires, il subit une perte de puissance et perdit de l'altitude. On considère aujourd'hui que ce satellite est perdu. La même éruption provoqua également des problèmes temporaires sur les détecteurs électriques et l'alimentation des satellites GOES 8 et 9 ainsi que WIND. 

L'éruption ultraviolette du 14 juillet 2000 vue par l'observatoire solaire orbital SOHO. A 10h15h TU une extraordinaire éruption de classe  X5.7/B3 baptisée "Bastille day" se manifesta au-dessus de la région active AR 9077. La température atteignit 1 million de kelvins. Les caméras furent bombardées de protons lourds de plus de 100 MeV durant plus de 24 heures consécutives comme en témoignent les dernières images de la séquence de gauche enregistrée entre 9-18h TU (AVI de 2.5 MB). Peu après 10h TU une immense boucle apparut (à droite). Cliquez ici pour lancer ce film extraordinaire (QT de 6.6 MB). L'image couvre 230000x170000 km; on alignerait 20 fois la Terre dans la longueur de la boucle ! Vous trouverez d'autres éruptions solaires animées sur le site SOHO/TRACE.

11 parmi les plus importants satellites furent ainsi touchés par la même éruption solaire en l'espace de quelques minutes. Le flux de protons s'enfonça également jusqu'au sol affectant les stations radios et les autres moyens de communication. Une deuxième éruption se produisit deux jours plus tard et fut encore plus violente.

On peut imaginer ce que ce genre d'éruption solaire eut comme conséquence sur les autres satellites artificiels proches de la Terre. La plupart assurent le pointage sur leur objectif grâce à des systèmes optiques (des détecteurs optroniques utilisés pour la poursuite stellaire, solaire et la détection du limbe). Soudainement ces systèmes ne pouvaient plus trouver l'objet sur lequel ils se verrouillaient pour maintenir le satellite en position.

Les satellites qui utilisent le champ magnétique ambiant pour assurer cette fonction sont capables de "se perdre" durant ces tempêtes magnétiques (MPE). Lorsque cela se produit, les contrôles au sol doivent intervenir manuellement en ordonnant de petits ajustements d'orientation afin d'aider le satellite à retrouver ses marques.

Ci-dessus, l'augmentation soudaine des flux de rayons X et de protons le 14 juillet 2000. Au SWPC (ex-SEC), le seuil d'alerte est atteint dès que l'énergie des protons atteint 10 MeV (courbes rouge, bleue et verte à droite). En dessous à gauche, la saturation de la caméra CCD de SOHO à 13h28 TU par les protons lourds relativistes et les ions émis par l'éruption de classe X5.7. A droite, la variation de l'intensité du champ magnétique terrestre. La courbe Hp représente l'orientation du champ "parallèle" à l'axe de rotation de la Terre, accusant ici une forte variabilité dans le sens vertical suite au passage de l'onde de choc de plasma. Ces phénomènes furent suivis d'une perturbation importante des radiocommunications (blackouts). Documents SWPC/NOAA.

Beaucoup de satellites disposent également d'une liaison magnétique entre le corps du vaisseau et la roue inertielle interne (une sorte de gyroscope) qui empêche l'auto-rotation du satellite et préserve sa stabilité. Lorsque le champ magnétique ambiant est perturbé, le transfert de rotation peut-être détérioré (affaibli voire même se renverser). C'est un problème qui touche en particulier les satellites en orbite basse (LEO) qui traversent souvent de vastes régions où le champ géomagnétique ambiant est variable.

Ces régions sont associées aux courants qui courent le long des lignes de forces du champ géomagnétique entre l'altitude de l'orbite géostationnaire et les couches ionosphériques aux alentours de 100 km d'altitude.

Compression de la géomagnétosphère au passage de l'onde de choc du vent solaire.

Au passage de l'onde de choc qui précède l'arrivée du plasma de l'éruption solaire, comme indiqué dans l'animation présentée à gauche, la magnétopause terrestre est compressée et le champ magnétique atteint rapidement une valeur d'environ +200 nT. Quelques heures tard, lorsque l'onde de choc a pénétré sous l'altitude de l'orbite géostationnaire où se trouve les satellites GEOS, le champ magnétique "extérieur" se renverse.

Dans les deux cas, la composante Hp du champ magnétique, en principe parallèle à l'axe de rotation de la Terre prend alors une orientation verticale.

Sur les graphique du SWPC (ex-SEC) présentés ci-dessus, le diagramme est coupé à Hp=0 et on ne voit pas l'excursion négative de Hp. Ces pulsations qui ressemblent à des séismes durent environ 3 heures. 24 heures plus tard, le 15 juillet une MPE encore plus longue se manifesta durant la phase de paroxysme de la tempête géomagnétique. Au maximum de son intensité, l'indice Ap*=192 (enregistré au sol car sur l'orbite géostationnaire il peut atteindre 300). Ce fut la seconde ou la troisième plus grande tempête géomagnétique que l'on enregistra depuis la "Grande Tempête" du 13-14 mars 1989 (voir graphiques page suivante).

Il n'est pas étonnant dans de telles circonstances que dans les jours qui suivirent l'éruption du 14 juillet, les communications entre les satellites et la Terre ainsi que satellite-satellite furent affectées par l'ionisation de la haute atmosphère. Les communications par ondes-courtes furent également touchées et on observa un blackout sur les bandes HF et VHF (1-30 et 144 MHz), au grand dam des radioamateurs, des stations de radiodiffusion et des autres utilisateurs du spectre.

Des cas comme ceux-ci, les ingénieurs des centres spatiaux en relèvent plusieurs tous les mois. Parfois les détecteurs se coupent automatiquement sous l'intensité du rayonnement et il est impossible de les rebrancher durant plus de 24 heures.

Effets des tempêtes géomagnétiques

Lors des éruptions solaires les plus sévères de classe X, c'est plusieurs dizaines de satellites qui sont ainsi à chaque fois endommagés, temporairement, partiellement ou de manière définitive et qui peuvent même décrocher de leur orbite et tomber sur Terre.

Ainsi, le 3 février 2022, la société SpaceX lança 49 satellites du Groupe 4-7 de sa constellation Spacelink. Or il venait d'y avoir une tempête géomagnétique de niveau G2 comme le confirma le SWPC. Cet évènement augmenta la température de la haute atmosphère vers 200 km d'altitude et donc sa densité et la traînée atmosphérique de 50% par rapport à la normale, provoquant la chute de 40 satellites deux jours plus tard (cf. Spaceflight). Rappelons qu'étant concus pour se désintégrer totalement, il n'y a eu aucun débris.

Sur le plan financier, la perte de ces satellites n'est pas un problème pour SpaceX tant que ces évènements sont peu nombreux. Ces petits satellites qui pèsent moins de 300 kg sont lancés par palette de 40 à 60 unités dans l'espace et sont construits à la chaîne. On estime qu'ils reviennent à 500000$ pièce, c'est moins cher que le coût du lancement d'une fusée Falcon 9.

Pour d'autres satellites l'impact financier peut s'élever à une année de perte d'utilisation (GEOS), à des pertes de puissance permanentes de 66% (ANIK E-1), des pannes de courant chroniques suite à l'endommagement des panneaux solaires (MIR), jusqu'à l'arrêt définitif des opérations (MARECS-A) et la perte de plus de 100 millions de dollars.

Si les opérateurs peuvent se permettre de perdre quelques fois de petits satellites comme les Spacelink, ce serait catastrophique s'il perdait un grand satellite météo, un satellite espion ou de la classe du Télescope Spatial Hubble qui n'existe qu'en un seul exemplaire, ce dernier ayant coûté 1.5 milliard de dollars rien que pour sa construction. Comme le disent les scientifiques c'est un vent solaire contaminé qui tue nos satellites !

Selon un rapport de l'UCAR publié en 2017, les effets du Soleil produisent pour 10 milliards de dollars de dégats chaque année (en défaillance des satellites, pannes des systèmes de communicaton et de navigation, pannes électriques, etc.).

Prochain chapitre

Origines des perturbations

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