Contacter l'auteur / Contact the author

Recherche dans ce site / Search in this site

 

Le polymorphisme du monde

"La planète des singes" telle que l'imagine Franklin J. Schaffner (1968) d'après le roman de Pierre Boulle. Une évolution inattendue qui impose une mutation génétique chez les singes anthropoïdes.

A la fois proche et loin de la Terre (II)

Si des créatures extraterrestres devaient un jour débarquer sur Terre, à quoi pourraient-elles ressembler ? Les remarques qui suivent ne calmeront certainement pas les personnes émotives, celles qui ont peur des "monstres" ou de se trouver face à des événements inhabituels. Mais que ces personnes se rassurent, personne n'a jamais vu d'extraterrestre, ou du moins leur témoignage nous laisse-t-il perplexe. Notre réflexion n'est qu'une spéculation.

Nous ne pouvons pas concevoir la vie extraterrestre sur base des canons anthropomorphes, quels qu'ils soient, au grand dam de Pierre Boulle et de tous les défenseurs d'une vie extraterrestre "à visage humain" tel Steven Spielberg ou Richard Burton.

Rappelons que les créatures martiennes de Wells ou les canaux observés par Lowell se sont retrouvés sous la gomme des dessinateurs le jour où la NASA explora la planète Mars.

En juillet 1965, la sonde spatiale Mariner 4 frôla Mars à moins de 10000 km et révéla une surface accidentée remplie de cratères, mais il n'y avait aucune trace de canaux ni d'intelligence extraterrestre. Le temps des Martiens était révolu et avec lui les aventures de Flash Gordon sur Mars (1938) et toutes les "Chroniques martiennes" si épiques (Ray Bradbury, 1950).

Même les "petits hommes verts" cachés derrière les pulsars ont fait long-feu en 1967 et depuis beaucoup de scientifiques ont reculé d'un pas avant d'avancer des idées à propos d'éventuelles formes de vie extraterrestres.

Désormais quand les astronomes au sens large entendent un signal suspect grâce à leurs radiotélescopes, ils pensent d'abord à des interférences ou des objets naturels avant de penser à un message codé émis par une civilisation extraterrestre avancée. Quand ils pensent aux "petits hommes verts" ils sont tout aussi prudents et préfèrent dans un premier temps penser à des créatures primitives comme des protozoaires, des colonies de microbes ou des mousses.

Nous allons voir que beaucoup d'environnements peuvent en effet abriter des créatures unicellulaires par exemple, alors qu’une civilisation avancée est improbable car celle-ci impose toute une évolution très contraignante qui pèse sur son existence même.

La recette d'un monde vivant est liée à une telle variété d'ingrédients, qu'il y a un nombre de combinaisons pratiquement infini de concevoir la vie à partir de deux cellules procréatrices ou de l'agencement de leurs atomes. A fortiori, les êtres qui émergent doivent revêtir des formes très variées et surprenantes.

Inutile de se demander à quoi peut ressembler une éventuelle forme de vie extraterrestre marine. La diversité des écosystèmes, présents ou passés, nous donne déjà une indication de l'imagination de dame Nature. De gauche à droite, un poisson abyssal Chauliodus sloani ou poisson vipère, un périophthalme et le fameux Anomalocaris du Cambrien. Le génie de dame Nature mérite bien quelques Oscar : le Meilleur rôle, la Meilleure mise en scène, la Meilleure "adaptation" et les Meilleurs effets spéciaux ! C'est une interprétation de génie que nous sommes bien incapables d'imiter. Par quelle miracle procède donc dame Nature... ? Nul ne le sait.

L'image la plus simple est celle de l'évolution de l'homme. En trois millions d'années, Lucy a appris à marcher, puis à parler, à peindre et à se projeter dans l'avenir. Sa physionomie et son comportement se sont graduellement modifiés au point qu'en la voyant nous prendrions peut-être peur. Pour sa part, Lucy serait plus effrayée encore que vous et moi. Mais nous pouvons nous contenter de regarder nos enfants pour déceler à quel point la nature déborde d'imagination. A fortiori les extraterrestres que nous contacterions seraient difficilement "classables" dans un arbre génétique ordinaire et ne pouvant expliquer leur réalité nous éprouverons ce que Lucy aurait ressenti en nous voyant : de l'angoisse, la peur de l'ignorance et de l'inconnu.

L'évolution consista au développement hasardeux de quelques êtres - nous nuancerons cette proposition un peu plus loin -, certains subirent des mutations et développèrent des aptitudes qui renforcèrent leur indépendance et leurs chances de survie. Sur Terre le rythme de l'évolution de la vie est très lent. La Terre a porté des microbes, des algues et des poissons durant plus de 3.5 milliards d'années avant d'aboutir à l'explosion du Cambrien. L'Homme est apparu au terme d'une très délicate évolution jonchée de cadavres et d'espèce éteintes. Nous nous sommes épanouis en 3 millions d'années, ce qui est par contre excessivement rapide. Qu'en est-il ailleurs ? Nous n'en savons rien. Certains disent que les chances qu'un même événement se reproduise ailleurs dans l'univers, même dans des conditions similaires, sont très faibles, probablement nulles, en vertu des lois du hasard. D'autres leur rétorquent que dame Nature a plus d'imagination que cela.

Un alien de MIB. Loin de nos références biologiques c'est pourtant une créature de type terrestre qui respire de l'oxygène.

Un point nous est acquis : si les conditions physico-chimiques sont toutes différentes de celles que nous connaissons sur Terre, le résultat se rapprochera probablement des créatures qui hantent quelquefois nos rêves plutôt que celles d'un lieu paradisiaque, quoique tout soit relatif.

Du fait de la grande sensibilité de l'évolution aux conditions initiales, la morphologie d'éventuels êtres extraterrestres n'aura rien de comparable à celle de l'homme ou des êtres qu'il côtoie. Il sera toutefois bon de déterminer quelles types de créatures nous pouvons rencontrer sous certaines conditions environnementales particulières (planète de faible ou forte gravité, planète océanique, etc).

Si des êtres extraterrestres devaient débarquer sur Terre, ils devront nécessairement s'adapter à notre milieu un peu comme les créatures de "MIB". Soit l'environnement leur sera hostile et dans ce cas ils se protègeront derrière un scaphandre ou une autre interface d'isolement (au pire ils éviteront notre planète) soit ils devront appartenir à une espèce de type terrestre, capable de respirer de l'oxygène atmosphérique.

Sinon, H.G. Wells nous a démontré avec ses fameux Tripodes martiens que les conditions de vie terrestres leur seront fatales. Même Richard Burton auteur de "Mars Attack !" pense que les extraterrestres peuvent mourir à cause de certaines modulations sonores... Mais il ne faut pas chercher si loin une issue fatale. En explorant l'Amérique et en emportant leurs microbes avec eux, les premiers explorateurs ont contaminé beaucoup de populations autochtones pour ne citer que les Indiens qui n'avaient pas nos défenses immunitaires. Face à une civilisation extraterrestre la mise en quarantaine sera une question de survie pour les deux civilisations.

A propos de scaphandre, je ne veux pas dire que les extraterrestres nous ressembleront. La faculté d'adaptation des organismes démontre que l'anthropomorphisme est une notion créée par certains biologistes en manque d'imagination. Tous les biologistes et paléontologistes modernes vous diront que la diversité des formes de vie n'est pas liée à la génétique fondamentale mais apparaît comme une adaptation à l'environnement. Du protozoaire solitaire au comportement de nos sociétés, toutes les formes de vie évoluent vers un stade qui assure leur symbiose avec leur biotope.

Le simple déplacement spatial de l'agencement des éléments au niveau moléculaire crée une modification des propriétés du corps, qu’il soit inerte ou vivant. Comme nous le préciserons plus loin, une molécule aromatique peut avoir du goût alors que son isomère peut-être un poison. Les molécules organiques par exemple s'agencent en formes cycliques hexagonales reliées les unes aux autres par des liaisons carbones fixées à 120°. A de hautes températures la matière inerte restaure une symétrie plus régulière pour offrir de nouvelles propriétés physiques; des cristaux, solides et de forme orthorhombique à température ambiante peuvent devenir élastique et plus dense sous une forme cubique. Une solution sursaturée en milieu clos redevient active dans un système ouvert.

La mer, l'air et la terre contiennent des organismes plus ou moins complexes auxquels on prête peu d'attention mais qui pourraient peupler la majorité des planètes propices à la vie sans abriter la moindre créature évoluée. De gauche à droite, différentes variétés d'algues, une abeille et des fleurs de montagne.

Il y a malgré tout certains facteurs convergents, qui à l'instar des lois de la nature semblent guider l'évolution. A l'échelon inférieur, il y a tout d'abord l'instabilité quantique et thermique, les liaisons chimiques et la gravitation qui président à l'assemblage des atomes et des molécules de façon identique dans tout l'univers observable. Sans l'intervention de ces forces à certains niveaux d'énergie et sur un certain spectre, toute construction inerte et plus tard vivante est vouée à l'échec.

A l'échelon le plus élevé, les facteurs communs entre deux civilisations seront peut-être les organes des sens et la mobilité, sans lesquels personne ne peut évoluer ; la vision, le toucher et la pensée, l'écriture ou le langage qui peuvent en découler. Si une civilisation est parvenue à un stade technologiquement avancé par rapport à nous, on peut en déduire que sa morphologie se rapprochera de celle des êtres humains ou d'autres mammifères, si l'on pose, a priori, que les propriétés de l'univers sont homogènes. Ce n'est pas pour autant qu'ils nous ressembleront.

La convergence morphologique

Il y a enfin la dynamique de l'évolution que l'on découvre quand on explore des continents isolés comme l'Amérique du Sud (Amazonie, Galapagos) ou l'Australie (Tasmanie) qui sont restés longtemps à l'écart des autres populations. Loin de toute influence étrangère, sur ces continents la vie a trouvé des solutions uniques que l'on ne retrouve nulle part ailleurs, pensez au kangourou.

Partout on observe soit une convergence de l'évolution, une différenciation, une évolution en parallèle voire encore une coévolution de processus quand il est question de ressources ou d'un rapport prédateur-proie ou de parasitisme. La convergence est bien sûr le phénomène le plus spectaculaire de la nature. Elle explique la manière dont des dispositifs semblables se retrouvent chez différentes créatures n'ayant aucun ancêtre commun. L'évolution parallèle décrit le cas où des espèces ou des genres ayant une ascendance commune mais ayant évolué indépendamment ont trouvé des solutions identiques en réponse aux mêmes contraintes environnementales.

Les mammifères placentaires (singe cercopithèque) comme les marsupiaux (kangourous rouges) ont trouvé une méthode équivalente pour assurer la gestation et la survie des petits jusqu'au sevrage.

Citons parmi de nombreux exemples la faculté de voler qui a évolué séparément et plusieurs fois chez les insectes, les ptérosaures, les oiseaux et les chauffes-souris; l'oeil évolué des vertébrés et ceux des céphalopodes; l'écholocation chez les chauves-souris, certains oiseaux, les phoques et les cétacés; l'utilisation de l'électricité chez certains poissons; la convergence chez les mammifères placentaires et les marsupiaux. Ce phénomène s'observe également au niveau molécule au cours de la réplication dans des tubes à essai. Même chez l'homme le biologiste Richard Dawkins affirme que certaines personnes aveugles "voient" inconsciemment par écholocation avec leurs joues; elles entendent les changements subtiles de bruits leur permettant de sentir les obstacles sur leur chemin.

Si les yeux du poulpe sont le résultat d'une modification des cellules de la peau, chez un vertébré il s'agit d'une modification des cellules du cerveau. Nous pouvons même transformer les pattes d'une mouche en antenne ou rendre la vue au protée par génie génétique. La convergence de l'évolution est un facteur dont nous devons tenir compte quand nous discuterons des éventuelles formes de vie extraterrestres. Il ne faut donc pas croire que tous les extraterrestres auront le "cerveau en ébullition" mais ils peuvent très bien avoir le "coeur sur la main" ou "l'estomac dans les talons" ou n'avoir pas de coeur du tout et pourtant être amicaux...

Le principe anthropique et l'évolution cosmique

Document Xuxoe. Passez le curseur sur l'image pour animer l'oeil.

Sous ce vocable ésothérique se cache en fait une observation statistique a posteriori qui prétend que les événements n'arrivent pas de façon aléatoire. Ce thème discuté en détail dans un autre article stipule dans sa version faible que l'évolution de l'Univers a débuté dans l'indétermination et le hasard, cherchant une orientation à travers le temps. Un concours judicieux de circonstances, une structure atomique prête à subir des changements plus complexes forma les molécules, les étoiles. Rassemblées en galaxies, elles ont édifié soleils et planètes pour aboutir à l'apparition de la vie et à l'émergence d'observateurs. Les conditions qui préludent à la vie semblent limitées à notre région de l'Univers, même si l'on admet a priori l'universalité des lois de la nature.

Malheureusement ce principe n'explique pas la raison d'être des constantes fondamentales de la physique. Pour le physicien Heinz Pagels le principe anthropique n'a rien d'étonnant et n'a aucune valeur scientifique, et d'autant moins aux yeux d'une civilisation extraterrestre.

Pour Brandon Carter, auteur du principe antrhopique fort, si nous existons et nous posons ce genre de questions, c'est parce que toutes les lois de la physique sont les mêmes partout, que les conditions physiques ou chimiques qui régissent les lois n'accordent que peu d'arbitraires. L'aboutissement de la vie aurait été déterminé dans une petite fourchette de variations, rendant les lois de la nature immuables, ne tolérant pas le hasard pour aboutir à l'Homme. Ainsi, l'Univers ne permettrait le développement de la vie que sous l'inspiration d'un Créateur, seul habilité à choisir les lois qui nous gouvernent.

Malheureusement cette version forte, en faisant appel à une notion de finalité, court à sa perte. Si les lois de la physique auraient pu être multiples, même les lois qui gouvernent l'Univers seraient en désaccord avec la théorie quantique de l'état singulier du Big Bang et son évolution ultérieure. Il semble donc que les seules variations possibles aient été celles d'un choix d'Univers parmi différentes configurations initiales. Cela nous ramène à sa version faible, c'est-à-dire celle de l'évolution cosmique chère à Carl Sagan et Hubert Reeves.

L'émergence de l'intelligence

Les créatures évoluées vivant sur une planète lointaine appartiennent à deux catégories : les prédateurs et les proies. Selon la société dont il est question cela se traduit par une compétition entre deux "classes sociales" : les chasseurs et les chassés ou les maîtres et les esclaves. Moyennant certaines réserves on peut également y associer les dirigeants et les travailleurs dans la mesure où les seconds sont brimés ou contraints d'effectuer certaines tâches par la classe dirigeante. Mais ici se greffe également des comportements sociaux et économiques sur lesquels il serait trop long de s'étendre.

Les Asgards, une civilisation de Type II de Kardashev dans la série "Stargate SG-1".

Sur Terre cette règle est une loi naturelle depuis que le monde vivant existe. Les fourmis élèvent des pucerons, les lionnes chassent les antilopes, l'homme va jusqu'à exterminer sa propre espèce et une poignée d'entre eux sont au commandes du système.

Pour une intelligence inférieure à la nôtre, la vie est une lutte permanente pour la survie. Nous y avons en partie échappé en domestiquant la science et la technologie. Les créatures qui disposent d'un grand cerveau, habiles et qui sont autonomes éviteront plus facilement que les autres les pièges tendus par les prédateurs.

Mais même ici, une société animale plus évoluée que la nôtre mais incapable de développer une technologie évoluée (pensons à des mammifères marins ou volants de la taille d'une baleine) peut parfaitement évoluer durant des millions d'années sans subir de grands changements. Et si elle atteint une taille suffisante elle peut même être à l'abri des prédateurs qui, bien que très agiles et agressifs, ne peuvent plus blesser les monstres pacifiques qu'ils sont devenus.

Mais ces équilibres sont fragiles. A chaque changement d'un paramètre (climat, ressource, population, etc) les prédateurs en profiteront comme les proies. Et un feedback va se déclencher : si les proies deviennent plus intelligentes, la sélection naturelle sélectionnera immédiatement les prédateurs les plus intelligents pour rétablir l'équilibre. Il peut ainsi s'établir une sorte de "course aux armement" que connaissent bien les biologistes.

Discuter du polymorphisme sur une autre planète que la nôtre relève d'un pari pascalien. Si par le passé certains astronomes étaient plus conciliant envers la vie extraterrestre (Percival Lowell, Camille Flammarion, etc), aujourd'hui la science a recentré le débat et plus aucun scientifique ne voit de petits hommes verts ou gris nulle part. Deux camps s'affrontent toutefois dans ce débat.

Les créatures extraterrestres chimériques de Bob Eggleton.

D'un côté certains biologistes considèrent la question comme "n'avançant à rien" car jusqu'à présent nous n'avons pas la moindre preuve d'existence d'une autre forme de vie dans l'univers. Il serait également inutile d'envisager des créatures extraterrestres à sang chaud, se nourrissant d'aliments sucrés et respirant de l'oxygène. Certains astrophysiciens voudraient également imposer en préliminaire à toute discussion que l'on définisse un modèle complet de biosphère, de biotope et de biocénose, que l'on détermine la classe de l'étoile, son stade évolutif, la structure géologique et le modèle climatique de l'exoplanète considérée, etc., bref de fixer tous les paramètres astrophysiques avant même d'imaginer l'existence de la moindre forme de vie sur cette planète.

Malheureusement en suivant ces deux démarches et à force de rester le nez au-dessus de leurs équations ou dans leurs éprouvettes, ils ne risquent pas de découvrir des "petits hommes verts".

D'un autre côté nous trouvons les exobiologistes. Ils prennent la question de la vie dans l'univers sous un autre angle. Ils ne cherchent pas à déterminer les conditions initiales (ils peuvent le faire et le font évidemment en laboratoire), mais le plus souvent ils recherchent plutôt les molécules synthétisées dans l'espace, les planètes ayant atteint un stade prébiotique ou ayant développé une chimie extraterrestre et certains vont même jusqu'à écouter les signaux d'éventuels civilisations extraterrestres. Cette démarche est bien sûr la plus prometteuse bien que les chances de réussite soient minimes. C'est aussi la seule qui nous permette de décrire les éventuelles formes de vie extraterrestres, ces créatures que la biologie n'ose même pas reconnaître comme vivantes car exclues de l'arbre phylogénique terrestre, et donc chimériques par définition à l'image des créatures fantasques de Bob Eggleton présentées à gauche ou celles de George Lucas.

Toutefois nous ne pouvons pas non plus emboîter le pas des exobiologistes et disserter dans l'inconnu. Il nous faut quelques bases de référence, ne fut-ce que pour bien cerner l'objet de notre débat.

Les conditions initiales

Nous ne pouvons pas procéder à la manière d'un biologiste ou d'un astrophysicien en définissant toutes les conditions initiales de notre modèle ni inversement inventer des créatures de science-fiction comme pourrait les imaginer un exobiologiste sortant d'un rêve éveillé. Compte tenu de toutes les combinaisons possible, la première solution est trop lourde et trop complexe à cerner, la seconde sans grand intérêt.

Mais on ne peut pas non plus discuter des formes de vie extraterrestres ou de leurs biotopes à l'aveuglette, sans définir un certain nombre de conditions physico-chimiques initiales. Nous partirons de quelques postulats élémentaires en nous accordant malgré tout une importante marge de manoeuvres pour explorer tous les climats possible et les nombreuses formes de vie potentielles qui pourraient peupler ces terres du ciel.

La vie

Ainsi que nous l'avons définie précédemment, en quelques mots la vie est une entité faite d'atomes et de molécules organisés en cellules formant un organisme qui peut-être simple ou complexe, microscopique, à notre taille ou géant.

C'est une entité homéostatique visant à préserver son état et ses fonctions. Elle se reproduit, faisant des copies d'elle-même sans être programmée, de manière sexuée ou asexuée. Elle grandit et se développe, tire son énergie de son environnement et rejète ses déchets en offrant la particularité de pouvoir maintenir voire réduire son entropie grâce à son organisation. Elle répond à des stimuli et s'adapte à son environnement.

Neurone se développant sur un tissu de culture déposé sur le substrat d'un processeur Motorola 68000. Document KCL.

Toute entité qui ne satisfait pas l'un de ces critères n'est pas considérée comme vivante dans le sens biologique du terme. Robots et androïdes sont exclus de cette famille et appartiennent au monde des machines. Il est toutefois envisageable que dans un lointain avenir, à une époque où des organismes cybernétiques seront aussi communs que nos prothèses, nos ordinateurs ou nos appareils domestiques actuels, le qualificatif d’être vivant soit étendu aux cyborgs. Mais à n’en pas douter cela fera l’objet de longues discussions sur l'éthique et le statut d'être humain.

Il peut toutefois exister des structures "vivantes" mais que nous ne pouvons pas reconnaître. Elles peuvent par exemple évoluer à un autre rythme (beaucoup plus lentement ou beaucoup plus rapidement que nous), elles peuvent revêtir une forme d'énergie que nous ne considérons pas comme émanant d'une forme de vie ou utiliser des processus qui nous paraissent inertes et ne pas relever d'un organisme vivant.

L'unité de base

Les organismes terrestres complexes ou intelligents sont construits à partir de molécules de carbone qui assurent toutes les fonctions biochimiques. Nous avons vu à propos de la chimie du silicium que le carbone est un atome versatile et très abondant. Le silicium pourrait assurer certaines de ses fonctions, y compris dans des molécules hybrides carbone-silicium. Dans un premier temps nous discuterons des propriétés d'un monde organique fait de carbone, à l'image du nôtre, et donc de créatures dont le métabolisme épouse ou se rapproche en tous cas de ce que nous connaissons sur Terre. Nous prendrons toutefois le temps de discuter de la vie à base de silicium et de ses étonnantes facultés. Discuter d'autres molécules de base serait encore plus spéculatif.

L'information génétique

Sur Terre l'acide désoxyribonucléique (ADN) contient l'information génétique nécessaire à la formation des autres structures qui assurent les fonctions métaboliques et de reproduction. Etant donné que cette information est une caractéristique fondamentale de la vie et de la manière dont elle se reproduit sur Terre, il est probable qu'une éventuelle forme de vie extraterrestre disposera d'une forme quelconque de système stockant et reproduisant cette information.

Structure de l'ADN et des bases

A gauche, la molécule d'ADN est constituée d'une très longue chaîne constituée de 3 milliards de paires de nucléotides ou bases représentées à droite. Chaque nucléotide se compose d'un acide phosphorique (P), d'un sucre (S) et de plusieurs bases : adénine (A), thymine (T), guanine (G) et cytosine (C). Les nucléotides forment ainsi une double hélice inversée qui s'enroule de nombreuses fois sur elle-même. La répétition de ces 4 lettres dans un ordre forme le matériel génétique d’un individu. La disparition d’un seul acide aminé de cette chaîne peut déclencher des maladies infectieuses, parfois héréditaires. Documents T.Lombry inspiré du ESG/MIT.

Le solvant

Sur Terre, l'eau est un solvant universel qui intervient dans toutes les réactions biochimiques. D'autres molécules peuvent la remplacer partiellement comme l'ammoniaque, le méthane, l'acide sulfurique ou fluorhydrique. Nous nous limiterons aux propriétés de l'eau dont la présence est confirmée sous forme de glace ou d'aérosols sur plusieurs autres corps du système solaire (Lune, Mars, Jupiter, Europe, les comètes, etc). En outre on ignore jusqu'où peut aller la vie en présence d'autres solvants.

La température

Toute forme de vie ne survit qu'en présence d'un solvant liquide à température ambiante. C'est une condition sine qua non de la biochimie. Considérant l'eau cela nous conduit à explorer uniquement les planètes où la température oscille entre 0 et 100°C. Dans le cas particulier des acides et du silicium, le biotope sera tout à fait différent. Nous prendrons le temps d'en discuter.

L'eau : sous forme de gouttes de rosée sur une pétale de fleur et sous forme cristalline. Seule la première forme est compatible avec le développement de la vie telle que nous la connaissons.

La pression

Idéalement toute forme de vie requiert des pressions et des températures qui permettent au solvant d'exister dans les trois principaux états de la matière (solide, liquide, gazeux). A nouveau l'eau, sous toutes ses formes, nous impose certaines contraintes, mais moins sévères que celle de la température. Sur Terre la vie peut parfaitement se développer entre la stratosphère et les abysses. Il devrait en être de même ailleurs.

L'énergie

Tout organisme vivant et même certains corps inertes (cristaux) ont besoin d'énergie pour se développer et s'organiser. La principale source d'énergie est le rayonnement d'une étoile. Elle peut toutefois être complétée par différentes formes d'énergies se développant sur la planète hôte : énergie hydrothermale, géothermale, marée motrice, éolienne, etc. Une société avancée pourrait également dompter d'autres formes d'énergies naturelles (magma, radioactivité, éclairs, ouragans, trombes d'eau, etc).

De manière générale les conditions climatiques doivent être considérées différemment selon que nous considérons les conditions d'apparition de la vie et les conditions de son évolution. Tout créature évoluée souffre du froid, de la chaleur et de la pression alors qu'un protozoaire supporte des écarts plus importants tandis que la chimie prébiotique ne souffre pratiquement d'aucune contrainte pourvu que l'eau soit disponible et un peu d'énergie. Ces différences rendent une planète viable ou hostile à la vie.

Structure schématique d'une cellule eucaryote. Document CUL/CPPE, http://www.cu.lu/labext/rcms/cppe/

Les cellules

Selon notre définition de la vie, pour peu qu'elle soit évoluée, une créature extraterrestre devrait être bâtie à partir d'unités simples similaires à nos cellules. A mesure qu'elle grandira, son volume grandira plus rapidement que sa surface (fonction du cube plutôt que du carré de sa taille). Ce paramètre place une première contrainte sur la taille des organismes. En effet, lors des échanges avec le monde extérieur, les substances migreront par diffusion, un phénomène qui dépend largement de la surface des pores, des distances à parcourir et des différences de concentrations d'un milieu à l'autre. Si l'organisme devient très grand, la distance de centre à centre ou entre extrémités augmentera et la diffusion sera ralentie voire interrompue.

Pour maintenir une distance de diffusion acceptable, l'organisme doit disposer d'un grand nombre de petites cellules plutôt que d'une seule très grande. On peut donc en conclure qu'une créature extraterrestre plus grande qu'un microbe sera nécessairement pluricellulaire, un métazoaire tout comme nous. Il est difficile d'imaginer une unité simple viable mesurant une année-lumière comme "Star Trek" nous l'a proposé dans son épisode "Le Syndrome Immunitaire".

Certains diront que le neurone peut mesurer jusqu'à un mètre de longueur (dans un organe moteur) et on pourrait en imaginer de gigantesque reliés sous forme de tresses dans un réseau informatique hybride carbone-silicium. A l'heure de la cybernétique ce projet est du domaine du possible, mais replacé dans l'ensemble de la biosphère, cette cellule spécialisée 10000 fois plus grande que la normale est comme l'on dit une exception qui confirme la règle.

L'organisme et la sélection naturelle

La population est un ensemble d'organismes appartenant à une même espèce. La communauté est l'ensemble des populations animales et végétales attachées à un biotope. L'écosystème est l'ensemble formé par la biocénose (communautés) et le biotope (environnement). La biocénose, ou partie vivante d'un écosystème, est constituée de toutes les populations d'êtres vivants habitant la biosphère.

Toute forme de vie se transforme au cours du temps grâce à l'expression des gènes, au hasard de la sélection naturelle et en réaction aux contraintes physiques.

La physiologie d'un organisme est dictée par l'influence de son environnement (concentration des gaz atmosphérique, constitution du milieu marin, température, pression, humidité, gravité). Cet organisme doit extraire l'énergie de son environnement, donc se nourrir et éliminer les déchets de son métabolisme.

Tout forme de vie évoluée (vertébré placentaire par exemple) doit transporter des matières (solides, liquides ou gazeuses) dans son organisme, les distribuer à chaque cellule et en extraire les déchets. Ces actions sont assurées par quelques organes vitaux  comme le coeur, une ramification de vaisseaux sanguins ou similaires, un système de filtration comme les reins et des poumons ou une trachée pour alimenter les cellules en oxygène ou en gaz offrant les mêmes propriétés.

Pour survivre, cet organisme évolué doit disposer de sens (vue, odorat, toucher, etc) afin d'obtenir des informations sur son environnement et répondre aux stimuli les plus divers (présence d'un précipice, du feu, d'une odeur, d'un ennemi, etc). Elle devra donc disposer d'un cerveau, centre névralgique du système pour traiter toutes ces informations. Elle devra disposer de membres pour capturer ses proies et se déplacer ou pour porter ses détecteurs sensoriels.

Toute forme de vie est conçue pour se reproduire, de manière sexuée ou asexuée. Sans sexualité cette espèce serait stérile et vouée à l'extinction.

Quel que soit l'écosystème envisagé, les types de biocénose et de biotope considérés (y compris la symbiose et le parasitisme évoqués précédemment), l'édifice du vivant extraterrestre sera probablement bâti sur une structure écologique similaire à celle qui s'est développée naturellement sur Terre à travers les multiples chaînes alimentaires et les niches écologiques. Tout organisme sera intégré dans son biotope et ce jusqu'au niveau des écosystèmes. Les espèces productrices donneront de la nourriture aux espèces consommatrices, les consommateurs ou les prédateurs mangeront les producteurs ou les proies, tandis que les nécrophages ainsi que l'action biochimique du milieu décomposeront les déchets et recycleront les substances dans l'environnement sous forme d'atomes et de molécules assimilables.

Enfin, la taille des populations est une donnée physique déterminée par de nombreux facteurs parmi lesquels la taille du biotope et des organismes, la quantité de nourriture disponible (proies, fruits, etc), la sensibilité aux maladies, l'influence du climat et d'autres facteurs environnementaux qui touchent la thermodynamique. En fonction de ces paramères, le bilan énergétique au sein de chacun de ces processus pourra être différent de ceux observés sur Terre.

Les caractéristiques et les limites de notre modèle étant précisées, voyons de quelles manières d'éventuelles créatures extraterrestres répondant à ces critères peuvent évoluer dans différents biotopes, sous des gravités faibles ou fortes, sur des planètes liquides, glacées, désertiques ou dans la jungle la plus sauvage, voire même sous d'autres conditions inconnues.

Prochain chapitre

L'effet d'une faible et d'une forte gravité

Page 1 - 2 - 3 - 4 - 5 - 6 - 7 - 8 - 9 -


Back to:

HOME

Copyright & FAQ