Contacter l'auteur / Contact the author

Recherche dans ce site / Search in this site

 

Le Soleil

La chaîne proton-proton

Pour aboutir à la fusion de l'hydrogène avec un rendement d'environ 90%, Bethe et Critchfield inventèrent un nouveau mécanisme qui s'adaptait beaucoup mieux au Soleil. Ils démontrèrent que la collision de 2 protons donnait un noyau de deutérium (le deutéron, l'isotope lourd de l'hydrogène comprenant un proton et un neutron). Cette réaction de fusion devait être très efficace aux alentours de 15 millions de degrés, c'est la chaîne proton-proton (pp).

Cette réaction libère un positron et un neutrino. Ce dernier n'entre pratiquement pas en interaction avec la matière et quitte le Soleil avec une énergie maximale de 0.42 MeV. Il s’agit d’un neutrino de basse énergie. Attiré par son antiparticule, le positron s'annihile rapidement avec un électron en libérant un intense rayonnement γ. Mais une fois sur 400 environ, deux protons fusionnent, capturent un électron et se transmutent en deutéron, l'isotope lourd de l'hydrogène et libèrent un neutrino (1.44 MeV max.). C'est la chaîne "proton-électron-proton" (p-e-p). A son tour la fusion d'un nouveau proton avec le deutéron produit un isotope de l'hélium, l’hélium-3 en émettant un photon γ.

La réaction suivante transforme cet élément radioactif en hélium-4. Deux mécanismes forts différents peuvent intervenir. Neuf fois sur dix, deux atomes d’hélium-3 se transmutent en hélium-4 et libèrent deux protons. Ensuite la fusion de l’hélium-3 et de l’hélium-4 avec un proton libère deux particules α (2 hélions). Une fois sur dix, l’hélium-3 et l’hélium-4 fusionnent pour former du béryllium-7, réaction qui s'accompagne de photons γ. Le béryllium-7 capture ensuite un électron et se scinde en 2 atomes de lithium-7. Cette réaction libère deux neutrinos (86 et 38 MeV max.) qui s'évaderont du Soleil. Enfin, le lithium-7 fusionne avec un proton pour former deux atomes d’hélium-4.

A voir : Nucleosynthesis: The Proton-Proton Chain, UNSW

La chaîne proton-proton (pp). Documents T.Lombry et Collaboration Borexino (2018, 2020) adapté par l'auteur.

Dans une réaction sur mille, le béryllium-7 se transforme en boron (noyau de bore-8) par fusion avec un proton. Cette réaction libère également des photons γ. Le boron étant instable, il se transmute en béryllium-8 en libérant un positron et un neutrino (14.06 MeV max.). Finalement dans une dernière réaction, le béryllium-8 se brise en deux paires d’hélium-4. La réaction en chaîne prend fin.

Le cycle CNO

Les réactions pep et pp expliquent le rayonnement du Soleil et des étoiles grâce à la réaction de fusion thermonucléaire qui transforme l'hydrogène présent dans leur noyau en hélium. Mais elle n'explique pas la présence des éléments suivants plus lourds que l'hélium comme le carbone, l'azote et l'oxygène visibles dans leur spectre. Une autre réaction doit exister.

Historiquement c'est Hans Bethe, l'un des auteurs de la théorie du Big Bang avec George Gamow alors à l'Université de Cornell qui avança une hypothèse géniale en 1939, pour laquelle il sera récompensé par le prix Nobel... en 1967. A la même époque, le physicien allemand Carl von Weizsäcker proposa la même réaction mais vu qu'il travaillait alors en Allemagne, son nom ne sera pas associé au prix Nobel.

A partir des éléments lourds observés dans le spectre du Soleil, Hans Bethe et son collègue Charles von Critchfield partirent de l'hypothèse que les atomes de carbone pouvaient se transmuter en éléments plus lourds. Cette fusion dégagerait une grande quantité d'énergie.

Les acteurs

Hans Bethe et Arthur Eddington. Documents SONOMA.

Dans un article publié dans la "Physical Review" en 1939, Hans Bethe proposa qu'un noyau d’hydrogène, un proton, pouvait fusionner avec un noyau de carbone-12 pour donner de l’azote-13, un isotope radioactif de l’azote et un photon γ qui se dissiperait rapidement pour donner ce bel éclat au Soleil. Instable l’azote-13 se désintégrerait en 3 particules : le carbone-13, un isotope du carbone, un positron (un électron positif) et un neutrino (avec un spectre d'énergie allant jusqu'à 1.2 MeV maximum). Ce positron s’annihilerait avec un électron libre présent dans l’atmosphère solaire et créerait un photon γ qui se dissiperait vers la surface. Plus réactif que le carbone-12, son isotope fusionnerait rapidement avec un autre proton pour produire de l’azote-14, un noyau stable, avec émission d’un photon γ. L’injection d’un nouveau proton donnerait de l’oxygène-15 en libérant à son tour un photon γ. Mais instable, trop riche en protons, ce noyau d’oxygène se désintégrerait en azote-15 en libérant à nouveau un positron et un neutrino (1.74 MeV max.). Positron et électron produiront un nouveau photon γ qui viendra activer l’énergie du système. Une dernière collision avec un proton briserait le noyau d’azote-15. Un nouveau noyau de carbone-12 serait créé ainsi que 4 paires de protons, c’est-à-dire un noyau d’hélium-4 (hélion ou particule α).

Ce cycle du carbone ou cycle CNO[1] boucle ainsi sur lui-même comme illustré ci-dessous. Grâce à la libération de photons γ ce mécanisme très simple constitue une recette très économique pour entretenir ce chaudron cosmique. Une collision sur mille transformerait toutefois l’azote-15 en oxygène-16 qui dans tous les cas se désintégrerait en une particule α et en azote-14. Le cycle est fermé. Mais il fallait expliquer de quelle façon le carbone-12 et les éléments plus lourds découverts dans les étoiles avaient pu se constituer. Cette énigme ne sera résolue qu'à la fin des années 1950.

A voir : La fusion au cœur des étoiles, CEA

Le cycle CNO. Documents T.Lombry et Collaboration Borexino (2018, 2020) adapté par l'auteur.

En attendant, on pouvait résumer ce processus en donnant au carbone-12 le rôle central de catalyseur de la fusion thermonucléaire. Cette réaction se réalise avec un seul noyau de carbone, l'interaction individuelle de 4 noyaux d’hydrogène, mais on décompte au terme du processus, une vingtaine de réactions en chaînes, la formation d'une dizaine d'atomes et la libération d'une grande quantité d'énergie sous forme de rayons γ. 0.75% de la masse de chaque atome d'hydrogène est convertie en rayonnement, en tenant compte du fait que les neutrinos ne collaborent par à ce bilan global. Le résultat de cette conversion de l'hydrogène en hélium produit donc du carbone, de l'azote et de l'oxygène dont la plupart des isotopes sont instables et vont décroître jusqu'à former des éléments stables.

Alors que Gamow confirmait que le proton pouvait fusionner vers 15 millions de degrés, le cycle du carbone dépendait étroitement de la température qui régnait au centre de l'étoile. Dans le coeur du Soleil, le cycle du carbone offrait peu de rendement, environ 1% (bien moins que les 10% estimés auparavant). Il faut en effet une température d'au moins 20 millions de degrés pour obtenir un rendement suffisant. Le cycle CNO offre donc son meilleur rendement dans les étoiles massives.

Dans ces conditions comment pouvait-on expliquer la source d'énergie du Soleil, où le cycle CNO ne serait pas très efficace ? En effet, si grâce au mécanisme de fusion inventé par Bethe, von Critchfield et von Weizsäcker, Eddington avait l'explication de la source du rayonnement du Soleil, il restait à élucider la façon dont les autres éléments chimiques étaient élaborés et expliquer leurs abondances relatives, y compris dans l’Univers. C'est George Gamow et ses collègues qui trouvèrent l'explication. On y reviendra.

Preuve de la production de neutrinos CNO

Jusqu'à présent, les astrophysiciens avaient prouvé par l'étude spectroscopique la réalité de la chaîne pp mais pas encore celle du cycle CNO, même s'ils appliquaient tous les jours les modèles astrophysiques qui en découlent pour déterminer les propriétés des étoiles. Comment on dit, on ne progresse pas sans faire d'hypothèses. Mais quand on prétend qu'une partie de l'énergie produite par les étoiles se transforme en neutrinos, une démonstration ne suffit pas; un jour ou l'autre il faut le prouver.

À la décharge des chercheurs, bien qu'ils aient détecté des neutrinos solaires depuis les années 1960, pour des raisons techniques il était impossible de savoir lesquels provenaient du cycle CNO. C'est à présent chose faite et cela mérite bien tous nos applaudissements et quelques explications.

Dans un article publié dans la revue "Nature" en 2020 (lire aussi l'article publié en 2021 et le support de la conférence de 2021), une équipe de plus de 100 physiciens de la Collaboration Borexino travaillant dans le Laboratoire National souterrain de Gran Sasso en Italie réussit pour la première fois à prouver la présence des neutrinos dans le cycle CNO et ainsi mesurer directement le type de fusion nucléaire qui se produit dans le cœur du Soleil.

L'intérieur du détecteur Borexino de 8.50 m de diamètre pendant sa calibration en 2007, avant que le réservoir ne soit rempli d'eau. Document Virginia Tech.

Il y a plusieurs années, la Collaboration Borexino avait présenté une étude globale des processus de fusion de la chaîne pp faisant intervenir des neutrinos mais des interférences obscurcissaient le signal.

Le principal défi expérimental consistait à identifier l'excès de signal (seulement quelques comptages par jour au-dessus du bruit de fond pour 100 tonnes de cible) qui est attribué aux interactions des neutrinos dits CNO.

Jusqu'à présent, en raison de leur répartition énergétique, les neutrinos CNO étaient difficiles à distinguer de ceux générés par la désintégration radioactive d'infimes traces d'autres éléments, notamment du bismuth-210 provenant des traces d'impuretés à la surface de la paroi du détecteur qui contaminaient et dissimulaient les signaux du cycle CNO.

Afin d'éliminer cette perturbation, les chercheurs ont stabilisé le rayonnement thermique de la cuve ce qui permit d'arrêter la convection à l'intérieur du détecteur Borexino, une cuve sphérique de 8.50 m de diamètre contenant 280 tonnes de scintillateur liquide et dont les parois sont couvertes de 2212 détecteurs constitués de photomultiplicateurs comme illustré à gauche.

La tâche jugée impossible a priori s'avéra difficile et il fallut 6 ans pour que les chercheurs parviennent à prouver la présence des neutrinos dans le cycle CNO.

Selon les chercheurs, Borexino détecte environ 100 neutrinos par jour (de 24 heures) parmi lesquels seuls 7.2 (+3.0 -1.7) neutrinos CNO sont détectés chaque jour par 100 tonnes de scintillateur. Compte tenu des probabilités d'interactions avec les électrons (on compte 3.307 ±0.015 x 1031 électrons dans le détecteur) et reportés par unité de surface, les chercheurs en déduisent qu'environ 700 (+3.0 -2.0) millions de neutrinos solaires traversent chaque centimètre carré de notre corps chaque seconde, jour et nuit - la nuit ils n'ont aucune difficulté pour traverser la Terre. En fait, c'est "relativement peu de chose" car cela ne représente que 1% des neutrinos cosmiques qui traversent la Terre mais qu'aucun instrument ne détecte !

Ces résultats confirment non seulement les prédictions théoriques sur les deux processus de fusion thermonucléaires du Soleil, mais ils offrent un moyen de mesurer directement la métallicité du Soleil à l'aide des neutrinos CNO.

On apprécie d'autant plus la valeur du résultat sachant qu'au cours des dernières années différentes méthodes d'investigation astrophysique ont donné des résultats différents. Jusqu'à présent, toutes les tentatives pour étudier la fusion du Soleil ont conduit à des données non concordantes provenant de sources indirectes. Mais pour cette nouvelle étude, les chercheurs sont allés directement à la source en capturant des neutrinos solaires.

Les chercheurs avaient déjà découvert des neutrinos issus de la chaîne pp qui transforme l'hydrogène en hélium, une réaction caractéristique des étoiles peu massives et qui représente 99% de l'énergie du Soleil. Avec la découverte des neutrinos issus du cycle CNO, les chercheurs avaient à présent la preuve que la réaction se déroule également dans les étoiles massives.

A voir : Borexino Pictures

L'étude révèle que le cycle CNO implique des éléments plus lourds que ce que les chercheurs avaient prédit pour une étoile de la masse du Soleil. De plus, les nouveaux résultats supportent les observations avec des valeurs de métallicité plus élevées, un paramètre important pour déterminer les propriétés fondamentales des étoiles.

Plus important encore, elle confirme expérimentalement la réalité du cycle CNO, ce que les astrophysiciens n'avaient jamais pu démontrer depuis la proposition de Hans Bethe précitée. Cela signifie que désormais toutes les prédictions théoriques sur la façon dont l'énergie est générée dans le Soleil ont été vérifiées expérimentalement et sont enfin validées.

Cette découverte a non seulement prolongé la durée de vie du détecteur Borexino qui devait être mis hors service fin 2020, mais eut également un impact philosophique. En effet, comme la découvre des neutrinos de la supernova SN 1987A, la validation du cycle CNO a rendu confiance aux chercheurs qui savent dorénavant que leurs théories a priori abstraites s'appliquent bel et bien concrètement aux étoiles et à l'univers. Selon le physicien Andrea Pocar de l'Université du Massachussetts à Amherst et expert des neutrinos solaires, "La confirmation du cycle CNO dans notre Soleil, où il fonctionne à seulement 1%, renforce notre confiance dans notre compréhension du fonctionnement des étoiles."

Retour à la nucléosynthèse stellaire

Retour au Soleil


[1] Pour la justesse du récit, rappelons que Bethe et Critchfield ne développèrent que le cycle CN. Il fallut attendre quelques années pour que d'autres astrophysiciens inventent le cycle NO.


Back to:

HOME

Copyright & FAQ