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La physique quantique

Le neutrino

Nous savons que le Soleil émet quantité de rayonnements électromagnétiques et corpusculaires. Parmi ces derniers, il y a des neutrinos. De quoi s'agit-il ? En analysant le bilan énergétique de la désintégration radioactive avec émission de rayonnement β (des électrons), en 1932 Wolfgang Pauli nota qu'il était incomplet et ne satisfaisait pas la théorie quantique de Bohr; une certaine quantité d'énergie nucléaire n'était pas toujours emportée par l'électron. Qu'était donc devenue l'énergie manquante ?

Pauli suggéra que l'énergie de désintégration pouvait être partagée entre l'électron et une nouvelle particule sans masse et sans charge qu'il appela le neutrino, signifiant "petit neutron". 

Malheureusement, on apprit plus tard que le neutrino est une particule élémentaire neutre appartenant à la famille des leptons. Il est touché par l'interaction faible mais il peut traverser des centaines de kilomètres de roche sans subir la moindre interaction électromagnétique ou forte, raison pour laquelle sa détection et la détermination de sa masse sont rendues très difficiles. Cette hypothèse sera incorporée dans la théorie des interactions faibles par Enrico Fermi en 1932[18].

Mais en prédisant l'existence du neutrino, Pauli venait de formuler une équation que n'appréciaient guère les physiciens. Cette particule demeurait "invisible" et les physiciens attendront vingt ans avant de la détecter. Le neutrino fut découvert en 1952 par les physiciens américains Frederick Reines et Clyde Cowan de Los Alamos.

Nous savions depuis 1943, grâce aux travaux du physicien japonais Shoichi Sakata sur les rayons cosmiques et les mésons, qu'il pouvait exister plusieurs espèces de neutrinos : le neutrino électronique νe et le neutrino muonique νμ. Depuis, nous avons ajouté une troisième espèce, le neutrino tauonique ντ découvert en 2000 par l'expérience DONUT (Direct Observation of the NU Tau), menée au Fermilab.

A lire : The Reines-Cowan Experiments - Detecting the Poltergeist (PDF), LANL

L'expérience de décroissance des neutrinos permet d'observer des anneaux de Cherenkov, seule signature de leur passage et d'en déduire les propriétés des neutrinos à l'origine de ce phénomène extrêmement rare. Document Shinji Ohsuka adapté par l'auteur.

Puisque le νe ou le νμ réagit avec le quark down d'un noyau d'hydrogène ou d'oxygène, les physiciens jamais à court d'idées ont imaginé enregistrer leur signature dans d'immenses cuves d'eau très pure sur les parois desquelles seraient placés des amplificateurs d'images. Ainsi lors d'une réaction avec un quark d'un proton ou d'un neutron, le neutrino produit un électron ou un muon qui est éjecté à une vitesse supérieure à celle de la lumière dans l'eau. L'évènement apparaît sous la forme étonnante d'un cône de lumière bleue, c'est l'effet Cherenkov (ou Cerenkov) illustré ci-dessus.

Les sources de neutrinos

Les neutrinos peuvent provenir d'une multitude de sources :

- Les neutrinos primordiaux (ou neutrinos reliques ou encore fossiles) produits il y a ~13.77 milliards d'années, une seconde après le Big Bang, juste après la récombinaison, lorsque l'Univers présentait une énergie de l'ordre de 1 MeV. Ils font partie du rayonnement cosmologique. La température actuelle de ces neutrinos primordiaux est estimée à environ 1.95 K, ce qui correspond à une énergie moyenne d'environ 0.2 meV (milliélectronvolt). Ils possèdent donc au moins un milliard de fois moins d'énergie que les autres neutrinos.

La détection des neutrinos primordiaux est hors de portée des technologies actuelles. Mais si on parvenait à en détecter, ils pourraient nous fournir des informations précieuses sur la naissance de l'Univers.

On estime que chaque centimètre cube de l'Univers contient environ 300 neutrinos primordiaux issus du Big Bang, ce qui signifie que notre corps contient à chaque instant quelque 20 millions de neutrinos primordiaux.

- Les neutrinos astrophysiques ou neutrinos cosmiques de haute énergie (qu'on surnomme parfois les neutrinos de l'extrême) sont émis par les galaxies à noyau actif (AGN), les quasars dont les blazars, les trous noirs et les GRB. Dans le cas des blazars, ces neutrinos sont souvent désignés sous le terme de neutrinos de blazars, lorsqu'ils sont spécifiquement liés aux jets relativistes de ces objets.

Ces neutrinos sont principalement produits au cours d'interactions hadroniques où des protons ou des noyaux interagissent avec des photons ou du gaz ambiant, produisant des pions qui se désintègrent ensuite en neutrinos.

La distribution des neutrinos astrophysiques les plus énergétiques (> 1 TeV) est isotrope, ce qui prouve que leur origine est bien extragalactique. Leur détection reste un défi. L'IceCube a détecté deux évènements de ce type, l'un en 2013, le second en 2017 provenant d'un blazar.

Ne confondons pas les neutrinos astrophysiques de haute énergie (ou neutrinos cosmiques) avec les rayons cosmiques d'ultra-haute énergie (EHUCR) qui sont des phénomènes distincts, ces derniers concernant des particules chargées. Les neutrinos font partie de l'ensemble plus large des phénomènes générés par les interactions de ces particules chargées avec leur environnement.

- Les neutrinos cosmogéniques (ou GZK). Ces neutrinos sont issus du rayonnement cosmique ultra-énergétique (cf. les rayons cosmiques UHECR), composé de protons ou de noyaux qui interagissent avec les photons du fond diffus cosmologique à 2.7 K (CMB) via le processus de Greisen-Zatsepin-Kuzmin (GZK). La réaction produit une résonance baryonique Δ+ (une particule instable composée de trois quarks) constituée de trois quarks u (uuu), plus massive que le proton (1232 MeV/c2 contre 938 MeV/c2) et qui se désintègre en 10-23 s en pion chargé π+ qui se désintègre en neutrino. Ce neutrino est donc un sous-produit de la propagation des rayons cosmiques les plus énergétiques de l'univers, et non directement de l'accélération primaire dans une source astrophysique. L'énergie des neutrinos GZK est de l'ordre de 0.1 à 100 EeV (1017 à 1020 eV), ce qui les distingue des neutrinos astrophysiques classiques.

- Les neutrinos de supernova. Ces neutrinos sont principalement produits par le mécanisme de capture électronique et par les réactions de désintégration bêta inverse au cours de l'effondrement du coeur d'une étoile massive en fin de vie. Lors d'une supernova de Type II (ou Ib/c), environ 99 % de l'énergie est libérée sous forme de neutrinos. Ces neutrinos proviennent du refroidissement du cœur effondré et des processus de formation de l'éventuelle proto-étoile à neutrons. Lors de cet évènement explosif, 1058 neutrinos sont produits en quelques secondes. La supernova SN 1987A produisit 160000 milliards de neutrinos. Ce rayonnement arriva rapidement sur Terre mais interféra très faiblement avec la matière. Seuls 19 neutrinos de 7 à 40 MeV furent détectés sur une période de 13 secondes.

- Les neutrinos solaires (1-10 MeV) se forment au cours des réactions thermonucléaires de fusion d'hydrogène dans le noyau du Soleil. Il existe plusieurs réactions productrices de neutrinos : la chaîne pp, les réactions béryllium-7, pep et boron-8 ainsi que la désintégration bêta (cette réaction se produit lorsqu'un neutron d'un noyau atomique instable se transforme en proton. Au cours de cette réaction, un électron et un antineutrino sont éjectés du noyau). Les neutrinos solaires permettent notamment de connaître la température du Soleil.

Le Soleil produit 1038 neutrinos par seconde dont au moins 65 milliards de neutrinos solaires percutent chaque cm2 de notre corps chaque seconde. Ce n'est plus une pluie qui s'abat, c'est un déluge permanent ! Mais le nombre de photons est encore dix fois supérieur !

Compteur neutrino virtuel

Nombre de particules

détectées par mm2

 

Les réactions neutrino

Le principal mode de production des neutrinos est la réaction p-p dans l'environnement solaire :

p + p  → 2H + e+ + νe

et d'autres réactions secondaires qui transforment l'hydrogène ainsi formé en hélium et en éléments plus lourds. Ce flux de neutrinos d'une énergie de 0.42 et 14.06 MeV est capté sur Terre grâce aux transmutations qu'ils induisent sur les noyaux atomiques.

Les autres modes de productions sont le cycle CNO (dans des étoiles plus massives), les supernovae (toutes saveurs de neutrinos), les rayons cosmiques (neutrinos atmosphériques), la désintégration bêta (β+ ou β-) :

n → p + e+ + νe      (β+)

n → p + e- + e       (β-)

On en produit également artificiellement dans les réacteurs nucléaires, les accélérateurs de particules et les expériences de physique des neutrinos. Deux réactions sont utilisées pour les détecter.

La chaîne chlorée C2Cl4:

37Cl + νe  →  37Ar + e-

La chaîne du gallium :

7Ga + νe  →  71Ge + e-

Dans les deux cas on récupère les quelque atomes transmutés dans le gaz résultant de la réaction.

Capture de neutrinos sur des noyaux radioactifs (expérience KATRIN) :

νe + ZZ+1N + e-

e + ZN    Z-1N + e+

- Les neutrinos atmosphériques sont produits lorsque les rayons cosmiques interagissent avec l'atmosphère terrestre. Ils appartiennent à la catégorie des neutrinos astrophysiques ou cosmiques et sont produits en permanence.

L'énergie des neutrinos atmosphériques dépend des sources. Les neutrinos de faible énergie sont produits par des protons et des noyaux lourds interagissant avec l'atmosphère à des altitudes plus faibles et sont détectés à des énergies allant de quelques GeV à environ 10 GeV. Les neutrinos atmosphériques de haute énergie (10 GeV à PeV) proviennent principalement de la décroissance de pions et de kaons créés lors d'interactions des rayons cosmiques avec l'atmosphère, dans des processus qui impliquent des particules à très haute énergie. Des neutrinos de très haute énergie peuvent également être produits dans des évènements rares comme des interactions de rayons cosmiques très énergétiques avec l'atmosphère.

- Les neutrinos de la Terre au sens strict sont appelés neutrinos géophysiques. Ils proviennent des processus nucléaires terrestres, comme la radioactivité alpha lors de la désintégration de certains isotopes lourds comme l'uranium-238, le thorium-232 et le potassium-40 situés dans la croûte et le manteau de la Terre, et la radioactivité bêta comme celle du carbone-14 ou du radon-222. Ils appartiennent à la catégorie des neutrinos thermiques ou neutrinos de faible énergie.

Dans cette catégorie on inclut parfois les neutrinos produits lors des interactions cosmiques avec la Terre, comme les neutrinos atmosphériques précités.

Chaque seconde, un humain est traversé par 500 millions de neutrinos lorsqu'il est debout et 3 milliards lorsqu'il est couché. Les neutrinos émis par la Terre apportent aux chercheurs des informations cruciales sur le fonctionnement interne de notre planète.

Citons également trois autres catégories de neutrinos :

- Les neutrinos naturels sont produits par la radioactivité naturelle. Cela inclut les neutrinos géophysiques et les neutrinos atmosphétiques précités ainsi que ceux générés par des processus astrophysiques internes au coeur des étoiles et des supernovae.

Notre corps émet également quelques milliers de neutrinos chaque seconde ainsi que des particules radioactives en raison de la présence d'éléments comme le carbone-14, le potassium-40 et d'autres isotopes présents en faibles concentrations. Cela représente environ 10% de la radioactivité naturelle moyenne[19]. 

- Les neutrinos produits dans les accélérateurs de particules. Les particules relativistes sont projetées contre une cible. Les neutrinos naissent de ces collisions. Les chercheurs peuvent observer l'oscillation d'un même neutrino à partir de différents détecteurs situés à différentes distances de la cible.

- Les neutrinos produits lors de la fission des noyaux au sein des réacteurs nucléaires. Ce sont les premiers qui furent détectés en 1956. Les réacteurs nucléaires sont les plus gros producteurs de neutrinos artificiels.

A voir : Le neutrino, cet inconnu, Ecole Polytechnique, 2015

A gauche, en 1932 Pauli proposa l'hypothèse du "neutrino" pour expliquer le spectre de désintégration β¯ : il s'agit de la transformation d'un neutron en un proton avec émission d'un électron et d'un neutrino anti-électronique. Il faudra attendre 1956 pour que Reines et Cowan détectent cette particule. Au centre, plongée dans la piscine de l'IMB de Cleveland. A droite, plusieurs évènements neutrinos sont identifiables sur cette représentation grâce aux anneaux de Cherenkov détectés par les tubes photomultiplicateurs recouvrant les parois du détecteur. Documents Joel Holdsworth, John C. Vander Velde/U.Michigan et collaboration Super-Kamiokande.

Les oscillations des neutrinos

Il existe 3 familles ou saveurs de neutrinos : le neutrino électronique (νe), le neutrino muonique (νμ) et le neutrino tauonique (ντ). On sait aujourd'hui pourquoi : c'est parce qu'ils ont une masse et se propagent dans une superposition d'états de masses distincts qu'ils peuvent se transformer dans un mélange variable de νe, νμ et ντ. Mais une fois piégé on ne détecte plus qu'une seule saveur. Cela conduisit à une autre découverte.

Des chercheurs découvrirent qu'il y avait un important déficit de νμ rapport aux νe de l'ordre de 1.2 νμ pour 1 νe (cf. J.-M. LoSecco, 2000; K.Abe et al., 2011). Or les νμ atmosphériques, c'est-à-dire les neutrinos piégés à 10 km d'altitude, sont deux fois plus abondants que les νe. Ils en déduisirent que les νμ s'étaient transformés en ντ. Ce déficit apportait la preuve que les νμ s'étaient transformés et que dès lors ils avaient une masse ! Ce phénomène fut appelé les oscillations des neutrinos : les neutrinos peuvent changer de saveur ou de type pendant leur propagation dans l'espace, en fonction de la distance parcourue et de l'énergie qu'ils possèdent.

La découverte des oscillations et de la masse des neutrinos est capitale car elle a des conséquences en cosmologie, sur l'avenir de l'Univers. En effet, vu leur nombre, la masse des neutrinos peut forcer l'Univers à se replier sur lui-même à long terme, annonçant le Big Crunch. On estime que la masse critique de l'Univers ne peut pas dépasser la somme des masses des trois saveurs de neutrinos, soit ~40 eV/c². Aujourd'hui, il s'avère que la masse moyenne du neutrino est de l'ordre de 0.1 eV/c² soit, en vertu de la relation d'équivalence entre masse et énergie (E/c² = m) ~1.78 x 10-37 kg. Son impact sur l'avenir de l'Univers serait donc du même ordre de grandeur que la contribution de la matière contenue dans les étoiles, soit 5%, donc relativement faible.

Les détecteurs de neutrinos

Revers des oscillations des neutrinos, les expériences de décroissance IMB installée dans une mine de sel à Cleveland aux Etats-Unis, GALLEX installée dans les Abruzes françaises, SAGE installé en Russie, le détecteur IceCube au pôle Sud et le détecteur SNO de Sudbury, au Canada, parmi d'autres, n'enregistrent chacune qu'un seul anneau de Cherenkov chaque jour depuis le début de leurs expériences. C'est la seule trace quotidienne des neutrinos !

C'est pourquoi en 1996 les Japonais ont inauguré Super-Kamiokande, un détecteur de neutrinos 10 fois plus sensible que Kamiokande et cent fois plus sensible que les autres détecteurs existants. Il exploite un double réservoir (interne et externe) de 50000 tonnes d'eau pure.

L'expérience Borexino du laboratoire souterrain de Gran Sasso, en Italie, dispose de 280 tonnes de scintillateur liquide dans un environnement cryogénique, une solution d'un solvant organique comme le p-xylène et des additifs comme le bis-MSB, qui émet de la lumière lorsqu'il est traversé par des particules chargées ou des neutrinos. Elle est conçue pour étudier les neutrinos provenant de diverses sources, y compris ceux produits par le Soleil, les phénomènes astrophysiques et les réacteurs nucléaires.

Ce laboratoire gère également l'expérience CUORE basée sur une technique de calorimétrie cryogénique pour détecter les évènements rares, en particulier la double désintégration bêta sans neutrinos qui pourrait fournir des informations sur la nature des neutrinos. Grâce à cette installation, les physiciens espèrent démontrer expérimentalement que le neutrino est sa propre antiparticule, c'est-à-dire un fermion de Majorana, ce qui expliquerait le déficit d'antimatière par rapport à la matière. Mais le pari n'est pas encore gagné. On y reviendra dans l'article intitulé Le mystère des neutrinos manquants résolu.

Le dernier détecteur de neutrinos en date est le télescope à neutrinos européen KM3NEt (Cubic Kilometre Neutrino Telescope), une infrastructure géante en cours de construction mais active depuis 2023 installée en eaux profondes en Méditerranée et répartie sur deux détecteurs, ARCA et ORCA. Dans sa configuration finale, KM3NEt contiendra environ 200000 photomultiplicateurs et occupera un volume de plus de 1 km3, d'où son nom.

En 2025, la Collaboration KM3NeT rassemblait plus de 360 scientifiques, ingénieurs, techniciens et étudiants de 68 institutions de 21 pays du monde entier.

KMN3NEt est spécialement conçu pour détecter les neutrinos les plus énergétiques (TeV-PeV) et leurs sources dans l'univers (SNR, centre galactique, etc). Bien que nettement plus volumineux, il n'est pas aussi sensible que le détecteur japonais Super-Kamiokande qui est optimisé à basse énergie (MeV-GeV). En revanche, ARCA offre un champ de vision plus large et complémentaire de celui d'IceCube. A ce titre, il est donc adapté à la détection de sources galactiques, y compris à des énergies relativement basses, de l'ordre de quelques dizaines de TeV, pour lesquelles la sensibilité d'IceCube aux neutrinos muoniques est faible (cf. Collab. KM3NEt, 2019).

A gauche, l'un des blocs de détecteurs du projet européen KM3NEt/ARCA de plus de 2 m de diamètre équipé de 115 modules optiques prêt à être plongé en Méditerranée. A droite, l'un des modules optiques composé de 31 photomultiplificateurs de 3" du détecteur ARCA. Document KM3NEt.

Le détecteur ARCA est installé sur le site KM3NeT-It, à environ 80 km au large de la petite ville de Portopalo di Capo Passero, en Sicile, en Italie. Les unités de détection du télescope ARCA seront ancrées à une profondeur de 3450 m. Elles se composent de deux blocs de détecteurs comprenant chacun 115 unités sphériques (DU) fixées verticalement sur une hauteur d'environ 700 m et positionnées à environ 100 m les unes des autres. Chaque bloc a une empreinte à peu près circulaire.

Chaque unité de détection est équipée de 18 modules optiques numériques (DOM) espacés verticalement de 36 m et contenant chacun 31 photomultiplicateurs (PMT) de 3" de diamètre. Dans sa configuration finale, ARCA comprendra 230 DU. Les données collectées sont transmises via un câble sous-marin à la station côtière des Laboratori Nazionali del Sud de l'INFN.

Ce réseau tridimensionnel de photocapteurs permet de détecter indirectement des neutrinos cosmiques ayant des énergies comprises entre quelques dizaines de GeV et quelques centaines de PeV voire davantage. Cette installation hors norme permet de détecter les plus faibles lumières Cherenkov générée par les particules chargées ultra-relativistes issues des interactions induites par les neutrinos à l'intérieur ou à proximité du télescope.

Le détecteur ORCA (Oscillation Research with Cosmics in the Abyss) est optimisé pour étudier les propriétés fondamentales du neutrino lui-même. Il est installé à une profondeur de 2450 m, à environ 40 km des côtes de Toulon, en France. Il comprendra 115 DU, chacun de 200 m de haut et espacés de 20 m. Les données collectées par ORCA sont envoyées à la station côtière de La Seyne Sur Mer.

C'est grâce à KM3NEt/ARCA que les chercheurs ont détecté le neutrino le plus énergétique à jour, d'environ 220 PeV (voir plus bas).

Enfin, il existe un nouveau projet de détecteur optique de neutrino appelé Théia qui sera installé dans un laboratoire souterrain. Actuellement toujours au stade de concept, il sera capable de détecter des neutrinos dans une gamme dynamique allant de quelques centaines de keV à plusieurs GeV (cf. M Askins et al., 2020).

Les découvertes récentes

En astronomie des neutrinos, en 2013 l'IceCube détecta la première source extragalactique de neutrinos dont deux évènements supérieurs à 1 PeV. Au total, 28 évènements furent détectés entre mai 2010 et mai 2012. Mais la source de cette émission n'a pas été localisée car le système manquait encore de précision (cf. U.Wisc).

En 2017, pour la première fois les scientifiques ont prouvé expérimentalement que les neutrinos très énergétiques (au moins 1 PeV ou 1015 eV) interagissaient avec la matière, conformément au modèle Standard. Ainsi, les chercheurs de la Collaboration IceCube ont découvert que les neutrinos ne pouvaient pas traverser le globe terrestre de part en part car ils étaient absorbés par la matière. On y reviendra lorsque nous décrirons la structure interne de la Terre.

En 2018, les chercheurs de la Collaboration IceCube et du satellite Fermi-LAT notamment annoncèrent avoir découvert pour la première fois une émission simultanée de neutrinos cosmiques de haute énergie (~290 TeV), de rayons X et gamma provenant d'un quasar, le blazar TXS 0506+056, renforçant l'intérêt de cette discipline.

Puis, en 2019 l'équipe de Robert Stein de DESY détecta un neutrino issu d'un TDE (une perturbation par effet de marée) qui marque la destruction d'une étoile par le trou noir supermassif de 30 millions de M situé au coeur de la galaxie 2MASX J20570298+1412165 située à 700 millions d'années-lumière dans la constellation du Dauphin.

A gauche, la galaxie spirale 2MASX J20570298+1412165 située à 700 millions d'années-lumière dans la constellation du Dauphin. Le champ couvre ~18' en longueur. La galaxie est de magnitude apparente 16.5 (V) et mesure à peine 0.5' x 0.3'. Au-dessus à gauche figure la galaxie UGC 11652 de magnitude 15. A droite, une image du TDE catalogué AT2019dsg prise la caméra ZTF du Mont Palomar le 19 octobre 2019. Documents Simbad et ZTF/Caltech.

L'évènement nommé AT2019dsg fut détecté le 9 avril 2019 par le Zwicky Transient Facility (ZTF), une caméra CCD robotique de 606 mégapixels offrant un champ de 47° carrés installée sur le télescope Schmidt Samuel Oschin de 1.22 m (48") du Mont Palomar. La ZTF est capable de scanner plus de 3750° carrés par heure jusqu'à la magnitude 20.5.

Six mois plus tard, le 1er octobre 2019, l'IceCube enregistra un neutrino extrêmement énergétique provenant de la même direction que le TDE. Il aurait été émis lors d'une éruption ayant produit un jet relativiste dans un AGN (cf. R.Stein et al., 2020; W.Winter et C.Lunardini, 2020; R.Stein et al., 2021).

Puis, en 2022 l'astrophysicien Simeon Reusch de DESY et ses collègues dont Robert Stein précité ont annoncé la détection d'un neutrino extragalactique au cours de l'évènement ICE200530A alias AT20190fdr. Selon les chercheurs, ce neutrino proviendrait d'un TDE qui se serait produit dans une galaxie de Seyfert de type 1 à raies étroites (NLS1), c'est-à-dire un AGN (cf. S.Reusch et al., 2022 et en PDF). Mais d'autres indices suggèrent qu'il fut émis par une supernova de Type IIn superlumineuse (cf. T.Pitik et al., 2022).

Pour ne pas alourdir cet article, on reviendra sur les SNe IIn et on expliquera comment les supernovae produisent des neutrinos.

Concernant le lien avec un TDE, à ce jour les astrophysiciens ignorent de quelle manière un TDE pourrait émettre des neutrinos. Il existe toutefois un scénario possible. Un jet de particules projeté loin du trou noir pourrait accélérer les protons qui pourraient interagir avec le rayonnement environnant pour produire des neutrinos rapides. Mais pour cela, les chercheurs ont besoin de plus de données et donc de détecter d'autres neutrinos d'origine galactique ou extragalactique. La détection d'autres TDE autour de Sgr A* et l'apparition de nouvelles supernovae pourraient y contribuer.

Dans tous les cas, c'est la deuxième fois qu'on parvient à remonter jusqu'à la source d'émission d'un neutrino ultra-énergétique, ce qui encourage les chercheurs à persévérer.

Grâce à l'expérience KATRIN (KArlsruhe TRItium Neutrino) installée en Allemagne dont l'objectif est de déterminer la masse du neutrino électronique à partir du bilan de la désintégration bêta d'atomes dans des molécules de tritium, les physiciens ont estimé la masse de repos du νe < 0.8 eV/c² (cf. Collaboration KATRIN, 2022). Ils estiment pouvoir réduire cette limite supérieure d'un facteur 4 lorsque toutes les données seront analysées. Cette mesure sera certainement encore affinée après 2025, lorsque l'expérience KATRIN disposera d'un nouveau détecteur.

Détection d'un neutrino de 220 PeV par le KM3NEt

En 2025, la Collaboration KM3NEt annonça dans la revue "Nature" la détection de l'évènement KM3-230213A, consistant en un neutrino d'une énergie estimée à environ 220 PeV (2.2 x 1017 électrons-volts ou 220 millions de milliards d'électrons-volts) le 13 février 2023 par le détecteur ARCA (Astroparticle Research with Cosmics in the Abyss). C'est le neutrino le plus énergétique détecté à ce jour qui fournit la première preuve que des neutrinos d'ultra hautes énergies sont produits dans l'univers. L'évènement détecté concerne un seul muon qui traversa l'ensemble du détecteur, induisant un effet Cherenkov qui déclencha des signaux dans plus d'un tiers des photomultiplicateurs actifs.

La mise en eau en 2020 à 3500 m de profondeur au milieu de la mer Méditerranée, à 80 km de la Sicile, de l'un des modules optiques équipés de photomultiplicateurs du détecteur de neutrino ARCA de KM3NEt.

Ce neutrino d'ultra-haute énergie pourrait provenir d'une source astrophysique agissant comme un puissant accélérateur cosmique. Alternativement, il pourrait aussi s'agir de la première détection d'un neutrino cosmogénique (voir plus haut les sources de neutrinos).

Cependant, sur la base de ce seul neutrino, il est difficile de déterminer son origine. A partir des transitoires enregistrés à la même époque par différents observatoires à travers tout le spectre, des ondes radio aux rayons X, la Collaboration KM3NEt estime qu'il provient d'une zone située aux coordonnées galactiques d'environ l = 94.3° et b = -7.8° soit en coordonnées équatoriales AD = 6h17m et Déc = -7°40'. Si le neutrino s'est propagé sans déviation, ce dont on ne peut pas être certain car il reste sensible aux champs gravitationnels, cela situe la source en direction de la Voie Lactée, dans la Licorne, au sud-est d'Orion, mais assez loin du centre et du plan galactiques (pour rappel le centre galactique est à l = 0°, b = 0° soit AD = 17h45m40.04s, Dec = -29°00′28.1").

Selon Paschal Coyle, porte-parole de KM3NeT au moment de la détection et chercheur au Centre de Physique des Particules de Marseille (IN2P3), "KM3NEt a commencé à sonder une gamme d'énergie et de sensibilité où les neutrinos détectés peuvent provenir de phénomènes astrophysiques extrêmes. Cette première détection d'un neutrino de plusieurs centaines de PeV ouvre un nouveau chapitre de l'astronomie des neutrinos et une nouvelle fenêtre d'observation sur l'Univers."

Les futures observations de KM3NEt se concentreront sur la détection d'autres évènements de même type pour construire une image plus claire des processus d'ultra haute énergie et de leurs origines. L'expansion continue de KM3NEt avec des unités de détection supplémentaires et l'acquisition de données supplémentaires amélioreront sa sensibilité et renforceront sa capacité à localiser les sources de neutrinos cosmiques, ce qui en fait un contributeur majeur à l'astronomie multi-messagers (multispectrale).

Après le CERN, les très grands télescopes de l'ESO, et d'autres grandes réalisations, KM3NEt est un nouveau fleuron du savoir-faire scientifique européen.

Pour plus d'informations

Le mystère des neutrinos manquants résolu (sur ce site)

Neutrino Detectors and Sources (PDF), Steve Boyd/U.Warwick, 2020.

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[18] Dans la théorie de Fermi contemporaine, lors d'une désintégration ß positive le noyau libère un neutrino. Il libérera un antineutrino lors d'une désintégration ß négative. Cf. la symétrie électrofaible.

[19] Le corps humain est très légèrement radioactif (il contient du 40K et du 14C). Chacun de nous émet également des électrons bêta (issus de la désintégration ß) qui sont à l'origine d'une exposition interne à la radioactivité, et des rayons gamma issus de la désintégration du 40K. Au total, cette émission radioactive interne représente 0.25 mSv/an, soit environ 10% de l'exposition à la radioactivité naturelle. Il faut y ajouter l'émission de quelques milliers de neutrinos chaque seconde.


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