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L'Univers à 11 dimensions

En quête d'une Théorie de Tout (I)

Depuis que l'homme s'est penché sur la nature du monde qui l'entoure, qu'il s'intéresse aux propriétés de la matière et à l'évolution de l'univers, il a toujours essayé de rassembler ses données et ses hypothèses éparses dans des théories générales toujours plus complexes et formelles.

C'est ainsi que nous sommes passés de la philosophie naturelle d'Aristote à l'électromagnétisme et la théorie du champ de Maxwell pour aboutir à la mécanique quantique et la théorie de la relativité.

Peut-on espérer découvrir une théorie ultime qui expliqueraient tout, des particules subatomiques aux galaxies jusqu'au Big Bang ?[1]

A la recherche du lion

Ainsi que le disait Einstein, "la Nature nous montre seulement la queue du lion. Mais je suis certain que le lion a qui elle appartient pense qu'il ne peut pas se révéler en une fois en raison de son immense taille." La "queue" dont il parle est ce que nous voyons de la nature, qui peut être décrite grâce aux quatre interactions fondamentales : la gravité, l'électromagnétisme et les forces nucléaires fortes et faibles. Le lion représente la théorie ultime qui les unifiera toutes en une seule équation, la "Théorie de Tout".

De nos jours, les physiciens pensent que la première interaction, la gravité, peut être décrite par la relativité générale d'Einstein et représentée par le tissu déformé du continuum espace-temps. C'est une théorie élégante qui décrit autant le monde macroscopique des trous de noirs et des quasars que le Big Bang. On ignore cependant si cette théorie basée sur un Univers à 3 dimensions spatiales et une dimension temporelle s'applique à l'échelle subatomique (en-dessous de celle du quark) et à celle de l'Univers au-delà du milliard d'année-lumière. Une chose est sûre, entre ces deux bornes les physiciens ont démontré que les évènements observés dans l'espace-temps à 4D s'expliquent parfaitement sans dimensions excédentaires. On y reviendra à propos des ondes gravitationnelles (cf. l'évènement GW170818).

Ceci dit, la gravité s'obstine à s'unir aux trois autres interactions qui sont décrites par la physique quantique. Ici, au lieu d'avoir un espace-temps à 4D ondulant gentiment sous la pression des masses, nous découvrons un monde probabiliste agité comme l'écume des vagues et constitué de paquets discrets d'énergie, les quanta.

La forme de théorie quantique qui décrit le mieux la matière et ses interactions est le modèle Standard constitué d'un bestiaire assez bizarre comprenant des particules élémentaires comme les quarks, les leptons et les bosons. Le modèle Standard est l'une des théories qui a le plus de succès en science, mais c'est aussi l'une des plus déplaisantes. En effet, son inadéquation est trahie par quelque 19 constantes arbitraires qui ne sont dérivées d'aucune théorie et qui ont été inventées pour la bonne cause afin que les équations donnent les bons résultats. "Ca marche", mais ce n'est pas naturel.

La capture de ce "lion" couronnerait certainement la vie de vocation de certains physiciens. Mais alors qu'Einstein consacra les 30 dernières années de sa vie à chasser ce noble animal, il perdit sa trace. Il finit par perdre la queue de vue et se perdit dans une Terra Incognita inexplorée et non encore défrichée. Son approche fut alors jugée futile voire démodée face à la toute jeune et attirante mécanique quantique comme on l'appelait alors.

Après des décennies de recherches et de tâtonnements, au début des années 1970 les théoriciens ont cru avoir trouvé une trace différente, celle laissée par la théorie des supercordes qui pouvait être la candidate idéale pour une "Théorie de Tout". Tout aussi radicale que les deux théories cadres qu'elle essaye de généraliser, elle part du principe que l'espace est constitué 26 dimensions, réduites à 11 dimensions dans la théorie de la supergravité (la version à faible énergie de la théorie M) et même à 10 dimensions dans la théorie des cordes... et tant pis pour les physiciens conservateurs ou les plus matérialistes qui se fondent uniquement sur les faits observés !

Des supercordes à la théorie M

Sous une apparence très abstraite et totalement spéculative il faut le souligner, la théorie des supercordes fut une découverte scientifique remarquable. Essayons d'imaginer à quoi peuvent ressembler les dimensions supérieures de l'univers. Le physicien théoricien Michio Kaku de la Cité Universitaire de New York prend l'exemple d'un champ de bataille à l'époque romaine. "Sans moyen de communications ni d'avions-espions explique Kaku, les batailles étaient extrêmement confuses, faisant rage sur plusieurs fronts simultanément. C'est pourquoi les Romains ont toujours sauté dans "l'hyperespace", la troisième dimension, en s'emparant des collines. De ce point de vue avantageux, ils pouvaient avoir une vue d'ensemble du champ bataille à deux dimensions, unifiant le tout." Le chaos indescriptible vu du sol devient une stratégie élégante et simple dans la nouvelle dimension.

Illustrations de la géométrie de l'espace à 11 dimensions de Calabi-Yau. Ce n'est pas intuitif ! Cette géométrie millefeuille permet de compactifier 6 dimensions à l'échelle de Planck. Cliquer sur l'image de droite pour lancer l'animation (GIF de 3.3 MB). Documents anonyme et Speed-light Info.

En sautant dans ces dimensions supérieures, nous pouvons également simplifier les lois de la nature. En 1915, Einstein changea radicalement notre notion de la gravité en sautant dans la 4e dimension du temps. En 1919, le mathématicien allemand Théodore Kaluza ajouta une 5e dimension, parvenant à unifier l'espace-temps avec les équations de l'électromagnétisme de Maxwell. Ce triomphe fut largement ignoré dans la frénésie d'intérêt que suscita la toute jeune mécanique quantique.

Ce n'est qu'au début des années 1970 que la théorie des supercordes revint au devant de la scène, générant des milliers d'articles. Puis il y eut un grand sommeil du fait qu'elle prédisait l'existence de nouvelles particules comme les tachyons et des particules massives de spin 2 que personne n'avait jamais vus. Si la plupart des physiciens abandonnèrent leurs recherches en ce domaine, Michael Green et John Schwarz de Caltech continuèrent à explorer la théorie des supercordes.

En 1984, grâce aux travaux d'Edward Witten, Luis Alvarez et quelques physiciens de l’Université de Princeton sur la quantification des champs, Green et Schwarz trouvèrent une méthode pour réconcilier la mécanique quantique avec la relativité générale sans engendrer de solutions divergentes ou d'anomalies.

Ils suggérèrent que des particules élémentaires comme les électrons, les quarks ou les bosons n'étaient peut-être pas du tout des particules, mais plutôt de petites cordes en vibration à l'échelle de Planck.

On peut les comparer aux différentes notes musicales émises par les différents modes de vibration d'une corde de violon, à la seule différence que notre corde quantique relativiste mesure de l'ordre de 10-35 mètre.

La corde élémentaire peut s'étirer, se diviser, s'unir ou vibrer dans le temps, engendrant des phénomènes à deux dimensions.

Seule difficulté, de par ses dimensions extrêment réduites, on ne peut pas distinguer une corde d'une particule élémentaire. En revanche, obéissant à la mécanique quantique relativiste, elle détermine les propriétés de l'espace-temps et les interactions auxquelles elle est soumise.

Spin, champ, tenseur et corde

Document http://ontodynamics.net

En physique des particules, l'état de rotation est représenté par l'état de spin de la particule : les bosons (photon, graviton, W, etc) ont un spin égal à zéro ou représentant un multiple entier de la constante de Planck (1, 2, 3,... ). Les fermions (proton, neutron, électron...) ont un spin demi-entier (1/2, 3/2, 5/2...).

En mathématique (géométrie différentielle, théorie des variétés, relativité générale), une particule de spin 1 est représentée par un champ de vecteurs. Une particule de spin 2 est représentée par un champ de tenseurs.

Les champs électromagnétiques sont des champs de vecteurs représentant une seule onde. Ils partagent les propriétés d'une corde ouverte. Le graviton de spin 2 supporte 2 ondes indépendantes, il est représenté par un champ de tenseurs et une corde fermée.

Le plus étonnant dans cette théorie est le fait qu'elle travaillait non plus dans un univers à 4 dimensions mais à 10 dimensions d'espace-temps ! Il s'agit en fait non pas de sa dimension intrinsèque comme sa taille, qui reste à 2 dimensions à l'image d'une membrane qui n'aurait pas d'épaisseur, mais bien des dimensions liées à ses degrés de liberté de rotation (le spin).

Imaginez un robot. Il peut fonctionner dans l'espace tridimensionnel et présenter en même temps une main dont l'articulation présente 10 degrés de liberté ou dimensions (déplacements gauche-droite, haut-bas, avant-arrière, inclinaison, rotation, 5 doigts, il y a là au moins dix degrés de liberté). C'est en ce sens qu'une supercorde ou une corde possédant 10 degrés de liberté de spin présente 10 dimensions.

Bien sûr les physiciens ont du bon sens et sont réticents à admettre que l'univers possède plus de 4 dimensions ! Pour retrouver notre univers familier, ils considèrent donc que durant le Big Bang, 6 des 10 dimensions se sont recourbées, compactifiées sous la forme d'une petite balle ou d'un tore, pendant que les autres dimensions se sont étendues de manière explosive et exponentielle, donnant naissance à notre Univers visible.

Pour être certain que notre Univers ne possède que 4 dimensions, les physiciens ont essayé et continuent à rechercher les traces de ces éventuelles dimensions excendaires compactifiées ou cachées. A petite échelle, il pourrait s'agir de légères déviations aux lois classiques de la gravité ou des traces à très grandes échelles qui auraient conservé la mémoire du temps de Planck (ou même d'avant le Big Bang dans les théories des univers multiples ou oscillants). Mais aucune anomalie gravitationnelle n'a été découverte à ce jour.

Les physiciens ont passé dix ans à cataloguer toutes les manières dont ces six dimensions excédentaires se sont compactifiées. Leur tâche a été particulièrement difficile parce que les mathématiciens n'ont jamais défini la topologie ni les propriétés de ces univers multidimensionnels. En fait, nous avons perdu toute trace de cette époque primitive et les scientifiques ont dû réinventer des pans entiers des mathématiques.

De leurs efforts sont apparus des millions de modes de compactifications possibles, chacun donnant naissance à différents évènements comme les quarks, les électrons, etc.

Notons que si on tient compte de la théorie des univers multiples et autres multivers, il existerait en théorie 10500 vérités d'espaces de Calabi-Yau. Avis aux mathématiciens.

Brane et variété de dimensions spatiales

Depuis 1984, il apparaît clairement que les états de masse nulles ont été supprimés des théories des cordes. Cette révision s'est imposée d'elle-même comme une conséquence des propriétés des cordes.

Mais il reste d'autres problèmes. Ainsi que nous l'avons dit, le premier problème frustrant de la théorie des cordes est le fait qu'on ne comprend pas d'où viennent les cordes. Pire, cinq théories des cordes différentes peuvent unifier la physique quantique avec la relativité. C'est un embarras plutôt riche !

Ces théories concurrentes sont assez différentes les unes des autres. L'une, appelée la théorie des cordes de type I, est basée sur deux types de cordes : des "cordes ouvertes" qui ressemblent à des brins ayant deux extrémités, et les "cordes fermées", dont les extrémités se referment sous forme d'une boucle.;

Les quatre autres modèles ne contiennent que des cordes fermées. Certaines, comme le Type IIB, génère seulement les particules "droitières", celles ne présentant qu'un seul type de spin. Les autres, comme la IIA génère des particules à hélicité droite ou gauche, des particules ayant les deux types de spin.

Si vous étiez la place des physiciens, il vous viendrait probablement deux idées : soit vous choisiriez la théorie la plus simple, mais elle est incomplète soit, pourquoi pas, vous inventeriez une nouvelle théorie en espérant qu'elle soit plus générale que toutes les autres...

Et de fait, il a fallu introduire des concepts encore plus abstraits comme le fait que les cordes ouvertes étaient attachées à des "D-branes" de dimensions quelconques et en revenir à la quantification de la gravitation à 4 dimensions. Qu'est-ce qu'un brane me direz-vous ? Hawking répond que c'est "un objet... qui présente une variété de dimensions spatiales", en fait une membrane d'où le substantif "brane" (voir page suivante).

Aujourd'hui l'intérêt s'est ravivé parce que les physiciens ont postulé l'existence d'une mystérieuse "théorie M" à 11 dimensions indiquant que les cinq théories concurrentes plus la supergravité ne sont en réalité que différentes versions de la même chose.

Comme le Général Romain observant son champ de bataille depuis la troisième dimension, les physiciens modernes ont gravit la 11e dimension et regardent les cinq théories des cordes s'entremêler mais ils savent qu'elles sont unies dans une stratégie commune, simple, et donnent finalement une image cohérente qui représente les différents aspects d'une même réalité. Mais comment être certain que cette théorie est conforme à la réalité ?

La théorie M est loin d'être triviale et fait intervenir des entités inconnues comme les solitons et les sources membranaires électriques. La 11e dimension est en fait périodique et constitue une limite de la théorie qui apparaît lorsque le couplage des interactions est très fort et la compactification élevée. On entre ici de plein pied dans des subtilités techniques qui méritent bien quelques minutes d'attention. Voyons cela en détail.

Prochain chapitre

Dans l'arène du lion

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[1] Cet article est un résumé condensé du chapitre consacré au même sujet publié dans mon livre sur la physique quantique.


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