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Quand l'humanité manqua de disparaitre

Empreintes négatives de mains sur les parois de la grotte Cosquer à Marseille. Elles datent de 34000 à 22000 ans.

Les goulots d'étranglement et les événements fondateurs (I)

Jusqu'à la fin du XXe siècle, très peu de paléontologues et de généticiens discutaient des "bottlenecks" génétiques, des goulots d'étranglement et autres réductions drastiques des populations humaines qui seraient survenues à l'époque des hommes de Néandertal et des premiers Homo sapiens. Pourtant certains de ces événement ne passèrent pas inaperçu et laissèrent d'importantes traces à la fois génétiques et parfois géologiques.

A partir des années 2000, plusieurs équipes de chercheurs ont exploré le génome humain et notamment les horloges moléculaires (ARNmt, chromosome Y, etc) et découvrirent dans de nombreuses populations humaines des goulots d'étranglement génétique remontant à des événements survenus à différentes époques s'échelonnant entre moins de 10000 ans et près d'un million d'années. La majorité d'entre eux furent suivi d'une explosion démographique qu'on appelle un événement fondateur (en fait des goulots d'étranglement furent observés chez pratiquement toutes les espèces animales, y compris les virus).

Mais si les auteurs de ces découvertes y voient généralement des phénomènes majeurs ayant fortement impacté l'humanité, d'autres chercheurs ne voient pas toujours dans ces traces ou calculs statistiques la preuve concrète d'un goulot d'étranglement ou d'un événement fondateur qui aurait modifié le cours de l'humanité, loin s'en faut.

Certains faits sont bien sûr avérés. Les populations humaines ont connu des hauts et des bas au fil des millénaires, certaines cultures ont explosé et migré vers de nouvelles régions ou de nouveaux continents, d'autres ont vu leur population diminuer au point de réduire considérablement leur diversité génétique. Dans certaines petites populations, la consanguinité fit que des maladies génétiques autrefois rares sont devenues courantes avec leurs effets délétères.

Avant de décrire ces événements, définissons d'abord de quoi nous parlons.

Définitions

Le goulot d'étranglement génétique (bottleneck) est un phénomène où la taille d'une population diminue fortement, réduisant ainsi la diversité génétique. Cela peut être dû à des catastrophes naturelles, des maladies, la famine, la guerre, etc., mais aussi en raison de l'isolement géographique (sur des îles par exemple) ou de pratiques culturelles (comme chez les Juifs ashkénazes ou les Amish) qui limitent le nombre d'individus, entraînant une perte de variabilité génétique.

L'événement fondateur (founder event) est un processus dans lequel une nouvelle population est formée par un petit nombre d'individus provenant d'une population ancestrale plus grande. Cela peut entraîner une réduction de la diversité génétique dans la nouvelle population.

Dans les deux cas, ces concepts peuvent avoir des conséquences importantes sur l'évolution des populations à l'échelle génétique et donc altérer sensiblement leur génome avec des effets physiologiques et physiques concrets dans les générations suivantes.

Un marqueur génétique est une séquence spécifique de l'ADN qui peut être utilisée pour identifier un gène, un allèle ou une variation génétique particulière au sein d'un organisme et par extension d'une population. Ces marqueurs sont souvent utilisés en biologie moléculaire et en génétique notamment pour identifier les traits héréditaires (la transmission de certains gènes à travers les générations) et la diversité génétique entre populations ou espèces.

Parmi les marqueurs génétiques citons l'ADN mitochondrial (ADNmt) pour la filiation maternelle, le chromosome Y pour la filiation paternelle et autres microsatellites (cf. l'horloge moléculaire).

Décrivons ces événements en détails et voyons ce qu'en pense la communauté scientifique, parfois moins enthousiaste envers ces découvertes que les inventeurs.

Il y a 7000 ans

Dans un article publié dans la revue "Genome Research" en 2015 (en PDF), une équipe internationale d'une centaine de chercheurs dirigée par la biologiste de l'évolution Monika Karmin de l'Université de Tartu en Estonie étudia les séquences ADN du chromosome Y de 456 populations à travers le monde. Parmi d'autres choses, les chercheurs découvrirent un événement fondateur il y a 47 à 52000 ans qui correspond à un modèle de colonisation initiale rapide de l'Eurasie et de l'Océanie après le goulot d'étranglement de la sortie d'Afrique (cf. les Homo sapiens). Ils ont aussi constaté que la diversité du chromosome Y s'était de nouveau effondrée au cours des 10000 dernières années avant d'assister à une explosion démographique.

Le goulot d'étranglement le plus récent tombe en pleine époque Néolithique et de sédentarisation des humains. Selon Melissa Wilson Sayres, chercheuse en psychologie à l'Université d'Arizona et coautrice de cet article, il y a une explication très plausible à cette chute de diversité du chromosome Y : "Au lieu de la « survie du plus apte » au sens biologique du terme, l'accumulation de richesses et de pouvoir a peut-être augmenté le succès reproductif d'un nombre limité d'hommes « socialement aptes » et de leurs fils »". Autrement dit, il dut y avoir une compétition entre les hommes qui se solda par la disparition d'un grand nombre d'entre eux durant plusieurs siècles.

Graphiques cumulatifs de la diversité du chromosome Y (à gauche) et de l'ADNmt (à droite) par régions du monde. Document M.Karmin et al. (2015).

Une nouvelle étude publiée dans la revue "Nature" en 2018 par le biologiste Marcus W. Feldman de l'Université de Stanford et ses collègues soutient cette hypothèse.

En tenant compte des données de l'équipe de Karmin précitée dont ils présentent d'ailleurs le graphique présenté à gauche, Feldman et ses collègues ont modélisé les diversités génétiques observées dans les populations humaines à travers le monde et confirmèrent que la diversité génétique du chromosome Y s'effondra il y a environ 7000 ans, représentant le goulot d'étranglement génétique le plus récent que connut l'humanité.

Les données monoparentales indiquent que pendant 2000 ans à travers l'Afrique, l'Europe et l'Asie, il y avait une disparité de 1:17 entre les tailles de population masculine et féminine; autrement dit il y avait 1 homme pour 17 femmes pendant une centaine de générations !

Pour expliquer cet effondrement de la population masculine, les chercheurs se sont appuyés sur la théorie anthropologique, des études récentes de génomique des populations et des modèles mathématiques de la génétique des humains modernes.

Selon les auteurs, ce goulot d'étranglement n'a pas nécessairement entrainé une chute de la population car seuls les hommes furent concernés. Plusieurs hypothèses furent examinées pour expliquer ce changement démographique spécifique au genre. La plupart des explications (facteur écologique, climatique, stress, maladie, etc) ont peu d'effets sur la variation du chromosome Y et aucune ne peut expliquer la disparité de 1:17 entre hommes et femmes. En revanche, une seule hypothèse pourrait expliquer ce phénomène, celle évoquée par Sayres.

On sait que le chromosome Y est uniquement transmis de père en fils, il est patrilinéaire. Selon les auteurs, ce goulot d'étranglement n'ayant affecté que les hommes, il résulte probablement d'une pression sociale plutôt qu'environnementale. En effet, cet événement étant survenu à une époque où les humains se sont sédentarisés, ils pensent que les deux événements sont liés.

Des simulations ont montré que les guerres tribales entre les clans patrilinéaires auraient lourdement affecté la diversité des chromosomes Y au fil du temps.

Pour rappel, dans la plupart des cultures primitives mais également certaines petites sociétés modernes, la coutume veut que les mariages se fassent entre les membres de groupes (tribus et clans) différents, ce qu'on appelle l'exogamie (opposée à l'endogamie). Les femmes quittent leur groupe lorsqu'elles se marient alors que les hommes restent dans leurs propres groupes et accueillent les épouses provenant d'un autre groupe. En l'absence définitive de la jeune fille dans sa famille d'origine, en compensation le futur mari doit payer une dote (des biens meubles ou immeubles) à la famille de la jeune fille.

Lors de guerres tribales, l'assimilation des femmes des groupes ainsi perturbés ou exterminés par la compétition intergroupes aux groupes restants est une conséquence courante des guerres dans les petites sociétés. Combiné à l'exogamie féminine, ce phénomène tendrait à limiter l'impact de la compétition intergroupes aux chromosomes Y.

Conclusion la plus probable : l'effondrement du chromosome Y serait le résultat d'une compétition socio-politico-culturelle entre groupes de populations, concrètement probablement de combats entre clans patrilinéaires.

Cette théorie est soutenue par des découvertes en archéogénétique et en théorie anthropologique ainsi que par la lente dégénérescence (colescence) du chromosome Y qui indique des niveaux élevés de parenté entre les hommes.

En revanche, comparées aux populations d'Europe, d'Asie de l'Ouest et d'Asie du Sud, les variations du chromosome Y sont moins prononcées dans les populations d'Asie de l'Est et du Sud-Est. Le fait que les cultures pastorales y soient moins développées pourraient être une explication, à vérifier.

Il y a moins de 10000 ans

Dans une étude publiée dans la revue "PLOS Genetics" en 2022, Priya Moorjani, biologiste moléculaire et cellulaire à l'Université de Californie à Berkeley (UCB) et ses collègues ont analysé plus de 4000 génomes humains anciens remontant à plusieurs millénaires ainsi que des génomes humains contemporains à titre de comparaison. Cette analyse constitue le premier examen complet des événements fondateurs sur une large proportion de populations humaines au cours des 10000 dernières années et permit d'identifier le moment où ces événements se sont produits.

Historique des événements fondateurs dans les populations humaines de la base de donnée Human Origins v37 actuelles obtenus grâce à ASCEND. Chaque point représente une population et la longueur du segment est proportionnelle à l'âge de l'événement fondateur. Le dégradé de couleurs est proportionnel à l'intensité estimée des fondateurs. L'événement fondateur le plus fort est estimé pour la population andamanaise Onge (21.2%). Document P.Moorjani et al. (2022).

Les chercheurs ont découvert que plus de la moitié des 460 groupes représentés par ces individus ont connu un goulot d'étranglement démographique quelque part dans leur passé qui affecta probablement la prévalence des maladies héréditaires récessives. Ces goulots furent suivis par un événement fondateur.

Leur étude confirme que ces phénomènes sont fréquemment apparus tout au long de l'histoire humaine et contribuent à la dynamique des populations.

Selon Moorjani qui a son propre laboratoire à l'Université de Berkeley, "Les données génomiques sont vraiment puissantes car elles nous renseignent non seulement sur nos origines, mais aussi sur notre histoire à différentes échelles de temps, et nous permettent de voir à quel point différents individus sont étroitement liés les uns aux autres. Mais cela nous renseigne également sur des fragments d'ADN qui sont fonctionnellement importants et peuvent provoquer des maladies. Ils deviennent donc très importants à étudier d'un point de vue biomédical."

Les chercheurs ont notamment constaté que les populations représentées par les individus de l'échantillon étaient ou sont beaucoup plus consanguines que les Juifs ashkénazes ethniques par exemple, dont certains scientifiques ont estimé que la population se réduisit à moins de deux mille individus il y a environ 1000 ans. Les Onge, une petite population de la mer d'Andaman située dans les îles de l'océan Indien ont connu un goulot d'étranglement démographique dix fois plus important que celui des Juifs ashkénazes, et elles ne comptent aujourd'hui plus qu'une centaine d'individus.

Les chercheurs ont découvert que de nombreuses populations amérindiennes et des groupes d'Océanie et d'Asie du Sud subirent également de graves goulots d'étranglement démographique. Certains coïncident avec des événements historiques connus. Par exemple, les habitants de l'île de Pâques ont connu un événement fondateur vers la fin du XVIIIe siècle, coïncidant avec la migration des Européens vers l'île (cf. R.J. DiNapoli et al., 2020). En effet, en 1722 les explorateurs Néerlandais constatèrent que les Rapanuis formaient une société complexe de milliers d'individus et que les centaines de moaï étaient toujours dressés alors qu'en 1774 le capitaine James Cook et son équipage constatèrent que la société Rapanui était en crise et les monuments étaient renversés ou effondrés.

D'autres goulots d'étranglement démographique sont en corrélation avec les mouvements de populations connus dans une région et avec l’évolution des artefacts et des pratiques culturelles. Par exemple, les agriculteurs anatoliens et les éleveurs des steppes eurasiennes sont arrivés en Europe il y a environ 4000 à 10000 ans, et ces groupes se sont mêlés aux chasseurs-cueilleurs européens déjà présents.

A partir d'ADN contemporain et ancien, les chercheurs de l'Université de Berkeley ont estimé à quel moment les goulots d'étranglement démographiques se sont produits pour plusieurs centaines de groupes d'humains à travers le monde et tout au long de l'histoire humaine récente. Les couleurs indiquent le nombre de générations pendant lesquelles le goulot d'étranglement a précédé les individus dont l'ADN fut séquencé. Document P.Moorjani et al. (2022).

Selon Moorjani, "La première surprise a été de constater que plus de la moitié des groupes que nous avons étudiés avaient des preuves d’événements fondateurs. Ainsi, ce ne sont pas seulement les Juifs ashkénazes ou les Finlandais qui ont une histoire unique, mais de nombreuses populations actuelles ont connu des événements fondateurs forts – en fait, des événements fondateurs plus forts que ces deux groupes, comme plusieurs groupes contemporains d'Asie du Sud, des chasseurs-cueilleurs ou des populations vivantes sur des îles."

Le travail des chercheurs fut rendu possible grâce à un programme d'analyse génomique appelé ASCEND (Allele Sharing Correlation for the Estimation of Non-equilibrium Demography), créé par Moorjani et le postdoctorant Remi Tournebize développé spécifiquement pour analyser des séquences partielles de génomes, en particulier d'ADN ancien. Cet ADN est généralement séquencé à partir d'os ou de dents datant de plusieurs centaines à plusieurs milliers d'années.

L'ADN est généralement endommagé de telle sorte que seule une partie du génome de l'individu peut être séquencée. Mais comme le génome humain contient environ 3 milliards de paires de bases, même 100000 paires de bases suffisent à fournir des informations sur l'héritage génétique d'une personne. De nombreux programmes d'analyse du génome fonctionnent aujourd'hui uniquement avec des séquences génomiques presque complètes, principalement celles des peuples contemporains.

Moorjani nous rappelle que si "l'ADN ancien est certes très puissant, il présente un problème de qualité bien inférieure à celle des données recueillies auprès de personnes vivantes. En effet, dès qu'un individu décède, son ADN commence à se dégrader et il est très difficile de récupérer des données de très bonne qualité par rapport aux individus actuels. Pour cette raison, la majorité des méthodes d'inférence démographique sont conçues en pensant qu'il est possible d'obtenir un grand nombre d’échantillons de populations et des données de haute qualité sur l'ensemble du génome. Nos méthodes ont été développées pour exploiter cet ADN à faible couverture et très dégradé afin de vraiment comprendre notre histoire évolutive."

Intensité et époque des événements fondateurs ou goulots d'étranglement chez 40 races de chiens obtenus avec ASCEND. Les plus intenses, avec la plus grande consanguinité, sont indiqués en violet en haut à droite, les moins intenses sont dans le sens des aiguilles d'une montre. Les chiens de village africains sont les moins consanguins. Document R.Tournebize et al. (2022).

Le programme ASCEND mesure le partage d'ADN entre les individus au sein d'une population et entre les populations. Lorsqu'une population subit un événement fondateur, sa taille se réduit à quelques individus. La descendance de ces individus fondateurs, à son tour, partage de longs blocs ou séquences d'ADN héritées "identiques par descendance" de ces quelques ancêtres. Au fil du temps, ces séquences deviennent plus petites en raison des croisements qui se produisent pendant la méiose, lorsque les chromosomes se dupliquent et se mélangent avant de se séparer en gamètes mâles et femelles. Le taux de croisements est bien caractérisé et fournit une sorte d'horloge moléculaire.

Le programme ASCEND compare la taille des blocs partagés au sein des individus d'une population pour en déduire le moment où les individus pourraient avoir partagé un ancêtre commun, c'est-à-dire le moment où un événement fondateur s'est produit dans l'histoire de la population. Ensuite, une comparaison statistique à grande échelle, par paires, de l'ADN génomique permet d'estimer le moment et l'intensité du goulot d'étranglement.

Pour tester la cohérence et la précision du programme ASCEND sur d'autres espèces, les chercheurs ont pris l'exemple des chiens illustré à droite. Les séquences génomiques d'environ 40 races de chiens modernes étant disponibles, ils les ont soumis au programme pour déterminer depuis combien de temps les événements fondateurs se sont produits dans des races allant des chiens de village africains connus pour présentés le moins de consanguinités, aux races comme les boxers, les dobermans et les rottweilers, les plus consanguins. Conformément à l'établissement de nombreuses races de chiens à l'époque victorienne, ils ont confirmé des événements fondateurs extrêmes dans la plupart des races au cours des 25 dernières générations, c’est-à-dire remontant entre 75 et 125 ans.

Les données génomiques proviennent de la base de données Allen Ancient DNA Resource créée par David Reich et ses collaborateurs de l'Université d'Harvard, où Moorjani obtint son doctorat. La base de données publique comprend actuellement les génomes actuels et anciens de plus de 14000 individus et plus d'un million de mutations ou variantes courantes (des polymorphismes d'un seul nucléotide, ou SNP) au sein de ces séquences d'ADN.;

A l'époque où Moorjani et ses collègues commencèrent leur étude, la base de données contenait moins de génomes anciens et modernes. Ils se sont concentrés sur les génomes de 2310 individus actuels issus de 184 groupes, puis ont élargi leur étude pour examinateur 947 individus supplémentaires représentant 164 populations anciennes du monde entier.

Selon Tournebize, "En appliquant cette méthode, nous avons découvert des événements fondateurs qui n'avaient pas été identifiés auparavant, par exemple chez des populations du Maroc antique ou de Sibérie. En tant que Français, j'ai été vraiment surpris de découvrir un événement fondateur chez le peuple basque, datant du 1er siècle avant notre ère et peut-être lié à la colonisation romaine de cette région."

Mais en se basant uniquement sur l'analyse génomique, les chercheurs ne peuvent pas connaître toute l'histoire de ces événements. Ils doivent généralement faire appel à des spécialistes des sciences sociales (sociologues, psychologues, démographes, géographes, etc) y compris aux historiens et aux archéologues pour les périodes historiques pour comprendre les détails des événements qui pourraient être associés à ces goulots d'étranglement.

Brassage génétique

Dans un article publié dans la revue "eLife" en 2022, Moorjani précité et ses collègues ont utilisé un programme d'analyse génomique différent appelé DATES (Distribution of Ancestry Tracts of Evolutionary Signals) qui permet d'analyser le génome d'un seul individu, qu'il soit complet ou partiel, et d'estimer son brassage génétique avec d'autres populations au fil du temps. Les chercheurs ont utilisé ce programme pour analyser environ 1100 génomes anciens et reconstituer les principaux événements de flux génétiques en Europe depuis environ 10000 avant notre ère.

Carte des populations humaine migrantes vers l'Europe L'ascendance génomique des Européens d'aujourd'hui est un mélange de trois groupes ancêtstraux de l'Holocène européen : les chasseurs-cueilleurs (bleu), les agriculteurs anatoliens (orange) et les éleveurs des steppes (vert). À l'aide d'une nouvelle méthode appelée DATES, des chercheurs ont pu déterminer la période de formation des agriculteurs anatoliens et des éleveurs des steppes ainsi que leur propagation en Europe. À droite, les mélanges relatifs des trois groupes dans les populations de diverses régions d'Europe. Document M.Chintalapati et al. (2022).

Suite à cette analyse, les auteurs ont fait une découverte surprenante : les génomes des agriculteurs anatoliens qui vivent dans l'actuelle Turquie, présentent un mélange de gènes d'agriculteurs néolithiques iraniens bien avant l'avènement de l'agriculture en Anatolie. Cela suggère que l'agriculture n'est pas née en Anatolie, comme de nombreux archéologues l'ont suggéré.

Selon Moorjani, "nous avons pu déterminer le moment clé de la formation de ce groupe d'Anatoliens, qui est antérieur à l'agriculture dans la région. Et sur cette base, nous sommes en mesure de dire que l'agriculture a dû se propager par diffusion culturelle, plutôt que d'être originaire d'Anatolie."

Une autre découverte a été la chronologie de la formation des pasteurs des steppes de l'âge du bronze. Ces groupes eurent un impact considérable, à la fois génétique et démographique, en Eurasie pendant l'âge du bronze et, selon certaines études, ils sont responsables de la propagation des langues indo-européennes.

Des études archéologiques ont révélé que ces groupes ont vécu dans les régions des steppes de Russie et de l'Ukraine actuelles de 3300 à 2600 avant notre ère. En utilisant la méthode de datation génétique, les chercheurs ont découvert que ces groupes se sont formés génétiquement entre 4400 et 4000 avant notre ère, ce qui précède de plus d'un demi-millénaire les découvertes précédentes.

Selon Manjusha Chintalapati, postdoctorante à l'UCB et coautrice de cet article, "Notre étude met l'accent sur le pouvoir de la datation des brassages et de la formation de la population, plutôt que de simplement utiliser l'échantillonnage temporel et de suivre la présence ou l'absence d'une ascendance particulière dans des échantillons anciens, ce qui dépend fortement du choix et de la densité de l'échantillonnage."

Moorjani prévoit d'utiliser ASCEND et DATES pour examiner en détails le génome d'autres populations anciennes, en particulier celles de l'Inde, qui présentent d'importants événements fondateurs suggérant la possibilité de découvrir les traces de nombreuses maladies récessives inconnues qui pourraient aider à réduire la charge de morbidité dans le groupe et à faire la lumière sur les fonctions de base des gènes humains.

Selon Moorjani, "Dans notre analyse, nous constatons que 64% des populations sud-asiatiques présentent des événements fondateurs très forts, nous essayons donc de procéder à une collecte d'échantillons ciblés dans ces groupes pour caractériser certaines variantes délétères dues aux événements fondateurs."

L'exploitation des données génomiques est un travail d'enquête passionnant qui permet d'en savoir plus sur le calendrier de différents événements évolutifs. Selon les chercheurs, ces découvertes seront utiles non seulement aux archéologues et aux historiens qui suivent les mouvements et les brassages de populations à travers le monde, mais également aux scientifiques et aux médecins qui étudient les variations génétiques humaines. Ainsi, les maladies génétiques des populations consanguines ont aidé les scientifiques à trouver de nombreuses mutations pathogènes dans le génome humain et à découvrir les causes de nombreuses maladies génétiques et héréditaires.

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Il y a 73000 ans

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