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L'origine et l'avenir de l'Homme

Des guerriers du Néolithique d'Indonésie. Document T.Lombry.

La révolution néolithique (XV)

Longtemps les archéologues et les paléoanthropologues ont considéré que le Néolithique, c'est-à-dire l'âge de la "nouvelle pierre taillée", avait débuté il y a environ 8 à 9000 ans avec le développement de l'agriculture et de la domestication des animaux pour se terminer à l'aube de l'écriture et de l'Histoire il y a environ 5500 ans. Comme le précise l'INRAP dans sa chronologie, ils fondaient le début de cette période sur les seules traces archéologiques qu'ils possédaient, celles découvertes en Europe. Or, de nouvelles découvertes faites en Turquie et en Syrie ont reculé le début de cette période d'au moins 3000 ans !

À la lumière des découvertes, il faut considérer que c'est il y a environ 12000 ans que nous assistons à la révolution néolithique. Le qualificatif n'est pas exagéré quand on sait que cette époque vit la sédentarisation des populations nomades de chasseurs-cueilleurs dans des petits villages qui allaient devenir des villes des millénaires plus tard avec le développement de sociétés complexes.

Naissance de la sédentarisation

La chasse, la pêche et la cueillette ont toujours été pratiquées par les hommes et ils ont toujours échangé leurs biens et notamment des outils en pierre et des accessoires sans pour autant devoir s'installer à demeure dans un lieu. Les populations vivaient au jour le jour en prélevant les ressources dont elles avaient besoin directement dans la nature, et le cas échéant les stocks étaient réduits au minimum ou destinés au troc.

Toutefois, il y a environ 12000 ans, les peuples chasseurs-cueilleurs nomades se sont sédentarisés, c'est la néolithisation et ont développé systématiquement une économie communautaire organisée autour d'un pouvoir central, garant de leur sécurité et de leur survie. Après l'organisation des clans familiaux au sein d'une tribu assurant sa protection et garante des traditions, suite à l'expansion démographique ou au développement de ses activités, la tribu se transforma en village. Les premiers villages et les premières sociétés offraient l'avantage de réunir pour la première fois des personnes d'horizons différents, parlant des langues différentes et pratiquant différents métiers. En acceptant de se sédentariser, ces personnes acceptaient également de se plier aux lois qu'imposait ce nouveau style de vie : un système d'organisation pyramidal dirigé par un chef, qu'il soit civil ou religieux voire héritant du double pouvoir épaulé par des responsables gérant l'accès aux ressources et aux biens (puits d'eau, stock de céréales, édifices publics, etc) ainsi que les détails de la vie sociale.

Reconstitutions par l'auteur de pointes à encoches façonnées par l'Homo sapiens il y a moins de 10000 ans. A droite, voici l'artefact original légèrement dentelé découvert dans le nord-ouest du Sahara datant de la culture capsienne (8000 à 2700 ans avant notre ère). La pointe de flèche originale mesure 4.7 cm. Sur l'illustration elle est trois fois plus grande et peut être adaptée sur une lance. Documents T.Lombry et T.Lombry/Time Vault gallery.

Avantage de cette organisation, le chef de la cité et les citoyens pouvaient s'enrichir et le pouvoir en place pouvait signer des échanges commerciaux, organiser un système éducatif, des loisirs (fêtes, folklore, etc) mais également mettre sur pied une armée afin de défendre ses terres et sa population. Revers de la médaille, pour assurer ce pouvoir et ces services, la majorité des cités ont levé des impôts, fixé des taxes sur les produits et édicté des règles de vie en communauté, sanctionnant ceux qui les transgressaient ou ne pouvaient pas s'y plier. Ces règles d'usage furent transmises oralement pendant des millénaires, devenant le droit coutumier à l'époque médiévale et qui est encore localement reconnu juridiquement.

Ce type d'organisation sociale est encore pratiqué par certaines populations autochtones vivant dans des régions isolées un peu partout dans le monde. Toutefois, pour la majorité d'entre nous qui n'avons jamais connu ce style de vie ni même sur même nos aïeux depuis des siècles, cette époque fait partie de notre histoire. Bien que proche de nous, elle est paradoxalement encore mystérieuse et étrangère car nous en savons peu de choses. Si les premières gravures sont apparues il y a 60000 ans, l'écriture et donc l'Histoire avec un grand H, n'est apparue qu'il y environ 5500 ans en Mésopotamie. En attendant son invention, nous ne pouvons compter que sur l'aide des découvertes archéologiques et interpréter ce que nous possédons le plus objectivement possible.

Bien que muets, les objets archéologiques nous en disent toutefois long sur l'organisation des premières cités et du pouvoir à l'époque néolithique.

A

B

C

D

E

F

Des exemples du summum de l'industrie du paléolithique supérieur et du néolithique du silex et de l'obsidienne. En A, une feuille de laurier (dite de type Volgu) du Sulotréen découverte à Volgu en Saône-et-Loire (F) datant entre 20000-18000 ans dont voici des répliques. Cet objet est avant tout décoratif. Des versions plus épaisses à la base coupée ou à épaulement peuvent servir de pointe de lance. En B, un poignard en silex vu de face et de profil découvert à Bricqueville-la-Blouette dans la Manche (FR) datant de 6000 à 5000 ans BP. En C et D, deux pointes de flèches à pédoncule et biseautées du Néolithique final; à gauche une pointe découverte à Han-sur-Lesse (B) datant de ~4800 ans BP et à droite une pointe découverte à Beaumont-Hague, dans la Manche (F) datant de ~4000 ans BP. En E et F, deux pointes de flèches à encoches en obsidienne. Celle de gauche provient des Indiens du Colorado. Celle de droite mesure ~8x5x0.5 cm et fut utilisée par les chasseurs-cueilleurs du nord de la Californie de Davis Creek depuis 10000 ans BP et ensuite par les Amérindiens locaux (Alturas, Cahuilla, Modoc, etc) jusqu'au XVIe.s. Voici une autre photo, de face à contre-jour et de profil). Documents Panorama de l'art, Inrap, Dailyscience, Inrap, Dusty River Hunter et collection T.Lombry.

Le pouvoir des riches

Jusqu'à la découverte du site de Göbekli Tepe en Turquie (voir plus bas), tous les experts pensaient que c'était grâce à la sédentarisation que naquit l'agriculture, les premiers champs de céréales et les vergers notamment, rapidement suivis par l'élevage et la recherche d'une amélioration des espèces et des rendements (cf. C.P.Osborne et al., 2017).

Selon cette théorie, la sédentarisation et l'élevage seraient apparus en Mésopotamie il y a environ 11000 ans, avant que les voyageurs et les commercants ne transmettent ces idées quelques millénaires plus tard aux quatre coins du monde. Mais ce ne fut pas toujours nécessaire. En effet, même des peuples isolés ou très éloignés de la Mésopotamie cultivèrent des plantes domestiquées (dans le sud-ouest de l'Amazonie il y a 10000 ans) ou inventèrent l'agriculture et l'élevage de manière indépendante, notamment les civilisations chinoises (9000-7000 ans) et andines (Olmèques il y 3600 ans et Mayas il y a 3000 ans).

En parallèle, l'homme domestiqua le chien il y a 33000 ans en Eurasie, la chèvre il y a 10000 ans en Irak, le mouton il y a environ 8500 ans au Moyen-Orient et le boeuf il y a environ 8000 ans au Moyen-Orient (cf. l'article publié par M.A. Zender et B.Hesse dans la revue "Science" en 2000 et ce tableau publié sur Wikipédia).

Lorsque l'homme se sédentarisa et que l'individualisme se développa au sein des premières cités, le troc et autres dots représentèrent rapidement un signe de statut social qui sépara au sein même de la société les différentes familles en fonction de leur richesse; d'un côté il y avait les individus et les tribus riches capables d'échanger et d'offrir des présents pour satisfaire leurs besoins ou lier des alliances et d'un autre côté les pauvres, dépourvus de biens. Les premiers devinrent des commerçants, des fonctionnaires et des maîtres-ouvriers offrant des biens ou des services à la société, les seconds devinrent leurs employés ou leurs clients quand ils n'étaient pas leurs esclaves.

Ces biens de valeurs d'abord représentés par des animaux ou de la nourriture, puis des pierres polies, des poteries en céramique, des objets décoratifs, des pièces de tissus et finalement par de la monnaie (Mésopotamie, il y a 4500 ans) donnèrent naissance à l'économie domestique qui fit désormais partie de la culture industrielle humaine. Cette monnaie se transmit de proche en proche du Moyen-Orient vers l'Eurasie et le reste du monde au gré des courants migratoires.

Rapidement cette richesse acquise par les uns fut synonyme de puissance et de pouvoir avec toutes leurs dérives, abus et autres exploitations.

Si dans certaines sociétés primitives les concepts de propriété et d'argent n'existent pas, la majorité des sociétés humaines les ont adoptés par soucis d'universalité, d'efficacité et finalement pour acquérir le pouvoir, jusqu'à reproduire des dieux à leur image.

Jusqu'ici, l'Homo sapiens avait laissé derrière lui les traces d’une culture philosophique et de pratiques irrationnelles. Mais en développant l'agriculture et l'élevage nos ancêtres abandonnèrent la sorcellerie et le culte des ancêtres pour celui des dieux. 

 Göbekli Tepe : des temples avant des cités

Toutes les découvertes archéologiques indiquent que les premiers édifices néolithiques ont été bâtis au Moyen-Orient, dans le fameux "croissant fertile" qui s'étend de l'Egypte à la Mésopotamie, en passant par la Jordanie, la Turquie et l'Irak où s'écoule le Tigre et l'Euphrate.

Jusqu'ici les archéologues pensaient que les premières traces de sédentarisation étaient apparues il y a environ 11600 ans à Jéricho et les premières cités il y a 6000 ans avant notre ère à Ourouk notamment.

Toutefois, des fouilles effectuées en Turquie, à Göbekli Tepe, à partir de 1995 par Klaus Schmidt de l'Institut allemand d'archéologie (DAINST), Eric Coqueugniot de l'Université de Lyon en 2006 et des études réalisées par l'archéologue Jeffrey Rose, spécialiste des cultures Saharo-Arabiques à l'Institut Ronin, indiquent que les hommes ont bâti des temples avant de bâtir des cités.

Le site de Göbekli Tepe (la "colline du nombril" en turc) est situé en Anatolie sur une colline qui domine la vallée d'Urfa (ou Sanliurfa, cf. Google Maps). Comme on le voit ci-dessous, il contient des édifices circulaires de 10 à 30 m de diamètre entourés d'un mur de moellons solidarisés avec du mortier. Dans les murs et au centre sont posées d'imposantes stèles de 2 à 5.5 m de haut pesant jusqu'à 10 tonnes. En forme de T, elles contiennent des haut-reliefs représentant des personnages stylisés et des animaux sauvages mais aucun animal domestique. Les fouilles ont également mis à jour des pointes de flèches et des ossements brisés d'animaux sauvages.

A voir : Civilisation disparue il y a 12 000 ans, Gobekli Tepe

B comme Babylone (il y a ~4500 ans)

Le site de Göbekli Tepe découvert en Turquie. Il fut bâti il y a 12000 ans dans un but religieux et utilisa une technique de fabrication que l'on pensait inconnue à cette époque. Documents Vincent J. Musi/NGS, Klaus Schmidt / Berthold Steinhilber / Smithsonianmag et Vincent J. Musi/NGS.

A côté des trois cercles de pierres sortis de terre, des relevés géomagnétiques ont révélé l'existence d'au moins 16 autres cercles similaires contenant quelque 250 pierres réparties sur une surface totale de 300 x 300 mètres et sur plusieurs niveaux correspondant à différentes époques.

A quelle date remonte Göbekli Tepe ? Les parties les plus imposantes et les mieux conservées remontent à 11500 ans tandis que les plus anciens vestiges dont certains sont encore ensevelis remontent à environ 14000 ans, c'est-à-dire à la fin de l'ancienne glaciation. Autrement dit, ces constructions sont 7000 ans antérieures aux plus anciennes pyramides d'Egypte (Djeser, IIIe dynastie, vers 2600 avant notre ère) et 6600 ans antérieures à Stonehenge (2900 avant notre ère). Les bâtisseurs de Göbekli Tepe ont donc construit cette structure avant même de savoir fabriquer des poteries et utilisé une technique que les autres peuples ne découvrirent que 7000 ans plus tard !

Plus étonnant, on n'a trouvé aucun village, aucune source d'eau, aucune trace de feu et bien sûr aucune métallurgie près du site, à l'exception des traces de banquets épisodiques. Les premiers villages, à savoir Seyrantepe et Urfa se trouvent respectivement à 8 km et 15 km de distance. Tout le travail de construction fut donc effectué à la main avec des outils rudimentaires en bois et en pierre taillée.

D'où venaient ces terrassiers et ces sculpteurs ? Selon l'archéologue Bahattin Celik de l'Université de Karabük, il existait une communauté à Urfa il y a 11000 ans, donc à l'époque de la construction de Göbekli Tepe. Les anciens édifices d'Urfa et même d'autres villages montrent qu'à l'époque les habitants bâtissaient des greniers en pierre de forme cylindrique et sculptaient dans la pierre des statues humaines aux yeux noirs qui ressemblent aux vestiges retrouvés à Göbekli Tepe.

Sans exagérer, la construction de ce site représenta un travail pharaonique. Des expériences ont montré qu'un haut-relief représentant un animal de 1 m de longueur et 10 mm d'épaisseur exigeait 6 heures de travail ininterrompu par un spécialiste. Chaque stèle fut taillée dans un monolithe de granit extrait de la roche et exigea des mois de travail puis fut traînée sur des centaines de mètres vers ce lieu insolite... ou personne ne vivait ! On estime que chaque cercle de pierre nécessita près d'un an de travail à 50 hommes qualifiés, capables de tailler la roche comme le ferait un artiste. Le chantier a probablement duré entre 50 ans et plus d'un siècle selon la main d'oeuvre disponible.

Stèle de Göbekli Tepe gravée probablement à l'éfigie d'une divinité. Document Vincent J. Musi/NGS.

Les grandes stèles placées au centre des cercles représentent des personnages stylisés (on distingue leurs bras, leurs main, leur ceinture et leur pagne en peau de renard) dont la tête symbolisée par le sommet du T n'a pas été représentée. L'absence de tête signifierait qu'il ne s'agirait pas de représentations humains mais de celles du monde de l'au-delà, de divinités.

Les stèles reproduisent des animaux existants et chassés dans la région (renards, sangliers, tatous, oies, aurochs, jaguards, léopards, etc). Selon les archéologues Klaus Schmidt et Jeffrey Rose, sachant que le site est isolé, il s'agirait d'un lieu de culte où les hommes ont affirmé pour la première fois leur dominance sur les animaux et la nature.

Quel rite était pratiqué à Göbekli Tepe ? Selon Jeffrey Rose, les gravures sur les stèles montrent des corps tête en bas tandis que des crânes servant de reliques (rattaché au culte des ancêtres) ont été découverts dans la région. On en déduit qu'il s'agirait d'un temple dédié au culte des morts et au monde des enfers où les hommes proclamaient leur supériorité sur les animaux sauvages et la nature, les grands T représentant leur dominance spirituelle sur toute chose.

Qui étaient ces hommes ? On a retrouvé des pointes de flèches et divers outils en pierre sur le site, de toute évidence utilisés pour la chasse et le dépeçage des animaux capturés. Etant donné qu'il n'existe aucune trace d'animaux domestiqué, ce site unique au monde fut vraisemblablement bâti par des chasseurs-cueilleurs, c'est-à-dire un peuple semi-nomade qui jusque là suivait les animaux sauvages pour survivre.

D'où venaient ces hommes ? Situé à des kilomètres des premiers villages, il paraissait difficile de répondre à cette question. Toutefois, des archéologues turques ont exploré les villes les plus proches et découvert notamment à Urfa, les vestiges d'anciennes habitations, de silos de stockage et des statues sans visage remontant à environ 11000 ans, c'est-à-dire contemporains de la construction de Göbekli Tepe. On en déduit que les hommes qui habitaient à Urfa étaient probablement les mêmes que ceux qui ont bâti le lieu de culte, apportant la preuve qu'ils s'étaient sédentarisés près du site.

L'existence de ces structures implique que ces nomades ont dû rester sur place et s'organiser pour les construire. Cette conclusion à des conséquences majeures.

Pour parvenir à ériger une structure aussi complexe, des familles provenant de 200 km à la ronde se sont rassemblées provoquant une augmentation de la population qui atteignit finalement plusieurs milliers d'habitants. La population dut s'organiser, apprendre à vivre ensemble et définir un code moral pour la communauté afin qu'elle soit unie autour d'un même objectif : la construction de ce temple qui représente le facteur d'unité. Avec ce temple naquit la première société sédentaire du monde !

Autrement dit, l'existence de Göbekli Tepe montre que c'est la sédentarisation qui a permis à l'homme de réfléchir sur le sens de la vie en inventant la religion grâce à laquelle il apprit à domestiquer la nature en inventant l'agriculture puis l'élevage.

Au fil du temps, ce lieu de culte fut délaissé et 1500 ans plus tard, il y a 10000 ans, il fut même enseveli, formant une véritable colline artificielle. Sur celle-ci fut bâtie de nouvelles structures de taille réduite (les stèles centrales sont plus courtes de 1.5 m). La raison de cet ensevelissement resta inconnue jusqu'à ce que des recherches dans la région apportent l'explication.

Un nouvel indice apparut notamment au fond du lac artificiel formé par le barrage de Seyir Yeri situé à quelques dizaines de kilomètres au nord-ouest de Göbekli Tepe. Avant l'engloutissement de la vallée, dans les années 1980 des archéologues turques découvrirent un village néolithique contenant une enceinte murée contenant des stèles en T qui rappellent en tous points une version réduite de Göbekli Tepe.

Les fouilles de Göbekli Tepe ont montré que le site contient des structures remontant à plusieurs époques consécutives, présentant progressivement une structure plus simple et un style plus dépouillé. De plus, dans un rayon de 200 km autour de Göbekli Tepe, on a découvert dans les villages avoisinants des édifices et des stèles similaires mais de taille plus réduites. Selon Jeffrey Rose, ces édifices ressemblent à de plus petits lieux de foi décentralisés, comme le sont aujourd'hui nos églises locales et nos chapelles.

Les crânes surmodelés découverts à Tell Aswad en Syrie en 2006. Document CNRS.

Les experts pensent qu'au cours des siècles, les habitants devenus fermiers et sédentaires ont délaissé le site historique devenu sans intérêt car réminiscent de l'époque révolue des chasseurs, mais ont conservé et reproduit les mêmes rites en d'autres lieux. Par conséquent, comme il était de coutume à cette époque, le site original n'avait plus de raison d'être et fut progressivement enseveli, de nouveaux édifices étant bâti sur les anciens.

Comme on le voit à droite, en Syrie, à Tell Aswad, une autre équipe a également découvert en 2006 des crânes surmodelés de terre et de chaux puis peints témoignant de rites funéraires très élaborés. On y a également découvert des murs décorés de peintures géométriques rouges et noires. Ils remontent à la même époque. Ici également, le culte des ancêtres était couramment pratiqué, unissant le temps d'une cérémonie les vivants et les morts.

Enfin, sur le site de Catal Huyuk daté de 8000 ans, on retrouva des statues funéraires ayant des points communs avec Göbekli Tepe comme l'aurochs, le léopard ainsi que des crânes détachés de leur squelette. Une nouvelle fois, mais de manière moins ostentatoire, l'homme voulut montrer son ascendance sur les animaux et le lien spirituel qui réunissait tous les hommes vivants et disparus. Ces croyances ont été perpétuées jusqu'à nos jours et sont parfois transformées en fête (outre les fêtes religieuses, citons la corrida où le taureau, le descendant de l'aurochs, personnife la peur et le respect des hommes pour cet animal domestiqué).

La conclusion semble évidente : l'homme aurait érigé des temples avant de construire des villes. Cette idée est tout aussi révolutionnaire, car on croyait ces hommes du Néolithique frustes et à peine capables de maîtriser leur environnement. Or, les sites de Göbekli Tepe, Dja'de et Tell Aswad parmi d'autres témoignent qu'à cette époque les hommes bien qu'ils étaient encore semi-nomades s'étaient déjà organisés, utilisaient des techniques et faisaient preuve d'un sens artistique qu'on n'imaginait même pas à l'aube du Néolithique, 5000 ans avant les premières villes !

Les Améridiens d'Amazonie

A l'époque des civilisations précolombiennes, les Améridiens vivaient en harmonie avec la nature, se considérant comme les égaux des végétaux et des autres animaux qu'ils cotoyaient, même s'il s'agissait parfois d'un rapport de force ou d'une relation violente lors de la chasse par exemple. Ils défrichaient la forêt amazonienne et chassaient au rythme de leurs besoins et avaient trouvé le moyen de rendre la terre acide et délavée par les pluies, extrêmement fertile au moyen d'engrais naturels (cf. la Terra Prêta).

De nos jours, on trouve encore les traces de leurs cultures durables et les descendants des dizaines d'espèces d'arbres et de plantes qu'ils ont cultivés. En effet, même 500 ou 800 ans plus tard, les zones entourant les anciens villages amérindiens qui furent défrichées (les abatttis) présentent une plus grande diversité végétale que la forêt moyenne. On y trouve jusqu'à 40% d'espèces comestibles comme les palmiers alimentaires (Patawa), les bananiers, les cacaoyers, les tubercules de manioc, les Ananas comosus ou des Piquias pour le bois de construction. Les Amérindiens cultivèrent jusqu'à 80 espèces différentes de plantes. Les anciens villages abandonnés depuis des siècles furent recolonisés par la jungle mais se reconnaissent encore au fait que l'ancienne zone défrichée présente de nos jours une canopée basse d'à peine 10 m de hauteur, une forêt de lianes et parfois une terre noire composée de Terra Prêta (cf. le projet "Long Time" de Guillaume Odonne du CNRS).

A lire : Fruits trees and useful plants in Amazonian Life, P.Shanley et al., FAOUN

La Rivière des ténèbres, Buddy Levy

Récit de voyage de l'explorateur espagnol Francisco de Orellana qui navigua sur l'Amazone en 1541-1542

Illustrations artistiques de guerriers du Néolithique vivant dans la jungle d'Afrique, d'Amazonie et d'Océanie. Ces sociétés tribales sont animistes (des païens comme les appeleront les Chrétiens) avec parfois l'invention d'une cosmogonie qui explique l'état de leur monde, elles sont organisées autour d'une chefferie avec des droits et des devoirs pour ses membres, une hiérarchie, des pouvoirs sacrés, les clans possèdent des animaux domestiques et des terres soit en propre soit communes, on y fait du troc et les guerres tribales font partie des moeurs. Nos sociétés modernes ne sont qu'une forme évoluée de ces organisations sociale, économique et culture. Documents T.Lombry.

Sur base des marqueurs archéologiques (forêt anthropisée, cultures en terrasse, Terra Prêta, nombre de villages, de poteries, etc), on estime que 8 à 10 millions d'Amérindiens vivaient le long des méandres de l'Amazone lorsque les Européens débarquèrent et mirent brutalement fin à leur civilisation. Certains citent même des chiffres de 15 à 20 millions d'habitants. Cette estimation confirme le récit de l'explorateur espagnol Francisco de Orellana qui navigua sur l'Amazone en 1541-1542 et s'étonna d'une curiosité mêlée de crainte de la grande population vivant le long du fleuve (cf. "Francisco de Orellana Découvreur de l'Amazone", J.-M. Warêgne, 2014; "La Rivière des ténèbres", B.Levy, 2022).

Qualifier l'Amazonie de "forêt vierge" est donc une erreur scientifique car les plus anciennes peintures rupestres (Cerro Azul, en Colombie, datant de 12500 ans BP; Monté Alégré, au Brésil, datant de 12000 ans BP) prouvent qu'elle est marquée par l'empreinte anthropique depuis le Néolithique. C'est vers 8000 ans BP qu'on observe les premières occupations semi-sédentaires en Amazonie et vers 7000 ans BP que les habitants fabriquèrent les premières céramiques (cf. "Avant le A d’Amazonie", S.Rostain, 2011).

A gauche, quelques unes des peintures rupestres découvertes en 2024 à Cerro Azul, en Colombie, datées de 12500 ans BP. Au centre, un échantillon des peintures rupestres découvertes à Monté Alégré, au Brésil, datant de 12000 ans BP. A droite, un exemplaire typique d'urne funéraire Marajoara utilisée entre 400-1400 de notre ère. Elle fut découverte sur l'île de Marajó, dans l'embouchure de l'Amazone. Elle est en céramique polychrome peinte en noir et rouge sur fond blanc et mesure 84 cm de hauteur et 70 cm de diamètre. Documents M.Robinson/U.Exeter, Ândria Almeida/O Liberal et Musée Paraense Emílio Goeldi de Belém qui rassemble des millions de pièces archéologiques d'Amazonie.

Ce n'est que vers 1980 que les scientifiques prirent conscience de cette réalité grâce à l'archéologie scientifique. A leur décharge, il faut bien avouer que depuis la fin du XVIe siècle, ils avaient de bonnes raisons de croire que l'Amazonie était une terre vierge : pratiquement toutes les populations avaient été décimées et le territoire laissé en friche pendant des siècles, laissant penser qu'on n'y trouverait rien d'intéressant.

En fait, la disparition ou le déclin des peuples Amérindiens d'Amérique du Sud s'est étalé sur plusieurs siècles et est divisé en trois phases. Entre l'arrivée de Christophe Colomb dans les Caraïbes en 1492 et 1550, les Amérindiens d'Amérique du Sud furent principalement décimés par les maladies (variole, rougeole, etc) importées par les Européens contre lesquels les Amérindiens n'étaient pas immunisés. En quelques décennies, la démographie chuta à quelques centaines de milliers d'habitants dans le bassin amazonien (notons qu'en contrepartie ils transmirent leurs maladies aux Européens comme le typhus et la syphilis). Cela explique que lorsque les colons pénétrèrent dans le continent vert, la plupart des villages étaient abandonnés et de nombreux squelettes humains gisaient à même le sol. Ce fut le paroxysme du déclin des peuples d'Amazonie.

Puis, au cours de la colonisation, entre 1532 et 1572, il y eut des massacres perpétrés par les Conquistadors (cf. Francisco Pizzaro) et les colons. En parallèle, l'implantation du système économique comme l'encomienda et les "réductions" (reducciones) ou regroupements organisés par les missions jésuites entraînèrent le déplacement forcé et l'assimilation culturelle des peuples autochtones jusqu'au XVIIIe siècle.

Le déclin des populations amazoniennes s'accentua ensuite, alimenté par le travail forcé, les razzias, l'exploitation des ressources (comme dans les mines de Potosí en Bolivie qui sont toujours en activité) et les conflits armés. Les cultures autochtones furent marginalisées, mais elles ont aussi influencé et contribué aux sociétés coloniales et modernes.

A gauche, image LIDAR de la vallée d'Upano, en Equateur. A droite, sur place, les vues aériennes révèlent un grand complexe de plates-formes en terre à Nijiamanch, l'une des agglomérations urbaines de la vallée de l'Upano qui peuplait l'Amazonie il y a 2500 ans. Il en est ainsi le long de tous les affluents de l'Amazone, autant de preuves que le bassin amazonien était peuplé de millions d'âmes depuis des milliers d'années. Documents Antoine Dorison, Stephen Rostain/CNRS.

On observa le même déclin chez les Amérindiens d'Amérique du Nord entre le XVIe et le XIXe siècle et chez les peuples de Patagonie au XIXe siècle. Dans les trois cas, les populations furent victimes des maladies importées par les Européens mais on peut aussi localement parler de génocide éthnique.

De nos jours, de nombreuses communautés autochtones d'Amérique du Sud continuent d'exister, bien que souvent marginalisées voire même victimes de génocide ethnique par les colons, avec des revendications pour préserver leur culture et leurs droits (cf. les revendications parfois couronnées de succès des peuples Guajajara, Guaranis, Kakataibo, Kayapo, Munduruku, Tembé, Turiwara, Uru-Eu-Wau-Wau, etc. Consultez aussi le site de l'ONG Amazon Watch).

Selon la FUNAI (Fundação Nacional dos Povos Indígenas ou La Fondation Nationale des Peuples Indigènes), de nos jours, il existe 215 ethnies rien qu'au Brésil qui parlent 188 langues et dialectes. En 2002, on recensait 45 groupes qui n'étaient pas encore entrés en contact avec le monde extérieur ou ne le souhaitaient pas.

Les débuts de l'écriture et de l'Histoire

Avec l'invention de l'écriture naît l'Histoire avec un grand H et les premiers récits historiques. Ces premières écritures dérivent directement d'idéogrammes représentant les scènes de la vie et représentent également des chiffres primitifs.

Les premiers textes furent des listes de générations (généalogiques) utilisées par les autorités et des chroniques d'évènements faisant office de registre et de livre d'histoire pour les générations futures.

Vers 3500 avant notre ère, les Sumériens inventèrent l'écriture symbolique qui donna naissance à l'écriture cunéiforme akkadienne vers 2800 avant notre ère, dont un exemple figure ci-dessous à gauche. Elle fut utilisée en Basse Mésopotamie puis vers 2500 avant notre ère elle s'est répandue dans tout le Moyen-Orient. C'est une étape importante dans les progrès intellectuel et  technologique car c'est à cette époque qu'apparaissent les premiers idéogrammes, des symboles qui véhiculent des concepts plutôt que des objets ainsi que les premiers dessins abstraits, figures mathématiques, maquettes et textes chez les Assyriens, Babyloniens, Sumériens et Égyptiens.

On estime qu'on a découvert entre 0.5 et 2 millions de tablettes cunéiformes dont quelque 130000 sont précieusement conservées dans les collections du British Museum.

A voir : L'Histoire des Sumériens

A gauche, une tablette sumérienne en écriture cunéiforme datant de ~2800 ans avant notre ère. Elle comprend du texte et des chiffres. Au centre, Irving Finkel du British Museum en 2014 tenant en main une petite tablette en cunéiforme datant de ~1750 avant notre ère décrivant une 9e version de la légende mésopotamienne du Déluge et la construction d'un coracle géant de 60 m de diamètre qui aurait inspiré l'Arche de Noé biblique et son alter ego islamique. A droite, deux inscriptions en élamite linéaire gravées sur des objets découverts dans l'ancien royaume d'Elam, l'actuelle Iran. A gauche, l'inscription "B" gravée sur un galet provenant de Suse attribuée au souverain Puzur-Shushinak (2150-2100 avant notre ère). A droite, l'inscription "K" gravée sur un vase Gunagi en argent daté de 1900-1880 avant notre ère. Documents British Museum, Dale Cherry et Musée du Louvre.

La langue akkadienne n'a plus été parlée depuis plus de deux mille ans. Un dictionnaire d'akkadien (babylonien-assyrien) fut publié par des linguistes de l'Université de Chicago en 2011. Le projet démarré au début des années 1920 n'a étudié que les tablettes les mieux conservées et aboutit à une collection de 21 volumes dont le dernier fut achevé 90 ans plus tard. Ce dictionnaire comprend 21000 définitions dont plus de 17 pages par exemple sont réservées à la définition du mot "umu" qui signifie "jour"; c'est une véritable étude encyclopédique. Ce dictionnaire est proposé à 2000$. Les experts complètent actuellement ce dictionnaire avec les traductions des tablettes détériorées.

En parallèle, vers 3300 avant notre ère, une autre écriture apparaît dans le royaume d'Elam (l'actuelle Iran), la proto-élamite. Une version plus élaborée appelée l'élamite linéaire fut utilisée 2150 ans avant notre ère. On retrouve sa trace sur des objets élamites en terre cuite, en pierre et en métal dont un vase Gunagi et un galet découvert à Suse comme on le voit ci-dessus à droite.

A gauche, une tablette sumérienne en cunéiforme remontant à ~2300 ans avant notre ère. A droite, une compilation révélant la complexité des caractères cunéiformes sumériens syllabiques et alphabétiques inventés vers 3400 avant notre ère et améliorés jusqu'en 1500 avant notre ère à l'époque Ougarite.

Ferdinand Bork tenta de déchiffrer cette écriture dès 1905 puis de nombreux chercheurs après lui élucidèrent une partie du mystère pour finalement aboutir au déchiffrement par l'archéologue français François Desset du Laboratoire Archéorient de Lyon (cf. F.Desset, 2020) mais qui doit beaucoup au travail de ses prédécesseurs. Ceci dit, la plupart des assyriologues et des épigraphistes n'approuvent pas les hypothèses de Desset.

Viennent ensuite les hiéroglyphes de l'Égypte ancienne. Les plus anciens textes furent écrits sur des pierres vers 3250 avant notre ère. Au cours des 3000 ans qui suivirent les hiéroglyphes évoluèrent et l'écriture fut complétée par de nouveaux idéogrammes.

L'écriture moderne apparut il y a environ 1100 ans avant notre ère, époque à laquelle les Phéniciens diffusèrent l'ancêtre de notre alphabet dans la partie orientale de la Méditerranée. Les Grecs le compléteront en ajoutant les voyelles vers 800 avant notre ère. Les invasions successives transformèrent ensuite le langage, les coutumes et la culture.

A mesure que les jeunes intellectuels apprirent à lire et à écrire, les textes les plus importants furent conservés, copiés et même traduits à l'usage des intellectuels étrangers.

A consulter : Fabricius, le traducteur de hiéroglyphes, Google

A gauche, les hiéroglyphes de la tombe de Nefertari (l'épouse de Ramses II, XIXe dynastie, vers 1200 ans avant notre ère). Document Kairoinfo4u/Flickr. A droite, les alphabets phénicien (~2100 ans avant notre ère), grec, araméen et hébreu. Le hébreu carré remplaça l'ancienne écriture paléo-hébreu vers la fin du Ier siècle de notre ère.

L'écriture a finalement permis à chacun de bénéficier des inventions et de l'expérience de ses aïeuls. S'épargnant de longues études théoriques et expérimentales, les découvertes devinrent exponentielles et touchèrent bientôt tous les domaines de la société.

L'impact des activités humaines

Jusqu'à une époque très récente, mis à part les brûlis, les empoisements de rivière et les guerres tribales, l'impact des hommes sur la biosphère était négligeable et les effets de courte durée. Dame Nature était bien plus violente que nous, et l'est encore quelquefois. En effet, voici quelques centaines de milliers d'années, ce n'était pas les quelques dizaines de millions d'habitants dispersés sur la Terre entière et manipulant des outils en pierre voire en bois, en corne ou en ivoire et sans effets secondaires qui pouvaient porter un réel préjudice au biotope ou au climat.

Mais depuis l'Âge du Bronze (il y a 3700-2800 ans) et surtout l'Âge du Fer qui s'est réellement implanté depuis 2500 ans - rappelez-vous les Celtes et les Romains - en façonnant en série des armes solides et efficaces, l'homme s'est implanté au détriment d'autrui, entrant en compétition avec tout qui entravait son bon développement. Cela concerna également son environnement. Pour atteindre son objectif, l'homme était prêt à abattre une forêt, dévier un fleuve ou assécher un lac.

Ces principes élémentaires de survie, qui nous rapprochent plus du comportement de l'animal que de l'homme sage, se sont par la suite appliqués à tous les domaines de la société et nous en subissons parfois aujourd'hui les contre-effets les plus désastreux : conflit de voisinage, dans le travail, en politique, guerre éthnique, économique, de religion, etc. Il semble que dans ce domaine l'imagination des hommes soit illimitée comme ses moyens de faire la guerre.

A consulter : Chronologie générale des périodes antiques, INRAP

Les Périodes de l'Histoire Antique (I)

Néolithique

8300 à 4500 avant notre ère

Chalcolithique

4500 à 3200 avant notre ère

Bronze ancien

3200 à 2200 avant notre ère

Bronze moyen

2200 à 1550 avant notre ère

Bronze récent

1550 à 1200 avant notre ère

Âge du Fer I

1200 à 1000 avant notre ère

Âge du Fer II

1000 à 586 avant notre ère

En regardant le chemin parcouru par les hommes depuis le Néolithique, on constate que l'invention de la religion et avec elle de la sédentarisation et des villes (et non l'inverse) ont accéléré les progrès de l'humanité. Pendant des dizaines de milliers d'années, l'homme est resté nomade et craignait autant les animaux que la nature. Puis, il a soudainement décidé de dominer son environnement en inventant la religion et célébrant divers évènements en relation avec la nature. L'esprit libéré, cela lui donna l'occasion de réfléchir sur son statut et son avenir. A partir de cet instant, en l'espace de 12000 ans, il est passé de l'exploration des chemins de campagne à l'exploration de l'espace ! Cette révolution est plus extraordinaire que n'importe quelle autre invention.

Enfin, il reste deux grands thèmes à aborder, celui de la révolution industrielle et l'avenir de l'Homme.

Prochain chapitre

La révolution industrielle

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