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La contamination extraterrestre

Des PAH jusqu'à 12 milliards d'années-lumière (VI)

Selon les chimistes, la nébuleuse d'Orion pourrait contenir des composants aromatiques forts proches des résidus de combustion des hydrocarbures[17]. Puisque ces régions sont intensément irradiées par le rayonnement ultraviolet des étoiles proches, cette énergie brise les liaisons des petites molécules aromatiques. En revanche, les grosses molécules polycycliques compactes pourraient survivre.

Les chimistes ont démontré que les régions HII pouvaient contenir des "circumanthracène" et des "dodécabenzocoronène", c'est-à-dire des enchaînements aromatiques stables agencés en nids d’abeilles ayant jusqu'à 19 cycles de carbone (liaison C-C ou C=C, tel le coronène illustré ci-dessous).

PAHDATA

Base de données des PAH

PAH simples neutres PAH cationique

Cliquez sur les molécules pour accéder au site Internet présentant les molécules, leurs bandes de fréquences et leur spectre. Documents NASA/Astrochemistry Lab.

Tous les chimistes qui ont étudié ce sujet confirment que les hydrocarbones polycycliques (qu'ils soient ou non aromatiques comme les PAH), ont une énergie de résonance[18] très élevée dans les états excités qui favorise leur stabilité dans un environnement hostile. Les PAH sont par ailleurs beaucoup plus réactifs que les benzènes ordinaires.

Pour rappel, les PAH sont des composés hydrocarbonés polycycliques et aromatiques ("aromatique" car ces molécules produisent une odeur généralement douce). Comme illustré ci-dessous, ils sont constitués d'un anneau comportant habituellement 6 atomes de carbone formant un hexagone. Le plus simple est le benzène, le solvant bien connu. Les composés aromatiques obéissent à la règle de Hückel (un hydrocarbure est aromatique s'il est plan et s'il possède 4n + 2 électrons délocalisables dans un système cyclique). Ni le benzène ni le coronène ne comportent d'azote dans leur cycle. Ils peuvent cependant réagir avec d'autres molécules pour former des nitriles.

Bien que les radioastronomes n'aient pas encore découvert de composants aromatiques tels le benzène dans les bras de la Voie Lactée ni ailleurs dans l'espace, grâce à leurs émissions infrarouges (3.3, 6.2, 7.7, 8.6, 11.3 and 12.7 μm), des grains de poussière formés de PAH ayant jusqu'à 100 atomes ont été détectés dans la Voie Lactée et dans d'autre galaxies dont M83 et NGC 2403, jusqu'à des distances supérieures à ~12 milliards d'années-lumière (cf. A.G. Jones et al., 2015; A.Li, 2020), ce qui est de bonne augure dans notre quête des signes précuseurs de la vie ailleurs dans l'univers. En effet, après plus d'un siècle de calculs théoriques, pour la première fois les observations confirment les prédictions des chercheurs.

Des molécules organiques complexes (COM) dans NGC 253

Quelques raies moléculaires dont celles de COM détectées en 2017 grâce au réseau ALMA dans la galaxie starburst NGC 253.

NGC 253 est une grande galaxie spirale barrée brillante (SBc de magnitude apparente +8 et de 26' de longueur) située à environ 10 millions d'années-lumière dans la constellation du Sculpteur. C'est un exemple typique de galaxie dite "starburst" (à sursauts d'étoiles) riche en gaz et en poussière affichant un taux élevé de formations d'étoiles (SFR), environ 30 fois supérieur à celui de la Voie Lactée de nos jours.

Comme illustré à droite, grâce au réseau radiointerférométrique ALMA installé au Chili, en 2017 des radioastronomes ont détecté des moléculaires organiques y compris complexes (COM) dans le noyau de NGC 253.

Parmi les molécules identifiées citons l'ion hydronium (H3O+), divers composés soufrés (SO, CS, SO2, ...), le monoxyde de carbone (CO), le radical cyano (CN) ainsi que des COM parmi lesquelles l'acide cyanhydrique (HCN), le formaldéhyde (H2CO), le méthanol (CH3OH), l'acide acétique (CH3COOH) et le propyne (NH3CCH). Ce sont des molécules communes qu'on retrouve un peu partout dans le milieu interstellaire et dans des environnements plus denses dès qu'il y a un apport d'énergie (photons UV, rayons cosmiques ou choc par exemple), que ce soit un disque protostellaire, une nébuleuse ou une comète.

Nous verrons à propos des galaxies Starbursts, que les astronomes ont également détecté plus de 100 espèces moléculaires dans NGC 253, dont beaucoup sont révélatrices de différents processus de formation et d'évolution stellaires. On y reviendra en astrophysique.

Il semble que les COM soient abondants dans toutes les galaxies (à part probablement les elliptiques dépourvues de gaz et les galaxies anémiées) au point qu'on en a détecté jusqu'aux limites de l'univers visible, dans des galaxies situées à plus de 12 milliards d'années-lumière (voir ci-dessous), prouvant une fois de plus que la cosmochimie a produit des molécules organiques depuis pratiquement l'aube des temps.

Des molécules au-delà du CO à 12 milliards d'années-lumière

Grâce aux paraboles du réseau radiointerférométrique NOEMA (Northern Extended Millimeter Array) géré par l'IRAM, l'équipe de Chentao Yang de l'Université de Technologie Chalmers a étudié à 3 mm de longueur d'onde deux galaxies lointaines cataloguées APM 08279+5255 et NCv1.143 situées respectivement à z = 3.911 et 3.565 soit 12.1 et 11.9 milliards d'années-lumière. Bien que leur taille apparente soit inférieure à 1", leurs signaux sont amplifiés grâce l'effet de lentilles gravitationnelles ce qui permit de détecter des molécules organiques complexes interstellaires (iCOM) au-delà du CO. Ces galaxies très lumineuses en infrarouge comptent parmi les galaxies poussiéreuses les plus actives de l'univers primitif (cf. C.Yang et al., 2023).

Yang et ses collègues ont détecté dans APM 08279+5255 et NCv1.143 respectivement 38 et 25 raies d'émission. Ces raies proviennent de 17 espèces de molécules dont 13 molécules n'ont jamais été observées auparavant à de si grandes distances. Il s'agit du radical méthylidyne (CH), le radical éthynyle (CCH), le cyclopropénylidène (c-C3H2), le diazénylium (N2H+) et l'ion hydronium (H3O+). Les autres molécules détectées mais déjà identifiées dans d'autres galaxies sont le monoxyde de carbone (CO), le radical cyano (CN), l'acide cyanhydrique (HCN), le cation formyle (HCO+), l'isocyanure d'hydrogène (HNC), le monosulfure de carbone (CS), l'eau (H2O) et l'oxyde nitrique (NO).

A gauche, images NOEMA traitées des galaxies stardusts APM 08279+5255 et NCv1.143. A cette distance, les sources qui mesurent à peine 1" ne sont pas résolues. A droite, les spectres NOEMA en bande de 3 mm des galaxies stardusts APM 08279+5255 (bleu) et NCv1.143 (violet). A des fins de visualisation, le spectre de NCv1.143 a été décalé de 2 mJy. Les lignes en pointillés noirs marquent les raies détectées dans les deux sources, tandis que les lignes en pointillés oranges marquent les raies qui ne sont détectées que dans l'une des deux sources. Documents C.Yang et al. (2023)

Selon les chercheurs, dans ces deux galaxies lointaines, nous voyons des nurseries stellaires plus grandes, plus brillantes, pleines de poussière et différentes à bien des égards de celles qu'on trouve dans la Voie Lactée. Les nébuleuses d'Orion et de la Carène par exemple brillent grâce à la lumière ultraviolette des jeunes étoiles chaudes. Dans ces deux galaxies lointaines, la lumière ultraviolette ne peut pas traverser les couches de poussière. Une grande partie de leur éclat est provoqué par les rayons cosmiques qui, dans ce cas ci pourraient provenir de l'explosion d'étoiles ou de la proximité d'un trou noir supermassif.

En guise de conclusion

 Dans ce jeu moléculaire galactique tout indique que le processus de l'évolution chimique est donc une évolution cosmique. Cela ne veut pas dire que la vie soit née dans l'espace et qu'elle soit venue ensuite sur Terre comme l'imaginait Fred Hoyle. Nous avons vu qu'un milieu condensé est indispensable et une planète est plus favorable que les grains interstellaires. Si des molécules prébiotiques ont effectivement pu survivre dans l'espace, peut-être y a-t-il quelque part ailleurs dans l'univers une situation qui est sur le point d'atteindre le stade d'évolution que nous connaissons aujourd'hui sur Terre. Il y a par contre matière à discussion si nous sommes seuls dans l'univers. On y reviendra. Ce débat passionna déjà Giordano Bruno, John Milton ou Jules Verne qui imaginaient que les étoiles étaient habitées.

Pour plus d'informations

Vivre dans la glace (sur ce site)

Exobiology, NASA

Meteorites in Antarctica, NASA/JSC

NASA Astrobiology Institute

NASA Astrochemistry Lab

Panspermia, Cosmic Ancestry

Molecules in Space, U.Cologne, 2019

List of Discovered Interstellar Molecules, Obs.Paris

Formation des systèmes stellaires et planétaires. Conditions d'apparition de la vie (PDF), Acad. Eur. Interdisc. des Sciences, EDP Sciences, 2015

Le Soleil, la Terre... la vie. La quête des origines, Muriel Gargaud et al., Belin/Pour la Science, 2009

Des atomes aux planètes habitables, Muriel Gargaud et Philippe Claeys, Presses Universitaires de Bordeaux, 2005

L'environnement de la terre primitive, Muriel Gargaud, Presses Universitaires de Bordeaux, 2001/2005

Les traces du vivant, s/dir Muriel Gargaud, Presses Universitaires de Bordeaux, 2003

Creating a Cosmic Discipline: The Crystallization and Consolidation of Exobiology, 1957–1973, J.Strick, 2004

Limits of life (Proceedings), s/dir. Cyril Ponnamperuma et Lynn Margulis, D.Reidel, 1980; Springer, 2011

Signs of Life, Collectif/Committee on the Origins and Evolution of Life, The National Academies Press, 2002

Cosmochemistry and the origin of Life, s/dir Cyril Ponnamperuma, Dordrech/D.Reidel Publ., 1983; Springer, reprint 2003.

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[19] Lire O.Berné et A.G. Tielens, PNAS, 2012; H.Kroto, Nature, 318, 1985, p162.


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