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La colonisation de la Lune Le Gateway lunaire (II) Le Gateway représente une des pièces maîtresses des efforts déployés par les États-Unis et ses partenaires pour faire progresser l'exploration spatiale. Originellement prévu pour 2022, la NASA en collaboration avec ses partenaires internationaux travaille actuellement sur un projet de Gateway lunaire, une passerelle ressemblant à une petite station spatiale qui sera placée en orbite cislunaire, c'est-à-dire dans la région de l'espace située entre la Terre et la Lune. Sa construction débutera au cours de la mission Artémis IV prévue après 2030. A partir du Gateway, les astronautes des pays participants (Etats-Unis, Canada, Europe, Japon et Émirats Arabes Unis) pourront partir explorer la région du pôle Sud de la Lune pour identifier précisément les régions d'intérêt, ramener des roches lunaires et entreprendre des missions robotisées sur la Lune mais également dans l'espace proche. A mesure que les missions Artémis se succèderont, les astronautes feront des séjours plus longs sur la Lune, y déposeront des instruments et des rovers pressurisés ou non et commenceront à explorer le pôle Sud de la Lune pour sélectionner le meilleur site de la future base lunaire et plus tard pour préparer une mission habitée vers Mars.
Les agences spatiales suivantes apportent des contributions significatives au Gateway : - L'ASC (Agence Spatiale Canadienne) fournit : - le bras robotique externe Canadarm3 de nouvelle génération et des interfaces robotiques avancées pour héberger les charges utiles sur le Gateway. - L'ESA (Agence Spatiale Européenne) fournit : - le Lunar I-Hab en collaboration avec la JAXA qui constitue le cœur des capacités de survie du Gateway et l'un des deux modules ou quartiers d'habitation dans lequel vivra l'équipage d'Artémis, mènera des recherches et se préparera aux activités à la surface de la Lune. - Le HALO (Habitation and Logistics Outpost) ou second module d'habitation de l'équipage fabriqué en collaboration avec Northrop Grumman et la JAXA qui comprend des systèmes de communications à haut débit entre la surface lunaire et le Gateway. - le module Lunar View qui assure le ravitaillement du Gateway en alimentation (puissance et propulsion), la logistique du fret et des fenêtres pour l'observation (photographie) de la Lune et de la Terre. - le Lunar Link qui assure les communications à haut débit entre la surface lunaire et le Gateway. - le Module de service européen qui s'attache à l'arrière du vaisseau Orion de la NASA. - le module ESPRIT de refueling qui s'attache au HALO. - La JAXA (Agence Japonaise d'Exploration Aérospatiale) fournit : - les composants essentiels du module Lunar I-Hab, le système de contrôle environnemental et de survie (ECLSS), les fonctions du système de contrôle thermique et les caméras du Lunar I-Hab, les batteries pour alimenter le HALO, le Lunar I-Hab et le Lunar View ainsi que le vaisseau spatial HTV-XG qui assure le réapprovisionnement logistique du Gateway. - Le Centre spatial Mohammed Bin Rashid des Émirats Arabes Unis fournit le sas (Airlock) qui se fixe sur le Lunar I-Hab et les moyens scientifiques pour l'équipage du Gateway, permettant les transferts de personnel et de matériel scientifique vers et depuis l'environnement spatial. Des entreprises privées ayant directement signé un contrat avec la NASA participent également à l'assemblage du Gateway : - SpaceX qui outre les fusées Artémis et Starship, fournit un module logistique pour le Gateway ainsi que le module d'alunissage qui s'attache au HALO - MAXAR fournit le système PPE d'alimentation (les panneaux solaires générant 60 kW), de propulsion et des moyens de navigation et de contrôle du Gateway.
Ensuite, si tout se déroule comme prévu, vers 2035 la NASA et ses partenaires pourront envisager de construire la base lunaire. Mais avant de s'installer sur la Lune, il faut résoudre quantités de problèmes techniques, logistiques et sanitaires dont certains sont encore aujourd'hui au stade des innovations et des prototypes (on sait comment aller sur la Lune mais personne n'a jamais vécu sur la Lune). Il y a notamment la partie infrastructure qui exige énormément d'efforts, y compris des sociétés privées sous contrat avec la NASA. Un problème essentiel déjà en partie résolu dans la station spatiale internationale (ISS) est la gestion des déchets (le recyclage de l'eau et de certains produits, cf. les cycles de l'eau, du carbone et de l'azote). Mais il y a un autre problème bien plus aigü, celui des risques dans l'espace. Gérer les risques dans l'espace S'engager dans une mission spatiale et d'autant plus sur la Lune revient à faire un pari très risqué. On peut gérer les risques, on peut en supprimer, en réduire ou les contourner mais il restera toujours des impondérables comme un accident aléatoire. Autrement dit le risque zéro n'existe pas. Tous les acteurs du secteur spatial le savent et tous les astronautes signent leur contract en connaissance de cause. Mais tous espèrent aussi que grâce à leur longue préparation, les nombreux tests, essais et simulations, leur mission se déroula sans problème. Une chose est certaine, il faut prendre moins de risques que lors du programme Apollo (pour rappel, Apollo 11 avait une chance sur deux de réussir sa mission et prit des risques qu'on ne prendrait plus aujourd'hui), utiliser des véhicules (orbiter, lander et rovers) plus fiables et si possible réutilisables en partie ou en totalité, s'assurer de la qualité et de la compatibilité des éléments fabriqués par des fournisseurs différents, utiliser des technologies économes en terme énergétique, gérer au mieux l'espace et les ressources disponibles, etc. Puis il y a la question cruciale de la protection des astronautes qui seront exposés des jours et des semaines durant à de nombreux risques dont voici un résumé. Le principal risque est l'exposition au vide de l'espace. Il est tellement évident pour un astronaute qu'on en parle presque plus. Pourtant, comme nous l'avons expliqué, le développement d'une combinaison spatiale est excessivement complexe. Elle doit protéger l'astronaute non seulement du vide et donc être étanche, mais également le protéger des radiations et l'isoler du froid comme de la chaleur tout en conservant la chaleur corporelle. Elle doit également être souple et ne pas transformer l'astronaute en robot incapable de plier les doigts, les genoux ou les coudes et le moins encombrante possible au risque de ne pas pouvoir passer par les sas. Enfin, il doit pouvoir respirer parfois durant plus de 8 heures d'affilée (ce fut le cas sur la mission STS-102 en 2001 où deux astronautes firent une EVA durant 8h56m, un record). Mal conçue, cela reviendrait à marcher dans un sac en plastique mal ajusté en plein été. Puis il y a le risque d'irradiation. Lors des EVA autour du Gateway et sur la surface lunaire qui n'est pas protégée par un champ magnétique ni par une atmosphère, un astronaute est exposé aux rayons cosmiques et gamma à des taux atteignant 440 fois les doses terrestres. Ainsi lors de la mission lunaire chinoise Chang'e 4, les dosimètres embarqués ont relevé sur la face cachée de la Lune un débit de dose absorbée de 13.2 ±1 μGy/heure et de 3.1 ±0.5 μGy/heure pour les particules neutres (cf. S.Zhang et al., 2020). Par comparaison, sur Terre (à Tokyo) le débit de dose absorbée atteint seulement 0.03 μGy/heure. Il faut donc absolument assurer la protection des astronautes contre ces rayonnements ionisants et pas seulement lors des EVA. On ne peut plus se contenter de construire un vaisseau spatial habité ou un habitat sur la Lune dont les parois de protection sont aussi fines qu'une feuille d'aluminium sinon ce sont des cancers assurés (cf. le mal de l'espace). C'est pour cette raison que le vaisseau Orion de la mission Artémis I de 2022 embarqua trois mannequins bardés de détecteurs développés par les ingénieurs du centre nucléaire de Mol en Belgique pour évaluer le risque de contamination lors d'une vol habité vers la Lune. Il faut aussi surveiller les satellites et les débris en orbite cislunaire pour éviter toute collision avec le Gateway ou pire avec un astronaute lors d'une EVA. Si actuellement ces objets se comptent à quelques dizaines de charges utiles, leur nombre augmentera significativement à partir de 2030 et avec eux le risque de collision.
Il faut aussi protéger les astronautes mais également les appareils contre les températures extrêmes et les écarts de température. Sur la Lune, il n'y a pas de transfert de chaleur par conduction ou convection mais uniquement par rayonnement. Dans le vide, sans atomes il n'y a pas de température moyenne et on peut juste mesurer la quantité d'énergie rayonnée. Cette énergie du rayonnement est différente de la température réelle du corps exposé à cette chaleur et dépend de paramètres physiques (dimension du corps, albedo, densité de la surface exposée, résistivité thermique, etc). A midi à l'équateur, la température sur la Lune peut atteindre 127°C et plonge dans l'ombre des cratères à -173°C. Aux pôles, la température avoisine 0°C côté Soleil mais au fond des cratères où la nuit est permanente, LRO a relevé une température de -250°C, à peine 23° au-dessus du zéro absolu ! Dans ces conditions, rien ni personne ne peut résister ni au chaud ni au froid et les couches isolantes et les résistances thermiques seront très sollicitées. Il faut aussi veiller à la décontamination des hommes et des habitats suite à la toxicité de la poussière lunaire et surveiller la radioactivité émise par le sol . Enfin, il faut aussi s'assurer que les astronautes et les habitats sont protégés contre les micrométéorites. La Lune n'ayant pas d'atmosphère, le risque d'impact météoritique est forcément beaucoup plus élevée que sur Terre. Il ne faut pas oublier que la poussière de régolite lunaire est formée de fragments de roches et de météorites. Selon les données de la sonde LRO, 99% de la surface de la Lune seraient recouverts par une nouvelle couche de débris après ~81000 ans à un taux plus de 1000 fois supérieur aux précédentes estimations (cf. NASA). Il s'agit donc d'un bombardement quasi invisible mais permanent et relativement rapide à l'échelle géologique. Pour éviter tout risque d'accident, les astronautes devront éviter de sortir de l'alunisseur et plus tard des habitats durant les périodes des essaims de météores sachant qu'il y en pratiquement tous les mois, le pic d'activité durant plusieurs heures et le passage de l'essaim pouvant durer plusieurs jours. Ensuite, lorsque les astronautes travailleront et vivront sur la Lune, d'autres risques apparaîtront liés à la vie elle-même (maladie éventuelle, etc) et aux technologies utilisées (panne et accident éventuels). Les astronautes en mission sur la Lune devront donc prendre de nouvelles habitudes, porter un dosimètre, prendre connaissance du temps spatial et de toute information vitale avant toute sortie en surface ou EVA et se décontaminer après chaque sortie lunaire. Le programme des missions sur la surface de la Lune ne sera sans doute pas fixé avant la mission Artémis II ou III. Une chose est sûre, les astronautes ne visiteront pas tout de suite un cratère à l'ombre du pôle Sud. En effet, des études ont montré que les régions situées dans l'ombre du Soleil accumulent des électrons qui engendrent des champs électriques atteignant plusieurs centaines de milliers de volts qui pourraient déclencher des décharges électriques voire électrocuter les astronautes comme l'explique la vidéo ci-dessous. A
voir : Why NASA Mustn't Land Near the Moon's Poles Yet,
Astrum 3D Simulation of the Shackleton Crater, IDIA Lab Earth, Sun from Moon's South Pole, NASA
Bref, on ne va pas sur la Lune pour le plaisir de rouler en 4x4 dans le désert de régolite, pour chercher des météorites ou pour faire de belles photos du ciel étoilé ! Les volontaires ont conscience que c'est un mission à haut risque où toute erreur se paye cash et le service d'urgence est aux abonnés absents. Mais voyons le bon côté des choses. Parmi les retombées du programme Artémis, toutes ces nouvelles technologies ne seront pas perdues car elles pourront être réutilisées sur Terre (cf. les retombées de l'espace) ou sur Mars. Installation de la base lunaire Le fait que la Lune soit tectoniquement active et génère des séismes aura des conséquences sur l'exploration humaine. Pour rappel, on enregistra quelque 35000 tremblements de lune en 50 ans, comprenant des séismes thermiques, des impacts de météorites et des séismes peu profonds, ces derniers étant situés parfois sur des failles de chevauchement (des escarpements) clairement identifiables. Les tremblements de lune peu profonds peuvent provoquer de fortes secousses sismiques, de sorte que l'emplacement des failles peut déterminer la sélection des sites pour les futures bases lunaires qui seront installées à long terme. Mais comme sur Terre, pouvant difficilement prédire quand et à quel endroit surviendra un séisme, il faut espérer qu'il n'y en aura pas juste à l'emplacement d'une base lunaire car plus qu'ailleurs, sur la Lune les dommages peuvent avoir des conséquences dramatiques pour les astronautes. Vers la mission Artémis VI ou les suivantes, lorsque les problèmes seront résolus et que le site de la future base lunaire sera choisi, on pourra envisager de s'installer sur la Lune.
Admettons que vers 2035 des équipes de quatre astronautes partiront vers la Lune pour une mission d'une semaine voire davantage selon les ressources disponibles afin de bâtir le coeur de la future base lunaire. On commencera par installer des logements préfabriqués. Ensuite on pourra bâtir des infrastructures plus solides et durables grâce à la technologie de l'impression 3D comme cela se fait déjà ici bas (des robots peuvent par exemple ramasser le régolite, le mélanger à de la colle et alimenter l'imprimante 3D qui bâtira les murs des habitats selon un plan préprogrammé). Par la suite ou simultanément, on peut envisager d'enterrer les habitats pour les protéger du rayonnement et des impacts. Plus tard, la NASA devait installer une usine d'exploitation automatique avant le retour d'équipages prévu un an plus tard. Le but est comme on reçoit les clés d'une maison que lorsqu'elle est bâtie, que la base lunaire soit viable lorsque les astronautes prendront possessions des lieux. On estime aujourd'hui qu'il faudrait 60 missions lunaires pour assurer la viabilité du site d'alunissage. Si les ressources le permettent, on peut réaliser ce projet en quelques années. Mais compte tenu des risques, rien ne sert de se presser et un délai de 10 ans voire deux fois plus long paraît plus réaliste. Ces missions, tant scientifiques que d'explorations et logistiques seront en partie robotisées, faisant appel à des robots dotés d'une certaine autonomie, capables de travailler à distance sans la supervision d'un humain. Comme nos militaires le font déjà en missions, lors des EVA, les astronautes disposeront de rovers qui leur permettront d'explorer le terrain et seront assistés par des robots "mules" qui transporteront leur matériel. En même temps que des sondes spatiales exploreront les ressources lunaires en surface, les Américains achemineront de l'équipement lourd sur la Lune : générateur d'électricité, antennes, rovers, grues, bulldozers, etc. Si le projet est toujours d'actualité et si la nouvelle génération de vaisseaux spatiaux le permet, on pourra alors envisager de construire un astroport sachant que les vols vers la Lune deviendront réguliers. Exploitation des ressources vitales Lorsque la base lunaire sera opérationnelle, au plus tôt et dans sa version minimaliste peut-être vers 2040, il faudra vivre sur la Lune, c'est-à-dire dans le milieu le plus hostile que l'homme ait connu à ce jour, confronté au vide spatial, aux écarts de température et aux rayonnementss ionisants sans même parler du risque d'impact météoritique, des séismes et des maladies. Dans un premier temps, comme les matières premières et les infrastructures, la nourriture sera acheminée depuis la Terre. Les astronautes appliqueront sur la Lune les procédures utilisées dans la station ISS; ils se nourriront uniquement d'aliments préparés qui seront réhydratés et réchauffés à la demande complétés par des jus, des fruits secs et certains desserts (type crème) préconditionnés dans des emballages hermétiques (pas question de disperser des miettes ou des smarties qui risquent de bloquer certains orifices vitaux). Pour l'eau, si au début elle sera également acheminée depuis la Terre, à terme les astronautes pourront peut-être tirer profit de la glace d'eau présente dans le fond des cratères qui ne voient jamais la lumière du Soleil, notamment près du pôle Sud comme le cratère Shackleton présenté ci-dessus. Ce cratère et des dizaines d'autres pourraient constituer des réservoirs d'eau glacée. Mais exploiter la glace d'eau lunaire est un programme en soi. D'abord elle n'est pas disponible comme telle mais mélangée aux roches qui doivent donc subir un traitement spécial pour extraire l'eau. Actuellement on ignore quelle quantité d'eau renferme la Lune. Il faut envoyer une sonde sur place pour le savoir (cf. la mission Viper de la NASA) et espérer qu'on pourra quantifier la quantité de glace disponible sinon il faudra y renoncer et apporter l'eau depuis la Terre. Les astronautes peuvent également fabriquer l'eau sur place en appliquant le principe de la pile à hydrogène, par électrolyse inverse, où H + O → HO. Mais de l'hydroxyle n'est pas encore de l'eau. A ce jour le centre Goddard de la NASA travaille sur la formule mais n'a pas encore réussi à produire de l'eau. Une alternative intéressante consiste à utiliser un composant naturel des mers lunaires, l'ilménite ou oxyde de fer-titane (FeTiO3) et l'énergie produite par des fours et des panneaux solaires (cf. les essais de SolarPACES). Le processus réalisé dans un réacteur solaire comprend deux étapes : la production d'eau puis d'oxygène. Dans une première étape, on combine l'ilménite à de l'hydrogène que l'on chauffe à plus de 900°C pour obtenir de l'eau : FeTiO3 + H2 + chaleur solaire → Fe + TiO2 + H2O Dans une seconde étape, on réalise une électrolyse à partir de l'eau produite : H2O + courant électrique → H2 + ½ O2 L'oxygène est récupéré et l'hydrogène est renvoyé dans le réacteur. Concernant l'énergie, selon les estimations, sachant que les journées lunaires durent 14.75 jours terrestres ou 354 heures (la révolution synodique de la Lune est de 29j 12h 34m), la surface lunaire permet de générer 6000 kWh par mètre carré par an. Si les astronautes ont besoin de 5 à 10 heures de lumière par pour, ce n'est donc pas un problème. Puisque les nuits lunaires durent également 14 jours, en installant une base près du pôle Sud, on peut réduire la durée d'obscurité entre 3 et 5 jours. Ce sera très précieux pour alimenter les panneaux solaires. A ce sujet, les parois ou les remparts supérieurs des cratères et les sommets des montagnes éclairées par le Soleil offriront de bons emplacements pour collecter l'énergie solaire. Mais dans tous les cas, même si pendant les longues nuits lunaires les astronautes peuvent éviter de sortir et travailler dans leur habitat quelques jours, ils devront malgré tout s'habituer à travailler plusieurs jours en extérieur dans l'obscurité, une contrainte supplémentaire dans un environnement déjà hostile. Pour la chaleur, si on peut la produire par des radiateurs électriques reliés aux panneaux solaires, on peut aussi la produire à partir de régolite. Des fours solaires à concentration sont capables d'atteindre des températures de 800 à 1050°C (au-delà la réaction chimique crée du frittage). Développement d'une agriculture et d'une industrie A plus long terme, c'est-à-dire dans plusieurs décennies qui a priori nous rapprochent plus de 2100 que de 2050, les astronautes devront développer une agriculture et une industrie locales en tirant si possible profit des conditions et des ressources lunaires. Cela passera obligatoirement par des serres hydroponiques (on peut envisager une culture en pleine terre mais il faudra alors mieux contrôler la qualité de l'air dont la présence éventuelle de polluants, de micro-organismes voire d'insectes) en profitant au maximum de l'énergie solaire et des moyens de recyclage. Dans le domaine de l'agroalimentaire et tout spécialement végétal, les chercheurs feront appel à l'ingénierie génétique et aux hybridations. Mais il restera toujours le problème de la faible gravité qui imposera de prendre des précautions avec les aliments qui s'effritent facilement. Quant à la viande sur pied, ce sera dans un avenir plus lointain. Lorsque tous les quartiers d'habitation seront opérationnels et les moyens de survie assurés à long terme (au moins 1 an), des équipes d'astronautes pourront venir spécialement sur la Lune pour mener des missions d'exploration durant 6 mois. Si tout se déroule comme prévu, d'autres équipes pourront préparer le premier voyage vers Mars, cette fois à bord d'une fusée traditionnelle. Mais beaucoup de choses peuvent changer d'ici là et notamment les moyens de propulsion et le financement de ces ambitieux projets. Enfin, probablement pas avant le XXIIe siècle, on peut imaginer une base lunaire de plusieurs hectares contenant des habitats, des laboratoires, des serres, des ateliers, des garages, une base de lancement, etc, recevant périodiquement des visiteurs transitant par une navette spatiale depuis le Gateway, c'est-à-dire la concrétisation du rêve d'aventure d'Arthur C. Clarke et Stanley Kubrick marquant l'entrée de l'humanité dans une ère nouvelle, celle de la colonisation de l'espace. Ensuite, si le projet est rentable, on pourrait installer d'autres bases lunaires. Entre-temps, on peut imaginer qu'avant 2100 des touristes (fortunés) survoleront la Lune. Mais ils devront aussi être prêts à risquer leur vie. Le XXIIe siècle marquera le début d'une nouvelle Aventure humaine pour celui qui deviendra à terme l'Homo sapiens cosmicus, c'est-à-dire un être humain né et vivant en dehors du berceau de la Terre et qui sera progressivement adapté aux conditions de vie qui ne sont plus tout à fait celles régnant sur la terre de ses aïeux. L'initiative CLPS et l'arrivée sur secteur privé sur la Lune Le nouveau programme CLPS (Commercial Lunar Payload Services) de la NASA est un projet de services à long terme faisant partie du programme Artémis qui fut lancé en 2023. Il permet à l'agence spatiale américaine de déléguer et sous-traiter le développement des vaisseaux d'exploration lunaire à des sociétés privées qui emporteront son matériel scientifique. Par la même occasion, la NASA se décharge également des risques. L'objectif est de réduire les coûts pour l'agence publique, de pouvoir faire des transferts plus fréquents vers la Lune, mais aussi de développer une économie lunaire. Et ce malgré les risques d'échec (pour rappel en janvier 2024, une première mission Peregrine menée par l'entreprise américaine Astrobotic, n'avait pas réussi à atteindre la Lune).
En 2024, la NASA sélectionna les entreprises américaines Venturi Astrolab, Axiom Space et Odyssey Space Research pour fabriquer un véhicule lunaire (LTV) pour le programme Artémis. Le rover de Venturi s'appelle FLEX et fut en partie développé en Europe (voir plus bas). Le contrat signé entre la NASA et Venturi s'élève à 1.9 milliard de dollars. Les trois entreprises peuvent se voir attribuer des commandes au cours des 13 prochaines années pour une valeur potentielle totale de 4.6 milliards de dollars. En outre, les contrats prévoient deux années supplémentaires pour les prestations de service. Alunissage de la première sonde spatiale privée Dans le cadre de l'initiative CLPS précitée qui fait partie du programme Artémis de la NASA, pour la première fois dans l'histoire de l'astronautique et des missions lunaires, une sonde spatiale d'une entreprise privée s'est posée sur la Lune le 22 février 2024 à 23h23 GMT. La mission nommée IM-1 comprend un alunisseur Odysseus de classe Nova-C construit par l'entreprise américaine Intuitive Machines. C'est un contrat de 118 millions de dollars.
L'alunisseur fut lancé le 15 février 2024 par une fusée Falcon 9 de SpaceX. Petit imprévu, le télémètre laser qui devait normalement permettre à l'appareil de se guider n'a pas fonctionné, mais une solution de secours fut trouvée en utilisant l'instrument NDL (Navigation Doppler Lidar) de la NASA qui devait normalement être seulement testé durant la mission. Utilisant la technologie Doppler LIDAR, le NDL permit de réaliser cette fonction vitale. Notons que durant la descente finale, la sonde était totalement autonome. Selon Steve Altemus, président et CEO co-fondateur d'Intuitive Machines, l'alunisseur ne s'est pas posé correctement et bascula sur le côté. Les données suggèrent que l'un de ses pieds heurta la surface provoquant son basculement du fait qu'il était encore animé d'une impulsion latérale au moment de l'alunissage. Bien qu'elle soit allongée sur le sol, la sonde spatiale est opérationnelle (cf. ce dessin et cette vidéo sur YouTube). Selon Bill Nelson, l'administrateur de la NASA, déclara : "Pour la première fois en plus d'un demi-siècle, les Etats-Unis sont de retour sur la Lune [...] pour la première fois dans l'histoire de l'humanité, une entreprise privée, une entreprise américaine, a décollé et mené le voyage jusque là-haut." Le site d'alunissage se trouve à environ 300 km du pôle Sud de la Lune, dans le cratère Malapert A. Le pôle sud lunaire fut choisi car on y trouve de l'eau glacée (mélangée à la roche ou dans le régolite) qui pourrait être exploitée à l'avenir. L'alunisseur Odysseus en forme d'hexagone mesure un peu plus de 4 m de haut et pèse 1900 kg. Il contient 12 charges utiles : six instruments scientifiques de la NASA et six cargaisons commerciales. Malheureusement, son basculement sur le côté empêcha de poursuivre la mission et aucune photo de la Lune ni aucune mesure n'ont pu être prises. La mission IM-1 se termina sept jours après l'alunissage, Odysseus n'était pas destinée à survivre aux températures extrêmes de la nuit lunaire. Intuitive Machines planifia une deuxième mission Athena, alias IM-2 qui se posa le 6 mars 2025 à 400 m de sa cible sur le Mons Mouton, un plateau situé près du pôle sud de la Lune. Malheureusement, cette fois encore, l'alunisseur se renversa sur le côté (cf. cette photo) mettant fin à la mission. C'était pourtant un projet ambitieux qui coûta 62.5 millions de dollars. Ses charges utiles comprennent un drone capable de bondir appelé "Grace" en hommage à la pionnière de l'informatique Grace Hopper, conçu pour explorer les tunnels formés par d'anciennes coulées de lave, une foreuse capable de forer jusqu'à 1 mètre de profondeur à la recherche de glace, et trois petits rovers. Le plus grand des trois rovers devait se connecter à l'alunisseur et à Grace en utilisant un réseau cellulaire Nokia pour une démonstration des possibilités de communication en situation réelle. Alunissage du Blue Ghost de Firefly Aerospace La société américaine Firefly Aerospace, spécialisée dans le transport spatial, a remporté un contrat de 112 millions de dollars dans le cadre de l'initiative CLPS précitée de la NASA pour livrer plusieurs charges utiles sur la Lune d'ici 2026. Il s'agit de la deuxième commande remportée par Firefly. La société développa un vaisseau spatial appelé "Blue Ghost" dans une configuration à deux étages pour placer un satellite en orbite lunaire, puis déposer deux charges utiles de recherche sur la Lune. Blue Ghost alunit avec succès le 2 mars 2025 à 9h45 GMT dans l'est de la Mer des Crises (Mare Crisium), près du cône volcanique de Mons Latreille qui s'élève à 150 m et se forma il y a plusieurs milliards d'années. A voir : Firefly Aerospace, Flickr
Après les échecs d'Intuitive Machines, Firefly Aerospace devient la première société privée à réussir à 100% un alunissage sur la Lune. Pour rappel, la missions lunaire d'Astrobotic Technology avait échoué en janvier 2024, l'alunisseur IM-1 d'Intuitive Machines décrit ci-dessus s'était renversé le 22 février 2024 et la mission Hakuto-R de la société japonaise ispace se crasha sur la Lune en 2023 (mais a déjà planifié une deuxième mission lunaire). L'ESA et le secteur privé européen comme partenaires Comme tous les contractants et partenaires de la NASA, tous les industriels du secteur spatial espèrent avoir une part du gâteau de l'aventure spatiale et un jour signer un contrat avec l'agence américaine pour des montants qui s'élèvent souvent à plus de 100 millions de dollars voire dix fois plus. Ces budgets permettent soit de lancer un prototype (proof of concept) afin de valider la faisabilité d'un projet ou de carrément lancer la fabrication d'un produit fini qui sera livré clé en main. Concernant l'Europe spatiale, l'ESA a subi des retards. Ses lanceurs de nouvelle génération, Vega C et Ariane 6, ne seront pas prêts avant mi-2024. D'autres projets sont en cours (lanceur réutilisable, cargo spatial, etc) mais ils demanderont encore plusieurs années de développement. En fait, l'ESA n'a pas les moyens de concurrencer le secteur privé américain et se tient juste à niveau pour rester indépendante. Ceci dit, elle fournit des éléments essentiels au programme Artémis comme un des sous-sytèmes de propulsion de la fusée, les modules habités pressurisés et le module de service de la capsule Orion. Mais ne nous faisons pas d'illusions. Comme dans tous les secteurs économiques, malgré les règles régissant les offres publiques, l'essentiel des commandes de la NASA reste entre les mains de sociétés américaines, y compris de ses partenaires historiques tels que Lockheed Martin. Car même si ces entreprises ne remportent pas le contract avec la NASA, elles ne manquent pas une occasion de collaborer avec les contractants privés. A lire : Artemis Partners, NASA C'est ici que l'ESA et les entreprises privées européennes (de même que d'autres pays comme le Japon et les UAE par exemple) ont encore un rôle à jouer. Les contractants et les partenaires américains de la NASA peuvent sous-traiter certains développements à d'autres sociétés, y compris européennes, soit directement avec une entreprise soit à travers l'ESA. Citons quelques exemples. La société franco-italienne Thales Alenia Space signa un contrat avec l'Agence Spatiale Italienne (ASI), elle-même sous contract avec la NASA pour concevoir un habitat lunaire pressurisé et polyvalent (MPH, Multi-Purpose Habitat). En parallèle, Thales Alenia Space fabrique déjà trois modules pressurisés destinés au Gateway lunaire (Esprit et I-HAB pour l'ESA et HALO pour Northrop Grumman). Le rover lunaire FLEX du constructeur américain Venturi Astrolab est équipé de batteries et de roues développées par les équipes de Gildo Pastor installées à Monaco et en Suisse. La NASA a signé avec la Belgique les "Accords Artémis" pour les futurs missions spatiales vers la Lune et Mars. Enfin, dans le cadre du projet ESRIC, un petit pays comme le Luxembourg a également sa place dans le programme Artémis via son partenariat avec l'ESA. Prochain chapitre La Lune, plate-forme d'observation de l'univers
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